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LE RÉCIT DE L’ACCOMPAGNEMENT AVEC ROSE

Rose est arrivée à la MSPL lors de ma deuxième semaine du séjour sur le terrain. Nous nous sommes rencontrés le lendemain de son arrivée et elle accepta de participer aux activités artistiques. Elle aura été la plus jeune de mes participantes, étant âgée de 52 ans. C’était une travailleuse sociale de métier, mère de deux enfants. Je la trouvais plus distante et bavarde que mes autres participants. Elle m’a dit avoir déjà participé à des ateliers artistiques dans sa vie sans m’en dire davantage sur la nature et la longueur de ceux-ci. Malheureusement, son état s’est détérioré rapidement et nous avons dû mettre fin à sa participation à la recherche, après 2 activités et sans avoir réalisé l’entrevue. Rose avait accepté la prise de photographie durant les activités et la diffusion de celles-ci.

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Rencontre 1, jeudi le 21 août, prise de contact (durée 15 mintes)

À ma 11e journée à la MSPL, je rencontre Rose, une nouvelle résidente de l’établissement. Je suis moins nerveuse avec cette participante et je me sens plus en contrôle lors de la présentation du projet de recherche. Après lui avoir présenté le projet, elle accepte d’y participer et signe le formulaire de consentement. À la lecture du formulaire de consentement, elle fait quelques remarques sur sa mort prochaine que je ne relève pas, comme « de toute façon je ne serai plus là » (J1P146). Avec le recul, je décèle dans ses allusions à sa mort prochaine une forme de sarcasme et de ressentiment. Il est probable que Rose était dans sa phase de colère ou du moins qu’elle vivait des épisodes de colère par rapport à sa situation. Tel que mentionné au chapitre 2, les étapes du processus de détachement peuvent se vivre en concomitance, par conséquent il est possible que Rose vivait de la colère ou de la révolte, sans être uniquement à l’étape de la colère. Néanmoins, ces commentaires n’étant pas dirigés vers moi, la situation n’a pas été difficile à gérer, me permettant de demeurer respectueuse et compréhensive. Dans les jours qui suivirent, Rose reçut beaucoup de visiteurs, cela a donc pris quelques jours avant que je puisse la revoir pour lui proposer une activité artistique.

Rencontre 2, mercredi le 27 août, activité Le film de ma vie (durée 22 minutes)

Nous sommes le mercredi 27 août quand je peux enfin proposer à Rose de réaliser une première activité artistique. À mon entrée dans la chambre, je constate qu’elle essaie de se remonter sur son lit, je lui demande si elle a besoin d’aide et elle m’indique quoi faire pour qu’elle soit plus confortable. Ce type de situation est très fréquent dans un contexte

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de soins palliatifs. Les participants éprouvent parfois des difficultés, des inconforts ou d’autres besoins auxquels il faut répondre. Il s’agit pour ma part dans ce type de situation de veiller et d’aider au bien-être du participant afin que son attention soit centrée sur l’activité artistique et non sur la douleur ou l’inconfort. Bref, une fois Rose installée confortablement, je lui explique la première activité Le film de ma vie (voir Annexe A, activité 1, p. 107) et dépose les images sur la tablette face à elle. Elle commence à regarder les images et les commente. Je souris beaucoup à ses commentaires parce que je trouve ses expressions et son attitude amusantes. Je ne crois pas qu’elle fasse ces commentaires dans le but de me faire rire, mais c’est dit avec humour. Il lui est facile de manipuler les papiers et lorsqu’elle a fini de choisir ses images (voir figure 20), nous commençons à les disposer sur la feuille prévue à cet effet. Les images se retrouvent collées des deux côtés de la feuille prévue pour le collage (voir figure 21 et 22). Pendant ce temps, elle me raconte l’histoire d’une femme qui recevait des pensionnaires chez elle durant le temps de la guerre et ajoute plusieurs détails au récit. Au moment où elle termine le collage, je récapitule l’histoire et elle me corrige : « Ce n’est pas une religieuse. C’est une femme qui prie, elle fait son chapelet chaque soir. » (J1P183). La dynamique est très différente avec Rose de celle de mes deux autres participants puisque Rose s’affirme plus ouvertement et que je n’ai pas à la questionner très longuement pour connaître sa pensée ou ses opinions.

À la fin de l’activité, elle choisit de ne pas coller sa réalisation au mur. Pendant que je ramasse mon matériel, je l’informe que l’on fera la partie écriture de l’activité la prochaine fois, puisque j’ai déjà pris 20 minutes de son temps. Elle me répond « Déjà, ça passe vite » (J1P184). Cependant, elle me dit qu’elle se sent moins à l’aise avec

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l’écriture. Je lui ai alors demandé si elle souhaitait tout de même essayé et elle me répondit « Pourquoi pas » (J1P184). Au moment de lui dire au revoir, je me suis penché vers elle et je lui ai touché rapidement le bras gauche. Après avoir retiré ma main, je remarque qu’elle se touche le bras gauche avec sa main droite. Je devine dans son geste une certaine gêne du fait que je l’ai touché et j’en retiens que je dois à l’avenir garder une distance plus respectueuse avec Rose, qui semble moins à l’aise avec la proximité physique.

Figure 19 : Rose durant l’activité le film de ma vie

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Suite à l’activité Le film de ma vie avec Rose, je trouvais moins intéressant de faire la partie écriture prévue avec cette l’activité puisque la participante m’avait déjà raconté l’histoire que représentait son collage. Pour éviter la redondance, j’ai retranscrit moi-même l’histoire qu’elle m’avait racontée, j’ai fait un montage avec le collage et j’ai imprimé le tout. Puis, j’ai préparé l’activité Changement de direction pour la prochaine fois et sélectionne l’image de la main d’un enfant enserrant un doigt d’adulte présent dans son premier collage (voir figure 21).

