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6. Discussion

6.1 Réponse aux questions de recherche

6.1.2 Réponse à la deuxième question de recherche : le lien entre la MdT

6.1.2.1 Discussion relative à la deuxième question de recherche sur le

Notre deuxième question de recherche « Est-ce qu’il y a une relation entre la MdT et la MP et l’AO en L2 au T1 et au T2 ? » était également formulée à la manière d’une question fermée puisqu’à notre connaissance, aucune étude n’a à ce jour exploré le sujet en contexte développemental chez des débutants en tentant d’explorer différents types de tâches et les mêmes mesures temporelles (DP, TP et LME). Les seules études qui ont porté sur la relation entre la MdT, la MP et l’AO en L2 en contexte développemental sont également peu nombreuses. Notons plus particulièrement celles de Kormos et Sáfár (2008) et d’O'Brien et al. (2007).

Plus précisément, rappelons que l’étude de Kormos et Sáfár (2008) a fait ressortir le lien existant entre les performances à des tests de MdT (une mesure d’empan de chiffres en ordre inverse (ECOI) et une mesure de MP par une répétition de non-mots (RNM) en L1) et la performance à des tâches de lecture, d’écriture, d’écoute et de production orale chez des jeunes adolescents hongrois de 15-16 ans (n = 121) à la fin d’un programme intensif de la L2 (anglais). Les chercheurs ont trouvé que la mesure de MdT était hautement corrélée avec différentes habiletés langagières (lecture, écoute et production orale). Kormos et Sáfár ont également trouvé une corrélation entre la MP (tâche de RNM) et l’AO. Il est important de souligner que l’étude de Kormos et Sáfár n’a pas mesuré l’AO

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dans le cadre conceptuel actuel à l’aide de mesures temporelles de l’aisance d’énonciation, mais bien à l’aide de perceptions de juges chez des participants pré-intermédiaires. Néanmoins, les résultats de notre étude semblent corroborer les résultats de Kormos et Sáfár quant au lien entre la MdT et la production orale. Dans le cas de notre étude, la mesure d’ECOI est corrélée de manière modérée (significativement avec toutes les mesures en L2, sauf pour le DP en entrevue) au T1. Au T2, on remarque que la MdT, par le test d’ECOI, est corrélée significativement avec plusieurs mesures de l’AO en L2, à savoir le TP en narration, le DP et la LME en entrevue et toutes les mesures du composite.

Un lien similaire entre l’empan de MdT et le DP avait d’ailleurs été trouvé chez des apprenants intermédiaires (Neilson, 2014). Les résultats de cette étude sur l’impact du temps de planification sur la production orale avait démontré que les participants ayant un plus haut score de MdT obtenaient des résultats significativement plus hauts pour ce qui est de l’AO en L2 (mesures de DP) que les participants ayant un bas score de MdT.

Les résultats de notre étude appuient également, rappelons-le, ceux d’études réalisées dans un contexte de L1 (Adams & Gathercole, 1995, 2000), travaux dans lesquels des liens similaires avaient été établis chez les enfants de 3-4 ans. On avait démontré que des scores élevés à des tâches d’empan de chiffres et de RNM étaient en lien avec des énoncés verbaux spontanés plus nombreux et de meilleure qualité (phrases plus longues, répertoire de mots plus important et une plus grande diversité des structures syllabiques). Les mesures utilisées dans ces études se comparent à celles utilisées dans notre étude.

En effet, la capacité à maintenir en mémoire plus d’unités est mise en lien avec des mesures comme la LME. En d’autres mots, plus le participant emmagasine d’éléments en MdT, plus les énoncés produits sont longs. Cette capacité aurait également un impact potentiel sur le temps passé en temps de parole (TP) puisqu’on pourrait considérer qu’une plus grande capacité de la MdT pourrait faciliter la production langagière en facilitant l’aisance cognitive (du

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conceptualisateur jusqu’au formulateur du modèle de Levelt (1989)). Ainsi, plus la capacité à emmagasiner des éléments en MdT est grande et plus la planification des énoncés subséquents pendant la production est facilitée. Les résultats de la présente étude corroborent également l’hypothèse émise par Skehan et al. (2016) qui soutient que plus le locuteur peut prendre en charge aisément la demande cognitive associée à la tâche, plus il éviterait les réparations entre les énoncés (ce qui est associé au conceptualisateur du modèle de Levelt (1989)). Les résultats suggèrent que le conceptualisateur serait capable de planifier plus d’un énoncé, rendant la production plus importante. Cela pourrait se traduire comme dans le cas de notre étude, par une production plus importante de langage qui serait visible sur des mesures comme le TP et la LME.

Si l’on s’intéresse à la comparaison des résultats de Kormos et Sáfár (2008) sur le lien entre la MP (par une tâche de RNM en L1) et la production orale, nos résultats montrent, contrairement à ceux de Kormos et Sáfár, que chez les débutants, il y a une relation entre la MP (RNM) et l’AO en L2. Dans notre étude, le lien entre la MP est particulièrement visible en ce qui a trait à la LME (en narration et dans le composite au T1) et à toutes les mesures de LME (narration, entrevue et composite) au T2.

