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L’enquête comme mode d’accès à l’expérience : biais et limites

5. Généalogie d’une expérience de recherche

5.6 L’enquête comme mode d’accès à l’expérience : biais et limites

Corrélé aux concepts d’expérience et d’activité, celui d’enquête, emprunté aux travaux de Dewey et central dans la tradition pragmatique de l’École de Chicago, consolide ici l’élaboration de la démarche méthodologique privilégiée dans ce travail.

Dans sa réflexion, Laugier l’articule à la notion intégrative de « formes de vie » (lebensformen) qu’elle emprunte à Wittgenstein. Celles-ci traduisent la reconnaissance des usages du langage ordinaire à travers une communication qui s’accorde sur un lexique en termes de définition et de jugement. Selon les mots du philosophe, elle précise que « nous nous accordons dans et pas sur le langage » (Laugier, 2018, p.160). En ce sens, l’adaptation signifie que la narration produit une compréhension et une entente seules aptes à signifier l’espace possible d’une subjectivation. À travers cette désignation, les « formes de vie » regroupent le langage, la santé et les activités humaines ordinaires qui deviennent pour Laugier le lieu d’une enquête démocratique selon le sens qu’en donne Dewey. Appréhendée du point de vue de son utilité, la connaissance inhérente à l’activité enracine sa méthode dans la réalité de l’expérience.

Ainsi, situé à l’articulation « du social et de la vie » ce concept écologique décrit la créativité, l’invention et la « transformation des formes de vie humaines » (Laugier, 2018, p. 157). A travers cette approche, les ressources du récit désignent la variabilité et la fragilité de « styles de vie » déployés en termes de résistance et d’adaptation où chacun s’efforce, en suivant sa propre enquête, de donner à l’expérience personnelle les dimensions d’une signification satisfaisante. Toujours selon Dewey, cette méthode vise une production collective de connaissance et permet aux citoyens ordinaires d’apporter leur contribution à la fois dans la vie publique et dans la recherche. Dans ce sens, la compétence est initiée d’abord « par le fait d’être affecté » (Laugier, 2018, p. 166) et caractérise l’émergence d’une « forme de vie » capable de s’actualiser dans la désobéissance qu’exprime le refus de pratiques insensées.

À l’instar du modèle que suggère Dewey, la méthodologie qui décrit un processus de rationalisation vise à réouvrir la boîte noire du paradigme narratif. En dépit des biais et des limites inhérentes à la démarche scientifique, elle donne à voir d’autres manières de traverser « l’intérieur

du récit » pour faire apparaître la variation d’enquêtes aptes à reformuler nos connaissances (Jablonka, 2017, p. 96).

5.6.1 Choix et limites du traitement des données

Pour l’analyse de données qualitatives provenant des narrations recueillies, j’ai rapidement compris que le doctorant devait s’initier aux logiciels qui permettent aujourd’hui de structurer le matériau recueilli pour pouvoir catégoriser un nombre important de données sous des modalités déjà techniquement formatées. J’ai aussi observé que les chercheurs pouvaient être obnubilés parfois par la conformité des mots et des choses supposés rendre compte d’une réalité « vraie de vraie » dont ils veulent donner une copie objective et fidèle (Laplantine, 2010). Sceptique face aux promesses de ces subjectivités computationnelles, j’ai tenté de comprendre les enjeux épistémologiques « du code » et les références « de l’imaginaire des SHS 2.0 » (Broca, 2016). Aussi ai-je vite été méfiante vis-à-vis de ces logiciels qui ne privilégient qu’une forme de rationalité en défiant les ressources plurielles et métaphoriques du langage. Comme la méthode vise à pouvoir harmoniser de manière plutôt cohérente les fondements épistémologiques et la démarche, j’ai alors pris le temps de reconsidérer cet impératif selon l’orientation théorique qui était la mienne, de manière à ne pas trop dénaturer l’esprit des médiations narratives que j’étudiais et que je devais en même temps passer à la moulinette du logiciel (Lejeune, 2017). Comment m’était-il possible d’articuler la logique du multiple à l’étude de cas singuliers ? N’était-il pas

paradoxal de mobiliser ce type de méthode aux côtés d’une approche care qui défend une

attention vis-à-vis des mots et du langage ordinaire (Laugier, 2009a) ? Comment éviter le piège d’une réification des données en visant la finalité narrative et interprétative d’un travail de recherche qui a comme objectif de relier plutôt que de séparer ? Si dans une perspective de théorie ancrée, l’analyse qualitative du corpus associe autant la créativité que le bricolage, comment les articuler aux facilités techniques que dicte le choix du logiciel ? (Paillé, 2016 ; Lejeune, 2017).

