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Les aziridines sont des composés cycliques à trois chaînons relativement réactifs. En effet, la tension de cycle et la différence d’électronégativité entre les atomes de carbone et d’azote sont propices aux réactions d’ouverture de ces hétérocycles. Ces composés se sont avérés être très utiles dans le domaine de la chimie hétérocyclique. L’ouverture par divers nucléophiles a été très largement étudiée; de nombreux exemples sont décrits dans la littérature dont quelques-uns sont représentés sur la Figure 6 ci-dessous.31

Figure 6 : Exemples d’ouverture par différents nucléophiles

Les aziridines peuvent être divisées en deux catégories selon la nature du substituant présent sur l’atome d’azote : les aziridines « activées » et « non activées » (Figure 7).

Figure 7 : Différents types d’aziridines

Les aziridines dites « activées » telles que les N-tosyl et N-acyl aziridines portent un groupe électroattracteur qui facilite leur ouverture par un nucléophile. En effet, ce dernier est capable de stabiliser la charge négative qui apparaît sur l’atome d’azote lors de l’ouverture.

Par opposition, les aziridines dites « non activées » telles que les N-alkyl aziridines nécessitent une activation extérieure (protonation, quaternarisation, activation par un acide de Lewis) car elles ne peuvent pas stabiliser l’anion résultant de l’ouverture nucléophile.

Généralement, la substitution nucléophile est régiosélective; elle se fait sur l’atome de carbone le moins encombré. Cependant, dans certains cas, des facteurs électroniques peuvent modifier cette régiosélectivité.

De plus, l’ouverture des aziridines permet d’accéder à des espèces dipolaires 1,3, pouvant donner lieu à des réactions de cycloaddition. Cela permet d’accéder efficacement à des hétérocycles à cinq chaînons assez variés; le type d’hétérocycle formé dépend de la nature du dipolarophile mis en jeu (alcène, alcyne, composé carbonylé,

31 Revues sur la réactivité générale des aziridines : Hu, X. E. Tetrahedron2004, 60, 2701-2743; McCoull, W.; Davis, F. A.

nitrile, etc…). Par la suite, nous nous limiterons aux réactions de cycloadditions [3+2] faisant intervenir des espèces zwittérioniques.

Les aziridines peuvent donner lieu à deux types d’espèces dipolaires (Figure 8). La rupture de la liaison C-C par thermolyse ou irradiation conduit à la formation d’un ylure d’azométhine 26 alors que la rupture d’une liaison C-N d’une aziridine activée en présence d’un acide de Lewis permet d’obtenir l’espèce zwittérionique 27.

Figure 8 : Espèces dipolaires formées à partir d’aziridines

Après avoir présenté les réactions de cycloaddition [3+2] mettant en jeu des ylures d’azométhines, nous aborderons les cycloadditions à partir des zwittérions 1,3-dipolaires.

2. b. Cycloadditions [3+2] et ylures d’azométhines

Les ylures d’azométhines sont des dipôles 1,3 couramment utilisés dans la synthèse d’azahétérocycles à cinq chaînons. Ils sont principalement obtenus par thermolyse de N-alkyl ou N-arylaziridines.32 Heine et Peavy, Padwa et Hamilton ainsi que Huisgen et al. ont été les premiers à rapporter la formation d’ylures d’azométhines par ouverture thermique d’aziridines selon un mode conrotatoire, en accord avec les règles de Woodward-Hoffmann (Schéma 25).33,34,35 Dans ce type de réaction, c’est la liaison C-C de l’aziridine qui est rompue; l’ylure d’azométhine résultant est stabilisé de façon interne par délocalisation des charges sur le dipôle 1,3.

Schéma 25 : Formation d’ylure d’azométhine

Ainsi, les aziridines 28-cis et trans conduisent respectivement aux ylures d’azométhines 29-trans et cis. Ces derniers peuvent ensuite être piégés in situ par différents dipolarophiles (ex : alcynes) pour former les hétérocycles azotés correspondants 30 (Schéma 26).

