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Les figures de l’enfant apprenant – la figure de l’écolier

La mission et les objectifs de l’école enfantine ou maternelle évoquent la personne de l’enfant et le développement de ses capacités. L’enfant semble constituer une entité qu’il n’est pas ou plus nécessaire de définir. Pourtant, les historiens de la famille nous le rappellent (Ariès, 1960/1973; Shorter, 1975/1977): l’enfant relève d’un construit historique et social en rapport avec la mission éducative qu’une société conçoit à une période historique précise. Selon la manière de concevoir la formation et l’intégration sociale du petit humain, l’enfant représenté se décrit à travers des étapes de la vie qui diffèrent; on ne démarque pas systématiquement le bébé de l’enfant, éventuellement l’adolescence de l’âge adulte.

Que représente l’enfant des textes officiels d’aujourd’hui? Quelles images se dégagent-elles? Plus précisément, de quelles capacités dote-t-on l’enfant, lorsqu’il est en âge de fréquenter l’école des petits? Comment les développe-t-il? Comment apprend-il? Pour traiter cet ensemble de questions, nous allons expliciter les principaux discours susceptibles de marquer les pratiques éducatives. Ces discours, nécessairement empreints par la structuration disciplinaire des savoirs à laquelle les chercheurs ou les principaux acteurs du champ éducatif ne sauraient échapper, ne s’organisent pas au hasard et constituent des regroupements de points de vue influencés par les disciplines des sciences humaines et sociales. Il est pertinent de considérer ces regroupements de discours comme des conglomérats disciplinairement influencés. Pour en rendre compte dans la présente partie, nous allons schématiquement exposer en quoi consiste la figure de l’enfant esquissée dans ces conglomérats constitués par le discours des historiens de l’éducation, des psychologues, de quelques sociologues de la petite enfance et de l’éducation, ainsi que des pédagogues. Ces discours disciplinairement influencés représentent, de notre point de vue, des images de l’enfant susceptibles d’exercer leurs influences tant sur la mission de l’école que sur les pratiques et décisions des acteurs du champ éducatif.

La perspective adoptée dans le présent travail écarte l’exposition du développement de l’enfant conçu dans son mouvement propre, c’est-à-dire indépendamment de toute conception éducative sociale et institutionnelle. En interrogeant à la fois ce que représente l’enfant à éduquer, en quoi consistent ses capacités propres et ce que l’éducation attend de lui, nous adoptons la perspective d'une transmission générationnelle, perspective que Durkheim (1922/1997) explicite parfaitement:

L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. (p. 51)

Reprenons ce qu’implique cette définition. Tout d’abord, l’éducation doit susciter une transformation durable de l’enfant; elle vise un résultat. Ce résultat, des «états» différents des «états» antérieurs, est désigné en des termes généraux – un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux – esquissant la perspective d’un développement global de la personne de l’enfant. Le terme «état» définit quelque chose de stable et d’acquis que la société et le milieu peuvent réclamer de l’enfant devenu adulte. Des exigences sociétales sont ainsi adressées à l’enfant, définissant une fonction générale de transformation par l’éducation, toutefois sans que soient plus amplement précisés les contenus favorisant une telle transformation. De la citation ci-dessus, nous retenons essentiellement les trois idées suivantes: premièrement, l’idée de l’éducation comme mission de la société pour une génération et par rapport à un milieu d’appartenance; deuxièmement, l’éducation comme

transformation extérieure d’un «état» à un autre et troisièmement, la perspective d’une formation globale de la personne, tant physique, intellectuelle que morale.

