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1. Contextualisation et délimitation d’un objet de recherche

1.4 Prévention et narration : questions de recherche

Selon l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES), les limites des modèles de formation axés sur l’acquisition de compétences psychosociales s’écartent de la

8 Stratégie de la conférence de Lisbonne.

9 Projet de loi de modernisation du système de santé visant l’expérimentation de projets d’accompagnement à l’autonomie du 22/12/2014 : http://www.social-sante.gouv.fr/actualite-presse,42/communiques,2322/ christian-saout-remet-amarisol,17973.html

standardisation des programmes et indiquent que « l’apprentissage des compétences psychosociales ne peut-être qu’expérientiel, adossé à des méthodes actives et participatives »10

(INPES, 2015).

Elles sollicitent des enquêtes de terrain à l’instar de ce que proposent les contours de la « recherche avec ». Ancrée dans le vécu quotidien scolaire ou parascolaire, l’activité narrative mobilisée à des fins de méthode repose sur la dimension réflexive et les capacités de jugement des jeunes (Lani-Bayle, 2013 ; 2019). Dans une perspective critique et émancipatrice, elle leur permet de participer à l’élaboration d’une réflexion en valorisant leur point de vue et postule leur coopération dans la conception de formations qui leurs sont destinées (Caldairou-Besset et al., 2017). A l’instar des travaux provenant du champ de l’éducation populaire, elle affirme le pouvoir formateur que représente la reconnaissance des savoirs ordinaires (Defraigne-Tardieu, 2012 ; Laugier, 2017), et pose un engagement radical et éthique, c’est-à-dire « égalitaire » entre la chercheure et les jeunes participants à l’enquête (Caron & Soulière, 2013). En suscitant la perspective d’un travail coopératif, la démarche co-construite et reconstruite a posteriori ne propose ni un protocole à suivre, ni le canevas d’une activité reproductible. Elle s’appuie sur une expérience située et souligne l’importance des relations dans la progression de l’enquête. Dans l’idée d’apporter un autre regard aux fondements théoriques (toujours fragiles) de l’éducation à la santé (Gaussel, 2011), ce travail réinterroge l’enjeu de la narration dans le soin de soi (Kleinmann, 2000 ; Charon, 2015), ainsi que dans l’évolution curriculaire et épistémologique des « éducations à » (Guiet-Silvain et al., 2011 ; Lange, 2015 ; Barthes, 2017). Il met en exergue les dimensions éthiques et transversales que soulèvent les pratiques d’éducation à la santé et explore le renouvellement d’interventions éducatives visant l’autonomisation des jeunes. En outre, il introduit la nécessité de se réapproprier les sources affectives et subjectives des médiations narratives, de manière à pouvoir interpréter et élaborer une signification personnelle en lien au milieu socioculturel et au parcours d’origine. Dans ce sens, les questions que soulève cette recherche s’alignent sur les méthodes, repérées dans la littérature internationale, suggérant la plus-value d’un engagement narratif comme en attestent les modèles de Narrative Engagement Framwork (NEF) (Miller-Day & Hecht, 2013), ou de Narrative Mediation Path (NMP), (Freda et al., 2017). Construites à partir de témoignages et d’expériences vécues, celles-ci mettent en avant les enjeux de la coopération et de l’attention favorables aux processus de remédiation ou de soutien. Adossées aux résultats de données probantes, ces perspectives méthodologiques attestent de la performance et de la pertinence des activités co-produites. Dans le champ de la

prévention, elles mettent en avant l’efficacité de conversations attentionnées ou Caring

10 Dossier Inpes n° 431 (2015). Développer les compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes : http://inpes.santepubliquefrance.fr/SLH/pdf/sante-action-431.pdf

Conversations (Dewar et al., 2017) et relaient les bénéfices de l’attention portés par les recommandations internationales de l’OMS.

