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Nous avons mis en évidence que les enseignantes et enseignants formés à l’étranger peuvent obtenir une autorisation d’enseigner au Québec s’ils remplissent toutes les conditions exigées et que leur embauche est devenue une réalité dans les commissions scolaires. Nous avons également vu que les enseignantes et enseignants débutants au Québec travaillent dans des conditions qui ne favorisent pas leur IP. Cependant, les recherches sur le personnel enseignant débutant au Québec ne font pas de distinction entre enseignantes et enseignants débutants qui ont fait leurs études au Québec et les autres enseignantes et enseignants débutants formés à l’étranger. La recension des écrits a montré aussi qu’aucune recherche empirique sur le personnel enseignant immigrant n’a été faite au Québec. Il n’en demeure pas moins que la revue des écrits fait état que les enseignantes et enseignants immigrants connaissent des difficultés spécifiques qui nuisent à leur IP. Compte tenu de cette problématique, nous posons la question de recherche suivante: comment les enseignantes et enseignants de migration récente au Québec vivent et perçoivent leur IP dans leur nouvel environnement scolaire et culturel?

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Nous venons de présenter la problématique de notre recherche qui débouche sur la question générale de recherche. Pour circonscrire cette question générale de recherche, nous allons asseoir un cadre conceptuel qui nous permettra de mieux comprendre le phénomène de l’IP des enseignantes et enseignants de migration récente au Québec. C’est ce qui fait l’objet du chapitre suivant.

DEUXIÈME CHAPITRE LE CADRE CONCEPTUEL

Selon Feld et Manço (2000), l’étude des processus d’insertion des immigrants «nécessite une investigation à un niveau suffisamment désagrégé pour tenir compte de l’origine nationale des immigrés, de leur histoire migratoire, du contexte économique et social» (p.15) qui prévaut dans le pays d’accueil. Ainsi, le fait de tenir compte de l’origine des personnes immigrantes peut aider à comprendre certains des défis qu’elles rencontrent au cours de leur insertion. Au Québec, on note actuellement que les personnes immigrantes arrivent de plus en plus des pays de culture arabe, africaine, asiatique et latino-américaine et de moins en moins des pays de culture occidentale (Toussaint, 2010). Le passage d’une culture à une autre impose des défis d’intégration à ces personnes immigrantes (Legault et Fronteau, 2008). En effet, selon eux, la confrontation entre la culture dont l’immigrant est porteur et celle de la société d’accueil provoque des chocs culturels qui résultent des situations

d’incompréhension. La connaissance de la culture du pays d’accueil est indispensable

à l’intégration des personnes immigrantes. Pour le cas des enseignantes et enseignants, il est primordial «pour que l’interaction enseignant/élèves ait un sens, que les élèves participent et comprennent les actions dirigées vers eux et, par leur rétroaction, permettent à l’enseignant de s’interroger sur ses gestes» (Toussaint, 2010, p.98). Les enseignantes et enseignants de migration récente au Québec doivent en effet apprendre à connaître la culture québécoise afin de pouvoir à la fois mieux communiquer et comprendre les réactions des élèves et des autres membres de la communauté scolaire. Ainsi, la maîtrise de leur métier et leur expérience dans leur pays d’origine ne suffisent pas, «ils doivent vite saisir les subtilités de la langue et de la communication, de l'organisation du travail et de la société, du système d'enseignement, des codes de déontologie» (Roux, 2003, p.4). Comme l’intégration et l’acculturation vont ensemble, la compréhension de ces processus permet de mieux saisir ce que vivent les nouveaux arrivants (Legault et Fronteau, 2008).

L’histoire migratoire doit être tenue en compte pour l’étude de l’insertion socioprofessionnelle des immigrants (Feld et Manço, 2000). Legault et Fronteau (2008) soulignent également que les modalités selon lesquelles se fait la migration «ont une influence déterminante sur le processus d’adaptation et d’intégration à la nouvelle société» (p.44). Une enseignante ou un enseignant qui a choisi de migrer au Québec va peut-être vivre différemment son insertion socioprofessionnelle par rapport à un autre qui s’est retrouvé au Québec comme réfugié. Chaque enseignant ou enseignante ayant sa propre histoire ou son propre parcours migratoire, la façon dont il ou elle va vivre cette transition d’une société à une autre, d’une culture à une autre et d’un système d’enseignement à un autre lui est unique. Le parcours d’intégration de chaque personne immigrante «varie plutôt en fonction des acquis et des vécus antérieurs» (Ibid., p. 51).

Il faut aussi considérer, comme le disait André Gariépy dans une entrevue accordée à Roux (2003, p.4), qu’«exercer un métier est un acte culturel». La culture étant enracinée dans un milieu de vie, l’enseignante ou l’enseignant doit connaître l’environnement dans lequel elle ou il vit «de manière à pouvoir y puiser des contenus adaptés à son enseignement et préparer l’enfant à entrer dans la vie» (Badiane et Ndione, 2002, p.81). Comme l’enseignante ou l’enseignant de migration récente se retrouve dans un nouvel environnement culturel, même les savoirs qu’elle ou qu’il enseignait devront aussi être adaptés au nouveau contexte pour les rendre signifiants et compréhensibles aux élèves. Cela peut aller jusqu’à modifier son rapport au savoir pour enseigner dans le nouveau contexte scolaire québécois.