Rencontre 3, jeudi le 28 août, activité Changement de direction (durée 23 minutes)

Le lendemain, je présente à Rose le montage imprimé de l’activité Le film de ma vie. Elle souhaite que je rajoute certains détails au texte. Je reprends donc le montage en vue de le Figure 21 : Partie 1 de 2 de la

réalisation de Rose pour l’activité

Le film de ma vie, 9 x 11½ po, 27

août 2014

Figure 20 : Partie 2 de 2 de la réalisation de Rose pour l’activité Le film de ma vie, 9 x 11½ po, 27 août 2014

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modifier en tenant compte des ajouts souhaités par Rose pour la prochaine rencontre (voir figure 23).

Figure 22 : Montage corrigé de l’activité Le film de ma vie avec Rose, 8½ x 11 po, 29 août 2014

Je lui explique ensuite en quoi consiste l’activité Changement de direction (voir Annexe A, activité 2, p. 108) et je lui communique le court texte qui sert à déclencher l’écriture. Cependant, Rose manifeste aussitôt de la difficulté à écrire, mais elle persiste. Je demeure en retrait et j’attends de voir si elle sera capable de se débrouiller seule. En soins palliatifs, bien que les personnes soient constamment en perte d’autonomie, il est important de ne pas faire à leur place des tâches qu’ils sont encore capables de faire. Cela leur permet de garder un peu plus d’autonomie et de contrôle sur leur situation. Toutefois, Rose exprime une nouvelle fois sa difficulté. Alors, je lui propose plutôt de réaliser l’activité oralement pendant que je m’occupe de consigner ses pensées. Je m’assois plus près d’elle et prends la tablette et le crayon. Elle complète

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rapidement les deux phrases dictées (voir le plan de l’activité Changement de direction à l’Annexe A, activité 2, p. 108) sans élaborer plus longuement. En revanche, à la présentation de l’image que j’avais sélectionnée pour l’activité, elle se met à parler plus facilement. Je note ses pensées pendant qu’elle les exprime. Je ne prends pas de photographies durant l’activité étant donné mon occupation. Une fois qu’elle a terminé de me raconter ce que la photographie lui inspire, nous retravaillons ensemble le texte. Je lis la version finale à haute voix et elle approuve. L’activité se termine dans le temps prévu et nous terminons en discutant de sa mère et de l’époque à laquelle celle-ci vécut. Puis nous nous quittons en nous disant à demain.

Figure 23 : Montage réalisé à la suite de l’activité Changement de direction avec Rose

Rencontre 4, mardi le 2 septembre, dernière rencontre (durée 3 minutes)

Je prévoyais faire l’activité Le panier avec Rose à ma prochaine visite. Mais, les jours qui suivent, Rose avait de la visite ou bien elle dormait ce qui m’empêcha d’aller la voir. Pendant ce temps, son état s’est affaibli et le mardi de la dernière semaine, son mari et moi avons décidé de mettre fin à sa participation à la recherche. Je suis tout de même allée lui dire merci et au revoir.

86 Bilan de l’accompagnement avec Rose

Bien que je n’ai fait que deux activités artistiques avec Rose, j’ai appris beaucoup de cette expérience. D’abord parce qu’au moment de la rencontre avec cette participante, j’étais plus à l’aise dans mon rôle d’accompagnante. Elle était très différente des deux autres participants et je devais m’adapter à cette nouvelle situation. Par exemple, son rapport au toucher était différent et elle réfléchissait à haute voix, ce qui changeait sensiblement l’ambiance et l’intimité des activités auxquelles j’étais habituée. Autrement dit, la dynamique était différente puisque Rose s’exprimait clairement et qu’elle verbalisait facilement.

L’expérience avec Rose m’a également appris à être plus réservée par rapport au contact physique avec les participants. Je suis habituée à entrer en contact avec les gens par le toucher, par exemple en mettant ma main sur l’avant-bras de mon interlocuteur. Hélène Giroux (2012) parle dans son livre Le privilège d’accompagner… choisir de côtoyer la mort de l’importance du toucher et de comment cela peut donner du courage et rassurer. Cependant, il est important de respecter l’espace d’une personne et l’expérience vécue avec Rose m’a appris que le contact physique n’est pas toujours opportun, ni toujours apprécié. Au contraire, il peut rendre inconfortables certaines personnes. J’ai retenu de cette expérience que je dois, dans mon accompagnement, adapter mon comportement selon les personnes et leurs besoins.

Dans un autre ordre d’idées, je n’ai jamais été tout à fait certaine de l’étape dominante du processus de détachement que Rose vivait au moment de l’accompagnement. J’ai eu l’impression que plusieurs étapes coexistaient chez elle, allant du ressentiment à l’acceptation partielle en passant par le marchandage. Quoi qu’il en soit, je me montrais à l’écoute, disponible et respectueuse afin d’offrir le meilleur accompagnement possible.

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Pour terminer, Rose est la première participante pour qui j’ai écrit un texte dicté durant une activité. Je ne m’attendais pas à cette situation, vu que sa forme physique laissait croire qu’elle aurait pu écrire elle-même son texte. J’ai donc dû, en pleine activité, trouver et appliquer une nouvelle façon de faire pour arriver à compléter l’activité artistique entamée en écrivant à la place de Rose. Je me suis rendu compte que ce type de situation peut être gênante pour le participant qui se retrouve à devoir dire à haute voix ses pensées. Il serait donc préférable de proposer des activités d’écriture automatique seulement aux personnes capables d’écrire sans aide.