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De la transition socioprofessionnelle à l’acculturation

Selon Ntebutse (2009, p.95), «Chaque personne vit […] subjectivement le changement, l’affronte avec son histoire et interagit avec le contexte dans lequel il s’effectue.» Pour le cas des personnes immigrantes, c’est durant la phase

postmigratoire qu’elles vivent des changements au niveau culturel, social et professionnel. Tous ces changements impliquent une transition, ce que Bridges (1995) définit comme un «processus intérieur que l’on traverse émotionnellement pour digérer le changement. Elle est terminée quand on se sent à l’aise dans la nouvelle situation.» (p. 76). Vécue différemment selon les individus, la transition dure plus longtemps que le changement, car l’individu doit prendre le temps nécessaire pour s’adapter (Bridges, 2006; Roberge, 1998).

Bridges (2006) souligne que l’être en transition vit une période de deuil. Détaché de l’environnement affectif et social auquel il s’identifiait, il doit faire le deuil de ses anciens repères et automatismes afin de s’investir dans l’apprentissage des nouveaux codes et comportements adaptés au nouveau contexte. Toutefois, l’adoption de nouvelles façons de faire et d’être n’est pas facile puisqu’elle demande de désapprendre et de réapprendre en même temps (Collerette, Delisle et Perron, 2008). En effet, la personne peut sentir un malaise, voire un déséquilibre d’autant plus qu’elle «se trouve entre deux façons de faire et d’être, l’ancienne désormais perdue et la nouvelle qui reste à trouver» (Bridges, 2006, p.196). À cause de la perte des repères, la personne a l’impression de ne plus savoir qui elle est. Ainsi, elle éprouve de la confusion (Collerette et al., 2008) de la désorientation, de l’incompréhension, de la désillusion, de la solitude (Bridges, 2006) et une sensation de fatigue plus élevée et un sentiment d’incompétence (Collerette et al., 2008). En effet, «Les réalités quotidiennes paraissent vidées de toute substance. Les choses que l’on prenait pour la réalité deviennent une illusion.» (Bridges, 2006, p.132) De plus, comme l’indiquent Collerette et al. (2004, p.155), c’est «toutes les satisfactions qui venaient de la compétence acquise au fil des années qui seront remplacées par de multiples frustrations tout au long de la transition». Durant cette période, la personne vit un vide et cherche à combler ce vide. Elle a donc besoin de prendre du recul pour mettre fin à l’impasse dans laquelle elle se trouve. Ce temps de répit «permet de renoncer à voir le passé comme avant. De ce fait, on s’autorise également de regarder l’avenir d’un œil différent.» (Ibid., p.138). Ainsi, c’est l’ouverture à la nouvelle

culture, aux nouvelles façons de faire et d’être qui lui permet de «se sentir à l’aise dans le monde tel qu’il est et à stabiliser son identité en conformité avec les nouvelles conditions» (Bridges, 2006, p.196). Comme le souligne ce dernier, le lâcher-prise ouvre un nouvel horizon de possibilités et permet à la personne de devenir créative.

Le concept de transition est porteur pour notre étude sur l’insertion des enseignantes et enseignants de migration récente. En effet, qu’elle provienne d’un choix volontaire ou forcé, la migration «entraîne le relâchement ou la rupture de certains liens sociaux affectifs et professionnels et la perte de repères géographiques, sociaux et culturels» (Guilbert, 2005, p.2). Gagnon (1995) souligne aussi qu’«un transfert de société peut amener des changements plus ou moins importants selon que les différences entre les deux sociétés sont plus ou moins grandes» (p. 4). De plus, une fois installés dans leur société d’accueil, les EMR vivent «une multitude de transitions» (Meyer, Biron, Doray, Bélanger et Cloutier, 2006, p. 1) : des transitions au niveau social, culturel et professionnel. Ces transitions comportent d’énormes défis, car «Face à une interaction culturelle nouvelle, chacun dans sa singularité est impliqué différemment et fragilisé dans différentes sphères de son identité.» (Cardu, 2008, p.171) Les EMR vont donc vivre une période de désorientation-réorientation (Bridges, 2006) en ce sens que leur acculturation implique «une reconstruction identitaire où s’amalgament pertes de repères culturels et intégration de valeurs nouvelles» (Cardu, 2008, p.173).

