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Conclusions à propos du HCR

Encadré 6 : détail des entretiens restauration rapide

2.4 Conclusions à propos du HCR

Pour conclure cette partie consacrée au HCR, nous synthétiserons nos résultats autour de deux questions : que font les organisations des contrats courts ? Que nous disent les contrats courts des organisations ? Nous reviendrons ensuite sur la thématique du travail non déclaré et terminerons par un retour sur la question initiale du projet, à savoir l’explosion des contrats courts.

L’usage des contrats courts se rapporte à des besoins temporaires de main-d’œuvre dans le HCR. Il s’inscrit dans des stratégies d’établissement et des modalités de gestion de leur main-d’œuvre. Il est un outil de flexibilité du travail en vue de maitriser les coûts de main-d’œuvre ; ou alors d’amortissement d’une tension sur le personnel en CDI lorsque ce dernier est mis en tension par des absences ou des montées en charge imprévues. Quand il s’agit de soutenir la flexibilité de la main-d’œuvre, le contrat court est généralement associé à une gestion de la main-d’œuvre par la polyvalence. Dans ce cas, le contrat court renvoie bien souvent à une problématique quantitative des effectifs présents, alors que l’utilisation en vue d’amortir la tension sur les personnels dévoile aussi régulièrement une localisation de la tension sur certains postes clés liés à des compétences spécifiques. Ainsi, le recours aux contrats courts dans le HCR se partage entre des besoins globaux de personnels ou des besoins précis de compétences. Ces deux problématiques ne sont pas nécessairement exclusives mais les usages des contrats courts présentent l’intérêt de cibler des modes de gestion du personnel spécifiques aux postes concernés par ces CDD de moins d’un mois.

Nous avons ensuite vu que ces problématiques se traduisent par des volumes de contrats courts variables selon les structures et que leur résolution en appelle à des procédures de recrutement cadrées par des logiques distinctes : professionnelle quand il s’agit de privilégier la compétence ; commerciale quand il s’agit surtout de trouver un candidat disponible et disposé à remplir une fonction peu qualifiée. Nous reprenons ici la partition du HCR proposée par Sylvie Monchatre (2018). Ces exigences de compétences et de disponibilités peuvent être combinées, en particulier chez les traiteurs et dans la restauration traditionnelle. L’une peut aussi prévaloir sur l’autre au regard des besoins de l’organisation : la disponibilité est au cœur du recrutement dans les établissements franchisés de la restauration rapide ou dans l’hôtellerie. Lorsqu’elles ne peuvent être combinées, le recruteur est confronté à un dilemme : soit il recrute sans assurance de la capacité du candidat à être opérationnel, risque que peuvent prendre certains traiteurs sur une prestation et pratique plus courante dans les bars reposant sur des contrats étudiants ; soit il se prive de recruter et se voit forcé de répartir la charge sur les personnels restants, pratique courante dans la restauration traditionnelle.

Les décisions effectuées face à ce dilemme nous semblent révélatrices des logiques métiers ou commerciales suivies par les établissements. Lorsque la logique métier l’emporte, la gestion du vivier est centrale pour stabiliser un répertoire de contacts compétents suffisamment conséquents afin d’optimiser les chances d’y trouver un candidat disponible pour le contrat court. Lorsque la logique commerciale est dominante, la gestion des viviers s’effectue par la multiplication des canaux en vue d’accéder au plus grand nombre possible de candidats, parmi lesquels seront éventuellement effectuées des opérations d’évaluation d’un degré minimal de compétences, parfois opérées dans les premières heures suivant l’entrée dans l’établissement. Ainsi, les contrats courts apparaissent-ils comme des éléments de renforçant les logiques professionnelles suivies par les employeurs.

La gestion des viviers est apparue comme une activité de GRH à part entière dans les organisations les plus consommatrices de contrats courts. Chez les traiteurs ou les franchises de la restauration rapide, l’intense contractualisation de CDD d’usage ou de CDD saisonniers s’effectue de façon très rationalisée. Le recrutement suit des procédures réduites à leur minimum chez les traiteurs car contraintes par une exigence de réactivité ; il s’inscrit dans une gestion planificatrice de la main-d’œuvre chez les franchises de la restauration rapide, qui visent à anticiper au maximum les besoins de main-d’œuvre selon des objectifs commerciaux fixés. Dans les autres établissements, la

constitution et la gestion du vivier renvoient très fortement à l’inscription des recruteurs dans des réseaux sociaux professionnels.