32 Coldham, I.; Hufton, R. Chem. Rev.2005, 105, 2765-2810; Pandey, G.; Banerjee, P.; Gadre, S. R. Chem. Rev.2006, 106, 4484-4517.

33 Padwa, A.; Hamilton, L. Tetrahedron Lett.1965, 6, 4363-4367.

34 Huisgen, R.; Scheer, W.; Szeimies, G.; Huber, H. Tetrahedron Lett.1966, 7, 397-404.

Schéma 26 : Piégeage des ylures d’azométhines par un alcyne

En 1987, Takano et al. ont mis à profit cette réactivité pour réaliser la synthèse totale de l’acide acromélique A (Schéma 27).36

Schéma 27 : Application en synthèse totale de la cycloaddition [3+2] à partir d’un ylure d’azométhine

D’autre part, durant ces vingt dernières années, de nombreux groupes ont largement exploité la réactivité des zwittérions 1,3 provenant des aziridines activées correspondantes.

2. c. Cycloadditions [3+2] et dipôles 1,3

En présence d’un acide de Lewis, les aziridines portant un substituant électroattracteur sur l’atome d’azote conduisent à la formation de zwittérions 1,3 par rupture d’une des deux liaisons C-N des aziridines. Contrairement aux ylures d’azométhines, les dipôles 1,3 obtenus par rupture d’une des liaisons C-N sont stabilisés de manière « externe » par les substituants de l’aziridine. Par exemple, la charge positive du dipôle 31 est stabilisée par délocalisation sur le noyau phényle et la charge négative portée par l’atome d’azote est stabilisée par le groupe tosyle (groupe électroattracteur) (Figure 9).

Figure 9 : Stabilisation de l’intermédiaire dipolaire 1,3

Ces intermédiaires peuvent ensuite réagir avec différents dipolarophiles tels que les alcènes, alcynes, composés carbonylés, nitriles pour former les hétérocycles à cinq chaînons correspondants.

Nous nous limiterons à la présentation de quelques cycloadditions [3+2] récentes permettant d’accéder à divers hétérocycles azotés (Figure 10).37

Figure 10 : Quelques hétérocycles azotés accessibles par cycloadditions [3+2] à partir d’aziridines activées

Les groupes de Hiyama et de Zwanenburg ont rapporté successivement leurs travaux concernant la réaction entre des aziridines activées et des nitriles en présence d’une quantité catalytique de BF3·OEt2 permettant d’accéder aux imidazolines correspondantes (Schéma 28).38,39 Compte tenu des régio- et stéréosélectivités totales observées, la cycloaddition se fait probablement en deux temps, commençant par une réaction de type SN2 pour former l’intermédiaire 33 qui cyclise ensuite pour conduire à l’imidazoline 34.

Schéma 28 : Travaux de Zwanenburg et al.

De manière analogue, dans les années 2000, Mann et al. ont montré qu’il était possible de synthétiser des pyrrolidines diversement substituées en faisant réagir des N-tosyl-2-arylaziridines avec des allylsilanes, des oléfines ou des éthers d’énols cycliques en présence de BF3·OEt2 (Schéma 29).40

37 Revue récente sur la formation d’hétérocycles azotés à cinq chaînons par réaction de cycloaddition [3+2] à partir d’aziridines activées : Cardoso, A. L.; Pinho e Melo, T. M. V. D. Eur. J. Org. Chem.2012, 2012, 6479-6501; Dauban, P.; Malik, G. Angew. Chem. Int. Ed.2009, 48, 9026-9029.