Dans le cadre de notre recherche, nous considérons que la transition socioprofessionnelle constitue la période durant laquelle les EMR s’adaptent au nouveau milieu, aux nouvelles conditions d’emploi et de travail, s’imprègnent de la nouvelle culture de l’école et de la société d’accueil et s’approprient les nouvelles pratiques au niveau professionnel. Cette imprégnation dans la nouvelle culture est associée au processus d’acculturation.

Le dictionnaire actuel de l’éducation (Legendre, 2005, p. 785) définit le

concept d’acculturation comme un «ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes de personnes appartenant à des cultures différentes ainsi que des changements produits dans l’un ou l’autre des groupes». Cette dernière définition est presque identique à celle de Redfiels, Linton et Herskovits (1936, dans Stork, 1995, p. 280) selon lesquels l’acculturation est l’«ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l’un ou des autres groupes». Abou (1990, p.129), quant à lui, définit l’acculturation comme «l’ensemble des interférences culturelles que les immigrés et leurs enfants subissent, à tous les niveaux de l’adaptation et de l’intégration, par suite de la confrontation constante de leur culture d’origine avec celle de la communauté d’accueil».

Les trois définitions que nous venons de relever sont presque identiques à la seule différence que celle d’Abou (Ibid.) met l’accent sur les changements culturels subis par les immigrants alors que les deux autres indiquent qu’autant les immigrants que les membres de la société d’accueil subissent des changements culturels à la suite de la confrontation directe et continue de leurs cultures. Toutefois, comme le soulignent Bourhis et Bougie (1998, p.80), «ce sont souvent les immigrants qui sentent l’obligation de faire le plus d’efforts pour s’assimiler à la culture dominante de la majorité d’accueil.»

Berry (1997) distingue quatre stratégies d’acculturation des immigrants en fonction de deux aspects fondamentaux : le maintien de l’identité culturelle et l’ouverture à la culture de la société d’accueil. Il met en relief les caractéristiques de ces différentes stratégies. Les immigrants qui adoptent la stratégie d’intégration préservent leur culture d’origine tout en adoptant certains aspects de la culture de la société d’accueil. Ceux qui choisissent la stratégie d’assimilation adoptent totalement la culture dominante et abandonnent progressivement leur identité culturelle. La

stratégie de séparation implique que les personnes immigrantes choisissent de se mettre à l’écart ou de s’isoler des autres communautés ou de la culture majoritaire pour préserver leur identité culturelle. Lorsque leur isolement n’est pas choisi, mais que ce sont plutôt des membres de la culture dominante qui les forcent à s’isoler, on parle de ségrégation. La dernière stratégie, plus négative, est la marginalisation : les immigrants vivent en même temps le rejet de la part de la société dominante et la perte progressive de leur identité et de leurs valeurs traditionnelles. Berry (Ibid.) souligne que cela survient quand des immigrants en mode d’assimilation vivent des processus d’exclusion de la part des membres de la société d’accueil.

