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La gestion administrative et organisationnelle des recrutements en contrats courts pèse sur les conditions de travail des cadres

Encadré 6 : détail des entretiens restauration rapide

3 LE SECTEUR MEDICO-SOCIAL

3.1 L’action sociale et médico-sociale

3.1.3 Regard sur quelques effets émergents du dispositif de recrutement en contrat court

3.1.3.2 La gestion administrative et organisationnelle des recrutements en contrats courts pèse sur les conditions de travail des cadres

Un contrat, un motif, un remplacement. Le dispositif d’ensemble et dont les différentes procédures qui accompagnent le recrutement en CC mis en perspective de manière détaillée dans notre analyse est révélatrice d’une charge de travail qui pèserait de plus en plus lourd sur les pratiques des cadres. Nombre d’entre eux, en évoquant leur travail quotidien, expriment cette réalité.

Si vous voulez un peu un ordre d'idée des chiffres, on a regardé, du coup, pour 2018 : on est à 1500 CDD sur l'année 2018, quand même ! Pour 148 salariés concernés. Dans une semaine, je peux avoir, pour un même salarié, 3 motifs. Maladie, congés, récupérations. C’est ça, la difficulté ! A chaque motif, un contrat. Et dans la même semaine... Mais ça s'est démultiplié ! Les mutuelles, c'est pareil, c'est mal foutu ! Pardon, c'est pas vous, hein, mais si on pouvait avoir une dispense... Non mais parce que ça aussi, la gestion administrative qui nous est imposée, la législation, je dirais, qui nous demande ceci ou cela... Quand vous courrez après chaque remplaçant... On ne leur court pas après, je veux dire, ils ont... Une dispense pour un jour, puis une autre dispense pour 3 jours... Ça, par contre, effectivement, c'est chronophage, hein ! Pour nos collègues du pôle administratif, je dirais que c'est chronophage, et de l'attention permanente, quoi. Parce que les contrats, si on veut être dans les clous aussi, moi il est hors de question qu'un salarié prenne ses fonctions sans qu'il n'ait signé son contrat. Ça, je ne veux pas. (MS-19)

Le CC l'inconvénient ? C'est dur à gérer ! Moi j'ai fait... Je sais pas combien de contrats, mais peut-être... 60, 80 contrats par mois, c'est énorme ! C'est énorme à gérer ! Ce matin, j'en ai fait 3 ! Des contrats de 1 jour... Ce matin, j'en ai fait 3 ! Et des contrats d'un mois, et des contrats de 4 jours... J'ai même des cartons de contrats... (MS-18)

Ils nous parlent ici d’une augmentation de la charge de travail qui renverrait plus ou moins directement à ce qu’ils nomment une « judiciarisation du travail » qui s’installe ces dernières années au sein des organisations. Ce phénomène relève effectivement d’évolutions portant notamment sur la codification accrue des activités et les exigences de traçabilité dans tous les domaines du travail. Certains décrivent concrètement les impacts perçus de ces transformations sur leur pratique quotidienne traduite, pour la question du recrutement de remplaçants, dans le passage d’une gestion informelle à un mode plus formalisé d’organisation.

Majoritairement... Moi je voulais reprendre par rapport à la judiciarisation du travail, le côté un petit peu, règles, au niveau des contrats : moi je vois, j'ai commencé à travailler pour la structure XX il y a 23 ans, et j’étais sur l'accompagnement et l'hébergement. Et en fait, j'avais un contrat qui me disait, par exemple, que jusqu'à la fin de l'arrêt maladie de untel, la personne était partie un an, à chaque fois qu'il y a avait des renouvellements, j'ai signé un seul contrat. Là, actuellement, à chaque fois qu'il y a une prolongation, on repart sur un contrat et tout ça ! Donc, elle va être absente 12 mois, ben, c'est 12 contrats... (MS-19)

Entre ça, entre le fait, par exemple : il y a la personne qui prend 5 CA et un jour de récupération parce qu'elle veut faire sa semaine, supposons. Eh bien, il va falloir 2 contrats, si on veut bien faire les choses. Et ça, c'est quelque chose qu'on ne vivait pas. Enfin moi, quand j'ai commencé à travailler pour la structure XX, j'ai eu 2, 3 contrats en CDD, mais longs ! Qui m'ont permis de couvrir beaucoup d'autres personnes qui étaient absentes, et hop, je me faufilais par là, et... » (MS-19)