38 Hiyama, T.; Koide, H.; Fujita, S.; Nozaki, H. Tetrahedron1973, 29, 3137-3139.

39 Legters, J.; Willems, J. G. H.; Thijs, L.; Zwanenburg, B. Recl. Trav. Chim. Pays-Bas1992, 111, 59-68.

40 Schneider, M.-R.; Mann, A.; Taddei, M. Tetrahedron Lett.1996, 37, 8493-8496; Ungureanu, I.; Bologa, C.; Chayer, S.; Mann, A. Tetrahedron Lett.1999, 40, 5315-5318; Ungureanu, I.; Klotz, P.; Mann, A. Angew. Chem. Int. Ed.2000, 39, 4615-4617.

Schéma 29 : Synthèse de pyrrolidines par cycloaddition [3+2] en présence de BF3·OEt2

À partir de l’allyltriméthylsilane, les pyrrolidines 36-cis et trans sont obtenues avec un rendement de 44% (cis/trans 1/1); un produit secondaire, l’amino oléfine 37, a également été formé en quantité non négligeable (36%). Dans le cas du dihydropyrane et des oléfines gem-disubstituées telles que le méthylènecyclohexane, la réaction est totalement régiosélective : seuls les composés 35 et 38 sont respectivement formés.

Le même type de transformation avec une quantité catalytique de triflate de scandium (III) a été publié par le groupe de Yadav en 2001.41 Un peu plus tard, Bergmeier et al. ont étendu le champ d’application des cycloadditions [3+2] en développant une version intramoléculaire totalement régiosélective; divers composés azabicycliques ont ainsi pu être synthétisés (Schéma 30).42

Schéma 30 : Cycloadditions dipolaires 1,3 intramoléculaires en présence de BF3·OEt2

D’autre part, Yadav et al. ont développé des conditions réactionnelles permettant d’étendre le champ d’application de la réaction 1,3-dipolaire.43 En effet, ils ont montré que les aziridines β-silylées 39 étaient de bons précurseurs de zwittérions 1,3 capables de réaliser la cycloaddition [3+2] avec des composés carbonylés et des nitriles en présence d’une quantité stoechiométrique de BF3·OEt2 (Schéma 31). Les groupes silylés des imidazolines 40 et oxazolines 41 peuvent ensuite être utilisés pour réaliser de nouvelles transformations fonctionnelles.

41 Yadav, J. S.; Reddy, B. V. S.; Pandey, S. K.; Srihari, P.; Prathap, I. Tetrahedron Lett.2001, 42, 9089-9092.

42 Bergmeier, S. C.; Katz, S. J.; Huang, J.; McPherson, H.; Donoghue, P. J.; Reed, D. D. Tetrahedron Lett.2004, 45, 5011-5014; Krake, S. H.; Bergmeier, S. C. Tetrahedron2010, 66, 7337-7360.

Schéma 31 : Synthèse d’imidazolines et d’oxazolidines à partir d’aziridines β-silylées

Très récemment, les équipes de Yang et Li ont appliqué la réaction de cycloaddition [3+2] à des aziridinofullerènes

42.44 En présence d’aldéhydes ou cétones, elle permet d’accéder de manière rapide et efficace aux fullerooxazolidines correspondantes 43 avec des rendements allant de 56 à 94% (Schéma 32).

Schéma 32 : Synthèse de fullerooxazolines par cycloaddition [3+2] en présence de BF3·OEt2

Ce type de cycloaddition [3+2] peut également se faire en présence de triflate de scandium. Nakagawa et Kawahara ont notamment démontré tout l’intérêt de ces développements méthodologiques dans le cadre de la synthèse totale de la physostigmine (Schéma 33).45

Schéma 33 : Application en synthèse totale de la cycloaddition [3+2] en présence d’acide de Lewis

44 Yang, H.-T.; Xing, M.-L.; Zhu, Y.-F.; Sun, X.-Q.; Cheng, J.; Miao, C.-B.; Li, F.-B. J. Org. Chem.2014, 79, 1487-1492.

Plus récemment, le groupe de Wu a mis au point un système catalytique sans solvant, également à base de triflate de scandium, permettant d’accéder dans des conditions très douces à des imidazolines à partir de nitriles aliphatiques et aromatiques avec des rendements allant de 51 à 94% (Schéma 34).46

