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3. L’ethnocentrisme personnel et professionnel

3.2 L’ethnocentrisme et le rapport entre « nous » et « eux »

L’ethnocentrisme est un phénomène universel, spontané et inconscient qui nous est transmis à notre insu et depuis l’enfance par le processus de transmission culturelle, plus particulièrement

par les processus d’enculturation et socialisation22. Il s’accompagne d’un processus de catégorisation sociale à partir duquel on distingue entre « nous » et « eux ». Par catégorisation sociale de soi (auto-catégorisation) et des autres23 est entendu le processus psychologique par lequel nous organisons notre environnement social, en regroupant les personnes en catégories sociales en fonction de certaines dimensions (par exemple, âge, genre, religion, profession, nationalité). La catégorisation sociale permet de structurer et simplifier la réalité sociale dans laquelle nous vivons pour qu’elle soit plus compréhensible. La réduction du nombre d'informations à traiter, la sélection des dimensions pertinentes et l’inférence de nouvelles caractéristiques nous permet ainsi de rendre notre environnement social lisible (Tajfel & Turner, 1986).

La catégorisation sociale permet également de créer et définir notre place en tant que membre de groupes particuliers au sein de la société. Autrement dit, elle nous amène à prendre conscience de nos appartenances à différents groupes sociaux et à nous focaliser sur les différences entre nos groupes d’appartenance et les autres groupes. C’est l’appartenance à des groupes sociaux qui nous donne une identité sociale, c’est-à-dire « the individuals’ knowledge that they belong to certain social groups together with some emotional and value significance to them of their group membership » (Tajfel, 1981, p. 255). Cette identification avec un groupe social particulier résulte de la prise de conscience d’un contraste entre le groupe dont nous faisons partie et avec lequel nous partageons une série de valeurs et de normes (endogroupe, « nous ») et les groupes auxquels nous n’appartenons pas (exogroupes, « eux ») (Tajfel & Turner, 1986).

Le processus de catégorisation sociale entraine deux conséquences principales : la minimisation des différences à l’intérieur d’un groupe (effet d’assimilation) et l’accentuation des différences entre les groupes (effet de contraste) sur les dimensions impliquées par la catégorisation. Ainsi, nous avons tendance à percevoir les membres d’une même groupe comme plus semblables entre eux qu’ils ne le sont en réalité (homogénéisation intragroupe) et à considérer les différences entre les membres de groupes différents comme plus importantes de ce qu’elles ne le sont réellement

22 L’enculturation est le processus implicite et inconscient par lequel le groupe transmet à l'enfant qui en fait partie des éléments culturels, normes et valeurs partagés, alors que la socialisation se réfère à l’ensemble des apprentissages organisés par des agents de socialisation pour orienter le comportement de l’enfant dans un sens déterminé (éducation formelle et informelle) (Dasen, 2000).

23 Les éléments présents dans ce chapitre – catégorisation sociale, identité sociale et comparaison sociale – sont constitutifs de la Théorie de l’identité sociale (TIS) élaborée par Tajfel et Turner (1986).

(différenciation intergroupe) (Gianettoni, 2007). En ce sens, l’identité sociale d’une personne dépend de son appartenance à un groupe, de même que de la différenciation qui existe entre son groupe d’appartenance (endogroupe) et d’autres groupes (exogroupes).

Comme les individus cherchent à développer ou maintenir une bonne estime d’eux-mêmes sur le plan individuel, ils sont motivés à satisfaire cette nécessité également au niveau de l’identité sociale, c’est-à-dire en tant que membres d'un groupe. Pour développer une identité sociale positive, le groupe d’appartenance doit paraître différent des autres groupes dans des aspects considérés importants et positifs par les membres de ce groupe. C’est donc par le biais de comparaisons intergroupes favorables à l’endogroupe qu’une identité sociale positive peut être établie. Comme les statuts des groupes dans la société sont hiérarchisés, la tendance de l’individu sera de se comparer à un ou des exogroupes moins valorisés socialement, afin de situer favorablement son groupe d’appartenance et bénéficier d’une identité sociale positive. Ce favoritisme, appelé biais pro-endogroupe en laboratoire, a son homologue dans la réalité : l’ethnocentrisme (Tajfel & Turner, 1986). Les relations intergroupes sont ainsi guidées par le principe de valorisation de son groupe d’appartenance : les membres d’un groupe sont amenés à se différencier positivement des autres groupes, voire à les discriminer, dans le but d’atteindre ou maintenir une identité sociale positive et d’augmenter la spécificité de son propre groupe (Gianettoni, 2007). Dans une situation où la comparaison est favorable au groupe d'appartenance et donc à son identité sociale, l’individu tentera de conserver, voire d’augmenter sa supériorité. Lorsque les comparaisons sont défavorables aux individus parce qu’ils font partie d’un groupe de statut inférieur et leur identité sociale est insatisfaisante, les individus essaieront soit de rendre leur groupe actuel plus favorablement distinct en luttant pour acquérir un statut élevé, soit de quitter leur groupe actuel et de joindre un groupe positivement valorisé (Tajfel & Turner, 1986). Pour résumer, l’ethnocentrisme est un phénomène qui se caractérise par un biais pro-endogroupe, c’est-à-dire par des attitudes et stéréotypes positifs à l’égard de l’endogroupe, des attitudes et stéréotypes négatifs envers les exogroupes, ainsi que par la conviction que l’endogroupe est supérieur aux exogroupes. Mais l’ethnocentrisme n’a pas uniquement des conséquences négatives : un certain degré d’ethnocentrisme est même nécessaire à la survie de l’endogroupe car il assure une fonction positive de protection de son existence : « L’ethnocentrisme doit être tenu pour un phénomène pleinement normal, constitutif, en fait, de toute collectivité ethnique en

tant que telle, assurant une fonction positive de préservation de son existence même, constituant comme un mécanisme de défense de l’in-group vis-à-vis de l’extérieur. » (Simon, 1993, p. 61).