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Les caractéristiques particulières des analystes financiers classés

Section 2. Les classements et la réputation : le cas particulier des analystes financiers

2.4. Les caractéristiques particulières des analystes financiers classés

Un des précurseurs de l’analyse des relations entre le classement de l’analyste et son comportement est Stickel [1990, 1992, 1995]. Ses travaux portent sur la relation entre le classement de l’analyste, la qualité de ses prévisions et la qualité de ses recommandations.

Stickel [1992] est un des premiers à mettre en évidence la plus grande justesse des prévisions des résultats émises par les analystes classés par rapport aux analystes non classés.

L’analyste classé est moins prévisible que les autres dans l’émission d’estimations de résultats (Stickel [1990]). L’auteur construit un modèle destiné à prédire les estimations des résultats des analystes financier en fonction de trois facteurs. Le premier est constitué par les changements d’estimations des autres analystes entre deux prévisions de l’analyste considéré. Le second est la différence entre la prévision de l’analyste et le consensus sur l’estimation précédente. Le troisième est la publication d’informations nouvelles sur l’entreprise entre les deux estimations.

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Stickel [1990] démontre que ce modèle est un bon prédicteur des estimations de résultats des analystes, sauf dans le cas des analystes nominés dans le classement Institutional Investor pour lesquels le pouvoir prédictif du modèle est moindre. Il en déduit que les analystes classés utilisent un processus particulier dans la construction de leurs estimations dans lequel les trois facteurs du modèle ne constituent pas les facteurs essentiels.

Les analystes financiers classés seraient donc différents.

Les analystes appartenant à une équipe classée par l’enquête All-America Research Team d’Institutional Investor (I/I) proposent des estimations plus justes que les analystes non classés I/I (Stickel [1992]). Cette supériorité tend toutefois à disparaître lorsque les analystes travaillent pour une banque parmi les plus actives sur le marché des introductions en bourse (Fang et Yasuda [2009]). L’entrée dans le classement ne semble pas avoir de lien avec la qualité des estimations de résultats publiées par l’analyste, en revanche, la sortie de l’analyste y est liée. En effet, les analystes entrant dans le classement ne proposent pas de prévisions plus justes que les analystes n’y entrant pas sur les trois années précédant le classement.

De même, les analystes quittant le classement ne proposent pas de prévisions en moyenne moins justes que les analystes restant dans le classement au cours des trois années précédant le classement. Cependant, en utilisant une mesure de l’erreur de prévision normée par le prix du titre, Stickel [1992] met en évidence une relation significative au seuil de 10% entre la disparition de l’analyste du classement et la justesse moindre de ses prévisions par rapport à celle de ses pairs restant classés sur l’année précédant le classement.

Les analystes considérés comme les meilleurs professionnels ont tendance à proposer des estimations plus audacieuses et tendent à dévier plus fréquemment du consensus (Trueman [1994], Hong & Kubik [2000]).

Les analystes classés publient plus fréquemment des estimations de résultats que les analystes non classés (Stickel [1992]). La diminution de la fréquence des estimations n’a cependant pas d’effet sur la sortie de l’analyste du classement.

Par ailleurs, les révisions de forte ampleur des prévisions de résultats ont un impact plus élevé sur le cours de la société concernée lorsqu’elles proviennent d’analystes classés et cet impact est d’autant plus élevé que la capitalisation boursière de la société est faible (Stickel [1992]).

Il n’existe par de consensus de la recherche sur la supériorité des recommandations d’investissement des analystes classés par rapport aux analystes non classés.

Stickel [1995] observe une relation significative au seuil de 1% entre la rentabilité anormale du titre estimée sur une fenêtre de dix jours autour de la date d’émission des recommandations à l’achat et la position de n°1 de l’analyste dans l’enquête Institutional Investor sur le marché américain. Cette relation n’est pas significative sur les recommandations de vente.

