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La localisation de la déformation dans une bande de largeur nulle est due à l’absence de longueur interne dans la description classique des milieux continus. En effet dans ce cadre, on fait l’hypothèse d’un matériau suffisamment homogène quelque soit l’échelle d’observation ; la microstructure n’est pas décrite. Or c’est à cette microstructure et à sa ou ses longueurs carac-téristiques qu’est liée la largeur des bandes de localisation observée expérimentalement. Diffé-rentes méthodes de régularisation du problème de la localisation dans le cas d’une description continue ont été proposées qui introduisent toutes, d’une façon ou d’une autre, une longueur interne dans le modèle. Une partie des méthodes de régularisation consistent par exemple à redéfinir une des variables intervenant dans l’endommagement (la déformation équivalente par exemple) afin de lui donner un caractère non local et garde les équations du problème mé-canique telles que présentées au chapitre 2 et à la section 3.2. Dans un cadre plus général, il est possible d’introduire la longueur interne directement dans les équations du problème, souvent via l’ajout de termes de gradient. On peut inclure dans ce cadre, une sous catégorie de modèles qui introduisent une description de la microstructure via des termes cinématiques supplémentaires.

Nous présentons ici quelques unes de ces méthodes de régularisation. Nous évoquerons également leur implémentations numériques, souvent facteur déterminant dans le succès d’un modèle. On ne traitera pas ici des modèles traitant le comportement adoucissant de façon discontinue, soit par une discontinuité de la déformation, soit par une discontinuité du dépla-cement. Ce dernier cas sera en revanche traité dans le chapitre 5.

3.4.1 Régularisation des variables locales

Il s’agit ici de donner une définition non locale à une des variables impliquées dans l’en-dommagement, qui peut être par exemple la déformation (le tenseur des déformations ou la déformation équivalente) ou le taux de restitution d’énergieY. La nouvelle variable non locale

˜

v est définie à partir de son équivalent locale v qui reste donc également une des grandeurs du problème. On distingue 3 types de définition dev˜: Peerlings et al [27] ont montré que ces définitions étaient liées entres elles, on reprend ici les principaux points de sa comparaison, avec la déformation équivalente comme variable régularisée.

3.4.1.1 Non local intégral

Historiquement, une des premières méthodes de régularisation proposée est la formulation de type non local intégral [22]. Dans ce cas, la variable régularisée (qui est le taux de restitution d’énergie d’endommagement dans [22] mais la déformation dans [27] et par la suite ici) au point x est définie comme une moyenne pondérée de son pendant local aux points y alentours :

˜

Chapitre 3. Description continue de la fissuration 32 La définition (3.25) est telle que ˜ soit égale à eq quand le champ de déformation est homogène. La fonction de pondération choisie est souvent de type Gaussienne :

Ψ(x−y) = 1 oùlcest un paramètre du matériau et exprime la longueur interne de celui-ci. Une telle fonction a un support infini et doit donc normalement être intégrée sur tout le domaine. Alternative-ment, on peut choisir une fonction à support borné, par exemple la fonction "cloche" de rayon R :

Tel quel, le modèle permet effectivement de régulariser le problème de localisation des déformations. Cependant il possède sous cette forme plusieurs limitations. Dans le cas d’une structure entaillée, les points de part et d’autre de l’entaille peuvent interagir ce qui conduit à un comportement non réaliste [28]. Le même problème se pose lorsqu’une fissure se développe, les points situés de part et d’autre de la zone où l’endommagement vaut 1 pouvant continuer à interagir. Le traitement de la non-localité près des bords de la structure pose également pro-blème [29]. La fonction de pondération doit donc être modifiée pour représenter correctement les interactions non locales dans ces cas en la faisant dépendre de l’endommagement [30] ou de la contrainte [31] en chaque point.

Implémentation éléments finis Dans le cadre d’une modélisation éléments finis la défor-mation non locale˜qui intervient dans la loi de comportement à chaque point d’intégration est donc calculée à partir des déformations locales calculées sur les points d’intégration compris dans le support de la fonction de pondération. Dans le cas d’un support non borné comme pour la fonction de Gauss, on se limite en pratique aux points situés à une certaine distance du point d’intégration où la déformation non locale est évaluée, l’influence de la déformation locale sur la valeur non locale diminuant très rapidement. L’intégrale est évaluée numérique-ment, avec en notant xk les coordonnées dukème point de gauss,k= 1,2, ...NGP,wl le poids dans l’intégration numérique du lème point de Gauss et Jl le jacobien de la transformation évalué enxl [32] : Le calcul de (3.29) est explicite et ne nécessite pas de boucle supplémentaire dans la résolu-tion du calcul éléments finis, mais il implique d’avoir accès, au niveau de chaque élément, aux déformations calculées sur un certain nombre d’éléments adjacents. La recherche des points d’intégration voisins est également couteuse en terme de temps de calcul si elle est effectuée trivialement, et il peut être nécessaire d’avoir recours ici à des algorithmes de recherche plus élaborés. On notera cependant que cette recherche est en général effectuée une seule fois, à l’initialisation du calcul éléments finis. Les calculs avec des modèles non locaux sont donc globalement plus couteux qu’avec des lois de comportement locales.

