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2.2 Les Cris du territoire de la Baie-James

2.2.4 Règlements cris pour la chasse à la bernache et à

En plus des règles de chasse cries qui s’appliquent à toutes les espèces (voir section 2.2.3), la chasse à la bernache du Canada et à l’oie des neiges fait l’objet d’une réglementation crie spéciale. Ces lois coutumières sur la bernache et les oies s’ajoutent aux lois coutumières existantes pour les autres espèces animales lorsqu’elles n’entrent pas en conflit avec elles, sinon elles ont préséance. Dans les paragraphes qui suivent, la notion d’oie est utilisée pour identifier ces deux espèces, pour mieux représenter la terminologie utilisée par les Cris, qui regroupe les deux (2) espèces sous le terme oie. La chasse à l’oie a lieu deux fois par année, au printemps et à l’automne. Ces périodes appelées relâche à l’oie (Goose

Break en anglais) sont des périodes de célébration.521 Celle du printemps est la plus importante et un plus grand nombre de personnes y prend part.522 Il n’est pas rare de voir des familles de l’intérieur du territoire se joindre aux familles de la côte pour prendre part à la chasse.523

Sur une ligne de trappe où il y a une chasse à l’oie, le maître-piégeur devient aussi le superviseur de cette chasse appelée Baash-chi-cho Ouje-Maaoo en cri. Dans certaines communautés, il arrive que ce poste soit donné à une personne autre que le maître-piégeur, cependant ce dernier est consulté dans le choix du superviseur de la chasse à l’oie. Le superviseur de la chasse à l’oie a des responsabilités et des pouvoirs de direction sur le territoire de chasse. Sa responsabilité principale vise la gestion durable des populations d’oies pour les générations présentes et futures. Il veille à ce que toutes les personnes présentes

521 HUGHES. J.R. et al., Breeding ecology of Canada Geese near the Laforge-1 hydroelectric

reservoir in north-central Quebec, [In] DICKSON. K.M. (Ed.), Towards Conservation of The Diversity of Canada Geese (Branta canadensis), Canadian Wildlife Service, Occasional

Paper, No.103 : 2000. 522

ROUÉ, op.cit. 523

respectent la terre et les animaux et que la chasse se déroule de manière sécuritaire. C’est lui qui dirige la chasse, assigne les postes aux chasseurs, détermine le nombre d’oies qui doivent être chassées et s’assure que les prises sont distribuées de manière équitable. Il doit aussi partager ses connaissances sur le mode de vie traditionnel des Cris et non pas se limiter à ce qui a trait à la chasse à l’oie, permettant ainsi une transmission intergénérationnelle du savoir.

L’épouse du superviseur de la chasse à l’oie, aussi appelée la Baash-chi-cho

Ouje-Maasquow, est responsable de la tenue du camp et de la préparation des

oies une fois rapportées au camp. Il existe une séparation de tâches selon le sexe dans la société crie. Ainsi, il est rare de voir des femmes qui chassent ou des hommes qui s’occupent du camp. C’est donc la Baash-chi-cho Ouje-Maasquow qui identifie les tâches de chaque femme crie au camp et qui est responsable de la transmission du savoir aux enfants en ce qui a trait à la préparation de la viande. Elle doit éviter tout gaspillage. Ceci est très important et il peut arriver que la chasse soit arrêtée pendant une certaine période pour permettre le traitement et la conservation appropriés des oies déjà récoltées. Cette décision d’arrêter la chasse se fait conjointement avec le superviseur de la chasse à l’oie.

L’endroit où se déroule la chasse s’appelle le lieu du camp à l’oie. Tout Cri présent sur le lieu du camp à l’oie est tenu de respecter les règlements mis en place par le superviseur de la chasse à l’oie et d’éduquer les enfants et les jeunes sur les traditions de la chasse à l’oie.524 Les jeunes cris sont limités à un nombre de prises inférieur à celui des adultes tant qu’ils n’ont pas démontré une bonne compréhension des traditions et pratiques cries.