Dans ce chapitre sur le cadre conceptuel, nous définissons d’abord le concept d’IP qui est un thème central de notre recherche. Ensuite, nous clarifions les différents concepts porteurs à l’étude de l’IP des EMR, c’est-à-dire les concepts de parcours migratoire, de transition socioculturelle, d’acculturation, de communication

interculturelle, d’intégration socioprofessionnelle et de rapport au savoir. Enfin, nous terminons ce chapitre avec les objectifs spécifiques de recherche.

1 L’INSERTION PROFESSIONNELLE EN ENSEIGNEMENT

Le concept d’insertion professionnelle (IP), qui est au cœur de notre recherche, est un concept polysémique qui se rapporte à des dimensions et des critères différents (Martineau, Portelance et Presseau, 2010 ; Mukamurera et al., 2008). Il importe de clarifier le sens que nous lui attribuons en fonction des orientations de notre recherche. Weva (1999, p. 194) définit l’IP comme un processus qui débute « dès la sélection des nouveaux enseignants et se termine lorsque ceux-ci ont réalisé l'adaptation nécessaire afin de fonctionner pleinement et efficacement au sein du système scolaire. » Dans le cadre de notre recherche, le processus d’IP des EMR commence dès leur installation au Québec lorsqu’ils commencent à s’informer sur les conditions d’équivalence des diplômes et d’accès à l’emploi et se termine lorsqu’ils ont réalisé l'adaptation nécessaire pour fonctionner pleinement et efficacement au sein du système scolaire québécois.

Selon Mukamurera et al., l’IP en enseignement touche quatre dimensions interdépendantes: l’insertion au plan de l’emploi, l’insertion au plan du travail, l’insertion au plan organisationnel et l’insertion au plan de la professionnalité. L’insertion au plan de l’emploi a principalement trait à «l’accès aux emplois, aux cheminements professionnels et aux caractéristiques des emplois occupés en terme de statut, de durée et d’avantages sociaux» (Ibid., p.53). L’insertion sur le plan du travail renvoie aux modalités de travail, c’est-à-dire à ce que la personne fait comme travail, aux exigences de ce travail et à sa complexité ainsi qu’à sa compatibilité avec la formation reçue. L’insertion au niveau organisationnel fait référence à l’intégration dans le milieu du travail, l’adaptation à la culture de l’école, l’intégration à l’équipe des collègues et des autres membres de la communauté. Bengle (1993, dans

Martineau et al., 2010, p.3) appelle cela la socialisation organisationnelle. Selon cet auteur, la socialisation organisationnelle est un «processus par lequel une personne en arrive à apprécier les valeurs, les habiletés, les comportements attendus et les connaissances sociales essentielles afin d’assumer un rôle dans l’organisation et d’y participer en tant que membre». Lacaze et Fabre (2005) notent que la socialisation organisationnelle concerne non seulement les jeunes qui débutent dans la profession, mais aussi les personnes qui sont en transition professionnelle ou qui changent de milieu de travail. La quatrième dimension, l’insertion au niveau de la professionnalité renvoie à la façon dont l’enseignant fait face aux diverses composantes de sa tâche, la manière dont il acquiert un savoir d’expérience, consolide ses acquis et développe ses compétences professionnelles. Aux quatre dimensions qui viennent d’être décrites, Mukamurera et al. (2013) ajoutent une cinquième dimension qui concerne l’insertion au plan personnel et psychologique. Celle-ci «réfère […] aux aspects émotionnels et affectifs de l’insertion.» (p.16) Comme l’indiquent ceux-ci, l’IP n’implique pas seulement un apprentissage cognitif. Elle est aussi une expérience humaine où chaque nouvel enseignant, par ailleurs porteur d’attentes et d’idéaux personnels associés à l’enseignement, fait face émotionnellement à sa nouvelle situation et interprète ce qu’il vit d’une façon qui lui est propre.

Le concept d’intégration socioprofessionnelle est proche de celui d’insertion. Étymologiquement, le mot intégration vient du latin integrare qui signifie rendre complet, rétablir dans sa globalité (Legendre, 2005). Selon Charpentier (2008, p. 26) : «Chaque fois qu’un être humain est coupé de ses racines et qu’il vient s’installer dans un nouvel espace, on peut dire qu’un processus d’intégration va être sollicité.»

Ricci (2001) et Taboada-Léonetti (1995) soulignent que la notion d’intégration est polysémique. Elle suscite des questionnements, des remises en question et change de signification selon les époques. Le Multidictionnaire de la

langue française (De Villers, 2003, p. 806) définit l’intégration comme une

Pour Feld et Manço (2000), l’intégration dépend de la façon dont l’individu s’incorpore à son nouveau milieu en adoptant la culture du milieu d’accueil. Ces définitions touchent la dimension culturelle de l’intégration.

