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PARTIE 1 – PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

3.2. Questions et itinéraire de recherche

« les manières de faire dans une optique de production (…) les manières concrètes d’agir des agriculteurs ». Cette définition offre, pour notre étude, et dans le contexte actuel, plusieurs intérêts : - elle ne fige pas a priori la manière dont peuvent être étudiées ces pratiques, laissant ainsi les méthodes d’étude émerger de nos observations, du terrain ;

- elle insiste sur le fait que la pratique d’un agriculteur est un évènement situé, lié à l’action dans un contexte spécifique et qui inclut une dimension temporelle (Blanc-Pamard et al., 1992), ainsi les pratiques ne peuvent pas être résumées à des connaissances explicitables, figées ;

- Telle que définie par Landais et al. (1987), par comparaison à la notion de technique, elle permet de distinguer les activités des agriculteurs de celles des prescripteurs : « la pratique est de l'ordre de l'action

(…) La technique est un modèle conceptuel (…) Elle n'acquiert cette dimension de modèle que parce qu'elle est décrite in abstracto sans référence à une situation concrète, ce qui la rend transmissible. »

3.2. Questions et itinéraire de recherche

Explorer la littérature sur ce qu’est ‘concevoir’ en agronomie nous a permis de constater la diversité des modalités d’implication des agriculteurs au cours de ces processus (ex. on les implique pour fournir des informations versus on les accompagne dans le changement). Mais nous n’avons pas trouvé de travaux qui évoquent les implications de la manière de conduire l’étude de pratiques innovantes d’agriculteurs dans les processus de conception. En retour, la littérature sur l’étude de pratiques d’agriculteurs évoque souvent les relations avec une activité de conception, mais parmi les différentes approches existantes aujourd’hui, on a peu de recul sur ce que différentes manières de conduire ces études (représentations mobilisées, démarches d’analyse…) induisent pour les activités de conception, pour les propriétés des prescriptions générées et, plus largement, pour les acteurs impliqués.

Ainsi, par ce travail, nous proposons d’explorer la question de recherche suivante :

Comment et dans quelles situations l’étude de pratiques innovantes d’agriculteurs stimule-t-elle des activités de conception en agronomie ?

Dans ce travail, nous appréhendons les relations entre conception et étude des pratiques innovantes d’agriculteurs en nous appuyant sur l’hypothèse que cette dernière est une voie empruntée par des concepteurs pour enrichir, de différentes façons, des activités collectives de conception en agriculture. Nous proposons d’appréhender ces relations (i) par l’étude des raisonnements qu’elles engagent (et leur instrumentation) qui, pour nous, se construisent et évoluent dans et par l’action située, et en lien avec les intentions, les projets, les envies des concepteurs concernés et (ii) par l’étude des prescriptions

33 générées et mises en circulation (i.e. les contenus agronomiques que des concepteurs en agronomie décident de mettre en partage avec des agriculteurs).

Cette thèse poursuit deux objectifs, intimement liés et qui ont guidé la construction et la réalisation de notre itinéraire de recherche : le premier, théorique, est de contribuer à la compréhension des relations entre ‘étude des pratiques innovantes d’agriculteurs’ et ‘activités de conception en agronomie’, et en particulier en lien avec les enjeux contemporains de l’agriculture. Ce premier objectif est indissociable d’un second, qui est d’identifier des pistes de réflexivité et des repères pour agir pour les personnes souhaitant s’engager dans l’étude de pratiques innovantes d’agriculteurs dans un projet de conception. Nous avons exploré cette question générale de thèse au travers de 4 sous-questions plus spécifiques (Figure 7). Nous détaillerons les méthodes déployées pour répondre à chaque sous-question dans les chapitres de résultats.

34 Chapitre 1 : approche généalogique

Dans le § 1. de cette partie « Problématique », nous avons constaté qu’en agronomie, une diversité de manières de concevoir et d’étudier des pratiques d’agriculteurs existent aujourd’hui, sans pour autant que les liens entre ces deux activités, dans leur diversité, aient été étudiés. L’objectif du chapitre 1 des résultats sera de mettre en perspective ces approches contemporaines, dans leur diversité, avec des approches historiques de la conception en agronomie. Pour ce faire, nous avons fait le choix d’une approche généalogique : nous faisons l’hypothèse que revenir aux racines de l’émergence de différentes approches de conception en agronomie permettra de mieux comprendre l’origine de différenciations existant aujourd’hui, et les enjeux relatifs à l’étude de pratiques ‘innovantes’ d’agriculteurs dans le contexte contemporain. Dans ce chapitre 1 de résultats, nous explorerons la question suivante :

Quelles ont été les différentes approches pour ‘concevoir’ en agronomie, et, y étudiait-on des pratiques d’agriculteurs ?

