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Section 2. Les classements et la réputation : le cas particulier des analystes financiers

2.1. La réputation et la célébrité

La réputation et la célébrité sont deux attributs dont bénéficient les organisations et les individus.

Le point est ici fait sur ces deux concepts avec un accent particulier sur les différences dans leurs moyens d’obtention et leurs conséquences sur les acteurs concernés.

La réputation occupe plusieurs courants de la littérature qui se différencient essentiellement sur la façon dont celle-ci est acquise par l’acteur.

Le courant qui semble le plus adapté aux analystes financiers sujets de cette thèse est celui qui décrit la réputation comme la perception par les partie-prenantes de la qualité des services ou produits offerts par l’organisation et qui est assise sur les performances passées de cette organisation (Fombrun & Shanley [1990], Podolny [1993], Rao [1994]).

Le second courant de recherche est celui basé sur les modèles de Kreps & Wilson [1982] ou Milgrom & Roberts [1982] dans lesquels la réputation provient d’un comportement de défense de l’organisation dominant un marché qu’elle utilise comme un outil de dissuasion vis-à-vis d’éventuels nouveaux entrants. Cette seconde vision de la réputation semble sortir du champ de recherche de cette thèse et ne sera pas abordé dans la suite de cette section.

2.1.1. La réputation d’une organisation

Il n’existe pas de consensus réel sur la définition précise de ce que les chercheurs entendent par réputation des organisations.

Barnett, Jermier & Lafferty [2006] conduisent une étude lexicale sur l’ensemble des articles parus entre 2000 et 2003, période au cours de laquelle le nombre d’études portant sur la réputation de l’organisation a fortement augmenté. Ils identifient trois courants différents dans la définition de la réputation d’une organisation :

- la réputation est un état de connaissance de l’entreprise,

- la réputation provient d’une évaluation de l’entreprise,

- la réputation est un actif de l’entreprise.

Dans le premier cas, la réputation de l’organisation correspond à une forme d’agrégation des perceptions des observateurs des caractéristiques de l’entreprise, sans jugement particulier.

Dans le second cas, la réputation de l’organisation est un jugement, une évaluation portée sur l’organisation par des acteurs qui lui sont externes qui permet à ces derniers d’émettre une opinion. Dans le troisième cas, la réputation est un actif qui apporte de la valeur à l’entreprise, identifié comme un actif intangible, économique ou encore financier.

Suite à cette étude de la littérature et à un examen des concepts d’image et d’identité, ils parviennent à la définition de la réputation de l’organisation suivante25

:

« la réputation d’une organisation correspond aux jugements collectifs des observateurs basé sur l’évaluation des impacts financiers, sociaux et environnementaux imputés à l’organisation au cours du temps ».

Ainsi, la réputation d’une organisation est le fruit d’un processus basé sur un jugement, une opinion ou une évaluation des observateurs qui peuvent être ou non des parties prenantes à cette organisation. Piotet [2005] défini la réputation comme une « approche culturelle, historique, géologique,

patrimoniale » qui « s’inscrit dans le temps ».

Dans le cas des entreprises, la réputation se construit à partir de signaux que l’entreprise envoi aux parties prenantes : son profil de risque-rentabilité, l’allocation qu’elle fait de ses ressources, sa responsabilité sociale et sociétale, la géographie de son capital, son exposition dans les média et la diversité de ses activités (Fombrun & Shanley [1990]).

Les membres des instances de direction de l’entreprise participent également à la réputation de l’entreprise en ce qu’ils sont considérés par les investisseurs comme des facteurs de force et de qualité du management (Mizruchi [1996]).

L’ensemble de ces signaux donnent une information sur les performances passées de l’entreprises et sont des éléments constitutifs de sa réputation (Fombrun & Shanley [1990]) 26.

