• Aucun résultat trouvé

Réflexion sur le sujet individuel et le sujet collectif : interaction entre deux systèmes

Chapitre 2 — Cadre conceptuel

5.1 Réflexion sur le sujet individuel et le sujet collectif : interaction entre deux systèmes

d’activité

La troisième génération de la théorie historico-culturelle de l’activité d’Engeström (1996) propose toujours, comme unité d’analyse un système d’activité. Celui-ci, étant orienté vers un objet et médiatisé par des artéfacts, est en interrelation avec minimalement un autre système. L’objet de l’activité de chaque système est constamment en mouvement et ne peut être réduit à des visées à court terme; il évolue au fur et à mesure de la construction des significations par les actants du système afin que les nouvelles représentations créées aient un sens pour tous (Engeström, 2001). La négociation par les acteurs de ces deux systèmes, médiatisée par leurs outils respectifs, mène à un deuxième objet, qui suite à la construction des significations socialement partagées et médiatisées par ces deux derniers produit un troisième objet qui est collectivement partagé entre les systèmes (Barma, 2008).

Rappelons que nous avons ciblé deux systèmes d’activité : un système ayant comme sujet un collectif représentant un groupe d’élèves et un système ayant comme sujet un individu seul, représentant un élève travaillant seul. Nous avons choisi ces deux systèmes afin d’étudier l’interaction entre un sujet individuel (l’élève) et un sujet collectif (le groupe d’élèves), car « sans une activité individuelle, une activité collective est impossible » (Lektorsky, 2009, traduction libre, p. 79). Ces deux systèmes sont liés par le fait que l’élève, malgré qu’il doive réaliser certaines tâches de façon individuelle, doit également interagir avec l’équipe dont il fait partie. Dans ce sens, l’équipe peut être considérée comme une partie de la collectivité de l’élève (voir figure 24).

Figure 24 : Objet partagé entre deux systèmes d’activités en interrelations

Les travaux de Leont’ev (1978) nous encouragent à considérer le rôle de la société au sein de laquelle cet individu est situé. Dans le cadre de notre recherche, nous pouvons considérer l’équipe comme une microsociété à laquelle l’élève participe et s’intègre, tout en travaillant vers un objet partagé : la réalisation d’une controverse structurée en lien avec le projet scolaire de Scientific idol. Lektorsky (2009) précise même qu’une activité individuelle est essentielle à la concrétisation d’une activité collective. Cela voudrait dire que pour que cette microsociété (soit l’équipe d’élèves) existe, chaque individu devrait décider de participer à ce collectif, ce qui permettrait alors la création d’une activité collective.

Rappelons que Davydov (2008) a souligné l’importance de l’intériorisation d’un individu comme mode d’appropriation individuelle d’une activité collective, ce qui signifie que chaque individu peut percevoir de façon différente son appartenance et sa contribution à un groupe. Cette différence pourrait avoir un lien avec certaines tensions soulevées lors de nos analyses. Il est possible que cela soit directement en lien avec la contradiction de premier niveau au sein du pôle sujet : l’élève comme membre d’un groupe versus l’élève comme individu. L’élève peut agir et envisager les choses d’une différente façon lorsqu’il est seul que lorsqu’il est en interaction avec les membres de son équipe, formant un sujet collectif. L’élève aurait alors à concilier ses buts, ses valeurs et ses règles lorsqu’il agit seul avec les buts, les valeurs et les règles lorsqu’il agit comme membre d’une équipe.

Figure 25 : Tensions au sein des pôles sujet et division du travail

La tension au sein du pôle division du travail, soit les attentes du groupe envers chaque membre vs les attentes de chaque membre pour le groupe, serait également inspirée des différences entre chaque individu constituant le groupe. Chaque équipe, formant un groupe, est composée de trois ou quatre individus qui ont leurs propres buts, valeurs et règles. La tension comme telle relevait de la représentation de chacun quant à ce qui était considéré comme une division « juste » ou « égale » des tâches. Par exemple, une tension qui fut relevée dans l’une des équipes en raison du fait qu’il y avait « une personne qui ne travaillait aucunement ». Il aurait été intéressant d’aller consulter ce membre de l’équipe afin de voir sa perception de son travail. Selon elle, est-ce qu’elle n’a rien fait ou, au contraire, est-ce qu’elle a accompli ce qu’elle jugeait être un travail « égal » aux autres? Le tout renvoie à la signification que chaque individu accorde à chaque tâche et à l’activité même et dépend de l’individu. Nous pouvons voir de multiples couches, représentants chaque individu, coexister au sein du système d’activité du groupe d’élève. Chacun amène avec lui son histoire, ses buts, ses artéfacts, ses règles et ses traditions (Engeström, 2001). Ce système pourrait donc être considéré comme ayant un aspect multidimensionnel. Dans le système d’activité ayant comme sujet une équipe, il peut être difficile de concilier les significations que chaque membre prête à une tâche ou, dans ce cas, à la division du travail et les attentes de l’équipe envers chaque individu.

au clair ». En partageant leurs attentes individuelles et leur perspective de l’activité collective, l’équipe est parvenue à construire de nouvelles significations quant à l’objet de leur système d’activité, en plus de se négocier un deuxième objet est médiatisé par les outils, dans ce cas-ci par une discussion.

