• Aucun résultat trouvé

D. Suède : la prise en considération de la santé mentale au travail

II. Risques psychosociaux et droit de la sécurité sociale : une consécration récente Après l’étude de la question du droit du travail et des risques psychosociaux,

3. Réparation des risques psychosociau

a. Le régime classique d’assurance maladie-invalidité

En matière de réparation des risques psychosociaux, le travailleur qui contracte une maladie ne dit pas forcément à son employeur pourquoi il est malade (et encore faut-il que le travailleur le sache lui-même). La première branche de la sécurité sociale à intervenir est donc le volet maladie, qui d’un côté couvre les soins de santé et de l’autre côté verse des indemnités pour maladie, que ce soit pour incapacité ou pour invalidité de travail. La règle générale prévaut, il n’y a aucune disposition particulière aux risques psychosociaux. Toute période de maladie commence par une période couverte par « salaire garanti » (ce mécanisme relève de la législation du travail, et non de l’assurance maladie-invalidité et est différent selon que l’on soit employé ou ouvrier). Une fois que cette période de salaire prise en charge par l’employeur est terminée, le salarié est alors couvert par le régime de l’incapacité (assurance maladie-invalidité) et perçoit une indemnité d’incapacité de travail calculée sur un pourcentage de sa rémunération plafonnée. Au bout d’un an, s’il est toujours malade, il bénéficie alors du régime de l’invalidité.

Les fonctionnaires bénéficient d’un système bien différent à travers le « crédit de maladie » c’est-à-dire que chaque jour où ils vont travailler, ils accumulent des « jours à droit de maladie ». Par conséquent, quand ils sont malades, ils vont puiser dans ce crédit et continuer de percevoir leur salaire exactement comme s’ils allaient travailler. Une fois qu’ils ont épuisé tout leur crédit de maladie, ils sont mis en disponibilité pour maladie. Ils ne vont plus travailler et perçoivent 60 % de leur traitement normal. Si la situation perdure, ils bénéficieront du système de paiement des pensions d’invalidité. Par rapport au système d’indemnisation d’invalidité du secteur privé, le système des pensions d’invalidité a cela de particulier qu’il est qualifié de « pension » et est donc régi par la loi du 21 juillet 1844 relatives aux pensions civiles et ecclésiastiques. Cette situation pose des problèmes d’accès à d’autres prestations de sécurité sociale.

b. Le régime des maladies professionnelles

L’autre possibilité en cas de survenance d’un risque psychosocial est/pourrait être une indemnisation via le régime des maladies professionnelles. Comme beaucoup de pays en Europe, le système belge recourt à une « liste fermée » qui contient toute la liste des maladies indemnisables. Cette liste ne contient cependant que des maladies physiques et aucun des risques psychosociaux évoqués par le législateur. La liste fermée présente l’avantage d’une indemnisation plus facile une fois que la maladie et l’exposition au risque sont prouvées.

Pour compenser cette difficulté de l’absence de maladie liée aux risques psychosociaux au sein de la liste fermée, le recours à un second système est possible : celui de la « liste ouverte ». Ce système offre l’avantage de ne pas opposer de limitation des maladies. Il faut cependant prouver que la maladie trouve sa cause exclusive et déterminante dans le travail. L’inconvénient du système est donc de devoir prouver que lien causal entre l’exposition et la maladie est directe et déterminant. Théoriquement, ce système peut être appliqué aux risques psychosociaux puisqu’il s’agit d’une liste ouverte. Dans la pratique, il n’existe aucun cas car l’on se heurte toujours au principe de la preuve que la maladie trouve bien son origine dans un risque psychosocial survenu dans l’entreprise ou en raison de l’organisation du travail. Le système de liste ouverte est donc

relativement inopérant.

Il existe deux systèmes d’indemnisation des maladies professionnelles via le Fonds des Maladies professionnelles (FMP) : l’incapacité temporaire (partielle ou totale) ou l’incapacité permanente. La perte de capacité de gain de la personne sur le marché du travail est compensée. Le fait qu’elle soit malade, qu’elle n’ait plus toutes ses facultés font qu’on estime qu’elle gagnerait moins sur le marché du travail, elle est donc indemnisée. Une partie des soins sont couverts dans le cadre du régime des maladies professionnelles s’ils ne sont pas pris en charge dans le cadre de l’assurance soins de santé obligatoire ou éventuellement si la maladie est tellement grave qu’elle rend nécessaire l’aide d’une tierce personne, ouvrant ainsi le droit à une indemnité.

