• Aucun résultat trouvé

Sur quoi ? La question de la maîtrise des problèmes mis en débat

Figure 1 - Différentes conceptions de l’organisation du débat public par les Cpdp

4. Sur quoi ? La question de la maîtrise des problèmes mis en débat

L’organisation des premiers débats publics a rapidement conduit la CNDP a précisé ce qu’était un projet relevant de l’application de la loi « Barnier ». Le débat public ne peut être ouvert que s’il existe un maître d’ouvrage unique du projet, ayant compétence pour prendre des engagements sur sa réalisation future, plutôt que seulement un porteur du projet.

Des choix diversifiés

C’est la première raison pour laquelle deux des projets dont la CNDP avait été saisie dès sa création ont été retardés. Le débat sur le barrage de Charlas a été longtemps retardé — le syndicat mixte d’études et d’aménagement de la Garonne ne possédant pas les prérogatives d’un maître d’ouvrage1 — et pour laquelle le débat sur l’aqueduc Rhône-Catalogne n’a jamais

1. La loi de démocratie de proximité ne parle pas seulement de maître d’ouvrage du projet mais également de « personne publique responsable du projet ». L’accord entre l’État et les collectivités concernées pour reconnaître cette qualité au SMEAG a été nécessaire pour ouvrir le débat sur le barrage de Charlas en 2003, plus de six ans après la saisine de la CNDP par France Nature Environnement.

été organisé, faute d’un accord gouvernemental entre la France et l’Espagne permettant de désigner un maître d’ouvrage qui, en tout état de cause, n’aurait pu être la Compagnie Bas-Rhône-Languedoc, bureau d’études promoteur du projet.

Ce rappel montre que la question de la maîtrise de la définition des problèmes par le maître d’ouvrage est centrale pour l’organisation du débat. Il existe cependant plusieurs manières de la concevoir dans le cadre fixé par la loi selon lequel le dossier soumis au débat est celui du maître d’ouvrage. La plus traditionnelle est celle encore adoptée dans un débat autoroutier récent, sur la liaison Lille-Amiens-Belgique : le dossier du maître d’ouvrage y défend une solution, celle d’une autoroute en tracé neuf, contre l’autre solution exposée, l’aménagement sur place de la RN2. Dans un autre débat autoroutier, sur l’A32, l’organisation du débat avait été retardée d’un an, dans l’attente des résultats d’une expertise commanditée par la Région et la préfecture, portant notamment sur les solutions ferroviaires d’amélioration des dessertes entre Metz et Nancy. Mais plutôt que de présenter contradictoirement au débat cette expertise et le dossier du maître d’ouvrage routier, l’État a choisi d’intégrer les résultats de l’expertise dans le dossier soumis au débat par le seul maître d’ouvrage, pour finalement montrer que les solutions ferroviaires envisageables ne répondaient pas aux mêmes problèmes, ni dans les mêmes délais, que ceux qu’entendait résoudre la nouvelle autoroute (Deffayet, Lefevre et Fourniau, 1999).

Dans le débat du Havre, la présentation par le maître d’ouvrage, en fin de débat, d’une nouvelle solution, présentée comme étant de synthèse puisqu’elle intégrait d’importantes mesures compensatoires sur le plan écologique (création de vasières), révélait en fait la préférence du port autonome pour l’une des 7 variantes à laquelle la nouvelle solution apportait des correctifs écologiques. Cette présentation révélait également que les autres variantes présentées tout au long du débat comme étant des « solutions » à l’accueil des grands porte-conteneurs dans le port, en fait, n’en étaient pas aux yeux du maître d’ouvrage. Cela a conduit les participants, en particulier la Cpdp, à s’interroger sur la portée d’un tel abus de langage pour la sincérité du débat.

La maîtrise de la définition des problèmes peut également conduire l’État à prendre beaucoup de liberté avec les saisines émanant d’autres acteurs, en jouant de l’avis qu’il a à donner sur ces saisines ou de sa faculté de saisine prioritaire. Dans le cas du débat sur les contournements lyonnais, la saisine de la CNDP par des élus portait sur le projet autoroutier dont des versions antérieures avaient fait l’objet de deux débats « Bianco » successifs en 1997 et 1999. Pour ne pas rééditer un débat ayant, à ses yeux, déjà eu lieu, l’État a adjoint au projet de contournement autoroutier par l’ouest de Lyon un projet de contournement ferroviaire par l’est de Lyon — projet tout juste sorti des cartons de Réseau ferré de France (RFF) et destiné au seul trafic fret — et a saisi la CNDP conjointement sur ces deux projets. Dans le cas du TGV Rhin-Rhône, la saisine initiale de France Nature Environnement portait sur la branche est de ce projet (Mulhouse-Besançon-Dijon). Celle-ci étant proche d’être soumise à l’enquête d’utilité publique et, de ce fait, plus susceptible d’être soumise à débat public, l’État a saisi la CNDP sur le projet de branche sud, encore peu défini mais seule branche permettant des dessertes Rhin-Rhône, de Strasbourg ou Mulhouse vers Lyon, au moyen du prolongement de la branche est vers Lyon à partir d’un raccordement entre Dole et Besançon.