Il est important de mentionner que les résultats de notre étude appuient toutefois les résultats de plusieurs autres études qui avaient démontré que la MP joue un rôle plus important chez les débutants et que le lien a tendance à diminuer au cours du développement en L2 (Abdallah, 2010; Cheung, 1996; Gathercole et al., 2005; Speciale et al., 2004). On suppose que d’un côté, soit les résultats de Kormos et Sáfár (2008) diffèrent compte tenu de la manière dont l’AO a été mesurée (par des perceptions) ou que l’explication des résultats différents réside dans le fait que dans cette étude, certains participants n’étaient pas des débutants (2 groupes de participants sur 9 avaient un niveau pré-intermédiaire au départ, soit une vingtaine de participants sur 121). Cela expliquerait les résultats rapportés par Kormos et Sáfár qui ne concordent pas avec la littérature

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antérieure chez les débutants, ni avec les résultats de notre étude également conduite chez des débutants. Il faut à cet égard mentionner que le niveau débutant des groupes de participants de l’étude de Kormos et Sáfár et de ceux de notre étude sont cependant similaires en ce sens que les participants des deux études ont eu avant le programme de l’instruction formelle au niveau primaire. La différence subsiste avec les deux groupes de l’étude de Kormos et Sáfár de niveau pré-intermédiaire qui ont eu plus d’enseignement que ceux des débutants de cette même étude et de la nôtre, ce qui pourrait peut-être expliquer les résultats différents.

On remarque également, à la suite de nos analyses, une corrélation faible apparue au T2 (LME en entrevue). Bien que la littérature ait démontré que le lien était plus fort entre la MP et l’AO chez les débutants, on pourrait penser que par opposition, nos résultats laissent entrevoir que l’apparition d’une corrélation au T2 pourrait nous indiquer un plus grand lien entre la MP et l’AO lorsque la compétence langagière augmente. À cet égard, certaines études ont constaté un lien entre la MP et la compétence en L2 chez des locuteurs avancés en contexte universitaire (Hummel, 2009; Hummel & French, 2016). Dans le cas présent, il est important d’interpréter avec prudence ce résultat (apparition d’une corrélation supplémentaire faible au T2) puisqu’il s’agit d’une augmentation par rapport au T1, mais seulement pour une tâche (dialogique) et pour une seule mesure temporelle (LME) déjà présente au T1 en tâche monologique.

De plus, il est important de rappeler que le lien entre la MP et la LME en tâche dialogique de notre étude était très près de la significativité au T1. On pourrait se demander pourquoi, contrairement aux études précédentes (p. ex. Abdallah, 2010; Cheung, 1996; Gathercole et al., 2005; Speciale et al., 2004), le lien entre la MP et la L2 ne semble pas s’amenuiser en cours d’apprentissage. À cet effet, il faut noter que bien que les participants de notre étude aient connu une progression significative de l’AO entre le T1 et le T2, leur niveau demeure tout de même celui d’un intermédiaire bas à la fin du programme dans lequel ils étaient inscrits. Cela pourrait signifier que les participants sont toujours à un stade où la

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contribution de la MP est significative et que le niveau atteint à la fin du programme intensif ne nous permet pas de voir disparaître le lien entre la MP et l’AO en L2. Cela nous laisse croire que la contribution de la MP serait toujours nécessaire et présente à ce niveau. On pourrait aussi supposer que le lien entre la MP et l’AO en L2 diminue à des niveaux intermédiaires plus avancés que celui de nos participants. Soulignons également que la MP ne partage qu’un faible lien avec l’AO en L2 au T2 suggérant, par rapport au T1, que sa contribution diminuait déjà ou que certains facteurs, de par leur importance, pourraient peut- être nous empêcher de saisir sa contribution. Ceci pourrait expliquer aussi pourquoi la MP au T1 ne semble pas être plus active dans le développement de l’AO.

En résumé, on voit que l’apparition de cette corrélation au T2, difficilement explicable par une contribution supplémentaire de la MP, était proche de la significativité au T1 et qu’elle est faiblement significative au T2. L’explication réside peut-être dans notre cas, dans le niveau de compétence de nos participants. Bien que des liens entre la MP et l’AO ait été trouvée chez des locuteurs plus avancés (Hummel, 2009; Hummel & French, 2016), l’apparition d’une corrélation faible au T2 chez nos participants ne saurait être interprétée comme un lien entre la MP et des locuteurs avancés, mais peut-être simplement par un artefact.

D'un autre côté, on peut également expliquer la différence dans nos résultats avec certains résultats dans la littérature en soulignant que les résultats inconstants et contradictoires dans les différentes recherches faites à ce jour sur le lien entre la MP et la L2 pourraient s’expliquer par les différents choix méthodologiques dans les études (Juffs & Harrington, 2011). Il est important de mentionner que certaines études ont basé les tests de MP sur la L1 (Kormos & Sáfár, 2008) alors que d’autres ont opté pour des tests basés sur une langue inconnue (French, 2006; Hummel, 2009). Puisque certaines différences ont été trouvées lorsque le test de RNM ressemble ou diffère de la structure phonotactique de la langue du participant (Gathercole, 2006), on pourrait croire

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que la langue du test apporte une fois de plus une différence méthodologique qui pourrait avoir de l’impact sur les résultats lorsqu’il est question de mesurer la MP (Hummel & French, 2016). Cela expliquerait que les résultats de la présente étude peuvent différer d'études ayant mesuré la MP dans une autre langue que la L1.