Si, dans le champ de la littérature, de nombreux auteurs indiquent que le langage ne possède pas toujours le même « statut de désignation et de représentation » (Citton, 2017), c’est aussi parce que le niveau théorique du concept de représentation est loin d’être évident (Laplantine, 2010). En effet, il présuppose souvent une approche positiviste et « experte » entre langage et réalité (Fjeld, 2018) et son analyse prudente requiert de s’intéresser à la situation locale d’une énonciation et d’une signification provenant de facteurs liés tout autant au contexte qu’à la biographie du locuteur lui-même (Niewiadomski, 2018).

Aussi, pour choisir cet outil d’analyse une série de questions se sont imposées (Lejeune, 2016, 2017). Quel logiciel est en mesure d’être le plus fidèle au matériau que je travaille. En assumant le présupposé d’une approche lexicale, le langage était-il une représentation de la réalité ? Si la parole ne reflète pas nécessairement la pensée, alors quel sens avait l’approche qui consiste à « déshabiller » un mot de sa mise en « forme de vie » ? Comment une analyse lexicale considérée comme plus objective pouvait-elle préserver les ambigüités inhérentes à l’expression des ados ? Si j’envisageais de découper le texte en unités de sens, dans quelle mesure était-ce possible de laisser au logiciel la définition a priori de ces mises en relation ?

Aussi me fallait-il un logiciel « intelligent » qui puisse sauvegarder le traitement des ambiguïtés inhérentes aux données recueillies. En laissant, le soin au chercheur d’un codage manuel de catégories à travers une analyse top-down, cette perspective a fait ressurgir la place et la valeur du crédit laissée à l’interprétation. Ainsi, devenu codeur, il est amené à choisir ce qu’il privilégie selon différentes références socio-sémantiques possibles d’un mot ou d’une expression depuis le contexte étudié (Lejeune, 2016, 2017).

Comme les correspondances entre énonciation et référence d’une part, et sémantique et action d’autre part, ne s’articulent pas nécessairement, j’ai observé souvent qu’il n’y avait pas de liens évidents entre système linguistique et cognitif, et ceci encore plus dans le discours de jeunes. Aussi cette analyse m’a-t-elle permis de comprendre que la modélisation d’un texte renvoyait à des théories différentes du rapport au langage et à la réalité elle-même. Au moins, ce recours aura confirmé que la théorie ancrée n’émerge pas « par magie » des données collectées et analysées.

Ce raisonnement scientifique, sans prétendre pouvoir recouvrir la réalité, constitue néanmoins l’émergence de caractéristiques qui structurent l’ensemble du corpus comme modèle spécifique. Cette construction emprunte la métaphore optique d’une photographie qui permet de rendre lisible les structures d’une organisation générale que n’offre pas la singularité d’un cas particulier. Elle prend une distance vis-à-vis de l’impératif singulier que défend l’argumentaire narratif en soulignant les régularités et l’intertextualité inhérente au récit et retrouvée dans l’analyse structurelle des discours (Ferry-Danini, 2018).

5.6.2 Biais et limites de la recherche

La lecture de Devereux et de l’ensemble des auteurs soulignant la fragilité du geste herméneutique condamne l’interprétation à se poser sur un entre-deux, c’est-à-dire ni complètement dehors et distant, ni complètement dans la vérité (Citton, 2017). Bien sûr, montrer l’échafaudage méthodologique, c’est aussi poursuivre le « fantasme de clarté qui aveugle souvent

la recherche et le chercheur » sans nécessairement pouvoir accéder aux détails et aux subtilités de son architecture (Perrault Soliverès, 2001, p. 282). Comment rester fidèle aux recommandations académiques, rendre acceptable une forme théorisée de son expérience care sans pouvoir montrer les nuances et la couleur de leurs subtilités ? Par exemple je me souviens d’un récit d’une étudiante s’attardant à décrire avec ses mots une poche de colostomie que portait son papa en fin de vie. Comment traduire ou retranscrire ces mots dans les exigences académiques du bien écrire. Comment rendre compte des affects et de ce matériau anxiogène, c’est à dire « exprimer le pathique sans pathos » souligne Molinier (2005, p. 7) ?

