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1. Les outils de collecte de donnée

1.1 Le questionnaire

Les données quantitatives ont été récoltées par le biais d’un questionnaire élaboré par mes soins, qui comprend l’Inventaire de développement interculturel (IDI) (Hammer & Bennett, 2002). Ce questionnaire (Annexe 3), qui inclut 22 questions et 1 échelle, est structuré en quatre parties :(1) le profil personnel du participant, (2) l’IDI, (3) les expériences interculturelles antérieures ainsi que (4) la situation de travail. Deux questions ont été placées en fin de questionnaire, une question à court développement pour les commentaires et suggestions des répondants et une question fermée pour leur demander la permission de les recontacter pour un entretien individuel. Il faut compter environ 25 à 35 minutes pour remplir le questionnaire.

Au mois de mars 2009, un pré-test du questionnaire dans sa totalité a été effectué auprès d’une dizaine de personnes issues du domaine de la santé et du social (ergothérapeutes, éducateurs sociaux, assistants sociaux, psychologues, sociologues) travaillant dans la recherche ou dans les milieux de pratique visés par la recherche. Grâce aux commentaires de ces personnes, la version finale du questionnaire a pu être mise au point.

1.1.1 L’IDI (version 2)

Au niveau du contenu, le questionnaire reprend la deuxième version de l’IDI, un instrument psychométrique développé aux Etats-Unis par Hammer et Bennett (2002) sur la base des concepts théoriques tels qu’ils ont été définis dans le DMIS de Bennett (1986, 1993, 2004). Cette échelle mesure les perceptions et attitudes d’un individu ou d’un groupe à l’égard des différences

culturelles, notamment la façon qu’il a d’interpréter ses interactions sociales avec des personnes appartenant à des groupes culturels différents et sa capacité à avoir des comportements interculturels. Il est à noter que l’IDI est un instrument de propriété industrielle pouvant être utilisé uniquement par des personnes qui reçoivent la certification de l’Institut interculturel de communication. L’auteure est une administratrice qualifiée de l’IDI. Aucune reproduction du questionnaire n’est permise. L’instrument étant protégé par le droit de copyright, les items de l’échelle ne seront pas présentés dans ce travail.

1.1.1.1 La description de l’IDI

L’IDI est un instrument auto-administré qui évalue la sensibilité interculturelle d’un individu sur une échelle de Likert en 5 points allant de 1 (en désaccord) à 5 (en accord). Les 50 items de l’IDI (version 2, en langue française) (Hammer & Bennett, 2002) reflètent toute une gamme d’opinions concernant les différences culturelles en fonction de 5 échelles : Déni/Défense (13 items), Renversement (9 items), Minimisation (9 items), Acceptation /Adaptation (14 items) et Marginalité encapsulée (5 items). L’échelle Déni/Défense (DD) mesure, d’une part, le désintérêt envers la différence culturelle et l’évitement des interactions avec des personnes se référant à d’autres cultures (sous-échelle Déni), d’autre part, une vision de sa propre culture comme étant supérieure aux autres cultures (sous-échelle Défense). En ce qui concerne l’échelle Renversement (R), elle évalue la tendance à considérer les autres cultures supérieures à sa propre culture. L’échelle Minimisation (M) mesure, d’une part, la prédisposition à considérer que tous les êtres humains sont similaires indépendamment de leurs références culturelles (sous-échelle Similarité), d’autre part, la tendance à transposer ses propres valeurs culturelles aux autres cultures (sous- échelle Universalisme). Cette vision constitue une sorte de transition entre l’ethnocentrisme, mesurés par les échelles DD et R, et l’ethnorelativisme, mesurée par l’échelle AA. S’agissant de l’échelle Acceptation/Adaptation (AA), elle évalue, d’une part, la reconnaissance des différences culturelles (sous-échelle Acceptation), d’autre part, la capacité à modifier sa perception et son comportement en fonction du contexte culturel (sous-échelle Adaptation). Enfin, l’échelle Marginalité encapsulée (ME) mesure le sentiment de déconnection ou d’aliénation de son propre groupe culturel.

Le Tableau 4 propose la structure de l’IDI ainsi que des exemples d’items représentatifs de chacune des cinq échelles.

Tableau 4 : Inventaire de développement interculturel (version 2)

Echelle Items Exemples

DD Déni/Défense 13 Il y aurait moins de problèmes dans le monde si les membres de chaque groupe culturel restaient entre eux.

