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Etudier des pratiques d’agriculteurs : une diversité d’approches

PARTIE 1 – PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

1.2. Etudier des pratiques d’agriculteurs : une diversité d’approches

1.2. Etudier des pratiques d’agriculteurs : une diversité d’approches

La notion de ‘pratique’ est couramment employée dans la littérature en agronomie, pour désigner des processus ou des objets assez différents. Dans ce paragraphe, notre objectif sera de rendre compte des manières dont est aujourd’hui appréhendée l’étude de pratiques d’agriculteurs en agronomie et leur lien avec des activités de conception. Nous choisissons, tout au long de ce travail, d’employer le terme de ‘étude’, tel que défini dans le CNRTL10, pour nous référer aux différents processus épistémiques11, aux enjeux et aux intentions sous-jacents à cette activité. Nous nous référons aux ‘pratiques’ des agriculteurs comme « les manières de faire dans une optique de production (…) les manières concrètes d’agir des agriculteurs » telles que définies par Tessier (1979) et repris par Landais et al. (1987). Pour ces auteurs, la notion de ‘pratique’ doit être distinguée de celle de ‘technique’ : « La technique est un modèle conceptuel (…) Elle n'acquiert cette dimension de modèle que parce qu'elle est décrite in abstracto sans référence à une situation concrète, ce qui la rend transmissible ».

La présentation des façons ‘d’étudier les pratiques d’agriculteurs’, que nous proposons ici, s’inspire des « points de vue sur les pratiques » distingués par Biarnès et Milleville (1998) : « dans le premier point de vue, l’accent est mis sur le fonctionnement de l’agrosystème […] le second point de vue considère le champ cultivé comme un système piloté dans un cadre de contraintes » ; Doré et al. (2006) distinguent de manière analogue un « double regard » sur les « techniques culturales […] : le premier concerne leur effet « sur le champ cultivé », le second « les logiques d’action qui déterminent les évolutions de cet objet matériel ». Nous nous référons aussi à la distinction proposée par Sebillotte (2006) concernant différents ‘objets’ de l’agronomie, à savoir : la parcelle, l’agriculteur cultivant ses parcelles et le territoire. Concernant cette dernière dimension, nous choisissons de circonscrire notre exploration de la littérature aux travaux réalisés à l’échelle de l’exploitation agricole, c’est-à-dire que nous ne détaillerons pas l’ensemble des travaux qui se rapportent à l’étude des pratiques en relation avec les filières (ex. Le Bail, 2012), les systèmes alimentaires (Francis et al., 2003), les territoires (Deffontaines, 1973 ; Boiffin et al., 2014), les systèmes sociotechniques (Belmin, 2016), ou les systèmes agraires (Cochet, 2015). Nous avons organisé notre revue bibliographique sur l’étude de pratiques d’agriculteurs de la manière suivante12 : (i) travaux visant à comprendre les effets sur le milieu cultivé et les performances de pratiques, (ii) travaux sur les déterminants de pratiques d’agriculteurs, (iii) travaux combinant les

10 Définition du mot ‘étude’ du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : « Application méthodique de l'esprit,

cherchant à comprendre et à apprendre (…) Effort d'application orienté vers l'acquisition ou l'approfondissement de connaissances » - http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9tude

11 Nous empruntons le terme épistémique à Cook et Brown (1999) et qualifions de ‘épistémiques’ l’ensemble des processus au cours desquels sont générées et utilisées des connaissances dans l’action (les procédés, leur instrumentation…) ainsi que les processus épistémiques de l’action elle-même (ce que ces auteurs appellent knowing).

12 De nombreux travaux ont été réalisés sur l’étude de pratiques, nous nous centrons avant tout ici sur ceux qui ont fait l’objet de mises au point méthodologiques.

14 regards sur l’étude des déterminants et des effets des pratiques, (iv) travaux portant sur le changement dans les pratiques d’agriculteurs, et enfin, (v) des travaux sur des pratiques singulières d’agriculteurs.

Etudes des effets des pratiques d’agriculteurs sur le milieu cultivé et les performances

Le premier champ de recherche se rapporte à l’étude des effets des pratiques sur le milieu cultivé et les performances. Une première méthode est le diagnostic agronomique (Meynard et David, 1992 ; Doré et al., 1997, 2008), dont l’objectif est d’identifier et hiérarchiser a posteriori les actes techniques et les caractéristiques du milieu responsables d'un ‘problème agronomique’ donné (Meynard et al., 2001). En particulier, on cherche à comprendre les causes de variabilité du rendement, de la qualité des récoltes, ou d’impacts environnementaux (Doré et al., 2008), souvent dans l’optique de produire ou d’enrichir des modèles conceptuels, et de guider l’élaboration de propositions techniques (Loyce et al., 2006).

