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L’élaboration du questionnaire a été menée selon plusieurs contraintes, parfois contradictoires, qu’il a fallu tenter de concilier.

La première contrainte était temporelle : il fallait diffuser le questionnaire avant la formation prévue à l’ESPE à laquelle je participais afin d’éviter de fausser mes résultats : mon objet n’étant pas de mesurer l’efficacité d’une formation, mais plutôt de dresser un bilan diagnostique des conceptions des enseignants stagiaires. Aussi n’ai-je pas pu attendre la fin de mes recherches théoriques pour établir ce questionnaire : à leur lumière, j’apporterais aujourd’hui des modifications, des compléments. Ainsi, par exemple, la question de la morale républicaine ou de la conception laïque de la morale, pourtant centrale chez les fondateurs de la laïcité, n’est pas abordée directement.

Mon sujet m’imposait une deuxième contrainte, celle d’éviter deux écueils opposés. D’une part, en effet, il ne pouvait s’agir d’être trop concret dans les questions posées aux enseignants car cela aurait pu provoquer des réactions impulsives, émotionnelles qui eussent moins livrées une réflexion, des opinions que manifestées une sensibilité au sujet abordé, reflétant peut-être davantage le traitement politico-médiatique des différentes « affaires » que la pensée personnelle des participants. D’ailleurs, ces réactions sont souvent équivoques dans la mesure où elles peuvent être motivées par des opinions diverses. Ainsi en est-il, exemplairement, de la question du foulard islamique à l’école. D’autre part, il fallait veiller à être compris malgré l’approche théorique retenue, et il fallait ne pas décourager les éventuels participants par trop d’exigence conceptuelle. De plus, la volonté de couvrir l’ensemble des principales thèses développées sur la laïcité a considérablement allongé ce questionnaire pour une durée moyenne de réponse excédant 20 minutes. Il s’agissait donc d’essayer - mais n’est- ce pas le dilemme de toute enquête ? - de concilier exigence et accessibilité. La participation relativement importante des enseignants stagiaires malgré cette sollicitation ambitieuse me semble suggérer, non pas tant que j’y ai réussi, mais que ces derniers auraient de l’intérêt pour cette question, analyse que d’autres indicateurs confirment.

La troisième contrainte était de garantir l’anonymat des participants puisqu’ils étaient appelés, éventuellement, à faire état d’opinions contraires aux instructions officielles et qu’à

83 défaut d’une liberté d’expression, les résultats n’auraient plus eu la valeur espérée. Par conséquent, il fallait renoncer à la possibilité de contacter certains participants, dans un deuxième temps, pour conduire des entretiens d’explicitation.

Le questionnaire a été diffusé à l’ensemble des enseignants stagiaires par le biais du logiciel lime survey et du réseau des référents laïcité des ESPE, dans toute la France, du 5 janvier au 10 avril 2017. Un message de présentation précisait les conditions d’anonymat et le double objectif de permettre aux enseignants stagiaires d’exprimer leur opinion sur la laïcité et de contribuer à améliorer la formation en ce domaine. Toutefois, il importe de noter la caractéristique institutionnelle du mode de diffusion qui a pu avoir un effet sur la décision de répondre ou de ne pas répondre à l’enquête, et donc, une influence, éventuelle et non mesurable, sur les résultats.

Le questionnaire ( Annexe 1) se compose de six parties :

- une première (partie A) concernant des renseignements personnels permettant d’évaluer la représentativité de l’échantillon ainsi que d’identifier d’éventuelles variables significatives sur le positionnement des participants (âge, corps d’enseignement, formation initiale, ESPE de rattachement),

- une deuxième (partie B) portant sur le rapport des participants à leur mission professionnelle,

- une troisième (partie C) s’intéresse à leurs connaissances sur la laïcité (sources, références)

- une quatrième (partie D) questionne leur opinion globale à propos de la laïcité et de sa forme scolaire,

- une cinquième (partie E) s’inspire des principaux articles de la Charte de la laïcité en demandant aux participants leur niveau d’adhésion

- une sixième (partie F) leur soumet différentes affirmations issues des débats contemporains sur la laïcité pour lesquelles ils ont de nouveau à exprimer leur niveau d’adhésion

- enfin (partie G), un commentaire libre final est proposé. (à noter : les parties 5 et 6 laissaient également la possibilité pour chaque question d’accompagner les réponses d’un commentaire, toujours dans un souci de s’intéresser aux argumentations).

84 Le choix des questions a cherché à couvrir largement la problématique de la laïcité, du rapport aux valeurs jusqu’à la professionnalité, des instructions officielles aux thèses critiques les plus radicales.

S’agissant de ces dernières, qui m’intéressaient particulièrement, j’ai pensé la formulation et l’ordre de présentation de celles-ci avec le souci d’éviter au maximum le risque d’une perception par le participant d’intentions cachées de la part du concepteur. A cette fin, j’ai varié l’usage des formes négative et affirmative : aucune des deux n’est réservée à l’une ou l’autre des positions ce qui aurait pu conférer implicitement, et indûment dans notre projet, une valeur normative à certaines. De même, une même orientation théorique demandait tantôt d’opérer le choix « en accord », tantôt « en désaccord ». A l’inverse, pour la charte de la laïcité, les formulations d’origine ont été gardées car il s’agissait alors de se positionner par rapport à une norme justement.

Les thèses critiques étaient proposées sans l’ordre observé dans la catégorisation théorique. Certaines formulations peuvent être partiellement redondantes afin de repérer de possibles contradictions ou nuances plus fines. Beaucoup d’entre elles sont des citations ou paraphrases de textes retenus en bibliographie.

Un écueil, dont j’avais conscience en rédigeant le questionnaire mais que j’ai insuffisamment su éviter, consistait à réduire au maximum des ambigüités linguistiques. Par exemple, ceux qui affirment que « la laïcité républicaine est incompatible avec l’islam » le font- ils, à regret, par critique de la laïcité telle qu’elle est actuellement, par critique symétrique de l’islam ou par adhésion à une laïcité qu’ils voudraient incompatible avec l’islam ? Autre exemple : « Quelle expression vous parait la plus proche de votre conception de la laïcité ? », malgré l’ajout du possessif « votre » et du terme « conception » qui indique que la laïcité peut être l’objet d’acceptions diverses, certains participants n’ont pas donné leur conception de la laïcité, mais leur lecture personnelle de la laïcité existante, confusion qui fausse l’interprétation statistique : on a ainsi pu répondre « laïcité antireligieuse » par dénonciation d’un fait ou, à l’opposé et plus conformément à mon intention d’enquêteur, par caractérisation directe de sa conception de la laïcité. Un tel souci m’a conduit, à plusieurs reprises, à utiliser des expressions comme « la laïcité telle qu’elle est appliquée en France ». Il me semble qu’un prolongement de ce présent travail pourrait s’inspirer davantage des méthodologies utilisées dans les disciplines universitaires ayant un recours systématique au questionnaire. Pour compenser ce manque, j’ai mis à profit les commentaires abondants des participants qui en explicitant leur choix, m’ont permis de lever les incertitudes.

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