Les gens devraient éviter les individus des autres cultures qui se comportent différemment.

R Renversement 9 Les personnes des autres cultures font plus d’efforts que nous pour s’améliorer.

Les gens de notre culture sont plus paresseux que ceux des autres cultures.

M Minimisation 9 Les humains sont fondamentalement les mêmes, en dépit des différences apparentes entre les cultures.

L’existence de valeurs universelles permet de résoudre les conflits culturels.

AA Acceptation /Adaptation

14 J'ai bien souvent remarqué des différences culturelles dans la manière, directe ou indirecte, dont les gens se parlent.

Je me sers de critères culturels différents pour interpréter et évaluer les situations.

ME Marginalité encapsulée

5 Je n’ai pas l’impression d’appartenir à une culture.

Je n’ai pas l’impression d’avoir des racines, car je ne m’identifie à aucune culture.

Deux modifications ont été apportées à l’échelle originale. D’une part, la page de présentation de l’instrument a été modifiée dans sa formulation et raccourcie car elle était trop longue et répétitive. D’autre part, les points de l’échelle ont été adaptés pour faciliter la compréhension des répondants. Ainsi, les réponses sont notées sur une échelle de Likert en 5 points comme dans la version originale, mais leur formulation a été quelque peu modifiée (dans la version utilisée, 1 : en désaccord, 2 : plutôt en désaccord, 3 : autant en accord qu’en désaccord, 4 : plutôt en accord, 5 : en accord ; dans la version originale, 1 : désaccord, 2 : plus en désaccord qu’en accord, 3 : autant en accord qu’en désaccord, 4 : plus en accord qu’en désaccord, 5 : accord).

La consistance interne de l’IDI est tout à fait satisfaisante (DD : α = 0.85 ; R : α = 0.80 ; M : α = 0.83 ; AA : α = 0.84 ; ME : α = 0.80) (Hammer & Bennett, 2002).

Dans un premier temps, les auteurs de l’IDI ont évalué la validité de contenu (i.e. aptitude de l’instrument à mesurer les aspects pour lesquels il a été conçu et ceux-là seulement) durant la construction de la première version de l’instrument (60 items) grâce aux entretiens en profondeur réalisés auprès de 40 personnes de nationalités, âges et expériences professionnelles divers ainsi qu’aux analyses réalisées par sept experts familiers avec le DMIS. Puisqu’un nombre important d’items a été utilisé dans la deuxième version de l’IDI, les auteurs ont estimé que la validité de contenu par rapport à la théorie du DMIS demeure évidente.

Ensuite, la validité de construit, qui vérifie la conformité de l’instrument à la théorie à laquelle il appartient en comparaison avec les travaux antérieurs, a été évaluée en corrélant l’IDI avec deux autres instruments censés mesurer la même chose : la Worldmindedness Scale et l’Intercultural Anxiety Scale. La Worldmindedness Scale (Sampson & Smith, 1957) est une échelle totalisant 6 items qui mesure les attitudes internationales d’une personne, alors que l’Intercultural Anxiety Scale (Hammer & Bennett, 1998 ; Stephan & Stephan, 1985) est une échelle totalisant 11 items qui mesure le degré d’anxiété des individus lors d’interactions avec des personnes issues d’autres cultures. Dans un premier temps, l’analyse de l’homogénéité des échelles a mis en lumière une consistance interne moyenne pour la Worldmindedness Scale (α = .67 ; n = 561) et une forte consistance interne pour l’Intercultural Anxiety Scale (α = .86 ; n = 571). Les analyses de corrélation entre les deux échelles ont montré, selon les attentes des chercheurs, une corrélation légèrement négative (r = -.14, p = .01 ; n = 317). Dans un deuxième temps, des corrélations entre les échelles de l’IDI (DD, R, M, AA et ME) et la Worldmindedness Scale et l’Intercultural Anxiety Scale ont été examinées (Tableau 5).