On pourra lier l’accroissement de cette charge de travail, notamment, à la prise en charge quotidienne d’un ensemble de paramètres organisationnels qui vont en se complexifiant. Ainsi dans

cet IME où le cadre doit gérer, en plus des autres activités, la question spécifique du transport pour un public d’enfants atteints d’autisme :

D'accord. Du fait de la particularité du public. Oui. Si je peux me permettre, l'organisation des remplacements, en fonction du pic d'activité, de maladies, de formations, etc, peut me prendre entre 20 et 40% de mon temps. Même si je ne m'occupe pas de la partie contractuelle. Parce que j'ai le souci de cette organisation derrière, et tout s’enchaîne en boucle : prévenir le transport, prévenir… » (MS-2)

L’analyse montre ainsi que ce processus de recrutement dans ses différentes phases, est susceptible de recouvrir des situations au caractère fortement anxiogène. Nous évoquerons ici deux exemples significatifs.

Le premier concernera les risques associés au cumul d’emplois lors du recrutement d’un remplaçant en contrat court. Nombres d’entre eux en parle comme d’une contrainte forte en terme de charge de travail. Le mode de règlement des incertitudes qui lui est attaché, comme l’accès aux informations sur le candidat remplaçant, sera variable selon les types d’organisations. Les grandes associations employeurs, par exemple, disposeront en général de moyens techniques et administratifs permettant de coordonner les remplacements pour « savoir qui peut être embauchable rapidement ». La mise à disposition d’un relais administratif décharge quelque peu le travail des cadres. Le travail en réseau entre professionnels peut être sollicité par ailleurs, qui favorise les échanges d’informations.

Ces incidences liées au risque de chevauchement des contrats pèsent plus lourd lorsque le cadre doit organiser seul la gestion d’un vivier :

Donc, ce vivier, il est partagé entre plusieurs établissements ? Non. C'est pour un établissement. Et ces personnes là, donc, elles vont intervenir ici, mais effectivement, elles peuvent intervenir ailleurs, et là, c'est un autre fichier...Oui. Si elle intervient ailleurs, on s'assure juste qu'elle ne dépasse pas la durée légale de travail, pour pas se retrouver ensuite, voilà...Ça, vous le voyez avec ces personnes, ou vous êtes en relations avec d'autres établissements ? Non, je ne fais pas d'enquête. Moi je le dis, je dis « écoutez, sachez que pour nous, si vous êtes là, c'est que... Voilà, légalement, c'est possible ». (MS-1)

Le deuxième exemple concerne l’urgence des situations de remplacement. Nous l’avons évoqué dans notre analyse. Quelles sont les conséquences pratiques pour le cadre recruteur ?

Elles concerneront tout d’abord l’utilisation des outils techniques de gestion des remplacements censés rendre plus efficientes les pratiques, comme par exemple les logiciels informatiques de remplacement. Dans l’urgence des situations de remplacements, elle se révèle constituer une charge supplémentaire.

On a le logiciel Octime, qui nous permet plus de gérer, actuellement, le temps de travail des professionnels, titulaires, ou des remplas longs. Je ne gère pas les remplacements par ce logiciel là alors que ça nous en offre la possibilité. Mais moi j'ai tellement de remplacements à effectuer que si je mettais à faire ces remplacements par le logiciel et l'interface qui nous est proposée aujourd'hui, je passerais encore deux fois plus de temps. Donc ça ça a été un refus de ma part, et une entente avec la RH et la direction. Certains autres pôles de la structure fonctionnent sur les remplacements avec le logiciel. Moi ici, c'est pas possible. Je gère à mon niveau directement, donc avec un petit stock de CV, des fiches de renseignements obligatoires, que je fais remplir dès le premier entretien, si la personne me convient, au premier entretien (MS-2)