Figure 3. Modèle conceptuel des composantes d’élaboration du rendement du coton (d’après Rapidel et al., 2004)

Le diagnostic prend appui sur un modèle conceptuel (souvent numérique) du fonctionnement du champ cultivé, considéré comme la combinaison d’un système biophysique et d’un système technique (Figure 3), bâti principalement à partir des connaissances scientifiques disponibles. L’élaboration des modèles s’opère en amont, et est enrichie au cours/ou à l’issu du diagnostic, à partir des résultats obtenus. Pour chaque parcelle agricole impliquée dans le diagnostic13, on relève des informations sur les pratiques mises en œuvre, et on observe ou on mesure différentes performances et variables intermédiaires (orientées par des hypothèses concernant les interactions entre pratiques et performances, formulées à

13 Les parcelles sont souvent choisies pour séparer les effets du sol et du système de culture et afin d’échantillonner la variabilité des situations d’une région, Boiffin et al., 1981.

15 partir de la littérature scientifique et/ou des échanges avec les agriculteurs). On cherche ensuite à hiérarchiser, par une analyse systémique des relations entre les actes techniques, l’évolution des états du milieu et le climat (Meynard et David, 1992)14 et en fonction de niveaux de performance jugés insuffisants. Les critères de performance les plus étudiés sont le rendement (Boiffin et al., 1981), la qualité (Le Bail et Meynard, 2003 ; Belmin, 2016) ou la fertilité du milieu (Clermont-Dauphin et al., 2004).

Associée à ce champ de recherche, on peut aussi citer la méthode yield gap analysis (Van Ittersum et Rabbinge, 1997 ; Van Ittersum et al., 2013), dont les objectifs se rapprochent de ceux du diagnostic agronomique : on cherche à éclairer les causes d’écarts entre des rendements potentiels (rendement atteint avec une conduite ‘optimale’) et des rendements effectifs atteints en ferme, c’est-à-dire les facteurs limitants. Le yield gap analysis s’appuie souvent sur de la modélisation (pour l’estimation du potentiel, en particulier), mais remonte généralement moins que le diagnostic agronomique vers des effets indirects de pratiques. Dans cette méthode, les performances se rapportent avant tout au rendement, et on vise avant tout l’optimisation de l’usage d’intrants (irrigation, apports de fertilisants…).

Enfin, on peut aussi évoquer dans ce paragraphe les travaux portant sur l’évaluation multicritère des pratiques d’agriculteurs, qui ont fait l’objet de nombreuses propositions méthodologiques ces dernières années. L’objectif est, à partir de modèles bâtis sur des connaissances produites dans un cadre scientifique, de comparer les performances de diverses combinaisons de techniques (ex. López-Ridaura et al., 2005 ; Bockstaller et al., 2008).

Etudes de déterminants des pratiques d’agriculteurs

On trouve par ailleurs une série de travaux dans lesquels on cherche à étudier les déterminants des pratiques des agriculteurs. Les travaux les plus emblématiques de ce champ se rapportent à l’étude des raisonnements décisionnels des agriculteurs (dimensions cognitives), prenant appui sur les théories de la décision. On y considère l’agriculteur comme ‘décideur’, pilote et moteur des décisions sur son exploitation.

Des propositions méthodologiques se rapportent au modèle d’action15 (ex. Cerf et Sebillotte, 1997 ; Sebillotte et Soler, 1988), aux modèles décisionnels, déclinés sur différents types de systèmes (ex. système de culture – Aubry et al., 1998, (Figure 4), systèmes d’élevage, systèmes mixtes (Duru et al., 1991), ou encore au modèle du comportement pour l’action (ex. Girard et Hubert, 1999). L’élaboration de ces modèles de décision repose sur des informations recueillies en entretiens, parfois aussi au cours de suivis des décisions prises par les agriculteurs au quotidien (Papy, 1993). Ces travaux reposent donc

14 « A quel moment les différences de rendement se sont-elles creusées ? (…) Quelle est l’origine de la limitation de la

production ? » (Meynard et David, 1992).

16 sur l’hypothèse qu’il est possible de planifier une organisation des décisions de l'agriculteur comme résultant d'un découpage du temps et de l'espace, qui lui permet de traiter d'une façon hiérarchisée les incertitudes auxquelles il doit faire face.

