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1. Le rapport des éducateurs sociaux à leur activité professionnelle

1.1 Les compétences et activités professionnelles au quotidien

Les participants à l’enquête par entretien ont été amenés à nommer et expliciter les compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être) jugées nécessaires pour exercer leur profession au sein de l’institution dans laquelle ils travaillent. Les types d’activités et l’objet de celles-ci (usagers et leur entourage) ont été aussi investigués par ces questions. Dans un deuxième temps, les compétences rapportées par les éducateurs sociaux ont été mises en lien avec les compétences générales du référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) (Annexe 1) et les compétences professionnelles établies par l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005) qui définissent l’ensemble des compétences requises pour l’exercice de la profession d’éducateur social.

Des entretiens, il ressort que les éducateurs sociaux font tout d’abord référence à une large catégorie de compétences, particulièrement mobilisées dans le travail avec l’usager, à savoir les compétences d’accompagnement.

§ Les compétences d’accompagnement

L’ « accompagnement des usagers » apparait comme une compétence à laquelle tous les participants font référence dans l’entretien. Les témoignages révèlent cependant que cette notion recouvre des réalités et des significations différentes selon les éducateurs sociaux. La première est celle d’aide au maintien des acquis ou au développement des usagers : il s’agit de faire évoluer les usagers grâce à l’accompagnement, de leur « apprendre à devenir des êtres indépendants, enfin à pouvoir être le plus autonomes possible » (entretien ES19). L’accompagnement peut également prendre la forme du remplacement : « faire pour » l’usager, ce qu’il n’a jamais été en mesure d’accomplir tout seul (« s’occuper de leur toilette », « les soins » et « les repas »). Enfin, la troisième signification d’accompagnement coïncide avec l’aide aux activités de la vie quotidienne : il s’agit de « faire avec » l’usager ce qu’il n’est plus capable de réaliser tout seul (« gérer toute leur paperasse », « gérer les sous »).

Les témoignages des éducateurs sociaux révèlent également que trois types d’activités constituent l’accompagnement des usagers : (1) les activités d’intégration et insertion, (2) les activités de maintien et développement, ainsi que (3) les activités de la vie quotidienne. Les premières peuvent inclure l’organisation et l’accompagnement des activités liées à l’intégration scolaire

(« devoirs », « soutien aux apprentissages ») ou à l’insertion professionnelle (« recherches d’apprentissage », « recherche d’emploi », « faire avec eux justement un CV »), ainsi que l’organisation et l’« animation » des activités de loisir (« sport », « bricolage », « potager », « sorties »). Les deuxièmes regroupent des activités visant au maintien et au développement des capacités sensorielles, corporelles et cognitives des usagers (« propreté », « hygiène », « marche », « tenue à table »). Finalement, les activités de la vie quotidienne incluent l’organisation et l’accompagnement des activités, des gestes et des soins du quotidien (« toilette », « repas », « hygiène corporelle », « douche », « médicaments », « soins »). Comme on peut le constater, les types d’activités réalisées dans l’intervention avec les usagers dépendent des milieux de pratique (foyers résidentiels, structures de jour, milieu ouvert), du champ d’intervention (délinquance, petite enfance, scolarité, handicap mental, physique ou psychique, dépendances), des formes d’intervention (prévention, insertion, intégration scolaire, réinsertion sociale et professionnelle) et de l’âge des usagers (enfants, adolescents, adultes) auprès desquels intervient l’éducateur social. Dans les faits, il s’agit pour l’éducateur social d’être capable de concevoir et de mettre en œuvre des interventions socio-éducatives différenciées en tenant compte des capacités, de la situation et du degré d’autonomie des usagers.

Il n’est donc pas étonnant de constater que, pour la plupart des éducateurs sociaux, l’objectif premier de l’accompagnement des usagers est leur « autonomie » et « indépendance », les autres objectifs étant le « bien-être des usagers » et aider les usagers « à mieux vivre avec » les difficultés, les troubles, les situations auxquels ils sont confrontés.

Finalement, la notion du « quotidien » apparait à plusieurs reprises de façon conjointe à celle d’accompagnement des usagers. La plupart des participants déclare accompagner l’usager dans les activités ou les gestes de la vie quotidienne : « du lever à 7 heures jusqu’au coucher à 19h le soir » (entretien ES22), « c’est un accompagnement 24 heures sur 24 » (entretien ES14).

