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Nature des contenus agronomiques à visée prescriptive mis en circulation

PARTIE 2 – RESULTATS

4.3. Nature des contenus agronomiques à visée prescriptive mis en circulation

Tous les porteurs de cas ont mis en circulation, auprès d’agriculteurs et/ou de conseillers des contenus agronomiques prescriptifs à partir de ce qu’ils ont appris sur les pratiques. Ces contenus mis en circulation résultent de choix que font les porteurs de cas, concernant ce qu’ils jugent pertinent et utile de transmettre, directement ou indirectement à des agriculteurs, pour, disent-ils, « leur donner des idées », « leur donner envie de changer »... Nous présentons ici une catégorisation des contenus que nous avons étudiés : des témoignages, des logiques d’action génériques, des gammes d’options techniques, des processus agronomiques décontextualisés illustrés en pratique, et des règles de décision.

Des témoignages. Ces contenus se rapportent aux récits de pratiques d’agriculteurs, toutes très diverses, ayant en commun de se référer à un même champ d’innovation (ex. la viticulture biologique). Ces témoignages sont mis en circulation soit sous la forme de supports écrits, soit au cours d’échanges oraux (ex. portes ouvertes à la ferme), soit au travers de vidéos. Dans le cas des supports écrits et des échanges oraux, le récit de l’agriculteur restitue son expérience pour rendre compte de ce qui l’a conduit à imaginer des systèmes techniques et à les mettre en œuvre comme il l’a fait. Le récit établit des liens systémiques entre les techniques qu’il a mises en œuvre, des spécificités de sa situation, des performances et les conditions de ses actions (dont les indicateurs qu’il mobilise pour agir). Dans la majorité des cas, les récits des agriculteurs sont complétés, par écrit ou oralement (par un conseiller

98 agricole), par d’autres contenus agronomiques (notamment pour aider au processus de dé-contextualisation et re-dé-contextualisation dans une autre situation) : interprétations des processus naturels en jeu, résultats d’évaluation sur d’autres critères que ceux de l’agriculteur, conditions d’adaptation des actions de l’agriculteur dans d’autres contextes, ou pistes pour imaginer des alternatives techniques (Encadré 11). Dans deux cas (Agri’novateurs, Osae), l’écrit ne constitue qu’une étape de la capitalisation sur une expérience d’agriculteurs : chaque témoignage est mis à jour annuellement pour tracer l’évolution des pratiques (Encadré 11). Dans les cas Agri’novateurs, Atelier Paysan, Osae, Innov’Action, on trouve, associés aux témoignages, les contacts des agriculteurs témoignant, ouvrant des possibilités d’échanges plus approfondis sur des contenus dépassant ceux proposés dans les supports écrits. Dans trois cas (Innov’Action, Agri’novateurs, Osae), les témoignages d’agriculteurs sont mis en commun au cours d’échanges physiques, les contenus en circulation sont alors plus flexibles que sur des supports écrits, dans la mesure où ce qui est échangé s’adapte aux interactions entre les participants. Les témoignages sontdans deux cas mis en scène, au travers de vidéos (Osae, Atelier Paysan). On peut y visualiser les actions que réalise un agriculteur en relation avec l’état initial et les évolutions des états de sa situation (milieu : sol, climat, observation de ravageurs ; travail réalisé par un outil, etc.). Parfois, l’agriculteur commente ce qu’il fait et décrit les informations que lui renvoie la situation, et qui lui permettent d’évaluer les effets de son action. La vidéo offre la possibilité de visualiser les liens systémiques régissant la cohérence entre les actions, la situation, les processus agronomiques en jeu et les états du milieu obtenus. Dans le cas Osae, on trouve aussi des vidéos qui rendent compte de ce qu’ils appellent les ‘déclics’ des agriculteurs, c’est-à-dire les moteurs qui les ont conduits à faire évoluer leurs pratiques (une mise en cohérence des pratiques avec de nouvelles valeurs, des problèmes de santé…).

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Encadré 11. Extrait d’un témoignage écrit, produit dans le cadre du projet Vitinnobio (Petit et al., 2018)