Sur son site internet, le Fonds des Maladies professionnelles annonce qu’il est possible d’indemniser la réalisation des risques psychosociaux mais il précise également que, dans la pratique, la preuve est très difficile à apporter. La question que l’on peut dès lors se poser est de savoir pourquoi le Fonds des Maladies professionnelles, qui a la possibilité de faire des propositions au ministre compétent, ne propose aucune solution visant à faciliter la preuve requise ?

c. Les maladies en relation avec le travail

Enfin, depuis 2006, une troisième possibilité de prise en charge des risques psychosociaux existe. Il s’agit du système des maladies en relation avec le travail. Par définition, les maladies en relation avec le travail sont des maladies qui ne figurent ni dans la liste fermée ni dans la liste ouverte des maladies professionnelles mais qui trouvent cependant « leur cause au moins partielle dans une influence nocive inhérente à l’activité professionnelle et supérieure à celle subie par la population en général, sans que cette exposition, dans des groupes de personnes exposées, constitue la cause prépondérante de la maladie » (art. 62bis lois coordonnées sur les maladies professionnelles). Normalement, cette nouvelle possibilité permettrait de prendre en charge toute une série de risques psychosociaux avec un système d’indemnisation qui n’est pas une rente pour incapacité de travail temporaire, permanente ou un décès. L’idée, derrière cette nouvelle possibilité, est de favoriser la prévention et d’indemniser éventuellement l’employeur pour qu’il puisse mettre fin à l’exposition nocive. Une demande doit être formulée au Fonds des Maladies professionnelles qui la transmets ensuite au Comité technique. Celui-ci examine la situation, analyse systématiquement chaque nouvelle maladie soumise en statue ensuite. Si le Comité technique estime qu’il s’agit bien d’une maladie en relation avec le travail, un arrêté royal va alors déterminer toutes les facettes du problème et les indemnisations. Dès lors, la personne victime de la maladie pourra espérer une intervention du Fonds des Maladies professionnelles dans le cadre spécifique de la maladie concernée. Chaque maladie prise en charge au titre de maladie en relation avec le travail doit en effet faire l’objet d’un arrêté royal spécifique qui définit la maladie et détermine les modalités de prévention et d’intervention.

Aucun cas de figure entrant dans le champ psychosocial ne s’est encore présenté. Cependant, pour le moment, une commission travaille sur le surmenage et le burn out. Un premier rapport a été rédigé en 2009 où les médecins y soulignent des problèmes de définition et de diagnostic relatifs à l’épuisement professionnel. Quels sont les symptômes spécifiques ? Finalement, les réactions d’une personne à l’autre sont différentes. Certaines auront mal au dos, d’autres vont faire de l’eczéma ou auront mal à la tête. En conséquence,

comment peut-on définir ce qu’est l’épuisement professionnel ? Quelles mesures de prévention médicalement efficaces peut-on imaginer et mettre en place ? Outre les aspects médicaux, l’autre difficulté vient des employeurs présents dans cette commission qui sont très réticents aux risques psychosociaux. On reste un peu dans le schéma où il existe des salariés résistant au stress et d’autres qui ont un problème en-dehors de l’entreprise mais pas au travail.

d. Les accidents de travail

En matière d’accidents du travail, les éléments de définition sont classiques, à savoir qu’il faut un événement soudain qui provoque une lésion et qui soit survenu pendant ou à cause de l’exécution du travail. En Belgique, c’est un assureur privé qui va indemniser les conséquences de l’accident du travail. Il existe un Fonds des accidents du travail mais il intervient subsidiairement, si l’assureur est en défaut d’assurer la victime ou si par exemple l’employeur n’est pas assuré comme la législation le lui impose. Le schéma est finalement similaire à ce qui passe dans le cadre des maladies professionnelles. Les indemnisations portent sur la perte de capacité de gain sur le marché de l’emploi et sur les incapacités temporaires ou permanentes de travail, qu’elles soient partielles ou totales, les frais médicaux, chirurgicaux et les rentes en cas de décès.