Desai, Liang & Singh [2000] mesurent la rentabilité anormale30 générée par les recommandations émises par les analystes venant d’être élus dans le classement annuel du Wall Street Journal (WSJ), quelques jours après leur élection. Ils utilisent également la méthode de l’étude d’évènement, la date 0 correspondant à la date de publication dans le journal de la liste des valeurs recommandées par chaque analyste.

Leurs résultats montrent que les valeurs recommandées par les analystes classés WSJ procurent à l’investisseur une rentabilité anormale de +0,42% le jour de l’annonce de ces recommandations. Ils constatent également une persistance de la rentabilité anormale sur l’année suivant l’annonce de la recommandation qui s’élève à +4%.

La méthodologie de mesure de la rentabilité anormale procurée par la valeur recommandée utilisée par Desai, Liang & Singh [2000] peut être remise en cause. En effet, elle n’est pas mesurée sur la base d’un indice de marché mais d’une autre valeur du même secteur et de la même taille. Leur mesure de la performance s’apparente plus à une forme de performance relative sectorielle à la nuance près que le secteur est ici représenté par une seule valeur. Par ailleurs, la performance des recommandations des analystes classés n’est pas comparée à celle d’analystes non classés sur la même société.

Une question reste en suspend : la performance des recommandations des analystes classés WSJ est- elle effectivement liée au fait que l’analyste classé ait des capacités de sélection de titres supérieures aux autres analystes ?

La question n’a pas encore été tranchée.

Une chose est certaine, le classement de l’analyste lui confère une couverture médiatique plus importante que l’analyste non classé (Bonner, Hugon, Walther [2007]).

Plus récemment, deux études parviennent à des conclusions contradictoires :

 la première, réalisée par Fang & Yasuda [2007] rapporte une rentabilité anormale significativement plus élevée pour les portefeuilles de valeurs recommandées par les analystes classés par rapport à ceux des analystes non classés ;

 la seconde, réalisée par Emeri et Li [2009] ne constate pas de lien significatif entre la rentabilité anormale du portefeuille de l’analyste et son statut de classé.

La principale différence entre ces travaux tient dans la méthodologie de construction des portefeuilles. En effet, Fang & Yasuda [2007] construisent des portefeuilles de valeurs recommandées par les analystes classés d’une part et non classés d’autre part.

30 La rentabilité anormale est ici mesurée sur une base sectorielle par la différence entre la rentabilité quotidienne de la

valeur recommandée par l’analyste et la rentabilité quotidienne d’une valeur comparable du secteur. Cette rentabilité anormale n’est par basée sur une estimation économétrique d’un modèle de marché.

Emeri et Li [2009] construisent des portefeuilles de valeurs recommandées pour chaque analyste de leur échantillon, puis cherchent la relation entre la performance31 du portefeuille de l’analyste et son statut classé ou non classé. Les travaux d’Emeri & Li [2009] se situent dans la lignée de ceux réalisés par Li [2002] pour lequel l’appartenance au classement Institutional Investor (All-America) a un faible pouvoir explicatif de la performance de l’analyste.

Les analystes émettent des opinions globalement moins favorables sur les sociétés clientes du département de fusion acquisition lorsqu’ils ont été nominés dans un classement que lorsqu’ils ne le sont pas. La réputation de qualité conférée par le classement leur permet de mieux gérer le conflit d’intérêt qui émerge entre leur activité de conseil à leurs clients institutionnels et la nécessité de générer des commissions sur les opérations de levées de capitaux (Hayward & Boeker [1998]).

Autre facteur différenciant, les analystes classés révisent plus tôt et plus fortement que les autres analystes leur recommandation sur les valeurs sur le point de faire faillite (Clarke, Ferris & Jagaraman [2006]).

Toujours dans l’optique de conserver leur capital réputation acquis par le classement, les analystes classés ont tendance à proposer des recommandations moins conservatrices (Li [2002]).

Les recommandations des analystes classés apportent un volume de commissions de courtage plus important que celles des autres analystes.