Pour les parties prenantes, la réputation acquise par une organisation est un moyen de réduire l’incertitude sur la compétence de cette organisation, et donc leur perception du risque sur cette organisation (Rao [1994]). Par exemple, la réputation des membres du conseil d’administration d’une entreprise qui s’introduit en bourse est une information utile pour les investisseurs dans leur appréciation de la valeur de l’entreprise. Cette caractéristique de la direction de l’entreprise est un facteur de réussite de l’opération d’introduction (Certo [2003]).

Dans cet esprit, Gillet, Lapointe & Raimbourg [2008] étudient la politique de dividende des dirigeants dans l’optique de conserver une certaine réputation. Ils montrent dans cet article théorique que la construction d’une réputation passe par la divulgation de signaux sur la rentabilité future de l’entreprise au travers d’une politique de distribution de dividendes cohérente dans le temps.

25 Traduite de l’anglais, Barnett, Jermier, Lafferty [2006], p. 34.

26 L’étude de Fombrun et Shanley est une des premières études dans laquelle la réputation de l’entreprise, mesurée par sa

note obtenue au classement annuel Fortune 500, est comparée à des critères de performance comptable, de valorisation de marché et de stratégie.

La réputation procure également à l’acteur qui en fait l’objet des avantages financiers indéniables, qu’ils se traduisent par une augmentation des revenus ou une réduction des coûts (Podolny [1993]). La réputation d’une entreprise lui confère un certain statut vis-à-vis des autres entreprises de son secteur. Par exemple, la réputation d’un producteur sur un marché correspond à la qualité perçue de ses produits, relativement à la qualité perçue sur ceux de ses concurrents et constitue un signal de leur qualité sous-jacente (Podolny [1993]). Le lien entre le statut du producteur et la qualité réelle de ses produit est cependant assez fragile (loose linkage) en raison de deux facteurs : le délai entre la qualité observée du produit et la réputation de qualité que ce produit obtiendra auprès des consommateurs d’une part et le caractère stochastique de la diffusion de la qualité du produit puisque tout changement dans la qualité du produit ne sera pas nécessairement détectée immédiatement d’autre part (Podolny [1993]).

Compte tenu de ses éléments constitutifs qui viennent d’être décrits, la réputation d’une organisation est sensible aux variations inattendues de ces éléments.

Par exemple, Gillet, Hübner & Plunus [2010] montrent que l’annonce de pertes opérationnelles inattendues a un effet sur la réputation de l’entreprise. Réalisée sur la période 1990-2004 sur un échantillon de 49 sociétés financières européennes et 103 sociétés financières américaines, cette étude explore l’effet sur la réputation au travers de la réaction du marché à l’annonce des pertes opérationnelles. La réputation des entreprises est effectivement touchée par l’annonce puis la confirmation des pertes inattendues, mais les résultats montrent que les entreprises de ce secteur confirmant des pertes opérationnelles préalablement annoncées dans la presse dues à des malversations internes subissent une réaction négative plus forte des investisseurs que dans le cas de pertes dues à l’évolution de l’activité. La rentabilité anormale significative sur une fenêtre de [-10 ; +5] jours autour de l’annonce dans la presse de la perte est de -3,37% dans le cas de malversations et de +2,17% dans le cas de problèmes sur l’activité. L’effet réputation est négatif le jour de l’annonce dans les deux cas, mais perdure dans le premier.

La construction d’une réputation s’inscrit donc dans le temps, à partir de données réelles, mesurables et mesurées à intervalles réguliers pour en vérifier la pérennité. La réputation s’assied également sur l’observation de comportements cohérents au sein de l’entreprise qui la conduisent à pérenniser ses performances.

2.1.2. La célébrité des acteurs économiques

Les travaux relatifs à l’étude de la célébrité des individus entrent pour la plupart d’entre eux dans le champ théorique de la psychologie sociale.

La célébrité provient essentiellement de la capacité de l’individu qui en bénéficie de nouer des liens particuliers entre lui et son public (Trope & Liberman [2000]) ou encore de l’attention particulièrement forte que le public attribue à l’individu célèbre (Rein, Kottler & Soller [1987]).