Les compétences et activités d’accompagnement citées par les éducateurs sociaux illustrent parfaitement le deuxième domaine de compétences – intervenir – du référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) ainsi que les capacités d’intervention mentionnées dans les recommandations de l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005).

La relation avec les usagers étant au cœur de toute intervention, les éducateurs sociaux mentionnent à l’unanimité la nécessité de mobiliser des « compétences relationnelles » dans leur accompagnement (« être à l’aise avec les gens » (entretien ES22), « avoir envie » et « aimer rencontrer les gens »). Aux yeux des participants, la « communication » et l’« écoute » font partie des compétences relationnelles de base. D’autres compétences « secondaires » ont également été citées par les participants en lien avec l’accompagnement des usagers : l’« ouverture d’esprit », la « douceur », l’« authenticité » (« on ne peut pas faire semblant dans ce métier » (entretien ES13)), le « cœur » (« mettre du cœur dans ce qu’on leur offre » (entretien ES1)), le « plaisir » (« faire les activités avec plaisir et pour leur plaisir » (entretien ES1)), la « souplesse », être « zen », la « patience » (avec les usagers, mais également avec l’avancement des objectifs pédagogiques), le « calme » ainsi qu’« être présent…à soi […] et aux autres » (entretien ES16). La question de la gestion de la proximité-distance professionnelle, omniprésente dans la pratique de l’éducation sociale, a logiquement émergé des entretiens comme une compétence nécessaire. D’une part, les éducateurs sociaux doivent faire appel à des qualités comme l’« empathie », l’« ouverture à l’autre », la « compréhension de l’autre », la « compassion », la « disponibilité », le « respect », de même qu’être capables de se décentrer (« accepter que la personne est différente » (entretien ES17), « distinguer ses propres valeurs, ses propres habitudes, son propre fonctionnement des valeurs de l’usager, […] des parents de l’usager » (entretien ES22)). D’autre part, l’intervention requiert également de garder une certaine « distance relationnelle » et professionnelle, comme l’ont souligné plusieurs participants. Cette distanciation consiste à adopter une attitude de neutralité envers les usagers et la situation qu’ils vivent, de même qu’à « rester professionnel » et ne pas se laisser dépasser par les émotions (« savoir ravaler et prendre de la distance […] au niveau de l’affect et de l’émotionnel » (entretien ES10), « lâcher-prise », « être très très clair dans sa tête » (entretien ES12), « gérer la frustration », « confiance en soi »).

Les compétences relationnelles ne sont pas évoquées en tant que telles dans le référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001), alors que le document de l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005) y fait clairement référence (« compétences personnelles et relationnelles », dont une partie recoupe celles identifiées dans cette recherche).

En lien avec l’accompagnement des usagers, la plupart des participants mentionnent des compétences d’observation, décision et action. Tout d’abord, les éducateurs sociaux doivent être capables d’« observer », « évaluer », « analyser » et « comprendre » la situation de l’usager, ses représentations et son comportement. L’importance de chercher de l’information (« questionnement ») auprès des usagers pour mieux comprendre leur cadre de référence est également évoquée. En deuxième lieu, les éducateurs sociaux doivent être en mesure de « répondre », « prendre des décisions », « savoir dire non », « savoir se positionner » face aux usagers, aux réseaux professionnel et non professionnel ainsi qu’aux diverses instances concernées. Enfin, l’action implique la capacité de « se relationner » avec les usagers, de les « encadrer », d’« adapter l’intervention à l’usager ». Les éducateurs sociaux font également référence à la gestion du collectif : l’accompagnement des usagers ayant lieu généralement au niveau du groupe dans une institution, les participants évoquent la capacité de « gestion de la vie de groupe » et « gestion de la vie communautaire », voire la « gestion de la confrontation » et la « gestion des conflits » qui peuvent parfois survenir entre les divers usagers.

Comme il a été mis en évidence par plusieurs participants, la profession d’éducateur social implique également de jouer un rôle de référence. En tant que responsable du projet individuel de l’usager, le « référent éducatif » doit être en mesure, d’une part, d’élaborer et évaluer des projets (« projets de vie », « projets professionnels », « projets éducatifs » en fonction aussi du champ d’intervention), d’autre part, de gérer le suivi et l’accompagnement de l’usager en collaboration avec la famille et d’autres figures du réseau de l’usager.

Les compétences d’observation, d’analyse, de décision et d’action coïncident largement avec celles du premier domaine de compétences – accueillir, analyser les besoins, évaluer une situation et définir une stratégie d’action éducative – du référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) ainsi qu’avec les « capacités d’évaluation » citées par l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005).

