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2. Autonomie et subjectivation en santé

2.3 Récit de soi et santé

Les dispositifs d’éducation à la santé établissent un lien clair entre les notions d’autonomie et de citoyenneté. Pour autant, ces références appellent un projet qui ne se réfère pas à un état, mais à un processus. Celui-ci vise une version plus juste d’un soin de soi relié aux promesses d’un « parcours d’émancipation » (Jourdan, 2004, 2007) et fait écho à la notion de « trajectoire » que met en avant « la clinique du sens » (de Gaulejac, 2017). Selon Andrieu, le développement d’une herméneutique de la santé peut soutenir et s’associer à d’autres techniques de réflexivité pour orienter, à l’instar de l’autosanté, une finalité identique à celle du prendre soin de soi-même (Andrieu, 2012).

Aussi, dans cette partie, la revue de la littérature revient-elle sur les ressorts conceptuels des médiations narratives mobilisées à des fins de méthode. A travers ces précisons, elle explore les ressources épistémologiques du récit, tout en soulignant les limites de son recours.

2.3.1 Herméneutique et récit de soi

Selon l’acceptation phénoménologique, la subjectivation ne se réfère pas seulement à la pensée. Elle inclut les phénomènes vécus et incarnés qui échappent à la mise en mots qu’offrent les ressources du langage traditionnel. Confrontée aux dimensions opaques et inaccessibles de l’intimité, elle peut s’étudier, selon certains auteurs, de façon indirecte à travers le prisme d’une inférence conceptualisée comme méthode de recherche (Vermersch, 2014). Soumise aux sphères de l’affectivité et de l’altérité, la subjectivité peut alors s’exprimer sous des formes différentes et incertaines selon l’âge, les rencontres et les contextes.

Dans le champ de la recherche biographique, ces processus d’individuation, de formation et de subjectivation se penchent sur l’enjeu des configurations narratives aptes à donner un sens aux expériences vécues. Ancrées dans le sens étymologique premier de « biographie » désignant « l’écriture de la vie », ces perspectives s’accommodent aux temporalités psycho-cognitives d’un temps vécu et raconté. A l’instar du récit de formation qui fait écho au courant de la Bildung inscrit dans la tradition allemande, ces narrations permettent de rendre compte d’expériences de vie constituant le développement d’une individualité. Contrairement à la recherche des fondements identitaires du sujet cartésien, elles s’éloignent d’une activité solipsiste pour explorer sous un

angle plus large les dimensions complexes d’une « genèse socio-individuelle »

(Delory-Momberger, 2009). Dans ce sens, cette dynamique d’individuation saisit les processus d’apprentissage et de subjectivation repérés dans les rapports de construction réciproques. Elle met en avant les caractéristiques liées aux temporalités individuelles et collectives dépendantes

elles-mêmes d’un l’environnement social et culturel toujours en mouvement. Ainsi, selon ses origines et son milieu d’appartenance, le sujet se « biographie » et s’oriente selon en suivant un processus qui structure l’expérience vécue (Delory-Momberger, 2009, 2014).

Ainsi, construit sur des formes interdépendantes et instables, « l’espace du récit » vise une activité de mise en cohérence de soi. Pour autant, les réflexions qu’il suscite ne sont pas neutres et restent traversés par des questions « de savoir et de pouvoir, de langage et de compétence discursive, d’autorisation et de légitimité » (Delory-Momberger, 2016, p. 169). En effet, le processus d’individuation interpelle des dimensions psychanalytiques et symboliques où paroles et désirs colorent les interprétations et les ouvertures attestant de la reconnaissance et du besoin des autres (Dupuis, 2015 ; Pommereau, 2016 ; Brugère, 2016).

2.3.2 Individuation et altérités

Face aux enjeux subjectifs et développementaux d’une herméneutique de soi exposés ci-dessus, des auteurs, tels que Simondon et Butler, reviennent sur leurs limites, ainsi que sur les retombées du concept d’autonomie à travers des approches qui saisissent au contraire le devenir sous les modalités de l’interdépendance et de la relation. Exégètes, tour à tour des pensées de Canguilhem et de Foucault, leurs points de vue offrent, une autre façon d’appréhender la notion d’autonomie déployée dans le paradigme des attributs du sujet (Laugier, 2011 ; Klein, 2012a). Bien qu’il soit complexe de s’approprier la réflexion de ces auteurs sans en trahir les fondements, leurs exégètes aident à clarifier les particularités de leur lexique dans une perspective de « traduction » ou bien plus de « transduction », pour faire écho ici au concept Simondonien (Citton, 2004).

