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6. Discussion

6.1 Réponse aux questions de recherche

6.1.1 Réponse à la première question de recherche: le lien entre l’AO en L

Notre première question de recherche était la suivante : « Est-ce qu’il y a une relation entre l’AO en L1 au T1 et l’AO en L2 au début du programme (T1) et à la fin du programme 9 mois plus tard (T2) ? ». À cette question, la réponse est affirmative, mais les résultats varient selon la tâche. Le lien entre les variables d’AO en L1 et en L2 a été vérifié dans notre étude et nous pouvons maintenant voir qu’il existe un lien entre elles. Des résultats différents apparaissent cependant au T1 et au T2 de l’étude, ainsi qu’en fonction de la nature de la tâche (monologique ou dialogique). Nous allons maintenant traiter les différentes analyses et proposer des interprétations des différents résultats.

Nous avions émis l’hypothèse d’une corrélation modérée entre l’AO en L1 (prise au T1) et en L2 à la fois au T1 et au T2 en nous basant sur les observations faites que l’AO en L1 et en L2 sont deux constructions qui semblent partager certaines caractéristiques.

La réponse à la question de recherche à la suite des analyses ne pourrait être totalement affirmative puisque ce ne sont pas toutes les mesures temporelles qui sont corrélées entre la L1 et L2 et que les résultats varient en fonction de la tâche. La tâche dialogique nous montre un lien entre les mesures temporelles en L1 et en L2 (DP et TP) au T1 alors que ce n’est pas le cas pour la tâche monologique. Au T2, on retrouve toujours des corrélations entre la L1 et la L2 dans la tâche dialogique, mais on retrouve quelques corrélations entre la L1 et la L2 en tâche monologique également (en ce qui a trait cette fois à la LME). Nous discuterons maintenant de ces divers résultats à la lumière des résultats des études antérieures.

6.1.1.1 Discussion relative à la première question de recherche sur le lien entre l’AO en L1 et en L2

Nous avons pu voir que la réponse à notre première question de recherche, à savoir : « Est-ce qu’il y a une relation entre l’AO en L1 au T1 et l’AO en L2 au

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début du programme (T1) et à la fin du programme 9 mois plus tard (T2) ? » est affirmative dans les deux cas, mais que les résultats varient en fonction de la tâche au T1 et au T2. Cette question était formulée à la manière d’une question fermée puisqu’à notre connaissance, aucune étude n’a à ce jour exploré le sujet en contexte développemental chez des apprenants débutants avec différents types de tâches en utilisant les mêmes mesures temporelles (DP, TP et LME). Les seules études qui ont porté sur la relation entre l’AO en L1 et l’AO en L2 en contexte développemental ont adopté une méthodologie différente quant aux mesures de l’aisance et ont été conduites auprès d’apprenants adultes de niveau plus avancé (p. ex. Towell & Dewaele (2005) et celle de Derwing et al. (2009)).

Plus précisément, l’étude de Towell et Dewaele (2005) a été réalisée auprès d’adultes anglophones de niveau avancé en apprentissage du français (n = 12) à l’aide d’une tâche de narration. Dans cette étude, on rapporte une corrélation entre la L1 et le DP au T1 et au T2, ce qui diffère, partiellement du moins, des résultats que nous avons obtenus. En effet, les résultats de notre étude montrent que le DP en L1 en entrevue est corrélé de manière significative avec l’AO en L2 (avec la LME en narration, en entrevue et en composite et avec le DP en composite au T1 et avec les mêmes mesures plus le DP en entrevue au T2). Les corrélations ne sont trouvées que dans la tâche dialogique à la fois au T1 et au T2. Dans l’étude de Towell et Dewaele (2005), la corrélation trouvée se situe sur le plan de la tâche monologique. Dans la présente étude, on peut voir apparaître, au T2 uniquement, une corrélation dans la tâche monologique pour ce qui est de la LME en L1 et de la LME en L2 et entre le composite LME en L1 et la LME en narration en L2.

Mentionnons les différences avec l’étude de Towell et Dewaele, laquelle, premièrement, ne comporte que la mesure temporelle du DP, rendant impossible la comparaison des résultats avec ceux de notre étude sur une tâche monologique similaire pour ce qui est de la LME. Une autre différence entre l’étude de Towell et Dewaele et la nôtre porte sur la population à l’étude. Notre étude a été faite chez des adolescents, alors que l’étude de Towell et Dewaele

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s’est penchée sur des adultes. Également, on peut mentionner une autre différence importante, à savoir le niveau en L2 des participants. Nous avons pour notre part analysé le développement langagier de participants débutants vers un début de niveau intermédiaire et non celui de locuteurs avancés. On pourrait prétendre que les locuteurs plus avancés ont tendance à avoir une production langagière en L2 plus près de celle de leur L1. Cela pourrait expliquer les liens trouvés avec le DP dans l’étude de Towell et Dewaele (2005) à la fois au T1 et au T2. Chez les débutants de notre étude, le lien tend plutôt à apparaître au T2, la production au T1 étant très laborieuse en contexte monologique. On pourrait également évoquer l’idée que l’âge des participants pourrait influencer dans quelle mesure la L2 s’appuie sur la L1. Si l’on considère l’AO comme un trait (donc comme une différence individuelle), il serait peut-être plus stable chez l’adulte que chez les adolescents faisant ainsi en sorte que la production en L2 soit plus près de celle en L1 chez l’adulte que chez l’enfant dans un même niveau de compétence en L2. Puisque les résultats sont contradictoires dans la recherche actuelle sur le lien entre la L1 et la L2 chez les débutants, on pourrait s’interroger également sur d’autres facteurs comme celui-ci qui pourraient expliquer la difficulté à trouver des résultats constants dans la recherche.

