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L’appui sur les réseaux numériques : un geste réservé aux recruteurs à fort capital social ? Durant l’enquête, la question des intermédiaires numériques a été mentionnée à plusieurs

Encadré 6 : détail des entretiens restauration rapide

2.2 Processus de recrutement en contrat court

2.2.5 L’appui sur les réseaux numériques : un geste réservé aux recruteurs à fort capital social ? Durant l’enquête, la question des intermédiaires numériques a été mentionnée à plusieurs

reprises. Ces intermédiaires numériques sont des pages de réseaux sociaux (Facebook en particulier) ainsi que des sites et applications commerciales dédiées à la mise en relation entre offreurs et demandeurs d’emplois. Certains recruteurs y trouvent en effet un appui pour recruter, dans les cas où leurs propres contacts ne permettent pas de répondre à un besoin urgent. Cette pratique n’est pas commune à tous les enquêtés du HCR, elle semble plutôt ne concerner que les employeurs ne bénéficiant pas de réseaux partenariaux tels que mentionnés dans le point précédent. Il s’agirait là

d’une solution de repli, dont l’efficience tient à l’audience de ces dispositifs23 et au volume d’offres qui y circulent.

En nous rendant régulièrement sur diverses pages de réseaux sociaux, nous avons constaté des annonces passées aussi bien par des offreurs que des demandeurs de travail. Généralement, les messages des candidats consistent à se déclarer disponibles immédiatement pour un poste précis et précisent éventuellement les jours / plages horaires souhaités. Ces messages sont parfois accompagnés d’informations relatives à leurs expériences ou, pour les plus jeunes, d’un cv en document attaché. D’autres sont très laconiques, ce qui n’empêche pas à leurs auteurs de recevoir rapidement des réponses. Dans les pages que nous avons observées, les offres d’emploi sont en majorité émises par des restaurants, des débits de boisson, des établissements indépendants ou non de restauration rapide, pour tout type de poste : plongeur, serveur, barman, cuisinier, second de cuisine, commis, etc. Mais ces pages sont aussi utilisées par des entreprises de traiteur et même parfois des hôtels. Les annonces ne se limitent pas aux contrats courts, même sur des pages dont le titre fait explicitement référence au contrat d’extra.

Les captures d’écran dans l’encadré ci-après ont été effectuées sur une de ces pages Facebook locales. L’image de gauche illustre bien l’aspect très direct de la mise en relation qui peut s’y réaliser : un individu propose ses services comme extra et reçoit, en moins de deux heures, une réponse d’un représentant d’établissement avec des coordonnées téléphoniques. La mise en relation est effective, l’émetteur n’alimente plus d’échanges après cela. L’image de droite est quant à elle intéressante car, après que le candidat émetteur ait reçu trois propositions de contacts en trois jours, une nouvelle candidate intervient dans les commentaires en interpelant directement l’un des établissements ayant répondu pour solliciter, elle aussi, des heures comme extra. Le fil de cet échange dans l’échange semble également déboucher sur une nouvelle mise en relation, avec en prime la mention par le représentant de l’établissement que cette candidate n’est pas inconnue du personnel de son restaurant. Aucune conclusion solide ne saurait être tirée quant à la représentativité de cet échange, mais il pourrait éventuellement aller dans le sens de l’hypothèse selon laquelle la circulation des personnes entre de multiples structures du secteur renforcerait les interconnaissances entre membres locaux du marché, qui pourraient alors intervenir dans les jugements des recruteurs. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des recommandations pas toujours identifiées dans les commentaires sous les messages émis : elles pourraient provenir d’anciens collègues comme d’anciens employeurs ou salariés, jugeant utile de mentionner leur appréciation positive du candidat ou de l’établissement (les commentaires négatifs semblent bien plus rares).

Au regard de notre enquête et de celles menées par d’autres chercheurs sur les pratiques de recrutement dans le secteur, l’usage de ces outils d’intermédiation numérique semble guidé par une logique d’efficacité. Pour répondre à l’impératif de disponibilité à court terme, les recruteurs limitent les canaux exogènes à la profession (Forté et Monchatre, 2012) afin de réduire autant que possible les étapes de la mise en relation entre offre et demande. Les réseaux sociaux observés s’inscrivent dans cette logique de recrutement à moindre coût et dans une visée d’appariement au plus vite, acceptant l’incertitude de la compétence contre le bénéfice de la disponibilité

Tous ces gens ils sont arrivés par Facebook hein... On met l’annonce et on reçoit une douzaine de sms dans la foulée.

Ça vous suffit pour retenir des candidats ?

