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6. De l’enquête aux résultats

6.1 Méthode et traduction des données

Cette section rend compte de la description et de la création des supports de recueil et de leur évolution pensée à l’issue de la période exploratoire. Elle montre comment se sont articulés les perspectives du care, aux principes du remaniement que suggère la méthode de la théorie enracinée. Le premier temps de l’exposé est consacré à la présentation descriptive des outils et ressources mobilisées. Le second temps explicite le choix d’une double analyse conceptuelle et expérientielle.

6.1.1 Constitution de l’échantillonnage

La recherche empirique nous contraint à réduire les ambitions d’une enquête pour la ramener à taille humaine et cette remarque s’adosse à celle d’une perspective care en lien avec l’activité professionnelle. Aussi le concept dynamique « d’échantillonnage » est-il préféré à celui « d’échantillon » qui fait davantage écho aux rationalités stables de la validité statistique. Comme cette recherche ne vise, ni la généralisation, ni la comparaison, le choix se référant à l’échantillonnage, qui dérive du cadre conceptuel et de la question de recherche s’est constitué progressivement et itérativement selon les recommandations de la MTE (Huberman & Miles, 1991 ; Paille & Mucchielli, 2016).

Dans le cadre de cette étude exploratoire et descriptive, le groupe de jeunes (N = 30), dont six ont été suivis sur une période de trois ans, comprend deux sous-groupes constituant l’échantillonnage qui s’est formé progressivement selon la méthode dite « en boule de neige » (Van Der Maren, 2004 ; Loiselle & Profetto et al., 2007). Rencontrés sur le temps de leurs activités périphériques ou côtoyés sur le lieu de l’exercice professionnel au lycée, ces étudiants ayant pris part à l’enquête ont accepté que des extraits d’entretiens ou que les récits co-construits et anonymisés soient mobilisés dans le cadre de cette recherche universitaire.

Le recrutement par les pairs s’est effectué conjointement dans un lycée (lieu de travail) pour le premier groupe d’élèves (N =10), ainsi qu’au niveau de l’espace santé aménagé au sein d’une Maison de la Jeunesse et de la Culture (MJC) pour le second groupe (N = 20). Sa composition genrée comprend treize filles (N = 13) et dix-sept garçons (N =17). L’autorisation signée (par les parents pour l’élève mineur) a été sollicitée en amont de la programmation d’un entretien enregistré. Dans l’objectif de poursuivre l’analyse de l’activité narrative et de repérer son enjeu performatif, la priorité s’est concentrée sur l’étude de différents parcours dont la progression a privilégié l’observation et la temporalité du processus. Sur l’ensemble de ces jeunes, six ont été rencontrés régulièrement sur la durée de ces trois années de manière à pouvoir évaluer les enjeux préventifs et le développement de capacités ou d’aptitudes d’ordre psychosociales présupposées à travers l’écriture du récit coopératif.

Les particularités et la richesse de ce groupe tiennent à l’hétérogénéité sociale et culturelle des jeunes enquêtés. Certains suivent les cours dans un lycée des métiers, d’autres sont en lycée général, d’autres encore poursuivent en « postbac » à l’université ou dans des sections destinées à l’obtention d’un brevet de métiers d’art. Ils ont entre 15 et 20 ans.

Selon les présupposés de la méthodologie ancrée, l’échantillonnage n’a pas permis au départ de définir un nombre précis de sujets ni de connaître les caractéristiques des participants. Du fait de

la question large postulée dès le début de ce travail, l’échantillonnage théorique a été construit progressivement selon la procédure que suggère la MTE. Sa constitution a respecté, non pas des étapes chronologiques, mais bien plus une logique de va et vient. En outre, le choix des « outils narratifs » a évolué selon l’analyse, et les retours des jeunes enquêtés ont pu déterminer les transformations du matériau et de son recueil.

6.1.2 Description du corpus

Les outils de recueil ont été pensés et réévalués selon les modalités d’expression qu’ont privilégiées les jeunes. Si un présupposé implicite se référant au recours de la langue française a été attendu comme condition sous-jacente, aucune limite n’a été formulée vis-à-vis de sa maîtrise. Aussi, les formes narratives sont restées ouvertes à la possibilité d’une pluralité de modes d’expression. Quelle que soit la forme du récit, la perspective care s’est rapprochée dans cette réflexion de la définition minimaliste que suggère Bertaux : « il y a récit de vie dès qu’il y a description sous forme narrative d’un fragment de l’expérience vécue » (Bertaux, 2010, p. 14). Cette perspective, qui prend en considération le désir de (se) raconter à travers le choix de supports variés, a tenté de dépasser les limites méthodologiques du « carnet d’écriture ». Ainsi, elle a permis, par exemple, aux jeunes maitrisant plus difficilement la langue française ou opposés à l’idée d’une réflexion rédigée de se joindre à l’enquête s’ils le souhaitaient. Parmi ces trente jeunes, quatre étudiants allophones ont participé à la phase exploratoire de ce projet. Par ailleurs, les références visant leur pays d’origine ne seront pas soulignées dans cette recherche, puisque d’un point de vue care ces différences n’altèrent pas le processus d’enquête.