Figure 4. Modélisation de décisions relatives à la constitution des blocs de culture : la zone cultivable (VA2), le délai de retour (VA2), l’ensemble des précédents possibles (VA3) et la taille de la sole (VA4) (d’après Aubry et

al., 1998)

On peut aussi citer ici des travaux dans lesquels on cherche à renseigner des caractéristiques des exploitations agricoles qui induisent des variations dans les pratiques des agriculteurs, dans l’objectif d’adapter les prescriptions à des types de systèmes de production (Capillon et Caneill, 1987 ; Capillon, 1993 ; Le Bellec et al., 2011). L’élaboration de ces typologies s’opère souvent à l’échelle de microrégions, en relation avec des cultures ou élevages particuliers ; et c’est au travers d’enquêtes sur le fonctionnement de leurs exploitations, auprès d’un échantillon représentatif d’agriculteurs, qu’on recueille des informations qui constituent ensuite la base de l’élaboration des types.

Etude simultanée des déterminants et des effets des pratiques d’agriculteurs

A côté de ces études centrées sur les déterminants des pratiques ou sur leurs effets, il existe différentes approches dans lesquelles on s’intéresse aux pratiques sous ces deux angles à la fois. Dans ces travaux, on se réfère souvent aux concepts d’itinéraires technique et de systèmes de culture (Sebillotte, 1974, 1990), ou système d’élevage (Landais, 1987, cité par Dedieu et al., 2008), en vue de porter un double regard sur les pratiques, en s’intéressant simultanément aux ‘raisons’ qui guident les agriculteurs à agir comme ils le font, et aux effets de leurs actions sur l’évolution des états du milieu et sur les niveaux de performance obtenus, et ceci, en fonction de la situation dans laquelle ils agissent.

17 Meynard et al. (2001) décrivent ce double regard de la façon suivante : « d’une part, les modalités techniques constitutives du système de culture ou de l’itinéraire technique résultent de décisions fortement liées les unes aux autres : celui qui les prend les raisonne toutes dans un cadre unique rassemblant ses objectifs de production, les contraintes de son système et les moyens disponibles (…), l’observation de la parcelle par l’agriculteurs constitue aussi une source de liens forts entre décisions techniques (…). D’autre part, les différentes techniques culturales agissent sur les mêmes caractéristiques de l’environnement de la plante cultivée : une même technique joue à la fois sur les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques du milieu, et symétriquement chacune de ces caractéristiques est influencée par plusieurs techniques (…). Du fait de l’absence de ces relations bi-univoques entre techniques culturales et caractéristiques du milieu, il existe de fortes interactions entre les techniques culturales » et « Il est essentiel de prendre en compte ces deux types de liens pour analyser, évaluer ou améliorer les pratiques agricoles ».

L’étude des pratiques et/ou systèmes de pratiques16 d’agriculteurs ou d’éleveurs constitue souvent le point de départ d’une analyse compréhensive de ce que font les agriculteurs, en lien avec les effets qu’ils citent, et avec les déterminants de leurs choix. Dans ces travaux, « les pratiques sont postulées être le résultat d'une intention de faire, elle-même fonction d'objectifs de l'agriculteur, dans un contexte de contraintes et d'opportunités » (Papy, 1993) et « s’enracinent dans un contexte particulier, situé dans l’espace et le temps » (Landais et al., 1987). L’objectif est de comprendre, d’organiser et d’identifier des régularités dans les manières de faire d’agriculteurs, souvent à l’échelle d’une microrégion et dans l’optique de guider des démarches de développement (Blanc-Pamard et al., 1992). Les méthodes suivies ont en commun de s’appuyer sur des populations représentatives d’agriculteurs (au niveau d’une micro-région, dans l’exercice d’une conduite de culture particulière…). C’est au travers d’entretiens et/ou d’enquêtes réitérées dans le temps qu’on renseigne des conduites des cultures et/ou des troupeaux, et que l’on interroge l’agriculteur sur les raisons de ses choix, et les effets de ses pratiques (Sebillotte, 1987 ; Blanc-Pamart et Milleville, 1985 ; Cristofini et al., 1978 ; Lhoste et Milleville, 1986). C’est ensuite souvent en mobilisant des approches systémiques qu’on établit des relations et qu’on identifie des régularités entre des pratiques, des effets et des éléments des contextes dans lesquels ces pratiques sont mises en œuvre, qui peuvent servir de support à l’élaboration de recommandations pour le développement agricole.