Oui… Après, sur un sms, vous pouvez dire autant de choses que sur un CV. Parce que nous, tout le gala on s'en fiche complètement, on veut savoir s'ils ont de l’expérience, s'ils savent servir debout, ou des prestations assises, c'est pas le même service... (HCR-5)

23 Par exemple nous trouvons parfois des déclinaisons départementales de pages similaires aux mêmes intitulés. D’un département à l’autre de notre enquête, le nombre d’inscrits sur ces groupes peut passer d’environ 10 000 à plus de 40 000.

La priorisation du critère de disponibilité a pour corollaire de limiter les exigences sur la compétence. Le verbatim précédent extrait d’un entretien auprès d’un traiteur va dans le même sens en explicitant le faible niveau d’information attendu des candidats par ce type de canal. Ces solutions

sont donc souvent retenues en dernière instance, elles exacerbent même parfois les difficultés que certains employeurs peuvent avoir à recruter. Deux entretiens menés en phase exploratoire ont bien illustré ceci :

Après, j'ai fait l'expérience d'entreprises d'extras qui sont, d'une part, Le Cub des Extras, et de l'autre, Gofer. Ce sont 2 entreprises d'extras. Les extras qu'ils utilisent sont des extras qui sont en auto-entrepreneurs, voyez-vous ? Et donc, là, on paie la société qui demande, qui gère tout ça, donc, Le Club des Extras et Gofer, de l'autre côté. Et c'est par prélèvement, donc ça se passe sans problème. Ça coûte pas plus cher qu'un extra, mais on a, là aussi, une volatilité de l'extra, ce qui fait que, quand on a un restaurant un peu pertinent, avec des propositions de plats un peu pertinentes et une carte des vins un petit peu pointue, ils vont venir voir les mêmes extras. Avec Le Club des Extras ou avec Gofer, on a, je dirais pas le tout-venant, parce que ce serait irrespectueux, mais on a des gens qui ne connaissent pas obligatoirement la maison, et qui, par conséquent, se cherchent à peu près toute la soirée ou tout le service. Voyez-vous ? Donc, c'est un bon dépannage, ces affaires là, mais ça peut pas être, à terme, une qualité de service. (HCR-Explo-4)

Si vous voulez il y a des groupes sur Facebook pour les recherches d’extra dans la restauration. Et quand j’ai besoin de quelqu’un et bien je vais sur ces groupes et je remonte les discussions à la recherche de cuistots qui ont pu postuler sur d’autres annonces il y a deux trois ou mois et je les contacte directement par Facebook … Je suis obligé d’en arriver là car je n’ai aucun CV sous la main. (…) On est obligé de prendre par dépit, on prend le moins pire des candidats… On se dit qu’on va pouvoir les former mais non en fait… (HCR-Explo-1)

Enfin, un autre exemple d’utilisation des réseaux sociaux nous a été fourni par une manageuse de débit de boisson situé en centre-ville. Cette responsable de recrutement bénéficie d’un tissu relationnel assez fort dans le milieu des bars et peut donc disposer de son propre carnet de contact via les réseaux sociaux. La description qu’elle donne de son usage de l’outil met ainsi en avant la recherche d’efficacité qui la guide et qui lui permet par contre de contrôler plus que dans les exemples précédents la compétence des candidats dans la mesure où elle connaît bon nombre de personnes joignable via ces réseaux :

si je suis en galère, dans 5 minutes, je peux trouver un extra, si tu veux.

Comment tu fais, si dans 5 minutes tu dois trouver un extra ?

Il y a un réseau impressionnant !

Mais très concrètement, comment tu fais ?

Ben, je prends Facebook, je vais dans mes contacts, et je mets « j'ai besoin d'extras pour ce soir », à 19h. Dans les 5 minutes qui suivent, j'ai une réponse.

Tu le fais souvent, ça ?

Ouais. Après, t'as aussi des sites de restauration, sur Facebook, là... Extras, bar, restauration, trucs comme ça... Suffit de poser un message, et je te jure, dans l'heure qui suit, t'as quelqu'un qui te répond, quoi ! Et ça marche relativement bien, en fait. (HCR-16)

Les usages des intermédiaires numériques dans les processus de recrutement ne sont ni magiques ni d’une efficience sans faille. Ces pratiques s’avèrent plus exceptionnelles que routinières pour les enquêtés qui affirment mobiliser ces outils. L’incertitude quant à la compétence ne pouvant être totalement levée avec ces outils, nous avons eu plusieurs fois affaire à des discours qui en rejettent l’utilisation, préférant ne pas risquer d’embaucher de candidat inconnu potentiellement peu compétent. Solution de repli, les intermédiaires numériques nous semblent donc contribuer efficacement aux processus de recrutement lorsqu’ils sont mobilisés dans des espaces denses de candidats, au sein desquels une interconnaissance peut intervenir dans la décision de recruter. L’intensité de l’activité locale multiplie les possibilités d’embauche, mais elle peut également contribuer à mettre les établissements en concurrence autour de mêmes viviers. C’est le point que nous allons maintenant aborder.

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