Les effets sur l’activité de banque d’investissement liés à l’embauche d’un analyste classé expliquent la compétition que se livrent ces établissements dans le recrutement de cette catégorie d’analystes. Dunbar [2000] étudie les facteurs expliquant l’évolution de la part de marché des banques d’investissement sur les introductions en bourse entre 1984 et 1995. Il constate que les banques d’investissement possédant des analystes classés représentent près de 78% des opérations en valeur entre 1985 et 1995.

L’évolution positive de l’analyste dans les classements a un impact positif sur la part de marché de la banque d’investissement lorsque celle-ci fait partie des plus réputées. Clarke, Khorana, Patel & Rau [2007] confirment ce résultat en relevant un accroissement significatif de la part de marché de la banque d’investissement ayant embauché un analyste classé Institutional Investor sur les opérations de levées de fonds en action sur les entreprises du secteur suivi par cet analyste. Cette augmentation de la part de marché s’effectue au détriment du précédent employeur de l’analyste mais ne provient pas d’un transfert de clientèle de l’ancien employeur vers le nouveau.

31 La performance est ici mesurée par la valeur de la statistique du t-test sur la constante estimée par le modèle CAPM dans

lequel le portefeuille de marché est représenté par un indice sectoriel auquel appartiennent les valeurs recommandées par l’analyste.

L’analyste est en effet capable de générer des opérations sur les nouvelles sociétés qu’il suit chez son nouvel employeur. L’analyste renouvèle sont portefeuille de valeurs suivies à hauteur de 35% lorsqu’il change d’employeur.

Réalisée sur le marché australien, l’étude de Jackson [2005] identifie une augmentation de 2% de la part de marché de l’intermédiaire sur les valeurs suivies par l’analyste classé l’année suivant la nomination de l’analyste au classement East Coles Survey.

Pourtant, l’avantage pour l’établissement financier à embaucher des analystes classés n’est pas toujours évident. L’embauche d’un analyste classé n’est pas synonyme d’augmentation de la performance du service d’analyse financière. Groysberg, Nanda & Nohria [2006] observe le turnover d’une population de 1052 analystes américains, apparaissant au moins une fois dans le classement

Institutional Investor du meilleur analyste de l’année sur la période 1988-1996. Ils constatent que pour

46% des analystes concernés, les performances des analystes diminuent de près de 20% suite au changement d’employeur l’année suivant leur apparition dans le classement. Par ailleurs, ils constatent également un effet négatif de l’arrivée de l’analyste classé dans l’équipe d’analystes existante dont les performances diminuent.

Le cours de bourse de la banque d’investissement pâti également de l’annonce de l’embauche d’une star de l’analyste sur une courte période suivant la publication de cette information. Les principales raisons évoquées pour expliquer ces phénomènes tiennent essentiellement dans l’incapacité de la plupart des analystes classés à s’adapter à leur nouvel environnement. Ces changements tiennent essentiellement dans l’organisation parfois différente de ce nouvel employeur, les méthodes de travail ou encore les sources d’information. Ces facteurs expliquent peut-être également que 36% des analystes classés ne restent pas plus de trente six mois dans leurs nouvelles fonctions ou pas plus de vingt quatre mois pour 24% d’entre eux.

Le classement de l’analyste est considéré par la littérature comme un bon proxy des qualités de ses services aux investisseurs. En effet, l’analyste classé semble se différencier de l’analyste non classé par la qualité de ses prévisions qui sont moins prévisibles, plus justes et plus audacieuses.

Les recommandations d’achat et de vente des analystes classés semblent également devoir procurer à l’investisseur une rentabilité anormale moyenne quotidienne significativement plus élevée que celle des analystes non classés. Certains auteurs qualifient les classements d’analystes de concours de beauté qui ne reflètent en rien les qualités de prévisionniste ou de stock picker de l’analyste. Ainsi, considérer le classement comme révélateur de la réputation de l’analyste serait une erreur au sens des définitions de la réputation de Barnett, Jermier & Lafferty [2006]. Le point sur la littérature existante permet de mettre en lumière certaines thématiques peu ou non encore traitées par la littérature dont est l’objet la section 3.