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Les classements et la réputation dans l’industrie de la finance

Section 2. Les classements et la réputation : le cas particulier des analystes financiers

2.3. Les classements et la réputation dans l’industrie de la finance

Dans l’industrie de la finance, les procédés de classement et leurs résultats sont devenus des moyens de reconnaissance de l’expertise et répondent à une demande de la part de l’ensemble des parties prenantes.

Les classements concernent un nombre croissant d’acteurs : les fonds gérés par les sociétés de gestion, les dirigeants, les équipes de communication financière des entreprises cotées et les analystes financiers, entre autres.

Quel que soit l’acteur considéré, les différentes formes de publication d’information sur la qualité de cet acteur sont utiles aux parties prenantes en ce qu’elles leur permettent d’obtenir une information qui les intéresse à moindre coût.

Les acteurs concernés envoient ainsi des signaux sur la qualité de leur service. Les gestionnaires de portefeuille publient leur performance, les analystes financiers émettent des prévisions et des recommandations, qui sont ensuite jugées par les acteurs du marché qui les utilisent. Ces signaux particuliers jouent le même rôle que ceux évoqués par Fombrun & Chanley [1990].

Par exemple, les sociétés de gestion suivent attentivement la notation de leurs fonds. Cette notation a des conséquences non négligeables sur l’activité de la société de gestion. La société Morningstar attribue des étoiles (de 1 à 5) aux OPCVM proposés aux investisseurs, sur la base de critères dont le plus important est une pondération de la performance passée du fond sur 1 an, 5 ans et 10 ans. Les fonds obtenant les meilleures notes, soit 5 et 4 étoiles, sont ceux qui sur l’année suivant le classement collectent une large majorité des fonds investis, alors que ceux dont la notation se situe à 3 étoiles ou en deçà voient leur récolte d’encours diminuer (Del Guercio & Tkac [2008]). La notation est ici un moyen pour l’investisseur d’obtenir une information sur la qualité de la gestion du fond noté à un moindre coût (Sirri & Tufano [1998]). Ces raisons incitent les sociétés de gestion à faire publicité de leur notation Morningstar dans leurs prospectus destinés aux investisseurs. Pour autant, une fois encore, une bonne notation n’est en aucun cas un gage de bonnes performances futures du fond noté. Tout au plus, le classement Morningstar permet-il d’identifier les fonds dont les performances mauvaises resteront mauvaises (Blake & Morey [2000]).

Dans l’industrie financière, la profession des analystes financiers, en particulier la catégorie des analystes financiers sell-side, fait l’objet de classements annuels. Les classements annuels des analystes financiers utilisent deux types de méthodologies : le vote des destinataires des études publiées par les analystes et la mesure de leurs performances passées.

Le classement Institutional Investor appartient à la première catégorie au même titre que le classement

Extel. Ils constitueront tous deux les classements de référence du chapitre 3.

La seconde méthode est utilisée par le classement du Wall Street Journal et le classement Starmine, ce dernier constituera un des classements de référence du chapitre 4.

Le classement Institutional Investor est publié par le journal du même nom. Le caractère informationnel de cette enquête annuelle sur la réelle qualité de l’analyste nominé a été remis en cause par la littérature à plusieurs reprises, en particulier par Grandin & Jacquillat [1994] et plus récemment Emery et Li [2009] sur le marché américain. Dès 1994, Grandin & Jacquillat suggèrent dans l’introduction de leur article que les classements d’analystes ne sont que des « produits créés par des

organismes spécialisés destinés à répondre à la demande de la communauté financière et à ce titre peuvent être qualifiés de concours de beauté »27.

Emeri & Li [2009] reprennent cette maxime en postulant que le classement Institutional Investor n’est autre qu’un concours de popularité. Ils montrent l’influence de la taille de la société d’intermédiation à laquelle appartient l’analyste sur sa nomination. En effet, plus la société d’intermédiation est importante, plus son pouvoir sur le marché est important, en termes de moyens marketing à la disposition de l’analyste pour présenter ses recommandations et en termes de qualité de l’exécution des ordres.

Quelle est alors la part reconnue par le gestionnaire entre la véritable qualité de l’analyste et la qualité de l’exécution ?

Emery et Li [2009] démontrent l’existence d’un biais lorsque l’analyste financier nominé et le gestionnaire de fonds interrogé appartiennent à la même institution, biais qui se manifeste par un vote quasi systématique de ce gestionnaire pour cet analyste. Ces auteurs montrent par ces résultats le poids des grandes institutions d’intermédiation et la difficulté pour les plus petites de se faire à la fois connaître et reconnaître. Pour autant, lorsque testé sur le classement du Wall Street Journal, a priori plus objectif, leur modèle révèle les mêmes tendances que celles trouvées sur le classement

Institutional Investor.

Du côté de l’investisseur, le classement apporte une information sur la qualité présumée de l’analyste financier.

Du côté de l’analyste, l’appartenance à un classement se traduit par une récompense pécuniaire (Nalebuff et Stiglitz [1983]) et constitue un facteur important dans la détermination de sa rémunération (Michaeli & Womack [1999], Groysberg, Healy & Maber [2011]).

La société d’intermédiation qui l’emploie bénéficie, quant à elle, d’une forme de publicité gratuite qu’elle utilise par la suite dans sa politique de communication envers ses clients comme illustré par le communiqué de la Deutsche Bank, dont certains analystes ont été élus aux premières places du classement Institutional Investor 201128.

27 Beauty contest dans le texte.

28 Le communiqué de presse de la Deutsche Bank, suite à la publication du classement des équipes de recherche

L’extrait du communiqué qui suit, reprenant les propos de David Folkerts-Landau, responsable de l’ensemble des bureaux de recherche du groupe, est assez révélateur29

:

« nous avons investi dans la recherche de façon constante ces dernières années et nous sommes ravis que nos clients reconnaissent la qualité, la précision et la pertinence de nos analyses. »

Celui de Candace Browning, chef du département de recherche globale pour BofA Merrill Lynch, suite aux premières positions obtenues par ses analystes sur l’Asie et le Japon en 2011 l’est également :

« nos classements en tête des sondages sont une marque de reconnaissance venant récompenser le talent et le dur labeur de nos analystes […] ainsi que la qualité exceptionnelle de l’ensemble de notre plateforme de capital-actions chez Bank of America Merrill Lynch. »

Il est intéressant de noter dans ce dernier cas, que l’acquisition de Merrill Lynch en septembre 2008 a propulsé Bank of America dans les têtes de classements des analystes financiers alors que cette société n’y était jamais apparue par le passé.

L’appartenance à un classement constitue donc un facteur de reconnaissance pour l’analyste et la société qui l’emploie dont les répercussions économiques ne sont par négligeables. L’analyste nominé dans un classement est-il effectivement différent des autres analystes dans son comportement et ses performances ?