Selon Bourhis et Bougie (1998), l’adoption de l’une ou de l’autre des stratégies d’acculturation par les immigrants peut être influencée par les orientations d’acculturation des membres de la société d’accueil. Ces auteurs indiquent qu’il y a «concordance» lorsque les orientations d’acculturation des membres de la société d’accueil correspondent avec celles des immigrants et qu’il y a «discordance» quand les orientations ne coïncident pas ou ne coïncident que dans une très faible mesure. Ainsi, «les profils d’acculturation concordants ou discordants donnent lieu à des types de conséquences relationnelles différentes durant les rencontres entre les membres du groupe immigrant et ceux de la communauté d’accueil.» (Ibid., p.89) Ces conséquences entraînent des «relations dites consensuelles», des «relations problématiques» et des «relations conflictuelles». Ces divers types de relations peuvent se manifester dans plusieurs domaines comme l’emploi, les relations communautaires et dans différentes institutions comme l’école, les services de santé, la police et le système judiciaire. Ainsi, des orientations d’acculturation concordantes donnent lieu à des «relations consensuelles», c’est-à-dire des relations positives caractérisées par une bonne communication, l’absence de discrimination et l’absence de problèmes d’acculturation. Par exemple, si les immigrants et les membres de la communauté d’accueil veulent tous l’intégration ou l’assimilation, l’acculturation devient plus facile. Par contre, si les orientations d’acculturation des immigrants et celles de la communauté d’accueil sont discordantes, les relations peuvent être

problématiques ou conflictuelles. Les «relations problématiques» sont caractérisées par des problèmes de communication, des préjugés, des stéréotypes négatifs et peuvent donner lieu à un stress d’acculturation chez les personnes immigrantes. Par exemple, si les immigrants veulent s’intégrer alors que la communauté souhaite l’assimilation des immigrants ou inversement, leurs relations peuvent devenir problématiques. Quant aux «relations conflictuelles», elles impliquent un manque de communication, des stéréotypes négatifs, de la discrimination et du racisme. Par exemple, les membres de la communauté d’accueil qui optent pour la ségrégation ou l’exclusion des immigrants vont entretenir des relations conflictuelles avec des immigrants qui veulent l’intégration ou l’assimilation. Bourhis et Bougie soulignent d’ailleurs que les «exclusionnistes» sont les plus hostiles envers les immigrants puisqu’ils «sont les plus susceptibles de lancer des attaques racistes contre les immigrants et de mettre sur pied des mouvements politiques pour les dénigrer ou les expulser.» (Ibid., p.91)

Il importe de souligner que les orientations d’acculturation de la communauté d’accueil peuvent varier en fonction de l’origine ethnoculturelle de chaque groupe d’immigrants (Bourhis et Bougie, Ibid.). Ainsi, comme l’indiquent ces auteurs, les membres de la communauté d’accueil peuvent choisir l’intégration des immigrants d’origine culturelle X, mais opter pour l’exclusion des immigrants d’origine culturelle Y. Sélim (1981) abonde dans le même sens en soulignant que le degré d’acculturation dépend non seulement des cultures, mais aussi des populations en contact. Quand les personnes en contact ont des cultures très proches, l’acculturation est vue comme un enrichissement mutuel. Par contre, quand les groupes en présence ont des cultures qui n’ont rien de semblable, la confrontation des deux cultures peut être difficile, car «l’éloignement des cultures, quel qu’en soit le degré, joue comme un facteur négatif qui rend difficile l’acculturation» (Ibid., p. 54). Cependant, comme le précise Buzzanga (1974, p.172), «Un minimum d’acceptation des valeurs de la société d’accueil est indispensable pour qu’ait lieu l’intégration.» Parlant des

conséquences d’une mauvaise acculturation chez les immigrants, Charpentier (2008) écrit que :

Le «phénomène d’acculturation» est à considérer avec beaucoup de soin […]; quand l’intégration se fait dans de mauvaises conditions, […] le sujet adulte ou enfant présente des tendances de repliement sur soi ou, à l’opposé, des tendances agressives, mais aussi des états dépressifs, des comportements de critique et d’opposition. Concrètement, cela peut provoquer chez l’enfant des retards scolaires et chez l’adulte des échecs sociaux ou professionnels. (p.25)

Le concept d’acculturation est d’un grand intérêt pour l’étude de l’IP du personnel enseignant de migration récente au Québec. En effet, l’ouverture à la culture de la société d’accueil est requise non seulement pour accéder à l’emploi, mais aussi pour l’intégration tant sociale que professionnelle. Cependant, comme nous venons de le voir, leur intégration nécessite l’ouverture des membres de la communauté d’accueil à la diversité ethnoculturelle.