Tableau 5 : Coefficients de corrélation entre les échelles de l’IDI et les échelles Worldmindedness Scale et Intercultural Anxiety Scale (tiré de Hammer et al., 2003, p. 438)

Echelle IDI Worldmindedness Scale Intercultural Anxiety Scale

Echelle DD -.29 (n = 537) .16 (n = 543)

Echelle R Ns28 Ns

Echelle M Ns Ns

Echelle AA .29 (n = 523) -.13 (n = 527)

Echelle EM .12 (n = 544) .14 (n = 555)

28 Ns : non significatif (= aucune corrélation significative).

Les résultats montrent que la Worldmindedness Scale corrèle négativement avec l’échelle DD et positivement avec les échelles AA et ME, alors qu’il n’existe aucune relation entre cet instrument et les échelles R et M. D’autre part, l’Intercultural Anxiety Scale corrèle positivement avec les échelles DD et ME et négativement avec l’échelle AA, alors qu’aucune corrélation significative n’a été trouvée entre cet instrument et les échelles R et M. Les résultats obtenus par Hammer et ses collègues (2003) confirment ainsi les relations entre les échelles de l’IDI et les échelles Worldmindedness Scale et Intercultural Anxiety Scale prédites théoriquement.

Dans un dernier temps, les effets du genre, de l’âge, de l’éducation et de la désirabilité sociale sur les scores obtenus à l’IDI ont également été testés. Les résultats du t-test montrent que les hommes ont obtenu des moyennes significativement plus élevées (m = 1.73) que les femmes (m = 1.46) sur l’échelle DD (t(553) = 4.84, p<.01). Cet effet ne se répétant pas par rapport aux moyennes obtenues sur les autres échelles, on peut conclure que l’IDI n’est pas systématiquement influencé par le genre des répondants. Par ailleurs, l’analyse de variance (ANOVA) montre que ni l’âge, ni le niveau d’éducation ne semblent jouer un rôle sur le score IDI. Enfin, l’effet de la désirabilité sociale a été mesuré à l’aide de la Marlowe-Crowne Social Desirability Scale (Strahan & Gerbase, 1972) : aucune corrélation significative n’a été trouvée entre l’échelle de désirabilité sociale et les cinq échelles de l’IDI.

1.1.1.3 Le rapport entre le modèle théorique et l’instrument

Comme on l’a vu, l’IDI est une mesure empirique des concepts théoriques tels qu’ils ont été définis dans le DMIS. Toutefois, les études de validation de l’instrument (Hammer et al., 2003 ; Paige et al., 2003) ont révélé que l’IDI et ses cinq échelles (DD, R, M, AA, ME) ne mesurent pas fidèlement les six stades de sensibilité interculturelle (déni, polarisation, minimisation, acceptation, adaptation, intégration) identifiés dans le modèle théorique (Chapitre 3, point 4.2). En effet, Déni et Défense forment un seul facteur indiquant une position ethnocentrique, alors qu’à l’opposé, Acceptation et Adaptation constituent un facteur unique mesurant une position ethnorelativiste. Cela signifie que Déni et Défense d’une part, et Acceptation et Adaptation de l’autre, ne peuvent pas être mesurés séparément. Empiriquement, Renversement constitue davantage une expression alternative de la vision ethnocentrique mesurée par DD qu’une variation de la polarisation identifiée dans le modèle théorique. Minimisation, considéré comme un stade ethnocentrique dans le modèle théorique, constitue un facteur à part empiriquement : il

s’agit d’une sorte de transition entre l’ethnocentrisme (mesuré par DD) et l’ethnorelativisme (mesuré par AA). Finalement, seule la Marginalité encapsulée, une des deux formes théoriques de l’intégration, est mesurée par l’IDI.

Le Tableau 6 illustre les similitudes et les différences entre le modèle théorique et l’instrument de mesure.

Tableau 6 : Comparaison modèle théorique – instrument de mesure (adapté de Hammer & Bennett, 1998)

Stade du DMIS Echelle IDI

Stades ethnocentriques Déni et polarisation Déni : § Isolement § Séparation Polarisation : § Dénigrement § Supériorité § Renversement

mesurés conjointement par interprété par

interprété par interprété par interprété par

pas interprété séparément pas interprété séparément mesuré par Echelle DD Sous-échelle Déni : § Désintérêt § Evitement Sous-échelle Défense Echelle R Stade de transition Minimisation § Universalisme physique § Universalisme psychique mesuré par interprété par interprété par Echelle M Similarité Universalisme Stades ethnorelatifs Acceptation et adaptation Acceptation :

§ Respect des différences comportementales

§ Respect des différences de valeurs Adaptation : § Empathie § Pluralisme culturel Intégration : § Marginalité encapsulée § Marginalité constructive

mesurés conjointement par interprété par

pas interprété séparément

pas interprété séparément

pas mesuré en général mesuré par pas mesuré Echelle AA Sous-échelle Acceptation Sous-échelle Adaptation : § Frame-shifting § Code-shifting Echelle EM

