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L’accompagnement concerne certes les usagers, mais il se fait souvent en collaboration avec leur famille. Le modèle écologique proposé par Bronfenbrenner (1979) constitue le cadre de référence de la plupart des études qui s’intéressent aux liens de collaboration entre les milieux familial et institutionnel. Dans cette perspective écologique, l’institution socio-éducative constitue, au même titre que la famille, un microsystème susceptible d’influer sur le développement et le bien-être de l’usager. Les relations vécues à l’intérieur du microsystème « institution » influencent et sont influencées par les relations développées dans les autres microsystèmes de l’usager, dont le milieu familial. L’importance de la communication entre institution et famille est par ailleurs bien connue, l’établissement d’un partenariat éducatif entre ces deux microsystèmes pouvant faciliter un accompagnement de l’usager qui tient compte au mieux de sa situation et ses besoins. Pour appréhender cet aspect, les participants à l’enquête ont été consultés sur l’intensité et la qualité de la relation avec les proches des usagers qu’ils accompagnent. Soulignons qu’aussi la collaboration famille-institution est explorée à partir du discours des éducateurs sociaux.

De manière générale et à quelques exceptions près, les participants déclarent travailler en collaboration avec les parents et/ou la parenté proche des usagers qu’ils accompagnent, notamment des enfants et des adolescents. Toutefois, l’analyse révèle que la collaboration avec la famille recouvre des réalités différentes selon les éducateurs sociaux et les institutions dans lesquelles ils travaillent, pouvant aller d’une absence totale de collaboration à un vrai partenariat avec les proches, en passant par une « collaboration-alibi ».

2.1 Les types de collaboration avec la famille : définitions et exemples

Les témoignages des éducateurs sociaux mettent en évidence que dans les institutions socio- éducatives la collaboration avec la famille de l’usager peut prendre plusieurs formes.

§ La transmission d’informations

Dans sa forme la plus réduite, la collaboration avec la famille se traduit par la transmission d’informations de l’institution aux proches de l’usager. Ce sont les éducateurs sociaux, en collaboration avec les autres figures professionnelles qui gravitent autour de l’usager, qui analysent les besoins et la situation de l’usager, qui conçoivent et mettent en œuvre des interventions socio-éducatives individualisées (i.e. projet pédagogique), de même qu’ils évaluent l’avancée du projet de vie, scolaire ou professionnel de l’usager (i.e. bilan pédagogique). Les parents sont informés du projet, mais ne sont pas forcément consultés : « il ne s’agit pas d’une co-construction » (entretien ES22).

« […] c’est nous qui regardons les…qui avons en tête l’idée de quel besoin il a et puis finalement quel

objectif on se fixe et puis après on le donne à lire à la famille et puis ils peuvent nous faire un retour et nous demander des choses peut-être qu’on n’a pas mises ou…mais le problème c’est que…beh c’est un peu compliqué pour les familles de lire, mais…même si on est de langue maternelle française c’est compliqué parce que c’est des…on essaie d’écrire au plus juste, au plus facile mais des fois, ils ne voient pas vraiment… » (Entretien ES24)

Ce type de collaboration se base sur l’idée que l’institution et les éducateurs sociaux possèdent les connaissances et compétences éducatives concernant « ce qui est bon » pour l’usager, alors que les proches sont perçus comme des personnes peu compétentes devant être éduquées (Kontos & Dunn, 1989).

§ L’échange d’informations

La forme de collaboration la plus fréquente est l’« échange d’informations » entre les éducateurs sociaux et la famille à propos de l’usager, notamment sur des sujets tels que sa « santé », sa « problématique », son « développement », sa routine de vie (« sommeil », « alimentation »), son « comportement » (en famille et en institution, avec les pairs ou les figures d’autorité), les « objectifs » de l’accompagnement, les « progrès réalisés » par l’usager, les sources d’insatisfaction (« il y a des parents qui sont très forts pour te cracher aussi leur venin »

(entretien ES10)) ou d’inquiétude pour les parents, les « attentes » de chacun, les activités proposées ou encore le vécu familial.

La transmission et l’échange sont deux formes de collaboration qui vont souvent de pair, en fonction du contenu de l’information. En effet, les témoignages des éducateurs sociaux montrent que le projet pédagogique reste souvent l’apanage de l’institution qui informe la famille de son contenu et de son évaluation, alors que pour la gestion du quotidien la collaboration famille- institution est beaucoup plus étroite.