Plus généralement, du point de vue du processus de recrutement en contrats courts, une gradation semble s’opérer depuis les établissements indépendants relevant d’une combinaison domestique (Bentabet & al., 1999) jusqu’aux organisations liées par l’enseigne ou l’appartenance à une chaîne ou une franchise. D’un côté, les recrutements s’encastrent fortement dans les relations sociales à l’intérieur du secteur professionnel, de l’autre c’est vers le marché du travail que les recruteurs se tournent. Cette gradation nous semble dessiner un progressif continuum entre les pôles professionnel et commercial. S’appuyant sur leur expérience à la fois territoriale et sectorielle, les responsables d’établissements indépendants cherchent à éviter toute forme de dépendance au marché (notamment le tout-venant de candidats hors secteur) ainsi que les intermédiaires extérieurs qui n’auraient selon eux qu’une faible connaissance de leurs contraintes quotidiennes. De plus, les garanties de compétences dans le HCR en appellent à des objectivations émises depuis l’intérieur de la profession, depuis la possession d’une qualification reconnue par les professionnels jusqu’à la recommandation de la part d’acteurs significatifs du métier. On note alors que cette nécessaire validation par la profession se relâche à mesure que l’on s’approche du pôle commercial, jusqu’au cas le plus poussé des franchises de la restauration rapide qui peuvent déléguer une part de leur recrutement à Pôle emploi ou, dans une relative moindre mesure, certains établissements en mandats de gestion pour une chaîne qui voient leurs processus de recrutement cadrés par les prescriptions et exigences administratives et comptables de leur centre de décision.

Que nous disent les recours aux contrats courts des organisations du HCR qui les mobilisent ? Le premier résultat est qu’il existe d’inégales capacités de recours aux contrats courts, tenant à des ressources à la fois organisationnelles, territoriales mais aussi structurelles comme par exemple la densité des candidats disponibles selon les postes recherchés. Les cas issus des territoires ruraux se sont avérés de ce point de vue exemplaires de l’achoppement de contraintes pesant non seulement sur leurs capacités à recruter en contrats courts, mais aussi plus généralement sur leurs possibilités de recrutement sur tout type de contrats.

L’analyse des contrats courts met également en lumière des dynamiques plus profondes de gestion de la main-d’œuvre et de leurs effets. Les établissements de grande taille franchisés de la restauration rapide nous sont par exemple apparus représentatifs de l’articulation des contrats courts avec un modèle général de gestion de l’entreprise. Le recours au contrat court n’y est pas du tout un instrument temporaire de réponse à des situations d’urgence ou d’imprévus : c’est un levier d’extension saisonnier de la masse salariale pour ajuster la capacité productive aux objectifs de rentabilité déterminés par le groupe au regard de la situation de l’établissement. Dans ces établissements franchisés, le processus de recrutement en contrats courts ne représente pas une contrainte spécifique dans la mesure où il se confond avec des procédures continuelles de recrutement. Du recrutement à l’intégration du salarié en contrat court, l’analyse permet de saisir comment les organisations interagissent avec leur environnement humain. La place des femmes de chambre en contrats courts dans l’hôtellerie a été abordée sous plusieurs angles dans ce rapport, avec comme point de convergence le bénéfice en termes de disponibilités que les employeurs du secteur peuvent tirer de salariées en situation de précarité sociale et économique.

Les modalités d’usage des contrats courts donnent à voir des logiques employeurs très distinctes. Du côté du pôle professionnel, le contrat court est d’abord utilisé pour solliciter des compétences précises. Il contribue à la division technique et sociale du travail en distinguant la spécialisation technique des candidats qualifiés et expérimentés. À l’inverse, dans le pôle commercial, le contrat court concerne des postes peu ou pas qualifiés. Dans ces organisations, sa mobilisation serait en adéquation avec l’absence d’exigence de qualification, dans la mesure où quasiment aucune exigence de qualification n’émerge en tant que variable clé des recrutements. Les rapports salariaux