Témoignage d’un agriculteur sur : des moutons pour la gestion de l’herbe et l’effeuillage en viticulture biologique « Cette ferme est conduite en agriculture biologique depuis 1988. Ce n’est donc pas le vignoble qui a subi une conversion, mais le nouveau vigneron qui a dû s’adapter à l’agriculture biologique. A son arrivée le principal problème était la gestion de l’herbe en raison du peu de matériel disponible. Il a investi dans du matériel d’occasion au fur et à mesure mais ce matériel s’est révélé peu adapté aux différentes densités de plantation présentes sur le domaine. Attaché à la préservation de la biodiversité et à l’association animal/végétal, le vigneron a essayé de trouver des solutions à son problème d’herbe par l’intégration d’animaux d’élevage. (…) Initialement, le vigneron avait du mal à gérer convenablement le développement d’herbe sous le rang en début de saison, par manque de temps et d’équipement. Face à cela, il a choisi d’installer des moutons en pâturage d’hiver, des vendanges au débourrement, afin qu’ils tondent les parcelles de manière rase en broutant l’herbe du rang et de l’inter-rang. Il estime que le travail des moutons lui permettait de gagner les 10 à 15 jours qu’il lui manquait au printemps dans les années humides, en raison de son manque d’équipement pour la gestion de l’herbe. Sur la plupart de ses parcelles (vignes larges), un enherbement est laissé un rang sur deux. Le rang enherbé est tondu au printemps tandis que le rang nu est travaillé à l’aide d’un outil de type griffe. Les vignes étroites, elles, sont décavaillonnées et travaillées sur tous les inter-rangs avec des disques, puis une herse rotative et éventuellement le vibroculteur. Sous le rang, un léger chaussage à l’automne, puis un passage de tournesol sont effectués. Au final, le vigneron est satisfait de la gestion des adventices, en particulier au niveau du cavaillon. L’installation des moutons a modifié l’itinéraire technique car les engrais verts ont été supprimés sur les parcelles pâturées. » Commentaires sur le témoignage, rédigés par les porteurs de cas et ajoutés en complément dans le support écrit : « Associé à la viticulture, le pastoralisme peut donner des résultats intéressants : amélioration de la biodiversité, entretien de l’enherbement du rang et de l’inter-rang ; On peut aussi ajouter l’apport de matière organique par les déjections animales, mais nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de quantifier ces apports qui dépendent de nombreux facteurs comme l’alimentation et le stress. (…) L’utilisation des moutons permettait donc sur un domaine de 14 ha de gagner 56 heures de travail et d’économiser ainsi plus de 3 000 euros par an (tableau 2). Dans cet exemple, l’investissement initial peut être rentabilisé en quatre ans. (…) Si le vigneron ne peut pas ou ne veut pas investir, l’idéal serait d’établir un contrat avec un éleveur voisin, pour convenir d’une entente sur l’utilisation des parcelles du vigneron pour le pâturage des brebis voisines. Les deux agriculteurs seraient bénéficiaires de cet accord. Le vigneron n’aurait pas besoin de passer son temps à s’occuper des bêtes, et le travail des brebis dans la parcelle lui ferait gagner le temps de la tonte. Quant à l’éleveur, il bénéficierait d’aliment frais et gratuit pour nourrir son troupeau

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Des logiques d’action génériques. Ces contenus agronomiques présentent des relations génériques entre des actions, des états du milieu et des processus agronomiques (Encadré 12). Ces contenus sont un moyen de rendre compte d’une logique d’action ‘décontextualisée’ pour stimuler son adaptation dans d’autres situations. On retrouve ces contenus dans les supports écrits produits dans le cadre de Legitimes, de 4sysleg et de Agri-Bio. Dans ces contenus, les propositions génériques sont parfois associées à des exemples de leur mise en œuvre dans une situation.

Encadré 12. Illustration d’une logique d’action générique sur le cas de l’effet barrière à la dispersion des bioagresseurs en maraichage sous abri, cas 4sysleg, adapté de Dupré (2015)

« Le choix des espèces « barrière » et leur palissage (recherche d’une porosité faible et un port haut) est lié à leur agencement en row intercropping : les plantes potentiellement barrière sont palissées sur fil et disposées pour perturber le déplacement supposé des bioagresseurs ciblés. En choisissant une espèce « barrière » d’une famille botanique différente des autres espèces de l’association, on minimise les risques qu’elle favorise certains bio-agresseurs des autres espèces. »

« L’agriculteur 10 dispose deux rangs hauts de haricot entre des rangs de courgette et de concombre. Sa motivation est de gérer l’oïdium externe des cucurbitacées (Podosphaera xanthii et Golovinomyces cichoracearum). En effet, son hypothèse est que la présence du haricot sera une barrière physique à la dispersion de maladies, puis le vide laissé entre les deux cucurbitacées après son arrachage (espèce de cycle plus court de deux mois) sera un frein à la transmission de la maladie entre les deux cucurbitacées ».

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Des gammes d’options techniques. Ces contenus rendent compte de gammes d’options pour la mise en œuvre d’une technique particulière, et dans chaque cas, les auteurs rendent compte des raisons qui ont conduit les agriculteurs à retenir l’une ou l’autre des options (Encadré 13). Ces raisons constituent de premières pistes pour un concepteur en vue de s’orienter dans la sélection des options proposées. Dans le cas Agri-Bio 1, les contenus mis en circulation mélangent des options techniques mises en œuvre par des agriculteurs dont les pratiques innovantes ont été étudiées, et des options techniques citées dans la littérature (scientifique et technique).