Lorsque vient le temps de comparer nos résultats à ceux obtenus par Derwing et al. (2009) auprès d’immigrants adultes locuteurs du mandarin et de langues slaves, il importe d’abord de se rappeler que dans cette étude longitudinale (de T1 à T7), les chercheurs ont trouvé une corrélation entre les mesures en L1 (pauses par seconde, DP et syllabes remplies par seconde) et les mêmes mesures en L2 au T2. Lors des prises de mesures au T6 et au T7 (soit à la fin de la première année de résidence au Canada et à la fin de la deuxième année), la corrélation trouvée au T2 disparaît pour le groupe des locuteurs mandarins. La force de la corrélation entre la L1 et L2 semble dans cette étude s’atténuer sur une perspective longitudinale. Les résultats de notre étude, faite avec la même tâche monologique (Suitcase Story) diffèrent par rapport au DP, puisque dans notre cas, le lien entre la L1 et la L2 apparaît au T2 uniquement dans le cadre de la tâche dialogique. Les résultats liés à la tâche monologique pour le DP sont

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non significatifs au T1 et au T2, mais présentent, comme dans le cas de l’étude de Derwing et al. (2009), une tendance à la baisse entre le T1 et le T2.

Ces résultats soulèvent une fois de plus la distinction qui existe entre la performance aux deux tâches (monologique et dialogique). L’apparition du lien entre le DP en L1 et en L2 en tâche dialogique pourrait s’expliquer par la tâche elle-même. D’abord, on pourrait supposer qu’en interaction, le locuteur peut s’appuyer sur la question posée par l’interlocuteur pour répondre. Ensuite, dans le cas de l’entrevue, les questions posées portaient sur des sujets familiers, ce qui pourrait rendre la production langagière plus rapide et plus près de la L1 puisque la demande de conceptualisation du message était moins importante. Ceci pourrait faciliter l’assemblage syntaxique et lexical et donc influencer les mesures liées à la vitesse (dans ce cas le DP). Ces hypothèses ont d’ailleurs déjà été évoquées par d’autres chercheurs pour expliquer la difficulté de la tâche monologique (Kormos & Trebits, 2012; Prefontaine & Kormos, 2015). On retrouve également une augmentation de la vitesse dans les tâches les plus structurées et prévisibles comme c’est le cas dans l’étude de Skehan et al. (2016).

En résumé, en s’inspirant du modèle de production langagière de Levelt (1989), on pourrait émettre l’hypothèse que, comme la tâche dialogique sollicite moins le conceptualisateur et le formulateur, une plus grande fluidité cognitive est donc disponible pour le locuteur. La production langagière est donc plus près de la L1, faisant ressortir plus facilement les liens entre la L1 et la L2 en tâche dialogique.

Pour ce qui est de la tâche monologique, elle exercerait une contrainte plus importante sur le traitement de l’information puisque le locuteur ne peut s'appuyer que sur ses connaissances pour construire et formuler son message (qui ne peut pas être construit sur ce que l'interlocuteur dit par exemple). En tâche monologique, les images et la situation sont déjà établis et le message à produire est par conséquent plus restreint (d’un point de vue lexical par exemple) en plus d'être contraignant pour ce qui est de la formulation (suite des idées).

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Cette pression sur le système cognitif pourrait faire en sorte que le lien entre la L1 et la L2, surtout chez les débutants, soit moins facile à faire ressortir.

Quant à la diminution du lien observée dans la tâche monologique de l’étude de Derwing et al. (2009), on constate que le même phénomène n’est pas observable dans notre étude pour la tâche monologique puisque dans les deux cas (au T1 et au T2), le DP en L1 et en L2 n’était pas significatif bien qu’une tendance puisse être observée à la baisse. Une fois de plus, cette observation pourrait s’expliquer par la charge cognitive importante chez le débutant (pour ce qui est du lexique imposé par l'histoire ou par la trame déjà établie de l'histoire). La charge cognitive associée à la tâche monologique au T1 et au T2 aurait ainsi pu affecter les valeurs temporelles de l’AO et rendre difficile la possibilité d’établir des liens entre la L1 et la L2 chez cette population d’apprenants débutants.

Bien que l’on puisse penser que la tâche dialogique permette de trouver plus facilement des liens chez les débutants, les résultats de la présente étude nous montre également que la tâche monologique, de par les contraintes qu’elle impose, permet de mettre en lumière le fonctionnement cognitif sous un angle différent par rapport à la tâche dialogique puisque le locuteur ne bénéficie pas du soutien de l’interlocuteur dans ce type de tâche.

Pour conclure cette section, on peut supposer que les faibles associations trouvées entre l’AO en L1 et en L2 dans le cadre de notre étude ne s’expliquent peut-être pas par le fait qu’il n’existe pas une réelle relation entre les deux constructions, mais que pour faire ressortir plus clairement ce lien chez les débutants, il conviendrait probablement mieux de procéder différemment (méthodologiquement). D’autres types de tâches pour éliciter l’oral, impliquant une moins grande contrainte sur le système de production du langage, permettraient peut-être de mieux cerner le lien existant entre les deux variables (AO en L1 et en L2). Comme la tâche dialogique sollicite moins le conceptualisateur et le formulateur en permettant au locuteur de s’appuyer sur la production de l’interlocuteur, on pourrait penser que des tâches narratives

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s’appuyant sur l’écoute et le rappel d’une histoire, par exemple, favoriseraient une production langagière plus importante qui pourrait être mise en relation avec la L1.

6.1.2 Réponse à la deuxième question de recherche : le lien entre la MdT et la