Par souci de loyauté, seule l’étude de la dimension psychosociale des travaux de Simondon sera

mobilisée ici à travers des « résonances » que suscitent pour ce travail les concepts

« d’individuation », de « transduction » et de « transindividuel » (Citton, 2004). La pensée de Simondon offre aux chercheurs en sciences humaines un cadre général pour saisir les développements de la notion d’individuation qui échappe, par principe, aux formes de la simple

définition17. Plus extensive que la notion d’individualisation, synonyme de la singularisation du

sujet, l’individuation privilégie au contraire l’idée d’un processus dynamique de constitution nécessairement complexe et appréhendé à travers le prisme d’un vivant toujours affecté par 17 La définition de l’individuation n’est répertoriée ni dans le Dictionnaire d’Éthique et de philosophie morale de Monique Canto-Sperber (2004), ni dans le Dictionnaire historique de la langue française. Seul, celui du Trésor de la Langue Française (TLF) donne une définition qualifiée de synonyme à la notion d’individualisation comme « distinction d’un individu vis-à-vis des autres de la même espèce ou du groupe dont il fait partie (…) Fait d’exister en tant qu’individu ». Si cette notion apparaît dès 1876, c’est Durkheim qui la mobilise le premier dans ses travaux, elle sera reprise ensuite dans divers champs scientifiques comme l’embryologie, la linguistique et la psychanalyse (Jung), (TLF,1983, p.119).

l’altérité. Deux attributs de l’individuation requièrent ici un intérêt à la fois épistémologique et conceptuel. Le premier concerne le « devenir » exprimé en terme de processus, le second se réfère au postulat méthodologique de « l’inséparabilité » (Morin, 2017 ; Quessada & Citton, 2018). Debaise et Citton formulent chacun les caractéristiques complexes du langage de l’individuation :

« Il se définit essentiellement comme un langage opératoire qui n’a de sens que dans son fonctionnement ou encore dans les opérations dans lesquelles il est mobilisé, y compris les opérations intellectuelles qu’il suscite. Le langage de l’individuation ne peut se définir en soi par un ensemble de définitions et par une grammaire générale, indépendamment des situations dans lesquelles il prend sens. C’est un langage technique qui a pour unique objet de mettre en évidence, dans des situations singulières, des ‘régimes d’individuation’, c'est-à-dire des opérations concrètes par lesquelles une réalité se constitue. Il vise donc essentiellement à fournir des outils (...) permettant de dégager les potentiels d’individuation qu’elles recèlent » (Debaise, 2004, p.102).

Éloigné d’une « théorie du réel », le langage de Simondon est entièrement orienté vers les mises en problèmes. Dans ce sens, la pensée de l’individuation « est une pensée de la construction des problèmes ». Ainsi, à travers les réflexions qu’il suscite, ce ressort conceptuel incite essentiellement à la problématisation des situations données (Debaise, 2004 ; Citton 2004). Dans cette perspective, en maintenant le postulat constant de l’hétérogénéité, Simondon place la puissance du devenir toujours en deçà de l’unité que représente le sujet. En affirmant le principe d’inséparabilité, il constate :

« Qu’aucun individu n’est isolable comme tel, il doit être compris comme emporté dans un processus permanent d’individuation qui se joue toujours à la limite entre lui-même et son milieu. L’individu (...) ne peut survivre et se définir que dans une relation et une interaction constante avec un milieu et un collectif ».

(Citton, 2004, p. 2)

Ainsi, le paradigme de l’individuation constitue pour Simondon la possibilité de réaffirmer les liens entre les phases de développement de l’être et celles de son devenir. Selon l’auteur, l’évolution n’est pas celle d’un programme déterminé ; « elle est un processus », et ce devenir, comme objet de science, réclame de la modestie (Chabot, 2013, p. 77).