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Des processus agronomiques illustrés en pratique. Dans ces contenus, ce sont des connaissances fonctionnelles décontextualisées, sur des processus agronomiques connus dans la littérature, qui sont présentées (ex. la biologie de certaines adventices, Agri-Bio 2 ; des connaissances sur le cycle de la matière organique, Auto’N). Dans les écrits que nous avons étudiés, les connaissances decontextualisées sont associées à des témoignages d’agriculteurs, contextualisés, dont le récit porte sur les pratiques qu’il a mises en œuvre dans l’optique de gérer durablement le processus agronomique d’intérêt (ex. Encadré 14). Dans ces contenus, le récit permet d’illustrer, en pratique, la manière dont un agriculteur se saisit de ces connaissances décontextualisées pour agir, interpréter ce qu’il se passer et évaluer les effets de ses actions dans sa propre situation.

Encadré 14. Extrait d’un support écrit produit dans le cadre de l’initiative Auto’N Processus agronomiques décontextualisés

« Les Produits Résiduaires Organiques (PRO) désignent les effluents d’élevages, agro-industriels et urbains qui sont épandus dans les champs cultivés. Ils contiennent deux fractions azotées : l'une est minérale, sous forme ammoniacale (NH3) ou uréique qui est facilement assimilable ou volatilisable ; l'autre est organique (COMIFER, 2013). L’effet des PRO dépend de leur composition et notamment du ratio Carbone/Azote total (C/N). Plus ce ratio est faible, plus l’azote apporté sera rapidement disponible. Au contraire, plus le ratio est élevé, plus l’apport aura un effet positif sur le stockage de Carbone mais négatif sur la disponibilité de l’azote apporté.

NB : Les teneurs en lignine et cellulose du PRO conditionnent également sa dégradation. La lignine est très complexe, donc plus difficile à dégrader que la cellulose.

Quand apporter les PRO à C/N > 8 ? La dégradation de ces PRO nécessite aux bactéries de consommer l’azote minéral du sol avant de libérer progressivement l’azote organique des PRO sous forme minérale. Cette phase d’organisation est plus rapide, voire inexistante, si l’humification de la matière organique est avancée (compost). »

Illustration de l’usage de ces connaissances en pratique

« Au GAEC de la Poste, l’élevage de taurillons produit 6000t de fumier par an, destinés principalement à la fertilisation des betteraves. Ils ont choisi de composter ce fumier pour rendre les éléments nutritifs plus disponibles. Ils l’apportent après le ramassage des pailles et avant le semis des moutardes en interculture (développement rapide et forte absorption d’azote). Ainsi, le couvert absorbe l’azote restant après la récolte de blé et celui provenant de la minéralisation du compost, pour en restituer une partie à la betterave. Ils réfléchissent également à fertiliser l’orge de printemps avec du fumier très décomposé sortie hiver. (…) »

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Des règles de décision. Dans ce type de support écrit, les pratiques innovantes qui ont été étudiées par les porteurs de cas n’apparaissent pas explicitement (on ne se réfère pas aux agriculteurs enquêtés). Les contenus agronomiques sont décontextualisés : ils consistent en des liens prédictifs entre des gammes d’options techniques et des situations agronomiques, pour atteindre des performances données. Le guide colza associé à des légumineuses gélives (Encadré 15) en est un bon exemple, il fournit des gammes de règles de décision permettant de constituer des itinéraires techniques adaptés à sa situation. Notons que le guide ne fournit pas de connaissances sur les interactions entre les règles de décision (ex. est-ce que le choix d’une modalité de semis influe sur le choix d’une intervention anti-graminées ?).

Encadré 15. Extrait du guide colza associé avec légumineuses gélives - Réseau Berry

« Gestion de l’interculture : Que le colza soit seul ou associé, l’interculture est gérée de façon identique en tenant compte des exigences du milieu.

Date de semis : La bonne levée du colza et la levée précoce des légumineuses (au plus tard le 1er septembre, sous peine de limiter les bénéfices du couvert associé) conditionnent la réussite de l'association. Le semis doit être avancé par rapport aux recommandations sur colza seul, surtout dans les sols argileux et les régions les plus fraîches, en tenant compte des conditions pédoclimatiques (dans l’idéal, avant une pluie annoncée). Si possible, privilégier les dates précoces des fourchettes conseillées dans les sols les plus froids et argileux des zones concernées, et les dates tardives des fourchettes conseillées dans les sols à plus forte disponibilité en azote (carte).

Interventions anti-graminées : Rattrapage de postlevée, sur repousses de graminées avec un antigraminées foliaire : même raisonnement qu’en colza seul (les produits sont sélectifs des légumineuses); Rattrapage d’entrée ou de sortie hiver sur graminées avec produit racinaire : si les graminées sont la seule cible, utiliser un produit type Kerb Flo ; si, en plus des graminées, l’intervention cible des dicotylédones ou la destruction des légumineuses associées, utiliser un produit type Ielo, Yago. »

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4.4. Eclairages sur des relations entre processus et avec les contenus