Selon Durkheim (1922/1997), le passage par les «systèmes pédagogiques» génère cette transformation. Ces systèmes sont nécessairement multiples et fonctionnent en parallèle (p. 94). Pour les enfants de 3 à 5 ans – tranche d’âge qui nous concerne, les systèmes éducatifs sont en effet multiples: informels et formels, ils sont essentiellement constitués par la famille, les pairs, les diverses institutions de la petite enfance, les jardins d’enfants et l’école des petits. Ces systèmes ne constituent que les premiers jalons des systèmes éducatifs primaires, secondaires et tertiaires. Les capacités et l’éducation du jeune apprenant se conçoivent dans le continuum des systèmes éducatifs, à la fois pour une même tranche d’âge et d’un point de vue longitudinal. Pour revenir à la transformation de ce que nous préférons appeler les capacités du jeune enfant plutôt que les états – terme peu dynamique – deux questions principales se posent: 1. La question de la description du développement de l’enfant et de ses capacités. 2. La question de la part des systèmes éducatifs, tant institutionnellement que du point de vue des contenus, rendant possible et nécessaire la transformation du jeune enfant. Ces deux questions permettent d’observer si la conception du développement de l’enfant intègre ou non la perspective de l’écolier en devenir. A la fois, elles cernent la figure de l’enfant apprenant du point de vue de la mission éducative d’une société donnée et structurent notre présentation des principaux conglomérats de discours tenus sur l’enfant et son éducation. Ces deux questions servent à organiser la présentation du résultat de notre investigation.

En vue d’exposer les différents conglomérats de discours disponibles sur l’enfant, nous commençons par les discours tenus par les historiens. La perspective historique montre l’évolution des idées sur l’enfant dans leur mouvement constitutif et dynamique. Elle cadre les discours influencés par des disciplines plus tardivement apparues, à savoir les discours psychologiques, sociologiques ou pédagogiques. A la suite des discours mis en évidence par les historiens, nous présentons les conceptions sur l’enfant dégagées des discours psychologiques et pédagogiques.

Précisons que notre investigation a consisté à privilégier la consultation d’ouvrages ou de contributions synthétiques, c’est-à-dire des encyclopédies, des dictionnaires, des notes de synthèses ou des manuels que nous citons en note de bas de page. Concernant les discours d’origine sociologique16, mis à part les quelques études de la sociologie de la petite enfance, il ne semble pas exister un discours sociologique spécifiquement orienté sur le petit enfant. Nous renonçons en conséquence à présenter le travail prospectif effectué.

Du sentiment de l’enfance à l’éducation de l’enfant

Eclairés par la recherche des historiens de l’éducation, les discours sur l’enfant susceptibles d’influencer et d’orienter les pratiques des acteurs principaux du champ éducatif ne portent pas directement sur le développement de l’enfant, ses capacités et caractéristiques propres. De tels discours ne sont en effet pas constitutifs des études des historiens, leurs approches ne visant pas une description génétique du développement. Leur compilation de sources, variables selon les périodes historiques, dépendantes de l’archivage et du hasard des découvertes, ainsi que leur interprétation, nous renseignent à la fois sur les conceptions de

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Pour la sociologie: Rocher (1968); Boudon, Besnard, Cherkaoui & Lécuyer (1999) et plus particulièrement la sociologie de l’éducation, c’est-à-dire Bourdieu (1979, 1997); Sirota (1987, 1988); Derouet (1987); Charlot, Bautier, Rochex, 1992; Charlot, 1997; Lahire (1993; 1998); Perrenoud (1994); Baudelot et Establet (1975, 1992); Duru-Bella et Van Zanten (1999); Dubet (2001); sans oublier Plaisance (1986) pour son travail spécifique sur l’école maternelle.

Pour l’anthropologie culturelle et scolaire: Mead (1951); Malinovski (1968); Bernstein (1975); Delbos & Jorion (1984); Henriot (1987); Scribner & Cole (1981); Lave (1988); Woods (1990); Chevallier (1991); Coulon (1993); Goody, (1994); Allal (2001); Moro (2001); Saxe (2001); Dasen (2002).

l’éducation et les modalités de prise en charge éducative à un moment historique donné. Même si le concept de développement n’est pas un concept de leur discipline, il donne cependant à observer des éléments étudiés par les historiens illustrant le développement prêté à l’enfant par des concepteurs de l’éducation ou des éducateurs. Ciblées sur les âges de l’enfance, les conceptions de l’éducation et les institutions éducatives montrent des aspects de la prise en charge de l’enfant qui esquissent une perspective développementale. De ce point de vue, la question portant sur la part et le rôle des systèmes éducatifs – la seconde de nos questions – fournit une réponse indirecte à la première, celle du développement. Nous avons examiné des ouvrages d’historiens de la famille et de l’enfance, ainsi que des historiens de l’éducation17 qui s’intéressent plus particulièrement à l’éducation du jeune enfant. Notons qu’un repérage des âges de l’enfance et des représentations de ses capacités présuppose l’existence d’un concept intuitif, le «sentiment» de l’enfant, soit un sentiment des temps modernes selon Ariès (1960/1973). En conséquence, il nous paraît indispensable de tracer dans un premier temps, à grands traits, la construction du sentiment de l’enfant et de la spécificité enfantine de cette construction du sentiment de l’enfant. Dans un second temps, nous nous attacherons à mettre en évidence les conceptions de son développement.