Dans ce sens, et à l’écart d’une vision substantielle, ce mouvement se définit davantage comme le résultat d’un processus vital d’individuation offrant au sujet le choix de s’accomplir à l’interface de genèses successives s’intéressant plus à la transformation qu’à l’identité nominale. Aussi, éloignée d’un modèle permanent qui enferme l’être dans des solutions closes, l’individuation se présente au contraire comme le cadre de dynamiques « métastables » où se problématisent les formes de dépassement individu-milieu (Citton, 2004). A l’opposé d’une autonomie postulée sur la reconnaissance de lois a priori, Simondon vise la perspective d’une individuation dont les dimensions agissantes donnent à la relation une « valeur d’être » (Chabot, 2013, p. 78). Selon lui, le sujet n’existe et ne se détermine qu’au regard du maillage des relations tissées avec les autres et le milieu qui l’entoure : « exister, c’est être lié » (ibid.). À la source de ces potentiels, le devenir

fondamentalement relationnel et « inséparé » offre à l’individuation les aménagements infinis d’un cadre permettant d’interpréter ou « de raconter sa vie » (Chabot, 2013, p. 93). Ainsi, pour l’ensemble de ces interprètes, Simondon peut être comparé au penseur des genèses (Combes, 2002 ; Citton, 2004, Debaise, 2004 ; Chabot, 2013).

A travers ce paradigme, les sujets vivent et connaissent des individuations psychiques successives déterminant l’évolution d’un univers mental apte à dépasser les conflits nommés en termes de tension. Ainsi, la perspective relationnelle, toujours corrélée aux ressources de l’individuation collective, permet à la résolution des problèmes de trouver une solution transitoire pour poursuivre ce processus. Selon Simondon, l’individuation psychique est aussi sociale, et c’est en puisant dans ses ressources « affectivo-émotives » que se détermine la rencontre sincère de « l’Autre » et l’ouverture possible d’une dimension transindividuelle à l’origine d’une nouvelle individuation. Selon cette thèse, le sujet dépasse la forme d’une individualité pour viser la plus-value d’une identité définie ici en termes de « puissance » et de « mutation » correspondant à celle d’un potentiel présenté comme une « réserve en devenir » (Combes, 2013, p. 31).

En s’opposant au substantialisme, Simondon privilégie une méta-compréhension permanente de la relation. Selon l’auteur, le sujet ne peut être compris qu’à l’aune d’une multiplicité d’opérations à travers lesquelles il s’individualise ; ainsi la réalité de la relation s’érige en postulat dans la construction de la pensée et des connaissances. La connaissance féconde, précise-t-il, s’enracine

dans « une relation de relations » et c’est selon l’axe de ce principe épistémologique que se

déploie la réalité de la connaissance « de tout être (...) qui est d’être une relation » (Combes,

2013, p. 55). Ainsi, pour définir la genèse de l’individu, l’activité relationnelle se comprend comme un résultat actualisant la réalité transductive de la relation. Selon ce postulat, Simondon souligne que le développement n’est plus relatif à une mesure humaine mais à un milieu au centre duquel s’opèrent des stades d’individuation successifs (idem. p. 60). Analysées sous la forme d’une réciprocité, ces co-individuations mettent en avant l’importance des relations simultanément psychiques et collectives. Développées à la source d’individuations successives, elles permettent au sujet de dépasser et de résoudre des états problématiques par le truchement de la relation à soi, au monde et aux autres. Ainsi, toujours éloigné d’une entité stable et autonome, le libre arbitre se développe dans l’interdépendance d’une vie « plus qu’individuelle » (Chabot, 2013 p. 76). Dans ce sens, ces ressources « transductives » compensent la résolution de tensions intra-subjectives contraignantes et interpellent la théorie spinozienne du pouvoir d’agir suggérant la capacité d’affecter et d’être affecté.

Ainsi, inhérent à l’individuation et défini comme un « lieu-moment », le récit offre à travers la communication la perspective de « ce qui est et ce qui devient » (Chabot, 2013, p. 85). Au regard de ce principe épistémologique, la transduction requiert, selon Simondon, une méthodologie

elle-même transductive, c’est à dire correspondant à une démarche empirique dont « le réalisme de la relation est posé en postulat de recherche » (idem, p. 53).

2.3.3 Difficultés du récit de soi

Dans la continuité des régimes d’individuation que propose Simondon, Judith Butler rend compte de l’intersubjectivité inhérente à la construction d’un soi troublé par l’altérité. Aussi, dans ce paragraphe, s’agit-il de faire dialoguer l’approche qu’elle développe de son ouvrage le « Récit de soi » (2007) à celle des théoriciennes du care, située pourtant dans l’espace d’une réflexion féministe « différente », à la fois concernant les attributs du genre et de l’éthique (Brugère, 2009). Selon Butler, la réception du récit de soi et l’interpellation d’un « Je » ne se fait qu’en fonction d’un « tu qui m’écoutes ». Ainsi, l’histoire et l’exposition des corps ne sont pas racontables en tant que tel, et la narration, toujours partielle, laisse dans l’ombre une partie dont on ne peut rendre compte.