§ Le « vrai » partenariat

La dernière forme de collaboration observée correspond, d’une part, à la prise de décision commune, notamment pour ce qui est de la nature des stratégies éducatives à adopter face à certains comportements de l’usager (par exemple, violence, fuites), d’autre part, à la participation conjointe à la réalisation d’activités d’accompagnement (par exemple, « nourriture », habitudes de vie, utilisation d’« outils de communication ») visant le développement et le bien-être de l’usager. L’objectif principal du partenariat est de faire en sorte que « tout le monde tire à la même corde » (entretien ES19).

Dans certains cas, cette collaboration peut prendre la forme de soutien social, émotionnel ou instrumental, caractérisé par l’écoute et l’aide de la part de l’institution, des « besoins » de la famille et des « difficultés » qu’elle rencontre dans la relation avec l’usager. D’après les témoignages, cette dernière forme de collaboration se retrouve plus fréquemment dans les interventions précoces et préventives (i.e. interventions éducatives au domicile ou lieux d’accueil d’urgence et d’évaluation de situations) : en lien avec leur mandat institutionnel, un important travail éducatif est accompli avec l’enfant ou le jeune et sa famille pour dépasser la situation de crise et « amener les gens à réfléchir à ce qu’ils vivent, à trouver des solutions et à les accompagner dans leurs recherches de solutions » (entretien ES11).

« […] on va essayer, dans les plus brefs délais, de faire un entretien d'admission où la famille est

présente. Pour aussi poser les attentes et puis définir justement quelles sont les difficultés rencontrées. Donc dès le départ on est en contact avec la famille et après c'est vrai que comme nous on fait de l'accueil à court terme, donc il nous faut un maximum d'informations en peu de temps, on a des entretiens très réguliers avec la famille. » (Entretien ES9)

2.2 Les rencontres avec la famille : fréquence et acteurs

Certains éducateurs sociaux affirment ne rencontrer la famille qu’en de très rares occasions, voire jamais. Il s’agit des professionnels qui travaillent dans des institutions qui, en raison du mandat institutionnel et de la population d’usagers, n’exigent pas une telle collaboration, par exemple, les services ambulatoires pour personnes qui présentent des problèmes de dépendance ou encore les centres de jeunesse.

« Très peu. C’est-à-dire, nous on laisse…c’est un peu la politique, je dirais, que moi j’ai voulu, on

laisse la liberté, c’est-à-dire qu’à partir du moment où le jeune est au centre, je pars du principe que ses parents sont d’accord et sont au courant. […] Donc ça veut dire que moi je laisse la responsabilité au parent que le jeune soit là. » (Entretien ES5)

De manière générale, les institutions socio-éducatives organisent au moins « une », voire « deux fois par année » une rencontre formelle avec la parenté proche de l’usager. Au cours de ces bilans, sont généralement présents l’usager et les membres des différents microsystèmes qui l’entourent, à savoir les membres significatifs de l’institution socio-éducative qui prend en charge l’usager (i.e. « direction », « éducateur social référent », « psychologue »), les autres membres du réseau professionnel (i.e. « école », « assistant social », « SEJ » [Service de l'enfance et de la jeunesse]), ainsi que ses proches (i.e. « famille », « parents », « frère »). Ces rencontres ont souvent pour objectif de présenter le projet pédagogique de l’usager ou d’en faire le bilan.

Au-delà de ces rencontres annuelles, le suivi individualisé des usagers multiplie les occasions de bilans plus ponctuels avec les parents, allant d’une fois par semaine à une fois tous les trois mois. Ces rencontres, qui peuvent avoir lieu en présence ou sans l’usager, par volonté de l’institution ou de la famille, ont généralement pour objectif de suivre l’évolution de l’usager, de garder ou de tisser les liens entre l’usager et sa famille ou encore de créer une collaboration famille-institution. Finalement, aux dires des éducateurs sociaux, l’essentiel des échanges entre l’institution et la famille a lieu de manière informelle « entre deux portes », lors des échanges téléphoniques ou encore lorsque les proches viennent chercher ou amener l’usager dans l’institution après une sortie autorisée.

En synthèse, les analyses effectuées mettent en évidence que la collaboration entre les éducateurs sociaux et les familles des usagers peut être d’intensité variable et prendre différentes formes en fonction du contexte institutionnel (mandat, population) et des besoins de chacun (usager, famille, professionnel).