Cette utilisation d’outils informatiques peut même se révéler complètement inadaptées dans certains contextes d’action. L’anticipation des absences de salariés par l’établissement, grâce à un logiciel informatique, comporte le risque de ne pouvoir anticiper les absences des remplaçants eux même (particulièrement dans les environnements « tendus » en terme de remplacement). Certains opteront donc pour le remplacement en dernière minute, stratégie génératrice de « stress » mais qui assure des conditions de possibilité de présence du salarié :

Si je me positionne dès maintenant, si je me fais les 3 semaines, je pars en vacances et je dis super, tout est fait, j’ai quelqu’un, parfait, tous mes trous sont bouchés. Sauf que j’arrive à la rentrée, j’ai un mail : madame X est malade. Finalement l’autre c’est pareil, il n pourra être là. Je suis dedans.. (…) Donc maintenant ce fais tout au dernier moment, ce qui rajoute au stress. Mais si je ne le fias pas, c’est encore plus stressant, parce que je sais que là j’ai zéro marge de manœuvre. Tant pis, avoir la marge de manœuvre de 20h pour le lendemain, que pas de marge de manœuvre et je passe une mauvaise nuit.. (MS-20)

L’utilisation du livret d’accueil lors de l’accueil du remplaçant dans la structure, en situation d’urgence, se révèle également inopérant :

Oui oui, comme je vous le dis, c'est... Alors, par rapport aux équipes, en soi, moi j'avais travaillé sur la mise en œuvre d'un livret d'accueil du salarié, voilà. L'idée étant que lorsque le salarié arrivait, il y ait un temps qui soit pris par un titulaire pour lui présenter le livret d'accueil. Après, comme partout, il y a l'idée et la mise en œuvre... Moi ce que je relève, c'est que bien souvent le salarié remplaçant arrive un peu en urgence, pour pallier à une absence, et que du coup, très rapidement, voilà.... Il y a obligation d'être un peu sur les chapeaux de roue... (MS-1)

Autre considération autour de la gestion des recrutements : les multiples incertitudes auxquelles doit faire face le cadre recruteur, liés aux spécificités des rapports d’’offre et de demande d’emploi dans le secteur. En voici ici un exemple :

L'autre limite, c'est de sans arrêt avoir à travailler sur une recherche de CV, que je n'ai pas forcément. Par exemple, là, j'ai une période creuse : je n'ai pas suffisamment de CV. De CV intéressants. Du coup, c'est compliqué. Et aussi, par exemple, en Janvier, j'avais trouvé 2 personnes vraiment très intéressantes pour notre établissement, elles m'ont demandé s'il y avait du travail pour elles, je leur ai dit non, parce que dans les semaines qui suivaient, j'avais rien... Donc elles sont parties travailler ailleurs, ce qui fait que quand j'en ai eu besoin, 8 jours après, je n'avais plus personne. Et je me suis retrouvée en carence. (MS-11)

Une charge matérielle auquel s’ajoute une charge mentale : gérer les incertitudes organisationnelles qu’imprime un tel dispositif ; et « s’arranger » avec le statut précaire du remplaçant. Certains cadres déplorent cet état de fait.

En dehors de ça, pour nous, il n'y a pas vraiment d'avantages, quoi. Parce que ça génère beaucoup de travail, administratif, j'entends, et puis on sait très bien qu'on va laisser, dans la précarité, quelqu'un, quoi. (MS-13)

S’exprime ici encore l’ambiguïté de la position des cadres recruteurs. Chacun gère à sa manière ces conditions, pour certains en tentant de dégager des solutions de type organisationnel, pour d’autres en étant attentif à accompagner, mettre en place des « arrangements » favorables aux remplaçants.

Ce qu'il faut savoir, quand même, aussi, c'est, je pense, pour la majorité des remplaçants qui viennent ici, c'est leur satisfaction à eux. Parce que, vraiment, ça a des conséquences, pour certains d'entre eux, ça leur permet aussi de pouvoir accéder à des logements, par exemple. Moi je fais attention à ça. C'est-à-dire que ce sont des gens, pour moi, qui sont dans des situations de précarité. Quand on est toujours obligé de chercher du travail, c'est une situation de précarité. Du coup, avec des répercussions sociales aussi. Donc là, par exemple, j'en ai reçu 2, et je leur ai confirmé que je favoriserai le plus possible la proposition de remplacement dans l'établissement pour eux, parce que ça leur permet de payer leur loyer, tout simplement.