« Si l’identité de ce que nous disons être ne peut vraiment pas nous saisir (....) tout effort pour ‘rendre compte de soi’ devra échouer s’il veut s’approcher de la vérité. Lorsque nous demanderons à connaître l’autre ou demanderons que l’autre dise, de manière finale ou définitive, qui il est, il conviendra de ne pas attendre une réponse pleinement satisfaisante » (Butler, 2007, p. 42).

Selon l’auteure, tenter de comprendre l’inconscient, c’est essayer d’accéder à une dimension qui n’appartient pas au sujet. Parce qu’il n’est ni entité, ni même substance, le moi dépend d’abord des processus relationnels impliqués provenant des premières relations de soin. Aussi, le fait d’être, dès l’origine, enveloppé dans la vie des autres, donne au récit des limites qui mettent d’emblée en échec le pouvoir de rendre compte de soi de manière lucide. Ces caractéristiques relationnelles donnent au récit, traversé par l’altérité, une dimension inéluctablement opaque. Ainsi, elles peuvent rendre le sujet incapable de donner à sa vie la forme d’une clôture narrative et déterminent dans ce sens des limites du connaissable (Butler, 2007 ; Brugère, 2009 ; Le Blanc, 2009).

Ces remarques soulignent l’importance des épaisseurs opaques qui précèdent le soi. Celles-ci le soumettent par avance à un régime de la persévérance contraignant le récit à être réinterprété à l’intérieur des relations qui le conditionnent. Aussi, sans pouvoir viser l’objectif de sceller une vérité, il « dramatise, sur le versant éthique, la vie hors de soi » (Butler, 2007, p. 126) en restituant un soi partiel toujours situé dans le registre des dépendances.

À la source de ces travaux philosophiques et psychanalytiques, la thèse de Butler contrarie l’idée d’un sujet souverain et autonome. Dans ce sens, elle souligne que l’agentivité, tout comme la connaissance de soi, sont d’emblées faussées par des déterminations qui empêchent l’individu d’accéder à l’origine des désirs qui ont conditionné son développement. Ancrées dans l’idée

initiale d’un soi relationnel et situées en-deçà du mythe libéral de l’individu autonome, ces caractéristiques soulignent l’importance des premières relations d’attachement dans le processus de construction de soi. Produit d’une co-individuation, l’ego peut difficilement se référer à une histoire qui serait purement la sienne. Dans la continuité des travaux de Foucault, Butler examine la responsabilité de se raconter imposant de se situer dans l’ordre de normes discursives qui excèdent toujours la réalité du sujet qui s’exprime (Butler, 2007).

Ainsi, le récit de soi authentique reste incomplet et sa présentation peut être parfois même symboliquement violente. Pour s’accomplir, le sujet saisit les modalités identitaires et performatives en racontant une histoire dans laquelle le soi tente de retrouver l’émergence de son agentivité (Butler, idem.). A l’instar de ce que Foucault nomme « une esthétique de soi », cette perspective s’adosse à celle d’une moralité désignée comme une disposition capable de créer et d’inventer des conditions favorables à l’émancipation. Dans ce sens, le récit peut offrir la possibilité d’affirmer sa propre subjectivité pour donner alors à sa vie la forme d’une expression inédite (Butler, 2007 ; Amboise, 2009).

Pour autant, les possibilités du récit et la réinterprétation des normes sur lesquelles il repose demandent du temps nécessaire pour exprimer la voie singulière d’une pensée transformatrice (Bacqué & Biewener, 2013 ; Amboise, 2009). Bien qu’il échappe en partie à son auteur, le récit est pourtant essentiel. Il conditionne la mise en forme d’une éthique et fonde la capacité d’agir à l’instar de ce que décrit Ricœur dans ses travaux (Eneau, 2011, 2016). Pour autant, dans une perspective d’autonomisation, sa possibilité requiert le soutien au développement de capacités narratives et suggère de pouvoir s’articuler dans des espaces délibératifs ouverts à l’expression de chacun. En effet, la construction de soi ne se fait jamais sans les autres et suppose le recours d’une médiation extérieure pour comprendre et réinterroger la complexité des dimensions sociales et aliénantes qui excèdent le sujet (Butler, 2007 ; Amboise, 2009 ; Leibovici, 2014 ; Niewiadomski, 2018).