qui se nouent alors dans le pôle commercial n’accordent qu’une place très limitée aux savoir-faire des salariés en contrats courts, à l’exception du contrôle d’un seuil minimal d’habileté en deçà duquel la réembauche ne se fera pas. Les possibilités de réembauche à long terme et de pérennisation des relations nouées autour des contrats courts pour le même salarié impliquent alors que ce salarié démontre des compétences suffisantes pour être reconnu comme un professionnel du secteur, dans lequel il navigue grâce aux contrats courts ; à moins que ce salarié ne parvienne à s’extraire d’une situation de précarité économique grâce au contrat qui devient l’une des rares ressources d’une économie de la survie (Weber, 2008). Entre ces deux pôles existe toute une série de situations personnelles mobilisant le contrat court pour des raisons faisant écho à diverses dimensions des parcours biographiques (financer les études, chercher un complément financier temporaire, négocier une transition professionnelle). En outre, lorsqu’il n’est pas associé à une logique de compétence et une volonté de faire carrière dans le secteur, le contrat n’apparaît que très difficilement comme un tremplin vers une mobilité professionnelle.

Du point de vue des conditions de travail, les usages relevés dans plusieurs organisations du pôle commercial soulignent un recours aux contrats courts n’atténuant que marginalement la tension qui peut peser sur les personnels en CDI. Il apparaît également que des liens étroits existent entre le recours aux contrats dans le HCR et les conditions de travail des postes concernés. Le cas de l’hôtellerie nous est apparu au cœur de cette problématique. Les contrats courts y sont mobilisés pour suppléer aux personnels, en CDI, de nettoyage des chambres absentes ou démissionnaires. Les conditions de travail vécues quotidiennement par ces salariées sont concernées par un accroissement de la productivité que génèrent les évolutions du secteur à un niveau structurel (pression sur les prix en raison de la concurrence et des plateformes de réservation devenues incontournables pour les hôteliers) et l’évolution des modes de consommation (réservations à la dernière minute de plus en plus courantes, complexifiant une gestion du personnel de plus en plus tendue par le rapport entre effectifs présents et volume de travail). Ces conditions de travail accentuent la pénibilité et renforceraient le turn over, imposant toujours plus de recours au CDD court aux responsables d’établissement.

Enfin, dans le HCR, le développement des contrats courts a soulevé l’hypothèse d’une remontée de l’économie souterraine à la suite de la législation de 1997 sur le travail illégal. Durant l’enquête, nous avons cherché à savoir si, et dans quelle mesure, les règles et dispositifs de contrôle auraient conduit une partie des recruteurs du secteur à se mettre en règle et, donc, à convertir en contrats courts une partie de l’emploi précédemment non déclaré. Comme nous pouvions nous y attendre, les recruteurs se sont défendus de telles pratiques les concernant, sans pour autant être catégoriques vis-à-vis de leurs concurrents. Pas de réponse non plus quant à une éventuelle évolution de leurs propres pratiques depuis la loi de 1997. Néanmoins, les interviewés se sont parfois appuyés sur la reconnaissance de dispositifs de plus en plus contraignants en ce qui concerne la détection du travail non déclaré (caisses connectées, etc.). D’autres ont aussi soulevé que l’absence de contrat pouvait être une demande formulée directement par les candidats, phénomène qui, dans des espaces où les viviers sont peu denses, accentuerait encore plus les difficultés à recruter en contrat court. En l’état, nous ne pouvons donc ni valider cette hypothèse, ni être catégoriques à propos d’une réelle diminution de la pratique dans le secteur.

Au final, notre enquête ne permet pas d’isoler un facteur qui serait à lui seul explicatif d’une explosion des contrats courts dans le HCR. Les données disponibles mettent en lumière l’existence et le maintien d’un haut niveau de recours aux contrats courts, mais ne révèlent pas de profonds changements dans ce recours. Elles appuient cependant l’idée d’une pression économique plus fortement ressentie sur la gestion de la main-d’œuvre par certains employeurs, en majorité des indépendants de petite structure, mais à laquelle le contrat court n’est pas la solution automatique.

Le CDD court est alors, vraisemblablement, une conséquence de cette gestion sous pression qui se traduit par une pénibilité accrue pour les salariés entraînant une augmentation des mises en arrêt maladie et des abandons de poste. Néanmoins, les données recueillies auprès des traiteurs et des établissements franchisés de la restauration rapide ont permis de montrer à quel point certains de ces établissements ont un recours intensif à ces contrats, sans être pour autant exceptionnel.

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