CHAPITRE 1 – LES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX DANS LA CONCEPTION
1.3. Les enjeux environnementaux dans le bâtiment
La considération de l’environnement dans l’architecture vernaculaire
7, avant le XVII
esiècle,
suit une continuité à travers les siècles. Faisant une analogie entre l’être humain et sa capacité
d’adaptation à l’environnement
8[Roaf et al., 2005] mentionnent que :
« Vernacular buildings have evolved over time to make the best use of local
materials and conditions to provide adequate, and often luxurious, shelter for
populations inhabiting even the most extreme climates of the world. » [Roaf et
al., 2005].
« L’architecture vernaculaire a continuellement évolué afin de promouvoir la
meilleure utilisation des matériaux locaux et adaptation aux conditions
régionales, dans le but de fournir des habitats adéquats, quelques fois luxueux
7 L’architecture vernaculaire désigne ainsi selon les cas : architecture anonyme, architecture sans architecte (Rudofsky, 1964), architecture spontanée, indigène ou rurale, une architecture propre à un pays.
même à des populations localisées dans les climats les plus extrêmes de la
planète. » [Roaf et al., 2005] traduit par [notre recherche].
Une exposition mondiale sur le sujet de l’architecture vernaculaire, « Architecture sans
architectes » en 1964, a attiré l’attention de grands architectes de l’époque. [Rudofsky, 1964]
présente plusieurs exemples de ces pratiques, telles que les architectures transportables ou
encore les loggias (Figure 3).
La question de l’environnement, se manifeste dans les pratiques vernaculaires par de
multiples paramètres, tels que le choix du site, les ressources locales, la réutilisation de
l’existant (e.g. arbre, falaise, dénivelé), le climat, etc.
Figure 3 - Deux exemples des pratiques vernaculaires : à gauche, les loggias et à droite, l’architecture
transportable [Rudofsky, 1964]
De telles pratiques visent à adapter l’architecture de manière autonome aux aspects
climatiques, culturels et économiques du peuple.
« Tout peuple qui a produit une architecture a dégagé ses lignes préférées qui
lui sont aussi spécifiques que sa langue, son costume ou son folklore. Jusqu’à
l’effondrement des frontières culturelles, survenu au XIXe siècle, on rencontrait
sur toute la terre des formes et détails architecturaux locaux, et les
constructions de chaque région étaient le fruit merveilleux de l’heureuse
alliance de l’imagination du peuple et des exigences du paysage. » [Fathy,
1977].
Concernant la question de l’environnement, l’architecture s’est orientée à la fin de IXX
èmesiècle progressivement vers deux courants de pensée : le courant dit moderne qui est orienté
vers l’industrialisation et la mondialisation de l’architecture et le courant dit artisanal qui est
dans la continuité des réflexions sur les qualités des pratiques régionales.
Le courant moderne devient dominant au cours du XX
èmesiècle, alors que la société d’après
guerre – Seconde Guerre mondiale - fait face à un besoin accru de logements. Elle introduit
donc le courant moderne. Ce style débute avec le mouvement du Bauhaus
9et ensuite se
développe notamment grâce aux architectes Adolf Loos, Auguste Perret, Ludwig Mies Van
der Rohe et Oscar Niemeyer. Il est caractérisé par un retour à un décor minimal, aux lignes
géométriques et fonctionnelles et par l’emploi de techniques nouvelles. Ce mouvement est
basé sur l’idée que, dans le cadre d’une société de plus en plus industrialisée, l’architecture et
le design sont des éléments fonctionnels [Mcdonald, 2003]. Ce mouvement influence
durablement la pensée architecturale et marque l’ensemble du siècle. On retrouve notamment
le Corbusier à qui l’on doit la vision du logement comme « la machine à habiter » [Corbusier,
1923].
Ce courant moderne, qui fait abstraction de l’environnement, est aussi connu comme le
courant urbain. L’industrialisation représente un mythe et l’illusion du progrès technique
infini devient le moyen pour régler les problèmes d’habitat. Sa vison universelle de l’habitat
représente un moyen permettant de libérer l’homme de la nature.
Dans cette perspective, les relations du bâtiment avec l’extérieur deviennent de plus en plus
limitées :
« (…) se résumant alors aux tailles et aux dispositions des ouvertures et leurs
protections ou exposition au soleil. » [Émery, 2002].
D’ailleurs, l’apparition des matériaux de synthèse (p. ex.le béton, l’acier, les polymères) dans
le domaine de la construction, aide à libérer l’homme de la notion de proximité, et à
rapprocher l’architecture de son modèle avec des principes universels. À ce propos, [Hall,
9 Ecole d'architecture et d'arts appliqués allemande. Fondée en 1919 par Walter Gropius surtout reconnue pour l’enseignement d’une méthode d’architecture basée sur le fonctionnalisme et la simplicité.
1971] dans son ouvrage « La dimension cachée » montre le rôle de la dimension culturelle
dans la construction de l’espace et met en question le courant universaliste.
Par contre, un deuxième courant alternatif au moderne, a persisté dans la continuité de
l’architecture vernaculaire. Plus artisanal et rural, ce courant fut jugé passéiste par la société
de l’époque (Figure 4).
Ce mouvement porte des valeurs intéressantes d’un point de vue environnemental (e.g.
Utilisation des ressources locales, Prise en compte du contexte). Il s’adapte aux progrès
technologiques, sans réduire les qualités régionales existantes de l’architecture vernaculaire.
D’ailleurs, c’est ce courant qui a inspiré aujourd’hui, la notion d’éco-conception dans le
domaine architectural.