Chapitre 3. Description continue de la fissuration 33 3.4.1.2 Gradient explicite

La déformation régularisée, peut également être définie à partir de la déformation locale et de son gradient :

˜

(x) =eq(x) +c∇2eq(x) (3.30) L’introduction du terme de gradient ici, traduit une influence des points matériaux alentours sur la déformation en (x), mais puisque cela se fait via une dérivée, la distance d’interaction est infinitésimale, à la différence du modèle non local intégral où la distance d’interaction est finie et donnée par la fonction de pondération [23]. Le facteur c, de la dimension d’une longueur au carré, introduit néanmoins une longueur interne dans le modèle et permet de régulariser la localisation des déformations [33].

Le modèle à gradient explicite peut se déduire du modèle non local intégral. En effet, en écrivant le terme eq(y) dans l’équation (3.25) sous la forme d’une série de Taylor :

eq(y) =eq(x) +∂eq avec, dans le cas où Ψ est une gaussienne (et en supposant que le domaineΩ est infini) : c2 = 12l2, c4 = 18l4 etc. L’expression (3.30) est retrouvée en tronquant la série au 2ème ordre.

Il est possible d’inclure les termes d’ordre 4 et plus (si la méthode numérique le permet) mais Askes et Sluys [33] ont montré que ces termes n’étaient pas forcément bénéfiques en terme de régularisation et de stabilité.

Implémentation éléments finis : Comme dans le cas du modèle détaillé dans le chapitre 4, la présence du second gradient de la déformation, et donc de dérivées d’ordre 3 du déplacement impose l’utilisation de fonctions d’interpolation de type C1 ce qui est problématique. Une alternative consiste à utiliser une formulation mixte en introduisant un champ supplémentaire, continu et imposé égal à la déformation équivalente. Cette méthode implique évidemment l’ajout de degrés de liberté supplémentaires. Il est également possible d’imposer une continuité suffisante des champs du problème via une méthode Galerkin- discontinue [34].

3.4.1.3 Gradient implicite

Alternativement, le champ˜peut être défini comme la solution d’une équation aux dérivées partielles :

˜

(x)−c∇2˜(x) =eq(x) (3.33) Cette équation peut être obtenue à partir de (3.31) en différenciant celle-ci deux fois et en la soustrayant, multipliée parc2 à (3.31), puis en négligeant les termes d’ordres supérieurs à deux.

Le problème n’est complet qu’avec l’ajout de conditions limites. Celle-ci devant permettre de retrouver˜=eq pour un champ constant, on choisit en général :

∇˜·n= 0 (3.34)

Chapitre 3. Description continue de la fissuration 34 La solution de l’équation (3.33) est en fait du type (3.25) avec Ψ(x−y)/V(x) =G(x;y) la fonction de Green. Pour un domaineΩinfini, Gest donnée par :

G(x;y) = 1 Implémentation éléments finis : Bien que les formulations intégrales et à gradient impli-cite soient très proches d’un point de vue théorique, leur implémentation dans un code élément finis diffère grandement. L’équation (3.33) et les conditions limites (3.34) peuvent être mises sous forme faible :

Le champ˜est discrétisé de façon classique, indépendamment deu, et (3.36) est ajouté au système d’équations globales. Les forces nodales internes classiques dépendant de ˜via la loi de comportement, la linéarisation du problème donne une matrice de raideur non symétrique de la forme [18] :

La déformation équivalente non locale, quelque soit la méthode utilisée (intégral, gradient explicite ou implicite) intervient ensuite dans le calcul de l’endommagement via les relations (3.8) et (3.10).