La tâche utilisée pour mesurer l’AO diffère également d’une étude à l’autre. Dans le cas de l’étude d’O’Brien et al. (2007), on a utilisé le OPI (ACTFL, 2012), une tâche dialogique, alors que plusieurs autres portant sur l’AO ont utilisé des tâches monologiques (p. ex. Derwing et al., 2004, 2009; Préfontaine & Kormos, 2015). En effet, peu de travaux sur l’AO ont porté sur des tâches dialogiques qui exigent un traitement de l’information différent de celui de la tâche monologique.

Par la suite, si l’on s’intéresse à la comparaison des résultats de notre étude avec celle d’O’Brien et al. (2007), rappelons que cette dernière est la seule à notre connaissance qui a permis d’investiguer le lien entre la MP et l’acquisition de l’AO en L2 en contexte d’apprentissage formel et en séjour à l’étranger. Dans cette étude, à l’aide d’une tâche dialogique et d’un test de RSNM, on a décelé une corrélation significative entre la mesure de RSNM au T1 et la longueur de la plus longue prise de parole sans pauses remplies et la plus longue prise de parole sans pauses remplies ou silencieuses pour l’ensemble des candidats des deux contextes d’apprentissage au T2.

Les résultats de notre étude sont similaires à ceux trouvés par O’Brien et al. (2007). Cependant, nous montrons un lien entre la MP et l’AO en L2 d’une manière différente puisque nous avons mis en exergue la relation entre la MP et l’AO en L2 à l’aide d’un test de RNM (total syllabes) plutôt qu’avec un test de RSNM. Les résultats obtenus au terme de nos travaux se rapprochent de ceux d’O’Brien et al., dans le sens où la mesure de LME de notre étude est semblable à certaines mesures utilisées par O’Brien et al.. La LME constitue par exemple une mesure de densité de la prise de parole (ou densité linguistique). Dans l’étude d’O’Brien et al., on a trouvé une corrélation entre la MP et la longueur de

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la plus longue prise de parole sans pauses remplies au T1 et entre la MP et la plus longue prise de parole sans pauses remplies ou silencieuses au T2 qui sont des mesures de densité linguistique.

De notre côté, le test de RSNM n’a permis de trouver aucune corrélation avec aucune mesure temporelle de l’AO en L2. On peut supposer que ces résultats, contrairement à ceux trouvés dans l’étude d’O’Brien et al. (2007), peuvent être expliqués par le test lui-même et la performance des participants à celui-ci. D’abord, on peut mentionner la moyenne des réponses au T1 qui a été établie à 12 (E.-T. = 2) et au T2 à 11 (E.-T. = 2,59). L’observation des résultats des participants à ce test nous laisse entrevoir que ce dernier n’a pas permis de discriminer la performance entre les participants puisque les résultats sont très concentrés pour chacun d’eux alors qu’une variation beaucoup plus grande est observée dans la performance aux autres tests. On remarque d’un autre côté que les mesures de MP sont corrélées significativement (ρ = ,37, p < 0,01), ce qui nous laisse croire que les deux tests mesurent une construction similaire, mais qu’il y a tout de même une distinction, ramenant l’hypothèse probable que ce soit un regroupement trop homogène qui a rendu difficile l’établissement de corrélations dans notre étude.

Finalement, une dernière hypothèse pour expliquer que le test de RSNM n’ait pas permis de trouver de lien est relative aux participants eux-mêmes. En effet, l’observation des participants lors de l’administration du test, et en particulier lors de la dernière série d’items (longueur de 8), nous a permis de constater que certains participants donnaient des signes non verbaux qui peuvent nous laisser croire que leur réponse était peut-être aléatoire pour les items plus difficiles. Bien que plusieurs hypothèses soient soulevées pour expliquer le fait que le test de RSNM n’ait pas permis de capturer de lien entre les variables, l’hypothèse la plus probable est celle de l’homogénéité des résultats chez les participants, qui rend difficile de démontrer statistiquement un lien entre les variables.

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En résumé, le test de RSNM était à notre connaissance la première tentative sur une population de cet âge. Le test n’a pas permis d’établir de lien entre la MP et l’AO en L2, non que le lien est inexistant, mais plutôt car le test de RSNM n’a pas permis de faire ressortir les différences entre les participants à cause de performances trop homogènes observées ou peut-être aléatoires pour les derniers items. Ces hypothèses sont confirmées par les corrélations entre les tests de MP qui, bien que significatives, montrent une distinction assez importante entre ce que les tests ont semblé capturer comme constructions.

6.1.3 Réponse à la troisième question de recherche : le rôle de l’AO en L1, de