Appliqué aux sciences des organisations, le concept de célébrité est étudié au niveau à la fois de l’entreprise et de son dirigeant.

L’histoire des entreprises cotées a permis de constater que certains dirigeants connaissaient une célébrité plus importante au travers d’une couverture médiatique régulière de leur activité. Par exemple, Jack Welch, PdG de Général Electric, William Gates, PdG de Microsoft aux Etats-Unis, Bernard Arnault, PdG de LVMH, ou encore Michel Pébereau, président de BNP Paribas.

La célébrité des dirigeants d’entreprise est acquise lorsque les média et les parties prenantes attribuent la réussite de l’entreprise aux actions de son dirigeant (Hayward, Pollock & Rindova [2004]). Toutefois, les auteurs démontrent qu’une fois célèbres, les dirigeants sont susceptibles de développer un excès de confiance qui les conduit à reproduire les actions stratégiques qui les ont rendus célèbres dans le but de conserver leur célébrité.

Les dirigeants ont alors la perception d’un contrôle total des opérations et sous-estiment le comportement de leurs concurrents. Il en découle une inertie de l’entreprise dans sa stratégie qui peut conduire peu à peu à une diminution de la performance de celle-ci (Hayward, Pollock & Rindova [2004]).

La célébrité s’entretien et à ce titre peut conduire à des comportements de l’acteur qui sont contraires aux intérêts de ses parties prenantes. Rindova, Pollock & Hayward [2006] partent des principales conclusions de leur article de 2004 et parviennent à une définition de l’entreprise célèbre :

« l’entreprise célèbre attire un niveau élevé d’attention du public et génère des réponses émotionnelles positives de la part de ses parties prenantes. Elle est anticonformiste vis-à-vis de sa stratégie de gestion et de ses performances ».

Réputation et célébrités sont donc deux attributs très différents. Pfarrer Pollock & Rindova [2010] décrivent les principales différences entre réputation et célébrité :

 la réputation est basée sur la reconnaissance collective de la capacité de l’entreprise à démontrer qu’elle peut créer de la valeur ;

 la célébrité provient essentiellement d’une résonnance émotionnelle de la part des parties prenantes.

Ils étudient la réaction des investisseurs à l’ampleur de la surprise sur les résultats publiés par un échantillon de 291 d’entreprises américaines sur la période 1991-2005. Ils constatent une réaction plus forte du marché aux surprises positives sur les résultats des entreprises célèbres qu’aux résultats des entreprises ayant une forte réputation.

La différence de rentabilité anormale cumulée sur une fenêtre de trois jours entourant la date de publication des résultats atteint 1,02%. Cette différence s’explique par la composante affective que la célébrité véhicule et qui conduit l’investisseur à sur-réagir à une bonnes nouvelles inattendue.

En revanche, les deux types d’entreprise ne sont pas pénalisés par la publication de résultats inférieurs aux attentes. La rentabilité anormale cumulée est positive dans les deux cas et statistiquement identique. Dans ce cas, l’effet positif de la réputation et de la célébrité sur la publication de résultats inférieurs aux attentes jouent de façon identique sur l’interprétation de ces résultats par les investisseurs.

La littérature relative aux mesures de performances des analystes financiers utilise les classements comme proxy de leur réputation et de leur expertise. Si les classements reflètent effectivement la qualité supérieure des publications des analystes qui y sont nominés, ils peuvent être alors utiles aux investisseurs en ce qu’ils les informent sur la qualité relative des analystes présents sur le marché. Les analystes financiers sont classés au même titre qu’un grand nombre d’autres acteurs économiques. La suite de cette section va tenter de répondre aux trois questions qui suivent.

 Quelle est l’utilité réelle des classements pour les parties prenantes aux organisations classées ?

 Qu’en est-il dans l’industrie de la finance et en particulier dans l’industrie de l’analyse financière ?

 Les analystes financiers classés présentent-ils des caractéristiques particulières les différenciant des analystes non classés ?