Le sentiment de l’enfant, une invention des temps modernes

Seulement présente depuis les temps modernes, comme nous le rappellent les historiens, la représentation de ce qu’est un enfant repose parfois sur une image caricaturale de l’évolution de la famille. Décrite comme élargie d’abord, puis progressivement restreinte, la famille élargie se voit idéalisée. Entouré par de nombreux frères et sœurs, ainsi que par les générations de fratries habitant ensemble, généralement à la campagne, le jeune enfant se développe avec et parmi des adultes et des pairs, la révolution industrielle marquant un tournant. Par son étude historique de la naissance de la famille moderne, Shorter (1975/1977) réfute ce modèle de famille élargie et montre la relation durable qui existe entre la fécondité et la pauvreté, synonymes d’une parentèle réduite, surtout dans les villes. Certes, la vie rurale autour d’une ferme offrirait des possibilités de cohabitation de la parenté latérale, ainsi que des grands-parents, créant des espaces de vie pour les jeunes enfants pourtant peu nombreux pour cause de mortalité infantile. «Au 18e siècle, un enfant sur trois était condamné à mourir avant la fin de sa première année et un enfant sur deux seulement avait des chances d’atteindre sa vingt et unième année.» (p. 36). Toujours selon cet auteur, trois types dominants de foyer coexistent (p. 39): le premier, la famille conjugale de base; le deuxième, la famille souche, avec la mère, le père, le plus souvent des enfants et un couple de grands- parents; le troisième, la vaste maisonnée dans laquelle vivent plusieurs familles étendues latéralement à des frères et sœurs et verticalement aux grands-parents. A sept ou huit ans, les «enfants», qui n’étaient déjà plus considérés comme tels partaient ailleurs pour être éduqués. Rappelons que le terme enfant – originellement du latin «celui qui ne parle pas» – désigne d’abord le jeune enfant depuis la naissance, puis les enfants, garçons et filles, jusqu’à l’adolescence, sens qu’il garde aujourd’hui encore. L’éducation, la préparation à la vie adulte, l’intégration des valeurs et des savoirs se déroulaient jadis essentiellement en dehors de la famille, dans le cadre des activités de travail avec les adultes; nous l’identifions avec nos catégories comme un apprentissage par frayage, un apprentissage par immersion dans le monde adulte, qu’Ariès (1960/1973) décrit ainsi:

17 Les ouvrages consultés sont les suivants: Ariès (1960/1973); Flandrin (1964); Shorter (1975/1977), Luc (1982,

1997); Chalmel (1996); Renevey Fry (2001; à paraître a, à paraître b); Schärer (2003, à paraître a, à paraître b); Michaelis (à paraître).

Il force les enfants à vivre au milieu des adultes, qui leur communiquent ainsi le savoir-faire et le savoir- vivre. Le mélange des âges qu’il entraîne me paraît un trait dominant de notre société du Moyen Age au 19e siècle. (p. 13)

