CHAPITRE 2- LES APPROCHES, METHODES ET OUTILS D’ASSISTANCE AU PROCESSUS DE CONCEPTION
2.1. Les approches, méthodes et outils d’aide à la résolution de problèmes
2.1.3. Réutilisation des précédents
Face aux situations complexes de conception, la réutilisation de solutions antérieures est
probablement l’approche la plus universellement partagée. Cette approche consiste à projeter
des situations passées de résolution de problèmes sur les situations présentes considérées
comme semblables afin d’engendrer par analogie une solution possible.
Un bon exemple de réutilisation des précédents nous est offert par la pratique du
cabinet « Alan Short et associés »
15qui ont conçu et réalisé leurs différents projets en
réutilisant un élément emprunté à l’architecture vernaculaire du Moyen Orient. Par exemple,
une exigence de ventilation naturelle répondant à la fois aux critères environnementaux et
15 http://www.shortandassociates.co.uk
architecturaux va se traduire dans plusieurs projets sous différentes formes : tour à vent,
capteur de vent ou cheminée à vent (Figure 18).
Figure 18 - Certains exemples des projets d’Alan short et associés [Short et al.]
Pour plusieurs réalisations, les concepteurs ont non seulement utilisé les précédents issus de
leurs propres expériences, mais aussi ceux provenant d’une tradition éprouvée en la déclinant
pour produire de nouveaux concepts.
Cette économie de la pensée en conception s’approche des notions d’échelle de modèle et de
patron de conception que nous aborderons par la suite.
2.1.3.1. Échelle de modèle
La notion d’« échelle de modèle » est définie dans le champ de l’architecturologie comme :
« Une classe d’opération qui consiste à reprendre un modèle antérieur tout en
effectuant éventuellement des modifications de divers degrés et de diverses
natures. » [Boudon et al., 1994].
La notion de modèle existe déjà chez des concepteurs qui ont suffisamment d’expérience. À
chaque nouveau projet, ils essaient de réutiliser des solutions précédentes qui ont eu du succès
mais aussi de ne plus utiliser celles qui ont conduit à l’échec (Figure 19).
« Tout bateau est copié sur un autre bateau (…) Raisonnons là-dessus à la
manière de Darwin. Il est clair qu’un bateau très mal fait s’en ira par le fond
après une ou deux campagnes, et ainsi ne sera jamais copié. On copiera
justement les vieilles coques qui ont résisté à tout (…) Méthode tâtonnante,
méthode aveugle, qui conduira pourtant à une perfection toujours plus grande
(…) et le progrès résulte justement de cet attachement à la routine. » [Alain,
1920]
Figure 19 - Un exemple de réutilisation des précédents dans l’évolution de l’architecture navale : à gauche, la
conception d’un bateau au XVIIIe siècle et à droite, la conception d’un bateau de XXe siècle
La notion d’échelle est en rapport avec l’importance de la grandeur en matière d’architecture
mais aussi la proportion. Selon [Boudon, 2009], la pertinence d’un modèle est limitée a son
utilisation dans une « échelle » similaire. Pour mieux expliquer cette idée, il donne une
continuation à la phrase d’Alain en restant toujours dans le domaine de la conception navale :
« La barque ne saurait être reproduction du paquebot et vice versa. » [Boudon,
2009].
Il affirme ainsi que même si cela semble parfois possible, il existe des conséquences
(économiques, techniques, fonctionnelles, esthétiques, etc.) qui augmentent la complexité du
projet au point d’être inabordable. L’auteur suggère alors que pour mieux comprendre cette
complexité il faut adapter les modèles en proposant l’étude des multiples échelles : « échelle
économique », « échelle technique », « échelle esthétique », etc.
L’importance de la notion d’échelle dans la théorie de [Boudon, 2009] est d’aider à une
« modélisation du modèle architectural » qui n’est pas fondée sur une simple imitation.
Enfin, la notion d’« échelle de modèle », extraite des pratiques architecturales courantes,
exprime une méthode que l’architecte utilise, parfois sans même connaître ce terme, pour
résoudre les problèmes posés dans le cadre de son projet.
2.1.3.2. Patron de conception
[Alexander et al., 1977], dans sa théorie du « pattern language », ou « langage de patrons » -
traduit par [notre recherche] - semble avoir été le premier à instrumentaliser l’utilisation des
précédents. L’utilisation des Patrons (Patterns) ou formes prototypes est un dispositif
heuristique proposé comme réponse aux situations de conception complexe.
« Il s’agit de construire un ensemble d’énoncés du problème qui permet, par
induction, de découvrir les formes qui satisferont au mieux les conditions
d’adéquation au contexte de l’objet à concevoir. » [Halin, 2004].
Un patron de conception est une solution fréquemment utilisée vis-à-vis d’un problème
fréquemment rencontré. Le patron est considéré comme le fruit du temps et sa pertinence peut
s’évaluer par la fréquence de son utilisation. Un patron possède un niveau d’abstraction
moyen afin de laisser au concepteur une marge créative.
Le « pattern language » est donc un ensemble harmonieux de patrons et de règles
combinatoires. À l’aide de sa grammaire - les règles combinatoires - ce langage donne lieu à
une grande quantité de scénarios (Figure 20).
Figure 20 - Schéma explicatif du principe de « Pattern language » [notre recherche]
Les patrons sont normalement organisés selon une hiérarchie de sous-systèmes. Cette
organisation existe dans la méthode de « pattern language » d’Alexander (Figure 21).
L’utilisation de patrons est aussi appliquée dans les méthodes récentes de développement des
interfaces informatiques ainsi que dans le domaine du management de la connaissance. Le
principe d’utilisation reste le même mais les concepts et les définitions varient selon le
domaine (Tableau 1).
Tableau 1 - La notion de patron appliquée dans différents domaines [notre recherche]
Domaine Définition Référence
1 Architecture et urbanisme Certains nombre des principes et règles réutilisables [Alexander et al., 1977]
2 Génie logiciel Bonnes pratiques de développement de l’interface [Conte et al., 2001 ; Meszaros et Doble, 1997]
3 Management de connaissances Une interface qui permet d’indexer et d’interpréter une vision composée des éléments de connaissance
[Ribière, 1999 ; Dieng-Kuntz et al., 2001]