Chaque jour, le superviseur de la chasse à l’oie choisit un site sur le territoire où les participants vont chasser. Il y a une rotation des sites pour éviter une trop

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grosse pression sur les oies. « These practices have the effect of diffusing hunting pressure in space and time, with the goal of not disturbing migratory geese past a threshold beyond which they would avoid the territory altogether. »525 De plus, les Cris évitent de tirer sur le groupe principal d’oiseaux, se concentrant davantage sur les sous-groupes plus à l’écart, pour éviter de perturber la migration, sachant que lorsqu’il y a une forte pression de chasse à un endroit, les voiliers d’oies peuvent communiquer ce danger entre elles (voir section 3.1.6).526 En somme, le choix du site de chasse se fait selon de nombreux critères humains (par ex. : nombre de chasseurs, capacité des chasseurs), biologiques (par ex. : comportement des bernaches) et climatiques (par ex. : direction du vent, température).

Finalement, tous les chasseurs doivent suivre des règles coutumières et ont des responsabilités. Celles-ci varient légèrement selon les communautés et peuvent être mises de côté en situation d’urgence. La chasse à l’oie est limitée aux besoins des Cris puisqu’aucune vente de viande d’oie n’est permise. Il faut aussi manier avec précaution toute arme et éviter tout comportement compétitif. Toute personne à proximité du lieu du camp à l’oie est tenue d’agir avec circonspection et ainsi éviter des comportements qui pourraient déranger les chasseurs ou les oies (par ex. : minimiser les bruits, cacher toute source de flamme, ne pas laisser des vidanges, ne pas nourrir les oies). D’autres règles touchent plus directement la chasse (par ex. : chasser uniquement en plein jour, ne pas chasser lorsque la période de couvaison est avancée, ne pas chasser lorsque les oies sont dans leur période de mue) et les valeurs culturelles (par ex. : ne pas consommer la moelle des oies lorsqu’on est une femme, ne pas chasser les dimanches - règle

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PELOQUIN, BERKES, Local Knowledge, Subsistence..., op.cit., p.537

« Ces pratiques ont comme effet de diffuser la pression de la chasse dans le temps et l’espace, dans le but de ne pas déranger les oies migratrices au-delà du seuil après lequel elles éviteraient totalement le territoire. »

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provenant de l’intégration de la religion chrétienne à la société crie).527,528,529 Ceci n’est qu’un bref aperçu des lois cries régissant la chasse à l’oie.

La bernache du Canada est, par ailleurs, liée à de nombreux rites de passage traditionnels, dont la cérémonie de sortie par laquelle les jeunes enfants sont présentés comme membres actifs de la communauté. Durant cette cérémonie, le jeune garçon qui est présenté à la société crie doit chasser sa première bernache. Cette cérémonie se déroule peu après que l’enfant ait appris à marcher et a une valeur symbolique. Le garçon transporte un fusil-jouet et fait semblant de tirer sur une bernache déjà tuée placée à proximité du camp. Ensuite il ramène son gibier à la maison prouvant qu’il est capable de subvenir à ses besoins. Les jeunes filles transportent une hache-jouet et rapportent un fagot de bois déjà préparé. Il existe aussi la tradition de la danse à l’oie. Cette danse utilise des plumes de bernache et se pratique lors de cérémonies en l’honneur de la chasse à l’oie. Les cérémonies pratiquées varient selon la communauté et il arrive aussi qu’une cérémonie soit abandonnée au profit d’une autre.

Plus que toute autre chasse, la chasse à l’oie, et plus particulièrement à la bernache du Canada, est une tradition importante pour les Cris. Certains ont comparé la chasse à l’oie du printemps aux fêtes de Noël pour les chrétiens.530 La chasse à l’oie de l’automne, quoique moins importante que celle du printemps, est aussi un temps de réjouissance. Cette chasse conserve donc une importance particulière pour les nations cries, étant autant liée aux valeurs culturelles qu’à leur alimentation.

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CTA, Traditional Eeyou Hunting Law, op.cit. 528

Cree Trappers Association’s Committee of Chisasibi, op.cit. 529

SCOTT, Hunting Territories ..., op.cit. 530