Ariès le souligne, le sentiment de l’enfance, conçu comme une particularité enfantine, à ne pas assimiler à une absence d’affectivité, est apparu tardivement. Immédiatement intégré à la vie des adultes, la conscience d’une spécificité enfantine n’existait pas. Le tout petit enfant trop fragile voyait la reconnaissance de sa jeune vie comme mise en attente jusqu’à ce qu’il ait une chance de survivre. Le plaisir des jeux, des sourires partagés, appelé «mignotage» (Ariès, 1960/1973, p. 179) appartient au 17e; pour Shorter (1975/1977), il serait même plus tardif. Le sentiment de l’enfant comme être différent des adultes amène une séparation des enfants du monde adulte, une éducation séparée. Pour les moralistes, hommes d’église ou de robe ou éducateurs du 17e, intéressés à la formation d’hommes raisonnables et moraux, l’enfant imparfait a besoin de méthodes d’éducation appropriées. Ariès (1960/1973) identifie une conception botaniste de l’éducation du jeune enfant considéré comme une jeune plante: «Ce sont de jeunes plantes qu’il faut cultiver et arroser souvent, (sic) quelques avis donnés à propos, quelques témoignages de tendresse et d’amitié donnés de temps en temps, les touchent et les engagent.» (écrit en 1693, cité par Ariès, 1960/1973, p. 184). Une telle conception exprime une spécificité enfantine, ainsi qu’une manière de s’en occuper, dans une juste distance, avec juste ce qu’il faut de tendresse et d’amitié; d’amour il sera question plus tard. Quelles sont les raisons de cette évolution des mentalités? Jusqu’à quel point ces nouveaux sentiments sont-ils partagés et traversent-ils les différentes catégories sociales? Les fluctuations de la fécondité, des mœurs sexuelles ou la disparition d’une «aide à la mort des nourrissons» (Flandrin, 1964) sont des manifestations de causes diverses dont l’explication relève d’éléments complexes, certainement économiques aussi. En tout état de cause, l’amour maternel et le déploiement de l’imaginaire collectif de la bonne mère naîtront très progressivement dès le 18e jusqu’au début du 19e. Au 19e siècle, l’indifférence à l’égard des nourrissons semble se rencontrer encore largement dans toutes les classes populaires et dans toutes les communautés18 (Shorter, 1975/1977, p. 211). Le sentiment domestique, l’intimité du foyer et des sentiments, associés à l’amour romantique, favorisent l’expression d’un changement de priorité qui fait passer le bien-être du nourrisson avant le reste. La famille moderne est progressivement porteuse d’une fonction affective et éducative qui l’établit comme modèle éducatif du nourrisson, du bébé et du jeune enfant, tandis que l’école constitue l’autre socle de l’éducation qui devra accueillir l’enfant plus âgé (Ariès, 1960/1973). C’est de ce mouvement que l’école maternelle et enfantine émerge.

«Re-connaître» le développement de l’enfant

Avec le sentiment de l’enfance apparaît un discours sur l’éducation corrélé à des âges délimités en rapport à des manifestations de comportements ou de caractère. Luc (1997, p. 92 et suivantes) montre que la maturation de l’enfant est un intérêt partagé du 19e siècle. L’engagement de certaines femmes, souvent d’origine huguenote (Chalmel, 1996) et le début des salles d’asile19 entraînent la publication de véritables traités, dont celui d’Adrienne Necker de Saussure, «L’éducation progressive» (le premier tome en 1828, le second en 1838). Luc (1997, p. 92) rapporte que Necker de Saussure distingue les premières deux années de la vie,

18 Shorter questionne les affirmations d’Ariès (1960/1973) quant à une origine plus précoce et plus répandue du

sentiment maternel à l’égard des nourrissons.

19 L’accueil institutionnel du jeune enfant est dans l’ère du temps: la première Infant School date de 1816. En

Hollande, de nouvelles fondations sont créées dans les communes en 1823. Les toutes premières salles d’asiles parisiennes datent de 1825, l’école des petits enfants de Saint Gervais à Genève s’ouvre en 1826; idem à Lausanne et à Bruxelles. La première scuola infantile ouvre à Cremone en Italie en 1828. A Postdam, en 1929.

en décrit les habitudes et observe un développement «remarquable» entre deux et trois ans; les années de trois à cinq ans sont celles de l’activité, de la vérité, de l’imagination et de la conscience. A travers le soin apporté à la description de l’enfant entre deux et six-sept ans, les tranches d’âge définies par les médecins20 et les pédagogues se trouvent modifiées. L’enfant imite l’adulte, cherche à comprendre. Son intelligence se développe en relation avec les progrès du langage:

L’enfant, encore étranger dans le monde des choses qu’il connaît à peine, sent bientôt le besoin d’entrer dans le monde des mots qui y correspond et qui fournira bientôt des instruments à sa pensée. Alors commence pour lui une existence plus intellectuelle… (Luc, 1997, p. 92 citant «l’éducation progressive» d’Adrienne Necker de Saussure)

Après la première enfance de deux à cinq ans commence la seconde enfance, de cinq à sept ans plus exactement, lorsque les «instincts primitifs» se lient à la raison naissante, permettant la rencontre de l’enfance qui s’achève et de «l’homme qui arrive». Notons que ces étapes semblent décrites du point de vue de l’éducation des garçons et non des filles.