A partir de ces repères, l’intention compréhensive et dialogique de cette recherche qualitative cible le processus de subjectivation du jeune reconnu comme l’expert du trouble qui l’affecte. Elle formule l’hypothèse selon laquelle l’activité narrative (Delory-Monberger, 2015 ; Lani-Bayle, 2013, 2019), visant une santé réflexive (Lecorps, 2005 ; Charon, 2015 ; Klein, 2010 ; Andrieu, 2012 ), peut promouvoir à travers une forme coopérative, d’autres modalités de dialogue et de soin (Tourette-Turgis, 2011 ; Paperman, 2012). Ainsi, construite à partir de la réflexion des jeunes usagers et de la compréhension de leurs parcours de soin, l’enquête vise en particulier à prendre en compte leurs ressources personnelles de manière à guider la prévention du mal-être et des troubles d’ordre psychosomatiques, prédominants dans cette classe d’âge (Pommereau, 2011, 2016). Dans ce sens, elle étudie la nature des réponses aux questions formulées ci-dessous: Comment les jeunes définissent-ils leur santé ? Comment s’expriment leurs choix, leurs capacités et leur pouvoir d’agir ? Comment parviennent-ils à s’autonomiser dans ce domaine ?

L’interprétation continue et progressive de ces données recueillies et analysées à travers les recommandations méthodologiques de la théorie ancrée (MTE), indiquera dans quelle mesure il sera alors possible de répondre aux questions de recherche qui orientent ce travail :

Comment l’activité narrative guide-t-elle la construction de savoirs d’expérience et le processus de subjectivation en santé ?

Sous quelle forme cette activité oriente-t-elle le soin de soi et le développement des capacités psychosociales ?

Conclusion

Cette contextualisation dresse un panorama de la diversité des orientations étudiées dans le champ des pratiques d’éducation à la santé. En renouant avec les fondements d’une approche compréhensive, elle indique que les recherches initialement tournées vers des savoirs à transmettre, visant le changement de comportement et qui dominent ce champ de pratique depuis les années 70, se tournent désormais vers une réflexion des usagers pour promouvoir des modalités de dialogue et de soin ouvertes à des visions plus globales de santé (Tourette-Turgis, 2011 ; 2013 ; Andrieu, 2012 ; Klein, 2012a, 2012c ; Rothier-Bautzer, 2013). En sciences de l’éducation, l’accumulation des travaux atteste de la volonté constante de modéliser les liens associant « éducation », « formation », « soins » et « santé » (Descarpentries, 2007 ; Klein, 2007, 2010 ; Dominicé & Jacquemet, 2009 ; Dominicé, 2010). À l’opposé des choix épistémologiques de l’Evidence Based Medecine, valorisant les performances biopolitiques de la santé publique au

nom du principe de précaution (Descarpentries, 2007, 2008 ; Klein, 2010a), la recherche privilégie aujourd’hui les éléments d’un débat scellant les caractéristiques contemporaines d’un sujet réflexif en santé (Lecorps, 2004 ; Klein, 2010b ; Andrieu, 2012). Dans cette perspective, elle permet de réexaminer les retombées de l’expérience et de l’autonomie dans l’évolution institutionnelle et scientifique des pratiques sociales d’éducation et de promotion de la santé (Descarpentries, 2007). Bien qu’elles soient omniprésentes dans les orientations éducatives et décrites comme un objectif idéal à atteindre, ces notions polysémiques n’en sont pas moins incertaines pour l’usager et complexes à mettre en œuvre dans le champ de la santé.

Ainsi, construite sur le mode de la rationalisation d’une pensée sanitaire présupposant l’ordre et l’autonomie, l’éducation à la santé met en avant l’idée de la maîtrise que suggère le souci de soi. Pour autant, l’évolution des pratiques adolescentes et la résistance aux discours hygiénistes mettent aujourd’hui en échec la pensée préventive élaborée sur le modèle de l’épistémologie biomédicale (Le Breton, 2012 ; Pommereau, 2016).

Dans l’intention d’interroger le renouvellement de ces pratiques d’éducation à la santé le raisonnement prend appui sur l’hypothèse heuristique sous-jacente aux ouvertures qu’offrent les médiations narratives dans ce champ de recherche. Afin de pouvoir répondre aux questions posées en amont, la revue de la littérature revient sur la genèse et la pertinence des concepts les plus aptes à caractériser les dimensions de l’autonomie et de la subjectivation en santé.