On peut, alternativement et selon les modèles, régulariser d’autres variables liées à la dé-formation. Dans ce cas général, ces variables régularisées (liées à la déformation) ne doivent apparaître que dans le calcul de l’endommagement, la contrainte est toujours calculée à partir de la déformation locale. On conserve ainsi la réponse locale du modèle lorsqu’il n’y a pas d’endommagement ce qui est une propriété souhaitable des méthodes de régularisation.

3.4.2 Régularisation de l’endommagement avec level-set épaisse

Plus récemment, Moës et al. [35] ont proposé une régularisation de l’endommagement par fonction de niveau épaisse (thick level-set). L’endommagement est une fonction de la level setφqui sépare la zone non endommagée de la zone complètement dégradée (fissure ouverte), l’épaisseur de la level set étant un paramètre du modèle. La minimisation de l’énergie potentielle par rapport à la level set fournit la définition de la force configurationnelle liée à la propagation du front d’endommagement. La loi d’évolution reliant cette force au déplacement du front est obtenue en "homogénéisant" la loi d’évolution de l’endommagement du modèle local à travers la bande.

Cette approche a l’avantage de faire apparaitre explicitement la largeur de la bande de localisation dans les paramètres du modèle. Elle est également correcte d’un point de vue thermodynamique.

Implémentation éléments finis La zone de localisation dans laquelle l’endommagement augmente est suivie d’une zone d’épaisseur éventuellement non nulle dans laquelle le matériau est totalement détruit (D = 1). Cette zone est traitée ici dans le cas de la méthode des éléments finis étendus (X-FEM) permettant de traiter naturellement la présence de cavité sans faire intervenir de remaillage [36].

Chapitre 3. Description continue de la fissuration 35 3.4.3 Prise en compte du gradient de l’endommagement dans les équations

du problème

Dans cette approche, le problème est reformulé afin de dépendre non seulement des variables internes classiques d’un problème de milieu continu avec loi d’endommagement, mais également du gradient d’une ou plusieurs de ces variables. On introduit donc explicitement un gradient dans la formulation mais cette fois à la différence de la méthode présentée précédemment, les équations du problème sont modifiées. Cette approche est courante dans le cas de la plasticité où le gradient de la variable d’écrouissage est souvent introduit dans la définition de la surface de charge et intervient donc dans la loi d’écoulement [37]. Pour l’endommagement, Frémond et Nedjar [38] ont proposé de prendre en compte l’endommagement et son gradient directement dans l’expression de la puissance interne du solide. On introduit donc un champ virtuel de vitesse d’endommagementD˙; la puissance interne du solide étant une forme linéaire de celle-ci et de son gradient :

Pi= Z

σ :∇u+BD˙+H∇D˙ dv (3.38) OùB etH sont les efforts généralisés liés à l’endommagement et au gradient de l’endomma-gement respectivement. Cette réécriture du principe des puissances virtuelles, implique des équations d’équilibre et conditions limites supplémentaires :

div(H)−B = 0 sur Ω (3.39)

H·n= 0 sur Γ (3.40)

Le gradient de l’endommagement est également inclus dans l’expression de l’énergie libre et du potentiel de dissipation, desquels dérive la loi de comportement du matériau et l’évolution de l’endommagement.

3.4.4 Milieux à microstructure

Les approches précédentes, proposent de prendre en compte l’effet de la microstructure en introduisant des termes non locaux, soit via une intégrale sur un domaine soit par des termes de gradient dans les équations du problème mais la microstructure n’y est pas décrite directement. Dans le cas des milieux enrichis, également appelés milieux à microstructure, micromorphiques ou milieux généralisés, on souhaite cette fois ajouter une description sup-plémentaire de la cinématique de cette microstructure dans la description du milieu continu.

Cette approche remonte aux travaux des frères Cosserat du début du XXème siècle [39] qui introduisaient des degrés de liberté en rotation supplémentaires. Dans les années 60, Mindlin [40], Toupin [41] et Eringen [42] proposent leurs propres versions de milieux à microstructure.

En 1973 Germain [43] utilise le principe des puissances virtuelles pour donner un cadre général à leur formulation. Ce type de milieux n’a pas été pensé dès le départ comme méthode de régularisation du problème de localisation mais l’introduction de termes supplémentaires pour la description cinématique implique la présence d’une longueur interne dans le modèle. Les milieux de Cosserat par exemple, bien adaptés à la description de matériaux granulaires ont été utilisés dans le cas de bandes de cisaillement par Muhlhaus et Vardoulakis [44]. Chambon et al. [5] ont ensuite utilisé un modèle de second gradient pour le cas de la barre 1D et les localisations en bande de cisaillement [45] [46], [24]. Dans le cas de l’endommagement, Li [47], [48] utilise le modèle second gradient en combinaison avec une méthode d’homogénéisation dans le cas de matériaux fragiles. Nous pouvons également citer les travaux de Yang et al. [49].