Ancrée dans les ressources de l’altérité, l’autonomisation s’enracine dans une dynamique d’échanges où se croisent les dimensions de sollicitude et d’amitié ou philia inhérentes aux fondements relationnels du don et du contre-don (Eneau, 2005, 2011). Ainsi, au regard du postulat ontologique et relationnel que défendent ces deux approches philosophiques, cette perspective rappelle que les processus d’individuation s’expriment à travers des modes de réciprocité et d’interactions sociales situées à l’interface de dimensions à la fois individuelles et collectives à l’instar de celles qu’explore l’École de Palo Alto.

2.3.4 Fondements d’une écologie de l’esprit

Sensible aux dimensions relationnelles et développementales du sujet, Bateson élargit la compréhension scientifique des conduites à la lumière de leur pathogénèse. Dans ce sens, il s’attache à comprendre la nature des structures relationnelles inhérentes au développement humain. Selon lui, la communication porte l’empreinte explicative des troubles mentaux et le comportement d’un sujet ne peut pas être compris sans tenir compte des liens tissés entre l’individu et les personnes qui l’entourent. À l’instar des approches développées par l’interactionnisme symbolique, il considère que la conduite de l’être humain est déterminée par la réponse de l’autre et que l’unité d’analyse doit privilégier l’interaction. En prenant appui sur les modèles heuristiques de la cybernétique, l’auteur analyse l’influence des échanges d’information réciproques. Ses recherches, issues de la biologie, de l’anthropologie et de la psychiatrie, montrent notamment que des formes pathologiques de communication peuvent s’enraciner au sein même des familles et que certains troubles de santé mentale sont à l’origine d’échanges altérés entre chacun de ses membres. Fondamentalement interdépendant, l’apprentissage peut aussi se structurer sous la forme paradoxale de messages contradictoires que Bateson a formulés autour du concept de « double contrainte ». Ainsi, sur la base de ces postulats théoriques, il privilégie une approche holistique à l’origine du modèle des thérapies familiales. Celui-ci met en avant la forme d’une « co-évolution » qui permet à l’individu d’apprendre à se comporter en s’adaptant aux contraintes sociales de ses relations interpersonnelles (Bateson, 1977).

Dans son ouvrage « écologie de l’esprit » (1977), il développe notamment une modélisation cybernétique de l’alcoolisme qui rend compte d’une logique du comportement addictif. En soulignant la répercussion des modes d’apprentissage marqués par une vision du monde, il montre, à travers la perception de la sobriété comment se construit l’idée de la volonté. Au regard de ce postulat, il souligne l’intériorisation de la maîtrise de soi et du sujet capable de se dominer mis en avant dans l’épistémologie de l’efficacité personnelle socialement valorisée. Or, paradoxalement construite autour des polarités de la « domination / soumission », cette acception consensuelle du « soi » perçu à travers l’autocontrôle rationnel et capable de se gouverner, est à la source d’une confusion qui altère le processus de soin.

En deçà d’une perspective psychopathologique, il développe aussi une critique épistémologique d’un mode de pensée occidentale dualiste qui sépare le corps de l’esprit. Selon Bateson, les présupposés épistémologiques sont impuissants à saisir l’ensemble des relations et affectent la compréhension scientifique de notre environnement quotidien. Au contraire, il met en exergue « l’erreur systémique » des amputations, exclusions et simplifications constituant les soubassements d’un raisonnement objectif qui laissent, sur le tissu relationnel, la marque de nombreuses cicatrices.

Aussi Bateson, suggère-t-il dans la démarche scientifique de montrer l’importance d’une esthétique qui renoue avec la perception des liens et de la forme (Wittezaele, 2006). Cette perspective permet d’interroger les modalités d’une relation non compétitive valorisant l’idée de la complémentarité et de l’entraide inséparables d’un processus de subjectivation ne s’opposant même plus à l’idée d’une « disparition du soi ». Ainsi, adossé aux conditions d’une expérience vulnérable et incertaine du sujet, cet esprit se distancie d’une connaissance de soi fictive, visant l’indépendance d’un moi souverain au fondement des théories contractualistes et libérales