Les avis semblent converger concernant l’avidité de tout voir et de tout apprendre. Les enfants ont les aptitudes «pour comprendre, obéir, discerner et vouloir» (p. 53). L’influence des philosophes empiristes contribue à mettre en évidence le rôle de l’intelligence sensorielle. L’enfant, qui n’a plus rien d’un bébé, détient les aptitudes à une éducation particulière. Si les salles d’asile préservent les enfants des dangers de la rue, leur garantissent nourriture, chaleur et hygiène, ils ne sont déjà plus des êtres fragiles à seulement protéger. Selon Compayré, un bambin de quatre ans possède « tous les attributs distinctifs de la nature humaine […] mais dans des formes réduites» (cité par Luc, 1997, p. 94). Du découpage des âges d’une première à une seconde enfance, on retiendra que l’enfant peut être «scolarisé» dès trois ans.

Il ressort que l’enfant est tantôt décrit comme pervers – polisson, capricieux – tantôt comme innocent mais dont les dispositions sont à favoriser sans les laisser au hasard de la nature. Bref, un être à éduquer. Mais pour bien l’éduquer, il faut mieux le connaître.

Cette exigence de connaissance se situe à deux niveaux: au niveau des éducatrices elles- mêmes; pour bien éduquer leur enfant, les mères doivent mieux le connaître et donc l’observer. Necker de Saussure propose de tenir un journal qui garde des traces régulières de la maturation physique, des progrès, des mots, des sentiments, etc. jusqu’à l’âge de six ans. Le second niveau est une exigence adressée à la science. Suivant en cela Rousseau, parmi d’autres, Necker de Saussure déplore que l’enfance n’ait jamais été étudiée, alors que dans les sciences d’observation c’est un souci constant.

Comme on peut le constater, le développement de l’enfant est une thématique du 19ème siècle orientée par des aspirations éducatives conjointement adressées aux mères et aux autorités publiques afin de garantir justement le meilleur développement de l’enfant. Les motivations à la source des aspirations sont essentiellement philanthropiques, hygiénistes et morales. Au- delà du sentiment de l’enfance, la volonté affirmée de mieux le connaître montre qu’on lui suppose une spécificité qu’il s’agit de prendre en compte.

La mission éducative: entre la mère et la petite école. Comme le montre Chalmel (1996), le projet éducatif à un niveau institutionnel oscille entre deux logiques en tension. La première logique part du présupposé que la place de l’enfant est auprès de la mère. Comme nous le verrons par la suite, les pédagogues comme Pestalozzi, Oberlin, Fröbel et Kergomard se revendiquent tous de la mère comme modèle idéal de l’éducation. Afin que l’enfant découvre le monde à travers les yeux de sa mère, à travers son amour, sa protection et la clôture de son domicile, c’est à la mère que l’éducation du jeune enfant devrait appartenir exclusivement et

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Dans la tradition hippocratique, les âges de la vie se délimitent en petite enfance de 0-7 ans, l’enfance de 7-14 ans et l’adolescence de 14-21 ans.

non pas à une institution qui sépare l’enfant de sa mère. Mais la mère que les pédagogues souhaitent pour l’enfant n’est pas n’importe quelle mère. Cette mère idéale n’existe pas encore. Elle a pour caractéristique d’être une mère instruite capable de soins et d’attentions selon les principes chers à Pestalozzi et à Fröbel, puisque, l’un comme l’autre, ont rédigé des ouvrages dont elles sont les premières destinataires: le «Livre des mères» (Pestalozzi, 1801/1985) et «Chansons pour la mère qui câline son enfant» (Mutter- und Koselieder de Fröbel, 1844, cité par Heiland, 1994, p. 65). De si hautes aspirations exigent pour le moins