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Les permittents qui limitent volontairement leurs heures

Encadré 6 : détail des entretiens restauration rapide

2.3 Profils et intégration des salariés en contrats courts dans le HCR du point de vue des recruteurs

2.3.4 Les permittents qui limitent volontairement leurs heures

La permittence est une notion importante pour notre sujet bien que non stabilisée34. On peut définir les permittents comme des salariés faisant l'objet de pratiques intensives de réembauches en contrats courts auprès d’un nombre restreint d’employeurs, tout en restant inscrits comme demandeurs d’emploi. Il s’agit d’explorer ici dans quelle mesure cette permittence peut relever d'une stratégie pour certains salariés en CDD courts : s'intégrer dans des relations intermittentes mais suivies avec quelques organisations tout en bénéficiant d'allocations chômage. Cette figure de salariés combinant à dessein activité réduite et prestations a pris corps dans plusieurs discours de recruteurs. Dans la majorité des cas, ces discours relèvent d'un registre très négatif. Il s’agit, selon eux, d’un véritable frein à l’embauche en CDI qui les contraint à se rabattre sur des CDD parce qu’ils n’ont pas d’autre solution de recrutement :

Travailler ça les intéresse plus on dirait. J’ai 62 ans et je fais plus de 50 heures par semaine, je travaille 6 jours sur 7 et je suis en forme. Les jeunes, tout ce qu’ils veulent c’est la paye, pas le travail. Ou alors juste assez pour toucher des aides. Ils calculent, ils comptent de qu’ils doivent travailler et vont surtout pas faire plus… ils préfèrent rester au chômage, trainer, je sais pas quoi…(HCR-19)

Le directeur de l’hôtel HCR-11 oppose cette figure à celle du point précédent. Il y voit une contrainte pesant sur sa gestion des contrats courts, l’obligeant à élargir son vivier pour ne pas essuyer de refus à ses propositions :

Alors... Je vais vous donner ce que je pense... Ça dépend des personnes. Vous avez des personnes, qui, aujourd'hui, sont pas dans « je veux des prestations et en même temps, travailler », donc cumuler, et en fait, en travaillant le moins possible, arriver à toucher un salaire, entre guillemets, raisonnable. Je le mets entre guillemets. Et puis vous avez des personnes qui, parce qu'elles sont mal renseignées, parce que c'est pas non

34 Document « Développement des contrats de travail de courte durée », intégré au dossier de négociation « Diagnostic sur le marché du travail et l’Assurance chômage », Septembre 2018. Accessible au lien suivant :

plus dans leur état d'esprit de chercher, absolument, à avoir... Pour elles, c'est « je veux travailler », et du coup, elles s'en sortent pas très bien avec des contrats d'extras, donc c'est pour ça qu'elles veulent un CDI. Et voilà. Et aujourd'hui, vous avez ces 2 populations. Moi j'ai des gens, qui, aujourd'hui, quand je leur propose un contrat à durée indéterminée, m'ont dit « non, ça ne m'intéresse pas », ou viennent me voir en me disant « non, attendez, là je peux plus travailler parce que j'ai fait trop d'heures ».

C'est quoi ce plafond d'heures ? Vous savez comment ça se passe ?

Alors, pour une extra, c'est un certain nombre, je vais vous dire un certain nombre parce que je m'en rappelle plus bien... Mais c'est un certain nombre d'heures au trimestre, ou de jours, au trimestre, je sais plus...

C'est 60 jours, je crois...

Oui… voilà… Et alors là je ne peux pas dépasser, parce qu'au-delà de ça, c'est considéré comme étant un CDI. Enfin, en tout cas, la personne peut nous dire « attention, vous devriez me prendre en tant que CDI », voilà. (HCR-11)

Les entretiens menés dans le secteur HCR font ressortir la surreprésentation des emplois non qualifiés parmi les recrutements en contrats courts. Des emplois souvent caractérisés par un fort

turn over en raison de leurs difficiles conditions de travail et de leur faible niveau de rémunération.

Des emplois qui correspondent aussi à des besoins discontinus et des variations d’activité, ne pouvant se substituer à un CDI pour les employeurs qui justifient ainsi le contrat court. Ce qui amène à se poser la question de l’usage stratégique de ces contrats courts, en appui sur le dispositif activité réduite. Cet usage stratégique peut être abordé à partir des trajectoires salariées en vue d’identifier les rationalités en œuvre35. Dans le cadre de notre recherche, ce sont les employeurs qui ont mis au jour de telles stratégies. Notre enquête a révélé un cas d’une telle stratégie, reposant sur un accord entre la responsable d’hôtel et une partie de son vivier d’extras récurrentes. L’objectif pour cette directrice d’établissement est de conserver ces « bons » éléments. Ceci montre que la disponibilité peut être une ressource à la négociation dans certaines situations où le recruteur connaît des difficultés pour embaucher :

j'ai des extras qui sont très anciennes aussi, mais... Moi, comme je vous dis, mon rêve serait de faire 3 temps-partiels annualisés, et voilà. Ça me simplifierait beaucoup la vie.

Ça fait combien de temps que vous les avez ?

Il y en a, ça fait 8 ans !

Et alors, ces extras, elles peuvent pas s'en sortir en ne travaillant que chez vous en extra, j'imagine ?

Si, parce qu'elles prennent le chômage en plus, et puis, il y en a beaucoup qui ne veulent pas travailler à plein-temps, hein. Elles ont toutes un mari, c'est le complément de salaire, ça leur convient bien.