Puis aussi, normalement, c'est 35h hebdomadaires, mais j'ai des personnes qui me disent « moi, n'hésitez pas, je peux travailler jusqu'à 40h par semaine, parce que moi, ça me permet de... », voilà. Pour les contrats-courts ?Pour les contrats-contrats-courts, oui oui. Donc c'est des gens, je sais que par exemple, si j'ai déjà 2 remplaçantes sur une unité, j'ai une 3ème personne qui s'absente de manière inopinée, bon, ben... Il y a ces 2 personnes, là, elles ont fait ça la semaine dernière, elles ont accepté de travailler d'avantage, et ça a permis de remplacer cette 3ème personne. Mais elles, ça leur convient, parce qu'ensuite, si, la semaine d'après, elles travaillent un petit peu moins, ou pas du tout, d'ailleurs, ça leur permet de... Voilà. Et elles savent que je fais attention à ça. Elles savent aussi qu'elles peuvent s'adresser à moi de cette manière-là. C'est un truc que j'ai intégré. Je pense pas que tout le monde fasse comme ça. La prise en compte du caractère précaire des situations, (MS-11)

La spécificité ici des réponses apportées se construisent autour des enjeux internes à un champ « non marchand » organisé autour de valeurs éthiques propres à la relation de service, et aux missions d’accompagnement, d’aide, des soins sur lesquels reposent les pratiques, qui doivent emprunter dans leurs modalités organisationnelles des formes rationnelles inscrites dans une appréhension comptable de l’activité et des préoccupations d’efficience et de gestion. Les cadres doivent ainsi gérer, dans leur travail quotidien, les contradictions qui en découlent.

Plus concrètement, et pour répondre à ces situations, il apparaît qu’ici chacun « improvise » et régularise des pratiques qui marchent dans son propre environnement, en fonction des ressources de sa position d’interface organisationnel. Chacun va ainsi développer une organisation adaptée aux contraintes de l’environnement de travail.

Sans développer ici ce point d’analyse, nous pouvons affirmer ici, plus largement, qu’il y a donc là un vrai « travail d’organisation » de la part des cadres recruteurs qui relève en amont pour certains d’une anticipation organisationnelle, déclinée en fonction des contextes structurels d’action. Ce travail, dans ses modalités de mise en œuvre, vient répondre aux contraintes qui en relèvent, repérées tout au long de notre analyse. Il supposera un véritable processus d’apprentissage en organisation, participant par là même, à redéfinir les configurations organisationnelles de ces dispositifs.

C’est dans ce contexte qu’émerge un jeu avec la règle liée aux réelles tensions générées par l’obligation du remplacement. Celles-ci peuvent conduire à divers arrangements sur le droit du travail qui constitue des prises de risques pour le professionnel, mais qui finalement, s’imposent comme des accords plus ou moins implicites face aux contraintes du champ et aux enjeux de l’obligation de remplacement. Cela concernera entre autre la gestion du cumul d’activité des remplaçants, ou la mise en équivalence des diplômes et des postes, ou bien encore les arrangements « en interne » avec les membres de l’équipe de travail, etc.

Le jeu avec la règle n’est donc évidemment pas sans prise de risque. Elles témoignent d’ores et déjà des modalités nécessaires d’ajustement des professionnels. Nous l’avons constaté sur chacune des étapes relevées et retracées de ces dispositifs, qu’elles deviennent nécessairement constitutives de ces pratiques, afin de gérer la complexité des situations liées aux besoins en remplacement dans ce champ.

Conclusion

Ces quelques exemples, qui mériteraient une analyse plus approfondie, sont révélateurs des stratégies « compensatoires » mises en œuvre pour gérer des situations délicates dans la réponse au besoin de remplacement. Elles reposent sur des ressources diverses, notamment sur un savoir-faire expérientiel du professionnel acquis dans la structure d’accueil et qui relève de :

- de la ou les expériences du parcours antérieurs, - d’une connaissance de l’organisation,

- d’un mode de management impliquant certains modes de rapports avec les équipes de travail. - d’une adaptabilité aux contraintes organisationnelles traduites dans des stratégies spécifiques. Pour citer quelques éléments relevés au fil de notre analyse.

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