L’enquête qualitative, étayée sur des données empiriques et collectées sous une forme itérative s’est progressivement détachée des procédures que suggèrent les ouvrages de méthodologie. A distance des modèles structurés et rigides, elle s’est inventée en dehors des outils standardisés, ce qui a permis au cadre conceptuel de se dessiner empiriquement au fur et à mesure de l’étude, à l’instar de ce que suggère la MTE. Comme l’exposera le chapitre suivant, les outils de recueil se sont adaptés à la manière dont les jeunes se sont appropriés l’enjeu de ce partage. À l’instar

de ce que suggèrent Glaser & Strauss dans la Grounded Theory, les propositions théoriques

n’émanent pas des faits, mais de formes hybrides associant éléments théoriques et empiriques, interprétés au cours du travail de recherche (Huberman & Miles, 1991). En dépit des risques d’une logique « confirmative » que peut présenter la recherche d’un praticien impliqué, ce travail précise, à travers l’approche inductive, que les suggestions théoriques formulées à l’issue de l’observation ne proviennent pas seulement du terrain mais de l’interprétation que leur attribue le chercheur (Luckerhoff, & Guillemette, 2012 ; Paille, 2016). Pour autant, cette approche qualitative montre comment, à partir des données recueillies, la démarche peut être à la source de nouvelles hypothèses de recherche. Sa dimension exploratoire ne vise pas à prouver, mais s’est outillée de concepts, pour interroger une réalité complexe, à « plier » dans un travail de thèse. Elle montre qu’en soulevant une question assez large les résultats apportent de nouveaux éléments aux débats épistémologiques et praxéologiques. En partant des données qualitatives, le caractère affecté et expérientiel de ce processus souligne à l’instar des exégètes de la MTE que le « degré zéro » de l’interprétation est impossible (Luckerhoff & Guillemmette, 2012).

A travers cette expérience, la difficulté a été de rendre compte à la fois de la richesse et des ressources de l’analyse qualitative sans perdre de vue les recommandations conventionnelles liées aux critères de l’analyse scientifique. De nombreuses questions sans réponses se sont posées au sujet de la montée en généralité suggérée par les défenseurs de la théorie ancrée (Paille, 2016 ; Lejeune, 2016).

Aussi ces questions m’ont-elles permis d’interroger les formes heuristiques et éthiques de la

co-construction. Comment conduire un processus de recherche care en s’alignant sur les fameux

tirées de la conceptualisation attendue à l’issue d’un tel travail et de la montée en généralité ? Quelques questions se sont posées aussi au sujet des artifices de la séparation et de la catégorisation destinées, à l’issue d’une enquête inductive, à rendre compte d’un concret adéquat à quelques formules conceptuelles générales.

Cette posture de recherche liée au choix d’une approche clinique s’est donc condamnée à l’exercice d’un équilibre. Elle se rapproche de celle des auteurs qui revendiquent une méthode apte à certifier, non pas de la validité d’un propos en première personne, mais bien plus de sa fidélité. Tout au long de ce parcours a été interrogée la pertinence des métadiscours avec lesquels des recherches rendent compte de la conception d’une approche qualitative parfois sous des rationalités non éloignées du modèle positif et quantitatif. L’exploration des activités sensibles de la narration et du care a permis de mesurer que le choix d’une telle méthode requiert du temps et de la patience. Elle s’éloigne des données facilement collectées et des idéaux dont peuvent rendre compte la performance d’une analyse numérique. Afin de renouveler les formes d’investigation traditionnelles par entretien, elle interroge l’enjeu care des conversations inhérentes au processus d’enquête en redonnant de l’importance à l’attention et aux temporalités qu’imposent ces activités sensibles.