Le choix d’une démarche empirique et qualitative articulant des logiques narratives variées s’est progressivement adapté à accueillir différents supports. Le premier émane de récits d’élèves rédigé dans un document-outil nommé « carnet des moments » ou « carnet d’expériences ». Sur celui-ci, les élèves volontaires ont été invités à relater une préoccupation ou une expérience ayant affecté leur propre santé de manière positive ou négative. Aucune exigence académique (vocabulaire, faute, syntaxe) n’a été requise et le contenu du récit a accepté toute forme d’expressions (fictions, mots-clés, métaphores, dessins, illustrations...).

De plus, l’élaboration des instruments de recueil a été réévaluée au fur et à mesure de l’avancement de la recherche et ce recueil sensible a fait naître de nouvelles lignes d’investigation. La question de la pertinence s’est posée face aux enjeux de la coopération et a été réexaminée pour élargir des possibilités d’expression suggérées en amont.

La collecte de ce matériau s’est réalisée sur une période couvrant les quatre années de 2015 à 2019. Sur l’ensemble de cette phase de recueil se sont accumulées les traces narratives issues

de supports variés (carnet, cahier, documents ou contenus de messages numériques). Afin de pouvoir être analysé dans le logiciel Nvivo l’ensemble de ces productions a été retranscrit sur 96 pages. Les (N=108) résumés des conversations informelles et les trente (N=30) entretiens enregistrés ont été numérisés sur 202 pages et retranscrites sous la même modalité. Les illustrations, au nombre de 105, ainsi que les chansons et compositions musicales, ont été prises en considération et mobilisées sans passer par la phase du traitement analytique. Elles ont été introduites dans les synthèses co-écrites, représentant 70 pages, rédigées sous une forme coopérative pour six étudiants (cf. 6.4).

Tous les récits ont été pris en considération et retranscrits. Pour cinq jeunes le processus narratif initié s’est interrompu sans pouvoir être davantage développé. L’entretien n’a pas pu être programmé lorsqu’ils sont allés poursuivre ailleurs leur cursus après l’obtention de leur examen ou lorsqu’ils se sont réorientés et qu’ils ont dû pour cette raison quitter leur établissement d’origine. A l’écart des imprévus, inhérents au déroulement de la recherche, la continuité de cette démarche d’enquête a donc intégré un matériau dense et vivant qui comprend des rencontres au pied levé, des conversations informelles, des pauses café et des échanges par courrier électronique. Pour des motifs liés aux contraintes de la temporalité de la thèse, ainsi que pour des raisons méthodologiques, les délibérations collectives menées au sein d’un atelier de parole sur le lieu de travail et qui ont pu enrichir ce recueil n’ont pas été prises en considération dans l’analyse de ce matériau. De ce fait, le récit de cette activité sensible tissée à travers les dialogues et les échanges, mutile en partie la réalité de ce que les canadiens nomment la « cueillette des donnés ». L’essence à la fois discrète et vulnérable, constitutive d’une enquête care, est condamnée à l’invisibilité et donne à ce compte rendu scientifique la dimension fictive d’une « littérature grise », largement refroidie (Cifali & André, 2007, p. 2).

6.1.3 Lieux de l’enquête

L’enquête, care et locale, a été réalisée au sein du quartier sud d’une ville de province moyenne offrant les caractéristiques d’une forme urbaine traditionnelle avec ses écoles, ses commerces, sa maison de quartier et ses espaces verts. La description des lieux apporte quelques précisions, et permet de donner des repères au contexte de l’activité narrative. Pour autant, sensible et vivante, la dynamique étudiée pendant ces trois années s’est souvent déplacée dans des endroits différents (à la bibliothèque, sur le lieu de travail, à la MJC, sur des terrasses de café, à l’Université, à mon domicile ou encore à l’extérieur, sur un banc dans le parc). Cette activité a tenté de maintenir le processus d’un fil narratif dont les temporalités ont elles aussi été variables

selon les désirs, la forme de l’énonciation et la disponibilité de chacun (entretien, conversation, récit, email).

Les jeunes ayant participé à cette recherche étudient dans le lycée général et technique ou dans le lycée des métiers situé à proximité. Ils ont été rencontrés sur ces lieux ou sur ceux qu’ils investissent le temps des pauses déjeuner pour échapper à l’environnement scolaire, comme le parc attenant aux établissements ou la maison de la jeunesse et de la culture (MJC). C’est en particulier au sein de cet espace d’accueil, emblème politique de l’éducation populaire et des démarches participatives, qu’ont été réalisés la majorité des entretiens exploratoires, soit sur le temps de la pause méridienne, soit le mercredi après-midi selon les disponibilités de chacun. Ils se sont déroulés dans le local symbolique des « Psys du cœur » (réseau national de lieux d’écoute thérapeutique) mis à disposition le temps de cette enquête. Cet espace accueillant, offrant la possibilité de préparer une boisson chaude (une pièce tranquille, sans bureau, sans ordinateur), a permis de donner à ce contrat d’entretien exploratoire la forme d’une allure souple et non conventionnelle plus propice à l’expression des voix de chacun.