Dans chaque débat sont ainsi questionnées les limites que la maîtrise de la définition des problèmes par le maître d’ouvrage et l’État impose à une logique d’exploration des possibles qui ferait jouer pleinement les capacités d’interpellation du public. La plupart des comptes rendus font en effet état de la même dynamique du débat : partant de l’exposé d’un problème et

des variantes de solution proposées par le maître d’ouvrage, le débat fait remonter les interrogations au fondement du problème, aux politiques publiques qui sous-tendent l’opportunité du projet. La réelle difficulté d’une telle dynamique est de savoir jusqu’où remonter en amont, d’autant que bien des fois le projet n’est que la mise en œuvre de décisions de politique publique déjà prises, décisions légales qu’un débat ne saurait défaire même s’il les met en cause. Avec les conditions de saisine se jouent ainsi diverses façons de circonscrire le champ de l’amont.

Option centrale : débat sectoriel versus débat territorial

Cependant les maîtres d’ouvrage reconnaissent de plus en plus que la concertation est une démarche politique : l’amont doit être compris dans sa dimension politique et pas seulement temporelle. « Concerter et débattre de l’amont, cela signifie que l’on doit discuter du “pourquoi“, du problème posé, de ce qui est à la genèse du projet, de son opportunité.(…) Cela va agiter l’opinion en plaçant le projet et ses initiateurs au cœur d’une controverse sur les aspects techniques, les impacts environnementaux, l’opportunité et l’aménagement du territoire. » (CGPC et SIC, 2002). Soumis à rude épreuve par le débat Boutre-Carros, les ingénieurs de Réseau de transport d’électricité (RTE-EDF) semblent aujourd’hui accepter également que leurs projets ressortent très fortement modifiés du débat, et auraient modifié en conséquence la manière d’élaborer les projets2. Ce fut notamment le cas pour la

« concertation recommandée » (l’une des modalités d’organisation du débat ouverte à la CNDP par la loi de démocratie de proximité) par la CNDP à RTE sur le projet de ligne aérienne à 225 kV dans le Lot, dénommée ligne du Quercy blanc, où la solution finalement retenue consiste en l’aménagement de la ligne existante à 63 kV, partiellement enterrée, couplé avec une politique ambitieuse d’économies d’énergie et de maîtrise de la demande en électricité (MDE).

Entrer dans cette démarche politique, c’est alors accepter que le débat ne soit pas strictement sectoriel mais concerne également l’avenir du territoire traversé par (ou accueillant) le projet pour l’y adapter. Le cas du débat Boutre-Carros illustre ce type de dynamique, avec l’exemple de la mise en équivalence des logiques sectorielles et territoriales par la notion de service public.

Mais dans le débat territorial, le maître d’ouvrage du projet n’a plus de responsabilité établie et devient un intervenant parmi beaucoup d’autres. Un tel changement d’identité n’est pas facilement accepté. D’autant qu’il est risqué : la configuration du débat devient très instable si l’État n’y assume pas pleinement son rôle. Et un tel débat peut vite perdre son objet si les collectivités n’y sont pas suffisamment actives, ce qui est pourtant le cas largement déploré par la plupart des Cpdp dans leurs comptes rendus.

L’enclenchement d’une vision politique de l’organisation du débat demande donc de reconnaître que la concertation est un apprentissage pour tous, ingénieurs et techniciens, élus, associations, acteurs économiques, public. Chacun doit pouvoir trouver sa place dans le débat, et y exercer son rôle sans confusion des responsabilités. Le débat est en effet le moment d’une construction sociale de la confiance (Leborgne, 2005) entre les acteurs. Les règles de l’échange

— circulation de la parole et maîtrise des problèmes mis en débat — formatent cette construction qui s’actualisera dans la suite du processus de décision.

2. Informations qui ressortent des échanges au sein d’un club des maîtres d’ouvrage consacré au débat public, club fondé et animé par l’un des ingénieurs EDF de l’équipe du projet Boutre-Carros aujourd’hui à la retraite, et auquel Jean-Michel Fourniau participe. Ce nouveau produit de l’apprentissage mériterait d’être soumis à une enquête circonstanciée.

Outline

Documents relatifs