Ainsi, le mouvement « Arts and Crafts » (1860-1910) a été initié par William Morris - artiste
et écrivain anglais - en s’inspirant des ouvrages de John Ruskin
10. Il met en exergue
l’importance de l’esthétique aussi bien par l’utilisation de formes naturelles que par
l’introduction d’aspects culturels et économiques dans le domaine de l’art et de l’architecture.
Figure 4 - La continuité de la pensée environnementale dans l’architecture [notre recherche]
10 Ecrivain anglais (1819-1900)
En 1930, aux États-Unis, l’architecte Richard Buckminster Fuller construit le prototype
« Dymaxion House ». Il s’agit d’une maison qui peut être chauffée et refroidie par des moyens
naturels, stables vis-à-vis des tremblements de terre et des tempêtes et qui n’exige pas
d’entretien en permanence. La forme ronde de « Dymaxion House » minimise les pertes de
chaleur et la quantité de matériaux nécessaires. L’idée est de concevoir et de produire en
masse des maisons pouvant être amorties en cinq ans.
En 1933, en Allemagne, l’architecte Hans Scharoun mène un travail spécifique sur des
apports lumineux et thermiques du soleil et leurs restitutions à la maison Schminke à Loebau.
En particulier, les fenêtres du sud sont équipées de volets roulants réglables permettant un
contrôle de la quantité d’air, de lumière et de chaleur pénètrant par chaque fenêtre, à tout
moment de la journée. Pour ces raisons, l'architecture de la maison Schminke est décrite
comme étant une architecture dynamique [Schenk, 2010].
En 1948, en Égypte, l’architecte Hassan Fathy conçoit le village de « New Gourna » qui est
connu pour avoir appliqué les techniques d’architecture autosuffisante. En effet, ce village,
situé dans un milieu désertique, reprend des techniques plurimillénaires, notamment celle de
construction en briques crues séchées au soleil et de conception de toitures en voûte et en
coupole [Fathy, 1977]. Les bâtiments ainsi conçus sont naturellement climatisés par des
systèmes de moucharabiehs [Émery, 2002].
[Rapoport, 1972] se positionne aussi dans la continuité du courant artisanal, et affirme que
l’homme ne peut pas dominer la nature mais doit s’adapter à elle. Il considère alors que le
climat est un facteur influent sur la génération de formes dans la conception des habitats.
Les conséquences de la domination du courant dit moderne, et le remplacement de la plupart
des questions environnementales par des questions purement économiques, ont préparé le
terrain pour donner une nouvelle chance à la pensée régionale. Cette tendance est parfois
considérée comme un retour à l’architecture vernaculaire. Cette considération passéiste est
discutable, car elle ignore l’existence omniprésente - mais plus discrète - de la pensée
environnementale, alternative au courant moderne, tout comme son évolution à travers le
temps.
Nous allons aborder cette nouvelle reconnaissance de la pensée environnementale dans la
conception de bâtiments.
1.3.2 La reconnaissance
Avec l’augmentation rapide de la population dans le monde, répondre au besoin d’abri est
devenu un souci de l’entreprise du bâtiment au XX
esiècle. Aujourd’hui, au-delà de la réponse
en terme de construction, les architectes doivent prendre en compte la donnée
environnementale afin d’apporter des solutions adaptées aux nouveaux enjeux climatiques, en
respectant le cycle naturel de la planète.
« Il est encore possible d’éviter les pires effets du changement climatique ;
mais cela exige une action collective vigoureuse de toute urgence. Tout retard
serait coûteux et désastreux. » [Stern, 2006.]
En conséquence, on constate une augmentation considérable d’édifices qualifiés comme
environnementaux, ce qui illustre la tendance actuelle de l’évolution architecturale. En ce
sens, [Lecoutois et Guéna, 2009] croient que :
« La pensée écologique et/ou durable en architecture n’est pas une idée neuve.
Ce qui paraît relativement plus neuf, c’est sa reconnaissance sociale voire sa
revendication. » [Lecoutois et Guéna, 2009].
Aussi, [Metallinou, 2006] reconnaît cette tendance comme une réévaluation de l’acte de
conception. Il mentionne que :
« For centuries, building has been seen largely as a way of living apart from
the environment and dominating nature. This has turned out to be a pyrrhic
supremacy and the current ecological crisis has motivated many professionals
and academics to re-evaluate the fundamental premises of how buildings are
designed and produced. » [Metallinou, 2006].
« Pendant des siècles, la construction a été largement considérée comme une
manière de vivre en dehors de l’environnement et de dominer la nature. Ce sont
les catastrophes naturelles présentes et les crises écologiques actuelles qui ont
incité de nombreux professionnels et universitaires à réévaluer la façon dont
les bâtiments sont conçus et fabriqués. » [Metallinou, 2006] traduit par [notre
recherche].
Une preuve de cette reconnaissance - réévaluation ou revendication - est que plusieurs
pratiques utilisées par l’architecture vernaculaire ont été reprises à ce jour, afin de servir les
capacités d’autosuffisance (e.g. serre, chauffage intégré, zones glaciaires, tour à vent, clôture,
patio, espaces enterrés) de bâtiments contemporains.
Pour mieux expliquer cette reconnaissance, nous nous référons à la modélisation de bâtiment
selon [Trocmé et Peuportier, 2007] qui définit deux frontières pour chaque bâtiment :
physique et flux (Figure 5). Concernant la frontière physique, il s’agit du bâtiment comme un
ensemble d’objets matériels. Concernant la frontière flux, il s’agit des procédés en amont (e.g.
production d’énergie, traitement des eaux, fabrication et transport des matériaux de
construction) et en aval (e.g. gestion des déchets, des eaux usées).
Figure 5 - La modélisation de bâtiments [Trocmé et Peuportier, 2007]