Schéma 34 : Synthèse d’imidazolidines par cycloaddition [3+2] catalysée par Sc(OTf)3

De plus, Wender et al. ont développé un système catalytique chimiosélectif à base d’hexafluoroantimonate d'argent compatible avec une large gamme d’alcynes aromatiques et aliphatiques(Schéma 35).47 Ils ont également montré qu’il était possible de réaliser cette réaction en présence d’une quantité catalytique d’acide de Brønsted tel que l’acide trifluorométhanesulfonique.

Schéma 35 : Synthèse de pyrrolines par cycloadditions [3+2] catalysée par AgSbF6

En 2011, l’équipe de Hanamoto a montré qu’une quantité catalytique d’hexafluoroantimonate d'argent permettait de réaliser des cycloadditions [3+2] entre la 2-trifluorométhyl-N-tosylaziridine 44 et divers aldéhydes (Schéma 36).48 Cette méthode donne d’excellentes régio- et stéréosélectivités mais n’est pas transposable aux cétones.

Schéma 36 : Synthèse d’oxazolidines par cycloadditions [3+2] catalysée par AgSbF6

L’équipe de Singh a notamment montré qu’il était possible de former des imidazolines 46 et des oxazolidines 47

à partir des nitriles et des cétones correspondants avec de bons rendements (Schéma 37) en utilisant du triflate de zinc.49

46 Wu, J.; Sun, X.; Xia, H.-G. Tetrahedron Lett.2006, 47, 1509-1512.

47 Wender, P. A.; Strand, D. J. Am. Chem. Soc.2009, 131, 7528-7529.

48 Maeda, R.; Ishibashi, R.; Kamaishi, R.; Hirotaki, K.; Furuno, H.; Hanamoto, T. Org. Lett.2011, 13, 6240-6243.

49 Prasad, B. A. B.; Pandey, G.; Singh, V. K. Tetrahedron Lett.2004, 45, 1137-1141; Gandhi, S.; Bisai, A.; Prasad, B. A. B.; Singh, V. K. J. Org. Chem.2007, 72, 2133-2142.

Schéma 37 : Synthèse d’imidazolidines et d’oxazolidines par cycloadditions [3+2] catalysée par Zn(OTf)2

Une méthodologie récente mettant en jeu des alcynes aromatiques en présence de trichlorure de fer (III) a été publiée par le groupe de Wang (Schéma 38).50 Ils ont montré qu’il était possible d’obtenir des pyrrolines avec une régiosélectivité totale, permettant ainsi d’étendre la gamme d’hétérocycles accessibles par ce type de cycloaddition [3+2].

Schéma 38 : Synthèse de pyrrolines par cycloadditions [3+2] catalysée par FeCl3

En 2013, l’équipe de Kurahashi et de Matsubara a développé un système catalytique à base de porphyrine de manganèse (I) permettant de réaliser des cycloadditions [3+2] entre des N-tosylaziridines et des oléfines dérivées du styrène (Schéma 39).51

Schéma 39 : Synthèse de pyrrolidines par cycloaddition [3+2] catalysée par Mn(TPP)SbF6

Ainsi, le type de dipôle 1,3 formé dépend fortement de la nature des substituants présents sur l’aziridine de départ. La rupture d’une liaison C-N (C-C) sera favorisée par la présence d’un groupe électroattracteur (électrodonneur) sur l’atome d’azote et d’un groupe capable de stabiliser l’anion (cation) formé sur l’atome de carbone de la liaison C-N (C-C). La réactivité des aziridines ayant été présentée, nous allons maintenant pouvoir nous intéresser au projet de recherche à proprement parler.

50 Fan, J.; Gao, L.; Wang, Z. Chem. Commun.2009, 5021-5023.

Cycloadditions [3+2] à partir d’aziridines