1.1.1.4 Les limites et les atouts de l’IDI

L’IDI, tout comme le DMIS sur lequel il est basé, comporte quelques limites pour ce travail. Tout d’abord, cet instrument est basé sur une conception de la culture et de la différence culturelle différente de la mienne, aspects sur lesquels je ne vais pas m'attarder puisqu’ils ont déjà été mentionnés dans les critiques concernant le DMIS (Chapitre 3, point 4.4). De même, dans l’IDI le groupe culturel représente un concept central : on parle de groupes culturels (par exemple, les suisses, les américains) ou ethniques (par exemple, les latinos, les afro-américains) comme s’il était évident pour tout le monde qu’ils existent et que les personnes savaient clairement à quels groupes elles appartiennent et s'identifient. Toutefois, plusieurs participants à l’enquête, moi incluse, avons rencontré quelques difficultés à définir notre appartenance à un groupe culturel ainsi que les groupes culturels auxquels nous ne pensions pas appartenir, de même qu’à répondre aux affirmations de l’IDI en fonction de groupes culturels précis avec lesquels nous avions le plus de contact et que nous connaissions le mieux (cf. informations pour remplir l’IDI). Une deuxième limite concerne la validité transculturelle de l’IDI et sa transférabilité d’un contexte culturel à l’autre. Comme on l’a vu, l’IDI a été construit et validé dans un contexte nord-américain et il se peut que les concepts utilisés dans l’instrument soient culturellement marqués et pas pertinents pour des personnes issues d’univers culturels différents. A ce propos, Greenholtz (2005) critique la validité transculturelle de l’instrument sur la base d’une étude de validation de l’IDI en version japonaise : l’instrument ne semble pas être valide dans une culture comme celle japonaise à cause de l’étrangeté de certains concepts utilisés dans l’instrument, les références étant très différentes entre la culture japonaise et celle américaine. De même, quelques participants à la recherche et moi-même avons relevé que, dans la version française de l’IDI (Hammer & Bennett, 2002), la formulation des instructions et des items était parfois ambiguë, en raison d’une terminologie non familière. Ainsi, même si les auteurs affirment que les traductions de la version anglaise de l’instrument aux autres langues ont été réalisées de manière rigoureuse en utilisant des protocoles scientifiques de rétrotraduction (ou rétroversion) afin de vérifier la conformité des deux versions au niveau linguistique et conceptuel, l’utilisation de l’IDI dans divers contextes culturels et linguistiques peut présenter un problème de fiabilité. Finalement, l’IDI peut être acheté et administré uniquement par des personnes avec une certification de l’Institut interculturel de communication.

Tout en tenant compte de ces limites, l’utilisation de l’IDI (Hammer & Bennett, 2002) dans cette recherche présente également des atouts considérables. Tout d’abord, l'IDI s’avère être un instrument fiable et viable pour mesurer la sensibilité interculturelle des individus, quels que soient leur âge, genre et niveau d’éducation (Hammer et al., 2003 ; Paige et al., 2003). Deuxièmement, plusieurs études ont montré que l’IDI est une opérationnalisation empirique des concepts théoriques tels qu’ils ont été définis dans le DMIS (Hammer, 1999 ; Hammer & Bennett, 2002 ; Paige, Jacobs-Cassuto, Yershova, & DeJaeghere, 1999). Ensuite, il n’existe à ma connaissance aucun autre instrument dans le domaine de la sensibilité interculturelle qui soit fondé sur un cadre théorique et validé sur des critères scientifiques. En ce sens, l’IDI constitue un bon point de départ pour mesurer les perceptions et attitudes des éducateurs sociaux face à la différence culturelle. De plus, l’existence de nombreuses recherches évaluant la sensibilité et la compétence interculturelles ainsi que leur développement par le biais de l’IDI (Chapitre 3, point 4.3) me permet de comparer la sensibilité interculturelle de mon échantillon avec celle d’autres populations (médecins, étudiants, enseignants). Enfin, le profil interculturel individuel, calculé à partir des résultats de l’IDI, permet de rendre plus explicite le degré et les caractéristiques de la sensibilité interculturelle d’une personne et de souligner des divergences ou des similarités entre les profils interculturels de personnes exerçant une même profession (i.e. les éducateurs sociaux).