Étant donné que d’un point de vue méthodologique il est impossible empiriquement d’observer la subjectivation, ce travail a tenté au mieux de rassembler des catégories descriptives et significatives pour laisser deviner les traces de ce processus (Depraz, 2014). Pour autant, le paradoxe de la narration et de l’écriture n’a pas été sans soulever le dilemme de la discrétion attestant de l’efficacité du prendre soin (Molinier, 2013). Ce point de vue méthodologique rappelle que les rationalités du care et de l’attention peuvent être complexes à modéliser et à didactiser et qu’il y a toujours un principe de non séparation entre le contenu d’un récit et les possibilités de son expression (Blanchet & Gotman, 2010 ; Arborio, 2017 ; Molinier, 2019b). Aussi, cette perspective nous met-elle face à des difficultés dont l’objectif est toujours de reformuler et de modéliser, un réel ordinaire ou « idiot », aurait dit Rosset, c’est-à-dire incertain et fragile : « il y a un lien direct entre la parole et la démesure, car c’est le sort de toute parole que d’en dire trop, de surcharger toute réalité, si anodine soit-elle, d’un commentaire signifiant (…) toute parole parle donc toujours un peu trop » (Rosset,1976, p. 115).

L’éclairage des travaux se référant aux soubassements de l’interprétation rappelle que se dire interprète, c’est aussi afficher la conscience que l’on a soi-même de la fragilité épistémique du travail que l’on poursuit et des conclusions prudentes qu’il semble possible de formuler (Citton, 2010). Mobiliser une approche descriptive sous la forme d’une écriture, c’est mettre le langage d’une pratique quotidienne au travail dans ce qu’il a de vivant, de composite mais aussi d’incomplet (Cifali-Bega, 2017). Ainsi, cette perspective permet à nouveaux frais d’interroger la

forme nous autorisant à parler au nom des autres et de leur réalité. En ce sens la légitimité de ma voix dans la communauté est tout autant une question éthique que scientifique.

Le choix délibéré du partage et de la co-construction des récits a tenté de minimiser le biais d’une surinterprétation. Dans ce travail, le postulat de la relation élargit l’enjeu épistémique en s’autorisant à ne pas pouvoir rendre compte de rationalités difficiles à exprimer et de tout ce qui échappe aux formes affectées de la communication informelle. Ainsi, l’ouverture d’une approche phénoménologique possible a été privilégiée pour enrayer les limites d’une analyse de l’interaction trop « logocentrique » et pour donner aux affects la possibilité de pouvoir s’exprimer autrement. En outre, s’ouvrir à d’autres types de narrations exprimées à travers des dessins, des musiques ou des chansons n’est pas sans déstabiliser le chercheur armé de méthodes séquentielles et analytiques. Le recours aux ressources poétiques, plus proche des subjectivités vivantes, explore le respect et le potentiel de capacités d’expressions alternatives (Cifali, 2017). Dans ce sens, la spécificité de l’analyse qualitative a la particularité de mettre en valeur les dimensions éthiques et esthétiques des vécus. Ces ressources heuristiques et interprétatives ne sont pas qu’un supplément d’âme, elles relèvent d’autres formes de liens et soulèvent les enjeux d’une réflexion qui s’écarte de l’ontologie explicative. Aussi rappellent-elles que les acteurs sont loin d’êtres toujours animés par des analyses rationnelles. Ils sont d’abord sensibles à ce qui est beau et choisissent une narration plus apte à exprimer ce qui affecte les fondements de leurs propres expériences comme en atteste le partage de poésies ou de chants. Sans être clairement explicites, ces perspectives suggèrent d’autres formes de narrativité et articulent les enjeux de l’interrogation épistémologique devant des questions qui sont davantage d’ordre éthique ou politique (Baroni, 2016).

Si l’enjeu du récit vise d’abord l’intérêt d’un travail de reconfiguration et d’interprétation, son arrière plan n’a pas pour objectif premier de découper les expériences et de hiérarchiser des catégories qu’informe habituellement le travail analytique du sociologue ou de l’historien. Au contraire les préoccupations que partage la « bio-graphie » comme « écriture de la vie » vise à conceptualiser la transversalité épistémique des affects et des liens comme moteur du processus de formation et d’individuation déterminant le choix d’une méthode inductive plus complexe à explorer (Delory-Momberger, 2009). Aussi, ce projet poursuit une modalité d’analyse exposée aux limites méthodologiques de la séparation et tente des articulations destinées à rendre intelligible une démarche qui s’écarte du risque de la généralisation.