On retrouve aussi des études des déterminants et des effets dans les travaux comme ceux de Hénin et al. (1969) ou de Sebillotte (1969), où c’est en situation, face aux états du milieu (Hénin – profil cultural,

16 Système de pratiques : « La combinaison de ces différentes pratiques élémentaires a permis de définir six systèmes de

pratiques d'élevage. Parce que le choix des divers éléments de ces systèmes est cohérent, qu'ils sont complémentaires, une Pratique apparaît comme une attitude générale de l'éleveur vis-à-vis de son troupeau et du territoire, comme une manière d'agir prise globalement. » (Cristofini et al., 1978).

18 Sebillotte – Tour de plaine) et avec les agriculteurs, que sont établis des diagnostics des états du milieu tenant compte simultanément des effets des pratiques sur le sol ou les cultures, et des raisons qui ont conduit les agriculteurs à agir ainsi.

Quelques travaux combinent aussi plusieurs méthodologies, par exemple, Belmin (2016) combine le diagnostic agronomique avec des études de pratiques pour identifier leurs déterminants et Meynard (1985) combine diagnostic agronomique et typologies d’exploitation. Dans un autre registre, on étudie parfois les pratiques d’agriculteurs pour compléter ou enrichir des modèles bio-décisionnels, qui couplent des modèles de décision avec des modèles de systèmes de culture, d’élevage ou d’exploitation (ex. Bergez et al., 2010). Ces modèles visent à évaluer des combinaisons de choix techniques et/ou à simuler des évolutions des états du milieu en relation avec des modèles de décision comportant des alternatives techniques et différentes situations de production.

Etude du changement dans les pratiques d’agriculteurs

L’étude du changement dans les pratiques des agriculteurs constitue un sujet de recherche en développement en agronomie. On parle de « transitions » (Coquil, 2014), de « trajectoires de changement » (Chantre, 2011), « d’adaptabilité des pratiques » (Darnhofer et al., 2010 ; Brédart et Stassart, 2017) ou encore de « conception pas-à-pas » (Meynard et al., 2012 ; Toffolini, 2016). L’enjeu commun, pour ces auteurs, est de mettre au jour des spécificités de la manière dont les agriculteurs font évoluer leurs pratiques. Chacun de ces auteurs adopte des angles de vue particuliers sur ce processus (souvent en hybridant des cadres théoriques issus d’agronomie et de sciences sociales), et en vue d’identifier de nouvelles manières d’orienter et de produire des prescriptions.

Chantre (2011) ou Cristofari (2018) appréhendent ces changements de pratiques au travers des apprentissages que réalisent les agriculteurs. Chantre (2011) s’appuie sur des concepts en didactique professionnelle, pour éclairer une diversité de trajectoires de changement, basées sur des phases de cohérence dans les pratiques, mises en dynamique par des « pratiques clés » et des styles d’apprentissages, se différenciant notamment sur leurs contenus. Cristofari (2018) en revanche s’inspire de la philosophie pragmatiste, pour mettre au jour des jugements pragmatiques émergeant au cours de processus d’apprentissages contrastés.

D’autres travaux appréhendent ces changements avec d’autres angles de vue, comme Cerf et al. (2012) qui proposent une méthode pour étudier les usages d’objets à visée prescriptive en ferme17, Delecourt (2018) qui étudie la prise en compte du travail par les agriculteurs au cours de changements de pratiques, ou encore Toffolini (2016) qui étudie l’activité de re-conception pas-à-pas de leurs systèmes de culture par des agriculteurs comme « la construction théorique d’une logique d’action pour une nouvelle

17 Dans cet article, les auteurs étudient notamment les usages (et leurs évolutions), par différents agriculteurs, d’un outil d’aide à la décision conçu par des agronomes.