§ Les compétences de collaboration et communication

L’accompagnement socio-éducatif ne concerne pas uniquement l’usager, mais aussi son entourage. Pour les éducateurs sociaux, « la relation avec la famille », en particulier les « parents » des enfants qu’ils accompagnent, s’avère essentielle pour garantir une certaine cohérence au niveau de l’intervention (collaborer avec la famille « pour que tout le monde tire à

la même corde » (entretien ES19)) dans chacun des microsystèmes de l’usager et pour « garder » ou « favoriser le lien » entre l’usager et sa famille.

Les activités d’accompagnement de l’usager s’exercent en collaboration continue avec une équipe de professionnels. C’est pourquoi, tout en mettant l’accent sur la « capacité à travailler seul », les participants soulignent également l’importance de « travailler en équipe » et de « collaborer avec les collègues ».

Certains professionnels mettent l’accent sur la communication et la relation externe : les éducateurs sociaux doivent être capables de collaborer avec le réseau professionnel qui entoure l’usager (« médecins », « thérapeutes », « enseignants ») ainsi qu’avec les instances publiques (« école », « commune »).

Finalement, une professionnelle parle de l’importance de la connaissance du contexte global dans lequel l’activité professionnelle s’insère : l’éducateur social est censé être conscient des enjeux de la société au niveau macro (« village », « canton », « société suisse »).

On retrouve les compétences de collaboration et communication essentiellement dans le troisième domaine de compétences du référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) – communiquer, organiser et animer le travail d’équipe – et dans le document de l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005) sous le libellé de « compétences sociales et de communication ».

§ Les compétences de réflexion

Un accent particulier a été mis par les éducateurs sociaux sur la capacité d’analyse de sa propre pratique en vue d’améliorer l’exercice du travail. La « réflexivité » et la « remise en question » sont des compétences qui se retrouvent fréquemment dans le discours des participants, ces compétences étant généralement considérées comme essentielles dans l’exercice de la profession d’éducateur social. D’autres attitudes ont été thématisées par les éducateurs sociaux en lien avec l’exercice du métier, parmi lesquelles l’« humilité », la « persévérance » et la « motivation ». Les compétences de réflexion couvrent largement celles du quatrième domaine de compétences – exercer sa pratique professionnelle en réflexivité – du référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) et la « capacité à la réflexion » mentionnée par l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005).

§ Les compétences de gestion

Une autre compétence exigée par le travail de l’éducateur social est la « gestion administrative ». Selon les participants, pour réaliser cette tâche l’éducateur social doit être capable d’organiser son temps de travail (« savoir s’organiser »), d’assurer la gestion administrative du suivi des usagers (« rapports », « remplir » et « mettre à jour les dossiers ») ainsi que de gérer l’organisation de l’équipe éducative (« horaires des équipes »).

Il s’agit de la dernière compétence évoquée dans les deux documents prescriptifs du métier de l’éducateur social et coïncide avec le cinquième domaine de compétences – gérer – du référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) et la « capacité d’organisation » présente dans le document de l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005).

D’autres compétences, citées par les participants dans une moindre mesure, peuvent être vues comme « secondaires » par rapport aux six « principales » catégories précitées.

§ Les compétences d’adaptation

L’adaptation est une autre compétence à laquelle plusieurs éducateurs sociaux font référence, tout en recouvrant des compréhensions différentes selon les participants. Pour les uns, l’adaptation signifie s’ajuster au « développement », au « potentiel », au « rythme », aux « capacités » et aux « limites » de l’usager. En ce sens, il s’agit d’adapter son intervention en fonction de l’usager, de la problématique qu’il rencontre, en relation avec les missions de l’institution, ce qui peut parfois être source de « frustration » et d’« impatience ». D’autres éducateurs sociaux mettent l’accent plutôt sur la « créativité » et l’inventivité, c’est-à-dire la capacité de proposer des réponses nouvelles et appropriées à des situations professionnelles auxquelles les éducateurs sociaux sont confrontés dans l’intervention auprès de l’usager. Finalement, un autre sens donné à l’adaptation est celui de la « polyvalence ». Selon les témoignages, l’activité quotidienne de l’éducateur social implique de savoir réaliser des tâches très variées, allant des tâches socio-éducatives au tâches de la vie quotidienne (« cuisiner », « désinfecter une plaie »), en passant par les tâches administratives. En ce sens, l’éducateur social doit être capable de « s’adapter à toute situation » rencontrée dans la vie professionnelle. Parfois, il doit pouvoir porter « plusieurs casquettes » en remplissant les fonctions d’« éducateur social », d’« assistant social », d’« MSP » [maitre socio- professionnel], d’« animateur socioculturel » ou encore d’« enseignant spécialisé ».