L’intégration, selon Le dictionnaire actuel de l’éducation (Legendre, 2005, p.785), est définie comme un «processus par lequel les immigrés participent à leur société d’accueil par une activité professionnelle, l’adoption des comportements familiaux et culturels, l’apprentissage de la langue et des normes de comportement, etc.». Cette définition est plus explicite que les précédentes, car elle prend en compte plusieurs dimensions, notamment l’intégration professionnelle, culturelle et linguistique. D’ailleurs, la définition de l’intégration de Ricci (2001) est plus globale:

Être intégré, c’est participer totalement à la vie d’une société, c’est en être tout à fait membre. C’est aussi être reconnu par les autres membres de la communauté nationale comme faisant partie, en cette même qualité, de celle-ci. C’est enfin la possibilité d’accéder aux divers services, prestations et moyens que cette société met à la disposition de chacun de ses membres. (p. 14)

Cette définition est intéressante, car elle porte non seulement sur le rôle de la personne en processus d’intégration, mais aussi sur la responsabilité de la société d’accueil qui doit reconnaître cette personne comme faisant partie intégrante de la société. En effet, «Sans la collaboration de la population, les immigrants ne peuvent pas s’intégrer et devenir des citoyens à part entière.» (Buzzanga, 1974, p.12) Pour que leur intégration puisse être effective, il faut «des efforts des deux parties en question et un engagement commun» (Yim, 2000, p.30). Ainsi, une personne bien intégrée développe un sentiment d’appartenance au groupe ou à la société dans laquelle elle vit (Charpentier, 2008). Cependant, comme le mentionne Césari-Russo (2008, p.101), l’individu «peut avoir des difficultés à accepter, voire à intégrer ce qui lui semble être autre et différent». L’intégration peut donc rencontrer des résistances dues à «une crainte d’une invasion des étrangers, la peur de la perte de son identité» (Ricci, 2001, p.13). Comme on l’a vu dans la recension des écrits, certains enseignants immigrants

vivent de l’isolement social, du racisme et de la discrimination, ce qui freine leur intégration socioprofessionnelle.

Le concept d’intégration socioprofessionnelle est porteur pour notre étude sur l’insertion des EMR au Québec, car il permet de comprendre les défis auxquels ils font face au cours de leur insertion au plan organisationnel et professionnel. Comme les EMR intègrent un nouveau milieu de travail et un nouveau système d’enseignement, ils ont besoin d’une nouvelle socialisation aux niveaux organisationnel et professionnel pour réussir leur IP. Campoy, Waxin, Davoine, Charles-Pauvers, Commeiras, et Goudarzi (2005) indiquent que l’intégration dans une nouvelle culture comporte plusieurs défis d’adaptation:

La nouveauté de la culture organisationnelle augmente l’incertitude due au changement de l’environnement de travail et retarde l’adaptation. Plus la culture organisationnelle de l’organisation hôte est éloignée de celle de l’organisation d’origine, plus l’adaptation au travail de l’expatrié s’en trouve difficile. (p.358)

L’intégration socioprofessionnelle des EMR nécessite non seulement l’ouverture de ces enseignants aux membres de la communauté scolaire et à leur culture, mais aussi l’acceptation des EMR par les membres de la communauté scolaire. Sans leur accueil et leur collaboration, il est difficile que les EMR réussissent leur IP et leur mission éducative.

Dans le cadre de notre recherche, nous faisons nôtre la définition de l’intégration de Ricci tout en l’adaptant au personnel enseignant de migration récente. Pour nous, une enseignante ou un enseignant immigrant est intégré au niveau social et professionnel quand elle ou il se sent à l’aise dans son nouveau milieu de travail et dans son rôle, quand elle ou il est accepté et reconnu par le personnel de direction, les collègues et les élèves comme membre à part entière de la communauté scolaire et qu’elle ou qu’il bénéficie des avantages et privilèges que l’école accorde aux autres enseignants. De son côté, une enseignante ou un enseignant intégré devrait se sentir

accepté, s’impliquer dans les activités organisées pour le bien de l’école et se définir comme membre de cette communauté.

Dans le cadre de notre recherche, nous allons tenir compte des cinq dimensions dégagées par Mukamurera et al. (2013) pour comprendre de façon globale l’expérience que vivent les enseignantes et enseignants de migration récente au cours de leur IP. Dans le point qui suit, nous mettons en exergue les concepts porteurs à notre étude tout en soulignant les dimensions de l’IP auxquelles ils se rapportent.

2 LA CLARIFICATION DES CONCEPTS PORTEURS À L’ÉTUDE DE L’IP DU PERSONNEL ENSEIGNANT DE MIGRATION RÉCENTE

Les concepts qui font objet de clarification sont le parcours migratoire; la transition socioprofessionnelle et l’acculturation, la communication interculturelle; le rapport au savoir.