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pratique, l’adaptation et l’interprétation dans l’application, l’application en elle-même, et le suivi des effets de l’action ». Par son travail, il met au jour des attributs de connaissances que mobilisent les agriculteurs au cours du changement de pratiques, ainsi que des processus épistémiques qui leur permettent de s’appuyer sur des connaissances fonctionnelles au cours de la re-conception de leurs systèmes de culture. Coquil (2014), quant à lui, étudie les transitions dans les pratiques agricoles au travers du développement des mondes professionnels des agriculteurs, qui consistent en « une formalisation systémique de l’activité et de l’expérience des agriculteurs », qui donne accès à « la dynamique créatrice du sujet au travail qui est de l’ordre du vital, l’expérience du travailleur et la cohérence que le travailleur construit entre ses façons de faire, d’être et de penser ». Cet auteur identifie à la fois des ‘moteurs’ aux transitions dans les pratiques et ce qu’il appelle des ‘artefacts clés’ qui consistent en des types de ressources mobilisés par les agriculteurs au cours du changement. On peut aussi citer les travaux de Catalogna (2018), qui aborde le changement de pratiques par le biais des expérimentations réalisées par les agriculteurs dans la phase d’essai qui alimente la décision de changer et propose notamment de rendre compte de différents ‘itinéraires d’expérimentation’ en ferme. Dans ces travaux, l’étude du changement dans les pratiques des agriculteurs vise avant tout à interpeller et à stimuler la réflexivité des acteurs-prescripteurs engagés dans l’appui à ces changements.

Etudes de pratiques d’agriculteurs singulières, hors-norme, innovantes

Enfin, quelques travaux, plus rares, portent sur l’étude de pratiques d’agriculteurs pour leurs ‘singularités’, pour leurs caractères ‘innovant’ ou ‘hors-norme’. Citons par exemple les travaux de Feike et al. (2010), qui étudient la manière dont des agriculteurs chinois mettent en œuvre des associations d’espèces, une technique jugée d’intérêt par les scientifiques ; les travaux de Jagoret et al. (2012) qui étudient, au Cameroun, des pratiques agroforestières avec cacaoyers qui n’avaient jusque-là fait l’objet d’aucuns travaux scientifiques. On peut aussi citer les travaux de Barzman et al. (1996) qui étudient des pratiques de domestication des fourmis au service de la production de citron, jusqu’alors inconnues dans la littérature ; les travaux de Abay et al. (2008) qui rendent compte de pratiques originales de sélection des variétés d’orge, développées par des agriculteurs en Ethiopie. On trouve aussi les travaux de Salembier et al. (2016) et Blanchard et al. (2017) qui proposent et enrichissent une démarche de traque aux pratiques innovantes, pour étudier des systèmes de culture ‘hors-norme’ respectivement dans la Pampa argentine et au Burkina Faso. Ces différents travaux sont des formes d’expression de ce que nous avons proposé de nommer ‘l’étude de pratiques innovantes d’agriculteurs’ (cf. Introduction). Ces travaux ont en commun de reposer sur des approches méthodologiques singulières, qui dialoguent peu entre elles, c’est-à-dire que chaque scientifique a proposé sa propre méthode et rare sont ceux qui font référence à des travaux antérieurs aux leurs, se rapportant à des études de pratiques innovantes/hors-norme/singulières. Notons aussi que les relations entre la manière de conduire ces études et des activités de conception en agronomie ne sont pas théorisées ou discutées dans ces travaux.

20 Conclusion du paragraphe 1.2. et de la section 1.

Ce paragraphe nous permet de dresser les constats suivants :

- Concernant l’étude des pratiques d’agriculteurs, on observe des approches contrastées, qui se distinguent notamment par les objectifs poursuivis (ex. on étudie des déterminants, des effets, comment s’opère le changement, …) et les processus épistémiques qu’elles engagent.

- Dans la majorité des travaux, l’accent est mis sur la recherche de régularités (typologies, classes, modèles de décision, …) ou de problèmes à résoudre (ex. une des fonctions du diagnostic agronomique).

L’étude de pratiques singulières, hors-norme, innovantes est marginale dans la littérature scientifique en agronomie et les quelques travaux qu’on rencontre rapportent des expériences uniques dans lesquelles chacun construit sa propre méthodologie.

- Les relations entre les études de pratiques et une activité de conception (i.e. la génération de nouvelles prescriptions pour l’action) est parfois évoqué, souvent comme un souhait des auteurs (ex. le diagnostic peut être un moyen de guider l’élaboration de propositions techniques, l’étude des déterminants et des effets peut contribuer à l’élaboration de recommandations pour le développement agricole, …). Cependant ces mêmes auteurs discutent rarement de ce que différentes manières d’étudier des pratiques d’agriculteurs (les lunettes qu’on choisit pour observer les ‘pratiques’, les démarches d’analyse, …) induisent pour les activités de conception. Autrement dit, on dispose aujourd’hui de peu de recul réflexif sur les implications de différentes manières d’étudier des pratiques d’agriculteurs au cours d’activités de conception en agronomie et, réciproquement, des implications de différentes approches de la