§ Les compétences académiques

Plusieurs participants évoquent également des connaissances spécifiques du métier à acquérir à travers la formation en travail social afin de travailler de manière professionnelle et correcte aussi bien avec les usagers et leurs proches qu’avec les collègues. Ces connaissances spécifiques associent des bases théoriques qu’il faut être capable de mettre en œuvre dans sa pratique professionnelle et des techniques de travail. S’agissant des bases théoriques, les éducateurs sociaux font référence aux connaissances liées au champ d’intervention et à l’âge des usagers : « la connaissance des enfants et de leur développement » (entretien ES19), les théories de l’éducation, la connaissance du handicap. D’autre part, les éducateurs sociaux parlent de l’importance de travailler à l’aide de certaines techniques socio-éducatives spécifiques, telles que la « méthode par objectifs », la méthode par projets, les techniques d’entretiens individuels et avec la famille, ou encore l’approche « systémique ». Ces compétences sont également évoquées dans le document prescriptif de l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005) sous le libellé « compétences dans le domaine des méthodes de travail ».

§ Les caractéristiques incompatibles avec la profession d’éducateur social

Si les compétences présentées ci-dessus s’avèrent, du point de vue des éducateurs sociaux, des conditions nécessaires à l’exercice de leur profession, deux personnes ont mentionné une caractéristique incompatible avec leur profession : le fait d’avoir des idées politiques de droite (« Déjà je suis éducatrice donc je ne suis pas tellement UDC déjà » (entretien ES3)).

Le Tableau 11 présente une vue d’ensemble des compétences jugées utiles par les éducateurs sociaux pour travailler dans leur institution ainsi que des compétences requises pour l’exercice de la profession d’éducateur social d’après les documents officiels.

Tableau 11 : Comparatif des compétences estimées nécessaires par les éducateurs sociaux et des compétences exigées pour l’exercice de la profession d’éducateur social par les documents officiels.

Compétences identifiées par les éducateurs sociaux

Référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001)

Compétences des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005) Compétences

d’accompagnement

Compétences « Intervenir » :

- fonction 2 : recréer du lien social, recréer de l’identité sociale, accompagner le parcours de socialisation, éviter la désocialisation

- fonction 4 : concevoir et mettre en

Compétences identifiées par les éducateurs sociaux

Référentiel métier de l’éducateur social (Groupe de travail, 2001)

Compétences des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005) œuvre des interventions socio-

éducatives différenciées

Compétences relationnelles Compétences personnelles et

relationnelles Compétences d’observation,

d’analyse, de décision et d’action

Compétences « Accueillir, analyser les besoins, évaluer une situation et définir une stratégie d’action éducative »

- fonction 1 : analyser une demande et les besoins exprimés par la personne

Capacité d’évaluation

Compétences de collaboration et communication

Compétences « Intervenir » :

- fonction 3 : travailler en réseau et en équipe pluridisciplinaires Compétences « Communiquer, organiser et animer le travail d’équipe »

- fonction 7 : communication interne - fonction 9 : travailler en équipe

Compétences sociales et de communication

Compétences de réflexion Compétences « Exercer sa pratique professionnelle en réflexivité »

- fonction 10 : évaluation des activités, développement personnel et professionnel

Capacité de réflexion

Compétences de gestion Compétences « Communiquer, organiser et animer le travail d’équipe »

- fonction 9 : travailler en équipe Compétences « Gérer »

- fonction 11 : Gestion administrative

Compétences d’organisation

Compétences d’adaptation

Compétences académiques Compétences dans le domaine

des méthodes de travail Caractéristiques incompatibles

avec la profession

Savoir-faire dans le cadre du développement professionnel et de l’apprentissage

Compétences acquises grâce à la pratique professionnelle

L’analyse de ce tableau montre que la plupart des compétences « principales » évoquées par les éducateurs sociaux peuvent être rattachées à celles énumérées dans le référentiel métier de

l’éducateur social (Groupe de travail, 2001) et dans les recommandations de l’Association internationale des éducateurs sociaux (AIEJI, 2005).