Dans ce premier chapitre, nous montrons que, dès les fondements de l’agronomie, au 18ème siècle, les agronomes se sont inspirés de pratiques d’agriculteurs pour générer des prescriptions visant à transformer les manières d’agir pour produire ; puis, en lien avec l’évolution de la discipline, l’étude des pratiques est devenue marginale dans les travaux. Nous spécifions ce résultat en caractérisant 5 régimes archétypiques de conception, émergeant en France du 18ème au 21ème siècles, et nous montrons que le rapport aux pratiques d’agriculteurs se renouvelle aujourd’hui en agronomie, en réponse aux enjeux actuels. C’est ce renouvellement que nous approfondissons ensuite au travers de l’étude de plusieurs initiatives contemporaines.

Chapitre 2 : Etude de 12 cas

Dans le second chapitre, nous avons choisi de nous intéresser à des initiatives contemporaines, dans lesquelles des acteurs de la R&D étudient des pratiques qu’ils jugent innovantes d’agriculteurs – donc a priori inconnues - en soutien à des dynamiques de changement. Notre objectif dans ce chapitre sera, par l’étude transversale de 12 initiatives, de mettre à jour ce qui stimule l’initiation de l’étude de ces pratiques, et, surtout, de caractériser des raisonnements à l’œuvre dans ces opérations. L’étude des 12 initiatives nous permettra d’explorer la question suivante :

Comment et dans quelles situations étudie-t-on aujourd’hui des pratiques innovantes d’agriculteurs au cours d’activités de conception?

Cette étude, présentée dans le chapitre 2, nous permettra de rendre compte de processus épistémiques clés, sous-jacents à l’étude de pratiques innovantes, et au cours desquels les concepteurs outillent leurs

35 explorations dans l’inconnu. Nous rendrons aussi compte de relations entre les raisonnements engagés et différents types de contenus agronomiques prescriptifs mis en circulation par les concepteurs à partir de ce qu’ils ont appris des pratiques innovantes.

Chapitre 3 et 4 : étude intrinsèque d’un cas et recherche intervention

Nous avons ensuite choisi de focaliser notre travail sur deux initiatives portées par des acteurs de la R&D agricole, afin d’approfondir certains résultats issus du panel de cas précédent, d’en faire émerger de nouveaux et de nous mettre en situation de conception, au travers d’une recherche intervention. Nous avons d’abord porté notre attention sur des activités de l’Atelier Paysan, une initiative que nous avons découverte au cours de l’étude du panorama précédent. Le projet de l’Atelier Paysan est de contribuer à stimuler la conception en ferme d’outils agricoles pour une « agriculture biologique et paysanne », un champ de conception jusque-là orphelin de travaux de recherche et développement publics. Pour ce faire, l’Atelier Paysan organise le recensement de pratiques innovantes d’agriculteurs, dont il stimule parfois l’émergence en ferme.

Notre objectif, par l’étude de ce cas, sera de mieux comprendre comment, par l’étude de pratiques innovantes, l’Atelier Paysan stimule l’émergence d’une diversité d’objets innovants, notamment des outils et des systèmes techniques appropriés en ferme, mais aussi des contenus prescriptifs. L’étude de ce cas nous permettra d’explorer la question suivante :

Comment l’étude de pratiques innovantes d’agriculteurs stimule-t-elle la conception simultanée d’outils et de systèmes de culture en ferme ?

Cette étude, présentée dans le chapitre 3, nous permettra de rendre compte de la façon dont l’Atelier Paysan articule trois voies d’exploration de pratiques innovantes, en soutien à la conception d’outils en ferme. Et les résultats rendent compte du fait que l’étude de pratiques innovantes au cours de leur émergence en situation, contribue à stimuler la conception couplée d’outils et de systèmes de culture adaptés à différentes situations d’agriculteurs.

Enfin, nous nous sommes intéressées au projet VivLéBio, porté par Agro-Transfert Ressources et Territoires, au moment de son initiation. En particulier, l’une des tâches de ce projet visait à mettre en œuvre une étude de pratiques innovantes, avec l’hypothèse que ce travail permettrait d’enrichir la conception de modalités de gestion des adventices vivaces en AB dans la région des Hauts-de-France. Notre objectif dans ce chapitre sera d’étudier les contributions d’une étude de pratiques innovantes dans l’exploration d’un champ de conception qui, cette fois-ci, a fait l’objet de nombreux travaux de R&D (la gestion des adventices vivaces). En particulier, au travers d’une recherche intervention, nous aurons l’occasion de suivre en détail la construction de relations entre la réalisation de l’étude de pratiques innovantes et les expansions induites dans les raisonnements de conception. Par cette recherche intervention nous avons exploré la question suivante :

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Comment s’appuyer sur l’étude de pratiques innovantes pour enrichir les représentations agronomiques dans un contexte de transition vers l’AB ?

Ce travail, présenté dans le chapitre 4, nous permettra de rendre compte de mécanismes d’articulation entre étude de pratiques et activités de conception, dans l’optique de stimuler le renouvellement de représentations agronomiques, et d’ouvrir de nouvelles voies de conception de contenus agronomiques à visée prescriptive.

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