En cas « d’événements soudains », deux éléments importants dans la jurisprudence sont à retenir. Quand le législateur parle « d’événement soudain », il ne veut pas dire « instantané », il évoque simplement un événement qui peut être épinglé dans le temps, c’est-à-dire dans un « laps de temps restreint, raisonnablement confiné, dans un espace précis »14. L’exemple typique est l’ouvrier qui porte des sacs de sable pendant une journée, puis deux jours et le vingtième jour il se blesse au dos. Or, ce n’est pas le 150ème sac qui, tout à coup, a déclenché le problème, mais bien l’accumulation de la charge. Comme cela est cependant circonscrit dans le temps, l’accident du travail sera retenu.

La jurisprudence belge reconnaît aussi que la prédisposition d’une personne n’est pas un obstacle à l’indemnisation, même si l’employeur oppose que, dans les rapports d’expertise, la victime avait déjà un problème ou était prédisposée à ce genre d’accident, ou encore qu’il s’agit d’une personnalité sujette au stress, tendant ainsi à montrer que l’accident n’est pas survenu dans le cadre de l’exécution du travail et n’ouvre pas droit à indemnisation. À cela, la jurisprudence répond que les prédispositions ne peuvent pas être un obstacle à l’indemnisation puisqu’à un moment donné, dans le cadre de l’exécution du travail, l’élément qui a déclenché le problème est lié au travail : « L’incapacité de travail d’une victime d’un AT doit être appréciée dans son ensemble sans tenir compte de son état de prédisposition antérieure, dès lors et aussi longtemps que l’accident du travail est au moins en partie la cause de l’incapacité »15. Si ces conditions sont remplies, l’accident peut être reconnu comme accident du travail.

Quand on regarde l’application concrète de la jurisprudence, notamment en matière de stress, on constate que le stress est majoritairement reconnu comme un événement soudain qui peut être à l’origine de l’accident. Un cas traité par la Cour de cassation en 2002 est le cas d’un postier qui arrive sur son lieu de travail. Un hold up survient juste avant son arrivée. Lorsqu’il arrive, tout le bureau est alors dans un immense désordre ; le postier est

14

V. notamment Cass., 28 avril 2008, R.G. S.07.0079.N.

15

saisi d’un choc émotionnel tel qu’il fait un malaise et se retrouve en incapacité de travail. L’assureur refuse d’indemniser. Il s’en suit une procédure en justice au cours de laquelle la Cour de cassation a estimé que la vision que le postier a eue en arrivant au travail, a créé une charge émotionnelle à l’origine de la pathologie et donc qu’il faut l’indemniser16.

Dans un autre cas, une employée de bureau qui fait de la gestion administrative est envoyée à un rendez-vous compliqué en raison de l’absence de son chef. Elle négocie un contrat dans une ambiance très tendue et pendant des heures, ce qui va l’épuiser. Plus tard, elle a une discussion houleuse avec son chef sur le sujet et elle est victime d’un infarctus. L’assureur ne veut pas l’indemniser car il impute les causes de l’infarctus à l’hygiène de vie de la victime. La Cour du Travail de Mons a cependant estimé que les circonstances inhabituelles ont créé une situation de stress tellement importante qui a elle-même déterminé l’événement soudain et qui a provoqué la lésion17. Encore une fois, le stress est reconnu comme un facteur d’accident du travail.

Enfin, concernant les cas extrêmes de suicide, nous avons une jurisprudence qui reconnaît le suicide comme accident du travail. Curieusement, les décisions de justice qui reconnaissent le suicide comme accident du travail sont très rarement publiées. Or récemment, la Cour du Travail d’Antwerpen a statué en janvier 2011 sur une affaire relative à une réunion qui s’était très mal passée pour un salarié. À la sortie de la réunion, un salarié a tenté de se suicider en s’immolant par le feu dans les toilettes. L’assurance a refusé d’indemniser. Toutefois, la Cour du Travail a estimé que la charge émotionnelle pendant cette réunion avait été tellement lourde que cela avait provoqué l’événement soudain18.