Et elles ne travaillent que chez vous ?

Je pense. (HCR-Explo-5)

En dehors de ce cas et de HCR-11, également un hôtel, le dispositif d’activité réduite n’est finalement que très peu mentionné à propos de candidats retenus dans le HCR. S’il est abordé c’est surtout comme un frein à l’embauche dans des structures qui privilégient le CDI. Dans les secteurs pratiquant intensivement la réembauche de personnes n’ayant pas d’autres activité salariée à côté,

35 Cette hypothèse a été travaillée par Pauline Gonthier et Klara Vinceneux (2017) : le dispositif permet-il de favoriser la présence d’une main-d’œuvre intermittente, dont le coût employeur serait réduit par rapport à l’embauche en CDI ? Leurs conclusions se sont avérées très nuancées : « Si certaines trajectoires en activité

réduite observées dans nos données pourraient effectivement correspondre à une succession de contrats très courts, reflétant la mise en œuvre d’une éventuelle stratégie, ces trajectoires restent quantitativement marginales puisqu’elles ne concernent, tout au plus, que 6 % des individus de notre échantillon (94 000 personnes environ), réalisant 15 % de l’ensemble des mois d’activité réduite observés ».

les traiteurs en premier lieu, il apparaît difficile d’estimer la portée d’un tel phénomène sans pouvoir s’appuyer sur des discours de candidats.

En l’état, nos données ne peuvent que conduire à l’intuition que la permittence dans le HCR est sinon réduite, du moins circonscrite à certains sous-secteurs. Le fait de ne la voir incarnée que dans les hôtels soulève toutefois quelques interrogations à propos d’une éventuelle relation entre la qualité des emplois proposés et ce type de stratégie. Plusieurs travaux s’accordent sur le fait qu’un de leviers de recrutement dans les services dédiés au ménage dans les hôtels est le faible degré d’information et de maitrise de la langue des candidates, faisant des immigrées illettrées des « cibles » privilégiées des recruteurs (Merckling, 2011 ; Puech, 2006). Ceci atteste de difficultés de recrutement sur ces postes non qualifiés mais relatifs à un service dont ne peut que très difficilement se passer un établissement hôtelier36. La dépendance de ces recruteurs aux entourages de leurs salariées irait dans le même sens. Aussi, des situations telles que celle décrite dans le précédent verbatim pourraient soutenir l’hypothèse selon laquelle le cumul entre le dispositif activité réduite et les contrats courts découlerait d’une négociation entre employeur et candidats, encore une fois autour de la disponibilité des candidates mais cette fois-ci en redonnant une relative marge de négociation aux salariées face à des employeurs peinant pour recruter sur des postes aux conditions de travail si peu attractives :

Mais on va essayer d'avoir le moins d'extras possible, parce que c'est compliqué à gérer, les extras.

C'est-à-dire ?

C'est-à-dire que... Ce que je vous disais au tout début, c'est dans un sens comme dans l'autre. Les gens peuvent venir ou ne pas venir. On peut les appeler ou ne pas les appeler. La plupart du temps, c'est nous qui leur courrons après. Parce qu'ils sont fatigués, parce qu'ils ont envie de partir en vacances, parce que... Voilà, parce qu'ils ne sont pas tenus par un contrat. Même quand ils sont tenus, aujourd'hui, c'est compliqué, donc quand ils sont pas tenus, laissez-moi vous dire que... C'est compliqué.

C'est pour ça qu'elle est en tête, en fait : parce que, elle, d'après ce que vous m'avez raconté, Baptista, c'est quelqu'un qui est super dispo pour pouvoir bosser ?

Non, alors, au contraire, non. Parce que là, il y a une liste, puis au fur et à mesure que les gens annulent, poum poum poum, je fais remonter ma liste... Mais si elle, elle est toujours bien, que tout se passe bien, et qu'elle est disponible et que... Il n'y a pas de soucis. Et puis, c'est toujours pareil, je pense qu'on a un peu oublié ce côté où, même si ça paraît très choquant ce que je vais dire, où il y a un employeur, il y a un employé. Quand on a envie de chercher du boulot, on va voir son employeur, on lui dit « voilà, je suis disponible, j'ai envie de travailler, je suis là, quoi ! », et c'est, à la limite, nous, maintenant, qui devons nous mettre à genoux en disant « excusez-moi, vous voulez bien travailler aujourd'hui ? »... C'est pas tout à fait comme ça que... Moi, je considère que c'est pas tout à fait comme ça que ça doit se passer. (HCR-11)

Cette dernière figure repérée dans le HCR se retrouvera dans l’analyse du sous-secteur de l’aide à domicile où elle est apparue de façon bien plus récurrente. Dans le cas du HCR, si marginale soit-elle dans notre corpus, elle présente toutefois l’intérêt de conforter l’idée selon laquelle le recours aux contrats courts met en jeu une pluralité de rapports salariaux entre recruteurs et candidats. Offreurs et demandeurs de contrats courts échangent en effet de manières différentes selon le degré de pression qui s’exerce sur les établissements au niveau des compétences et de la disponibilité de la main-d’œuvre dont ils ont besoin.

36 Un enquêté nous explique toutefois avoir observé de récents établissements proposer des tarifs gradués selon le choix d’avoir sa chambre nettoyée chaque jour ou non. Ce qui peut s’avérer une stratégie de baisse des tarifs et entrainer plus de flexibilité sur les personnels de chambre.

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