Chapitre 3. Description continue de la fissuration 36 Nous rappelons ici le cadre général des milieux enrichis donné par Germain et nous verrons en particulier le modèle de second gradient et son application dans les problèmes de localisation au chapitre 4.

3.4.4.1 Principe des puissances virtuelles pour un milieu à microstructure Dans le cas des milieux enrichis, le champ de déplacement virtuel est choisi dans un espace incluant, en plus du champ de déplacement classique continu et continument dérivable au moins une fois, une description de la cinématique de la microstructure via un tenseur h. En tenant compte de l’axiome du mouvement de corps rigide, la puissance virtuelle d’un milieu à microstructure s’écrit :

Z

(σ:∇u+τ : (h− ∇u) + Σ∴∇hdΩ = Z

Γ

(p u+P h)ds (3.41) Cette expression fait apparaitre des termes de contraintes supplémentaires : les doubles contraintesΣduales de∇h et les micro-contraintesτ duales deh− ∇u, ainsi qu’un double effort de surfaceP. On a ici négligé les termes de forces volumiques.

Implémentation éléments finis Si l’on ne fait pas d’hypothèse particulières sur le tenseur h l’expression (3.41) du principe des puissances virtuelles correspond à une formulation à 2 champs [50]. Dans des cas particuliers, le tenseur h peut néanmoins être directement lié au déplacement.

Conclusion

Les modèles d’endommagement quasi-fragiles conduisent naturellement à un phénomène de localisation des déformations qui doit être correctement pris en compte par le modèle.

Ce problème est largement traité depuis les premiers travaux des années 1970. De nombreux modèles ont été proposés mais il reste encore également de nombreuses questions en suspens et aucun consensus sur le modèle à adopter ne ressort. Les difficultés pour les différents modèles peuvent provenir au niveau de la théorie, par exemple pour la détermination des paramètres additionnels qui y sont introduits par rapport à la théorie classique de la mécanique des milieux continus, mais aussi au niveau de l’implémentation numérique. On détaillera dans le chapitre suivant ces points pour le cas du modèle de second gradient qui sera utilisé dans la partie II.

Chapitre 4

Le modèle de second gradient

4.1 Principe des travaux virtuels pour le milieu second gradient

La formulation précédente (équation 3.41) n’impose pas de restriction sur la forme du tenseur de la microstructure h. Les différentes théories de milieux enrichis (Cosserat, second gradient) sont retrouvées en faisant en plus une hypothèse cinématique [6]. En particulier pour la théorie du second gradient formulée par Chambon et al , on postule [51] :

h=∇u (4.1)

En tenant compte de cette restriction, le principe des puissances virtuelles pour un milieu second gradient s’écrit :

Z

(σ :∇u+ Σ∴∇2u)dΩ = Z

Γ

(t u+T∇nu)dΩ (4.2) Le termeh− ∇u s’annule et la microcontrainte τ disparaît de la formulation. Il est à noter que les efforts surfaciques t et T n’ont ici pas la même définition que p et P dans le PTV général des milieux à microstructure. En effet, la condition h = ∇u implique que les efforts p et P ne peuvent être choisis indépendamment car u et∇u ne sont pas indépendants. La puissance virtuelle des efforts extérieurs est donc réécrite en liant les efforts surfaciques de la partie second gradient à la dérivée normale deu :∇nu =∇u·n.

De la même manière que pour le milieu classique présenté chapitre 2 on retrouve les équa-tions locales du problème en choisissant des formes particulières du champ virtuel :

– Equations d’équilibre : elle fait intervenir à la fois les contraintes de Cauchy et les doubles contraintes :

div(σ−div(Σ)) = 0 (4.3)

– Conditions limites en contraintes :

(σ−div(Σ))n−divt(Σn)t=t (4.4)

(Σn)n=T (4.5)

Avec : (Σn)t= Σn−((Σn)n)⊗netdivt la divergence surfacique.

Pour des doubles contraintes nulles, on retrouve les équations d’équilibre d’un milieu clas-sique. Concernant les efforts et les déplacements imposés, sur l’ensemble de la frontière Γ du domaineΩ, on doit imposer soittetT, soituet∇u ou une combinaisontetu,∇uetT, pour

Chapitre 4. Le modèle de second gradient 38

un total de 4 types de conditions limites.