En considérant l’interaction entre le système d’activité individuel et le système d’activité collectif, cela encourage une transformation de l’environnement (l’objet d’apprentissage), d’où la pertinence d’envisager l’objet d’apprentissage comme un objet en mouvement collectivement négocié par les élèves. Lektorsky (2009) ajoute que la réflexion, comme outil de médiation, peut amener une transformation de l’environnement et peut mener à la création d’une nouvelle forme d’activité.

La nécessité de changer l’activité collective se pose en raison de l’existence de contradictions internes dans un système, d’un certain degré de tension intérieure. La réflexion est un outil qui permet de mieux comprendre ces contradictions et mène à la possibilité de changer cette activité dans le cadre du même système, au moyen d’une nouvelle médiation (Traduction libre, Lektorsky, 2009, p. 86).

En d’autres mots, la réflexion serait nécessaire afin d’amener une nouvelle médiation qui modifierait l’activité, ce qui permettrait la construction d’une nouvelle forme d’activité. Amener les élèves à réfléchir sur leur rôle comme individu et sur leur rôle comme membre d’une équipe pourrait devenir un outil de médiation pour transformer l’activité, générer une nouvelle forme de celle-ci et de résoudre certaines des tensions présente dans l’ancien système d’activité. Tel qu’Engeström (2001) l’entend, un système d’activité est toujours en changement, et cela en fonction du milieu et des personnes agissant dans celui-ci.

À notre avis, il y a eu, tout au long du processus menant à la controverse structurée, une transformation de la perception de l’activité, soit une transformation de chaque pôle. En étant en interaction avec plusieurs autres élèves dans un contexte spécifique d’équipe, chacun a eu à négocier ses buts, ses attentes, ses valeurs et ses outils, afin d’arriver à l’élaboration d’une activité pouvant convenir au groupe. Chacune des huit équipes, dans le cadre de notre recherche, a construit leurs propres significations qui furent ensuite médiatisées par les outils symboliques et matériels autour d’eux. Il n’y a pas un même système d’activité collectif pour représenter chaque équipe. Nous n’avons fait que ressortir les caractéristiques générales de chaque pôle afin d’illustrer, le mieux possible, ce qui pourrait représenter un système d’activité d’un groupe d’élèves dans le cadre d’une controverse structurée. Il est important de se rappeler que pour l’opérationnalisation des actions, plusieurs règles ont été modifiées, et ce, en fonction de la négociation des tâches entre les élèves participants au système. Cette négociation de significations entre les actants est constamment en mouvement, de

même que l’objet de chaque système d’activité évolue au fur et à mesure de la construction de ces significations.

Pour reprendre et adapter l’analogie de Lektorsky (2009) à notre recherche, chaque élève est une particule d’eau qui a son propre mouvement, et qui est orientée vers un objectif connu. En s’associant avec d’autres particules d’eau, cet agglomérat de particules se déplace ensemble vers un objet qui est négocié collectivement, tout en répondant aux objets individuels. Ensemble, ces particules parviennent à construire un objet qui est collectivement partagé, soit qui concilie l’objet de chaque particule d’eau avec l’objet du groupe. Cet objet partagé permet alors un mouvement de l’eau. Chaque particule d’eau est essentielle afin de permettre le mouvement de l’eau, donc fait partie d’un système d’activité seul, soit individuel, en même temps de faire partie d’un système d’activité regroupant d’autres particules d’eau. Par leur interaction et leur construction de significations socialement partagées au sein des particules et médiatisées par des outils, le mouvement de l’eau est possible. Cela pour dire que sans l’implication d’un élève dans l’activité de son groupe et sans l’interaction des autres élèves afin de former ce groupe, la préparation et la réalisation d’un discours argumentatif, en rapport avec la stratégie d’enseignement-apprentissage de la controverse structurée dans le cadre du projet de Scientific idol, n’aurait peut-être pas été possible.

De plus, nous avons relevé plus haut l’importance d’amener les élèves à contribuer autant sur le plan individuel que sur le plan social afin de développer leur alphabétisation scientifique et technique. En ayant une activité individuelle et une activité collective, cela peut amener l’élève plus près de l’émancipation et de son autonomie citoyenne, soit de contribuer au développement d’une alphabétisation scientifique et technique (Fourez, 1994). Sa négociation de rôle, soit un rôle individuel et son rôle au sein d’un collectif, veut l’encourager à être un citoyen actif dans sa communauté et à vouloir y contribuer. En favorisant l’engagement dans la société, cela peut rendre l’apprentissage plus contextuel, tout en mettant l’accent sur la résolution collective de problématiques par le développement de compétences (Fourez, 1994; 2002). Ce développement de compétences est une des visées du nouveau programme de Science et technologie du premier cycle du secondaire québécois (MEQ, 2004), d’où l’importance d’amener une meilleure compréhension des interactions d’un sujet individuel et d’un sujet collectif lors d’une stratégie d’enseignement-apprentissage en contexte scolaire.

Également, nous avons précédemment souligné que les dimensions sociale et historique dans l’apprentissage des sciences et des technologies sont importantes à considérer, car, tel que nous le

et technologiquement (voir le tableau 2), la stratégie d’enseignement-apprentissage de la controverse structurée permet non seulement de considérer la dimension socioculturelle à l’apprentissage (Lemke, 2001, dans Barma, 2010), mais également de la vivre en les permettant d’interagir avec leur communauté.