Dans le même ordre d’idée, la codification s’est heurtée aux savoirs d’expérience qui ne sont pas des réductions au sens phénoménologique du terme. Dans cette recherche, ils correspondent à des contenus contextuels difficilement saisissables en tant qu’objets et délicats à différencier sans faire face aux failles et défauts de la réification. Ainsi il m’est arrivé de ranger des extraits qui, décontextualisés, ont pu perdre tout le sens et la texture de leur énonciation première. Cette

remarque rappelle que la perspective du code peut s’opposer à celle du care et souligne la difficulté à rendre compte d’une connaissance qui échappe à la catégorisation de faits ou d’états relativement stables. Bien que la mise en exergue d’invariants et de régularités soit au fondement du raisonnement scientifique et en lien avec l’autonomisation des disciplines, la perspective de l’activité narrative qui guide la philosophie du sujet capable appelle des procédures plus aptes à appréhender l’analyse, non pas en termes de séparation, mais à travers les processus de transformation (Barbier, 2017). Pour autant, leur conscientisation échappe en partie aux modalités d’une recherche inductive et aux temporalités du projet scientifique.

Ces limites ne sont pas sans rappeler l’importance des démarches interdisciplinaires, amenées à éclairer les phénomènes d’implications et de transductions inhérents à la complexité de ces problématiques (Barbier, 2017). Si cette recherche ne peut pas correspondre aux exigences de l’administration de la preuve, son défaut épistémique ne disqualifie pas pour autant sa portée heuristique. À travers l’intérêt porté à la démarche « subtile » bien plus « qu’utile » (Chabot, 2013) s’enracine la prise en considération de l’importance du lien qu’elle tente de montrer.

Conclusion

La perspective d’un questionnement critique des connaissances invite à interroger et à expliciter à la fois la posture du chercheur, le processus qui sous-tend la production des savoirs construits et les implications éthiques de la démarche poursuivie. Son argument est étayé à partir de la présentation des modalités d’analyse et du choix des outils justifiant les rationalités d’une démarche « hyperqualitative ». Les repères épistémologiques explorés en amont mettent en avant les difficultés sous-jacentes au choix d’une méthode visant l’analyse d’un matériau hétérogène et sensible lié aux formes plurielles de narrativités échappant aux rationalités du logos.

À travers une perspective empruntée aux épistémologies du care, le processus de connaissance est soumis ici à ce qui importe (plus qu’à ce qui est vrai) et donc « à ce qui compte » dans un monde partagé et commun aux prises à une version souvent cachée d’une réalité difficile à saisir. En visant l’objectivation (scientifique) de l’organisation attentionnelle des activités du care, le renouvellement radical de cette épistémologie réside dans la place qu’elle donne aux acteurs et à l’expression de leur expérience (Brugère, 2011 ; Paperman, 2013).

En attestant d’un positionnement à la fois épistémologique, méthodologique et politique, le choix de la théorie ancrée souligne les enjeux de la « recherche avec » et permet de coconstruire les éléments de compréhension liés à l’analyse des données empiriques. Cette perspective défend les atouts d’une enquête heuristique, construite sur les ressources d’une pluridisciplinarité

presque militante. Aux charmes de la sérendipité, se sont ajoutés ceux d’une recherche dispersée, voire « indisciplinée », s’autorisant à saisir des concepts issus de familles différentes, qui ont été rassemblés dans cette démarche grâce à l’ouverture interdisciplinaire qu’offrent des sciences de l’éducation (Citton, 2012). Aussi, leur élasticité et leur pouvoir d’altération m’ont-ils permis de frayer des possibles pour les ajuster aux couleurs de mon expérience et à la fragilité de mes interprétations.

Cette démarche s’autorise à suivre une intuition pour dire ses doutes, ses échecs, autrement dit, en reconnaissant tout à la fois l’enjeu civique et épistémologique d’une co-production et les limites