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Bernard Dadié et Heiner Müller

3. La question de la méthode dans le traitement de notre sujet de thèse:

En vue d’une meilleure approche de notre sujet de thèse, nous avons jugé utile de partir de l’étude des discours pour aborder l’étude imagologique. Il s’agira donc des études imagologiques relatives à l’histoire du colonialisme et de la révolution dans les drames choisis de Müller et de Dadié sous la forme d’un ensemble de discours. A travers ces discours, nous distinguerons l’image du colonisateur, du colonisé et de la révolution véhiculée par Heiner Müller et Bernard B. Dadié selon qu’ils aient vécu directement ou indirectement les faits.

Ces études reposeront sur une analyse sociocritique de Claude Duchet et de Lucien Goldmann qui consistera à la lecture socio-historique des œuvres de Heiner Müller et de Bernard B. Dadié. A travers cette méthode, nous viserons d’abord le texte, rien que le texte (l’immanence du texte) de ces deux auteurs. Ensuite nous ferons ressortir la teneur sociale de ce texte (le rapport sociologique) ainsi que l’idéologie qu’il véhicule. Mais, puisque le texte est un tout, nous nous en tiendrons rigoureusement au texte écrit, en n’y ajoutant rien et en ne tenant compte que de l’intégralité de celui-ci. En outre pour concevoir l’image, donc la culture de l’étranger de façon objective, nous l’analyserons dans un système clos puisque l’image culturelle n’est pas polysémique, c’est pourquoi nous envisageons d’étudier les textes de Heiner Müller et de Bernard B. Dadié dans un système sémiotique. En effet, il y a une seule et unique culture avec une variété d’éléments qui la composent. Enfin, nous tâcherons d’atteindre le but de la littérature comparée qui est de mettre en évidence les différences ainsi que les similitudes et cela ne saurait être la fin en soi de la recherche. Ces différences, ces échanges, ces dialogues nous amèneront à un seul et ultime résultat: l’idée d’une complémentarité qui est le métissage culturel. Pour ce faire nous nous appuierons également sur la théorie senghorienne du rendez-vous du donner et du recevoir, concept assis sur le principe de stricte complémentarité car pour Senghor l’Homme Noir doit rester lui-même s’il veut avoir quelque chose à donner à l’autre.

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3.1 L’imagologie littéraire : son importance dans cette étude

Qu’est-ce que l’imagologie littéraire ? Quelle est son importance dans une telle étude ?

Dans son œuvre:L’Europe littéraire et l’ailleurs94, Jean-Marc Moura définit l’imagologie littéraire d’une

manière générale et essaie de rapprocher l’aire littéraire européenne des autres aires littéraires en ces termes:

L’analyse des représentations de l’étranger dans la littérature est l’un des domaines les plus anciens de la Littérature comparée, l’imagologie littéraire. Il m’a paru nécessaire d’examiner brièvement sa généalogie et sa théorie récente afin de vérifier comment elle s’établit au carrefour de l’anthropologie, de l’histoire des mentalités et des idées et de la sociologie» tout en se constituant sa propre méthode...Tour à tour soupçonnée de positivisme ou d’encyclopédisme vain, elle va cependant connaître une extension et une différenciation conceptuelles qui vont lui permettre d’affirmer sa spécificité selon deux axes :

L’interdisciplinarité: les études imagologiques se situent « à mi-chemin entre l’histoire littéraire, l’histoire politique et la psychologie des peuples ». Elles rencontrent ainsi les travaux des historiens et des sociologues. Elles s’inscrivent dans le champ de la sociocritique dans la mesure où elles vérifient comment telle image littéraire s’insère (ou pas) dans des ensembles de représentations plus vastes pouvant atteindre l’échelle du groupe social tout entier. On distingue à cet égard une « sociologie de la perception littéraire » (très proche de l’histoire et de la sociologie générale) et une « sociologie de la création » (identifiée à la sociocritique).

Les rencontres de nouvelles théories littéraires permettent de préciser sa démarche (de l’interdisciplinarité), notamment la sémiologie et l’esthétique de la réception. Dans son ouvrage synthétique de 1951, Guyard proposait un tableau récapitulatif les études imagologiques françaises selon les époques (du XVe s. au XXe s.) et les zones géographiques (All ., Gr. Bret., Ital., Espag., Russie). Sans

doute un tel classement n’aurait-il plus guère de sens aujourd’hui95

Cette théorie littéraire a connu une énorme éclosion grâce à Henri Daniel Pageaux qui en a défini les principes essentiels, selon Moura:

Les principes essentiels peuvent en être dégagés à partir de l’importante contribution de Pageaux. Le travail sur le concept d’image de l’altérité est au cœur de la problématique; pour en donner une brève idée, il consiste à définir l’image: en soi, dans sa relation à l’imaginaire social, selon la méthode qui

permet de l’analyser dans les textes. Ainsi:

Dans un premier temps:

L’image est entendue comme un «ensemble d’idées sur l’étranger prises dans un processus de littérarisation mais aussi de socialisation. L’exemple limite en est le stéréotype, «expression emblématique d’une culture», qui, au sein même du texte littéraire, renvoie à des significations idéologiques massives… En fait, le véritable enjeu d’une étude d’image est la découverte de sa « logique », «de la vérité», non la vérification de son adéquation à la réalité…

L’imagologie, elle refuse l’image littéraire pour la mise en présence d’un étranger préexistant au texte ou pour un double de la réalité étrangère. Elle la considère plutôt comme l’indice d’un fantasme, d’une idéologie, d’une utopie propres à une conscience rêvant l’altérité: « représentation d’une culturelle au

94Jean-Marc Moura : L’Europe littéraire et l’ailleurs, Presses Universitaires de France, 1988 Juin, Paris (Collection :

Littératures européennes dirigée par Alain Morvan, Jacques Le Rider, Didier Souiller et Wladimir Troubetzkoy) « L’Europe littéraire et l’ailleurs» de Jean-Marc Moura publié aussi sur le site

http://excerpts.numilog.com/books/9782130493129.pdf. Nous avons visité ce site en date du 03 octobre 2017

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travers de laquelle l’individu ou le groupe qui l’ont élaborée (ou qui la partagent ou qui la propagent)

révèlent et traduisent l’espace idéologique et culturel dans lequel ils se situent»96.

Dans un second temps:

Cette image est « partie d’un ensemble vaste et complexe: l’imaginaire. Plus précisément: l’imaginaire social». Celui-ci est l’«expression, à l’échelle d’une société, d’une collectivité, d’un ensemble social et culturel, de (la) bipolarité (identité/ altérité). Il a évidemment partie liée « avec l’histoire au sens événementiel, politique, social». La grande d’une étude imagologique consiste à retrouver le rythme, les principes et les lois propres, de cette « Rêverie sur l’autre», qui s’articule jusqu’à un certain point de

l’histoire, comme on l’a dit, mais qui ne saurait en être «l’ersatz» ou pire, le reflet97.

Dans un troisième temps:

La méthode d’analyse de l’image se fonde sur la relation entre l’image et imaginaire social. Elle ne saurait être contraignante dans la mesure où chaque problématique s’articule différemment sur les cadres historiques. ...

Les outils méthodologiques sont chaque fois imposés par les formes de la vie littéraire et / ou intellectuelle et par celles de l’imaginaire social du temps. Pour les œuvres littéraires, il est néanmoins possible de

distinguer trois principales (et très classiques) de l’analyse: le repérage des grandes structures plus souvent

oppositionnelles) du texte, les grandes unités thématiques, enfin le niveau lexical (les mots grâce auxquels s’inscrit l’altérité). Par-là, «l’organisation générale du texte» et « les principales stratégies narratives ou discursives » sont restituées, selon une démarche qui emprunte ses principes à l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss. Au total est élaboré un concept d’image de l’étranger relevant d’une interdisciplinarité maîtrisée. Ces aboutissements théoriques appellent toutefois des compléments98.

Selon Jean-Marc Moura, L’imagologie littéraire repose sur des éléments théoriques qui sont l’image, l’imaginaire social, l’idéologie et l’utopie. Toutefois, l’image est l’aspect le plus frappant de ces éléments et qui constituera une préoccupation majeure dans notre travail, d’où:

Pour l’imagologie littéraire, toute image étudiée est image de…, dans un triple sens. Elle est image de l’étranger, image provenant d’une nation (d’une société, d’une culture), enfin image créée par la sensibilité particulière d’un auteur. On a, dans cette triple détermination, un début d’explication des hésitations et tâtonnements propres aux débuts des études d’images. En effet, selon que l’on se concentre plus particulièrement sur l’un de ces points, on obtient des résultats fort distincts. Privilégier le premier élément, c’est insister sur le réalisme de l’image, c’est considérer avec Guyard, que «toutes réfractions, tous les prismes n’empêchent pas une image d’être l’image de quelque chose, de conserver quelque rapport avec la réalité qu’elle reproduit plus ou moins fidèlement (…). Sur le premier axe, deux «théories extrêmes» s’affrontent. Soit l’image est «référée à la perception, dont elle n’est que la trace, au sens de présence affaiblie», (théorie de Hume); soit elle est essentiellement conçue en fonction de l’absence, de l’autre que présent» (théorie de Sartre). Ces théories s’affrontent comme celle de «l’imagination reproductrice » et celle de l’imagination productrice» (…) Pour ces dernières, privilégiées par les études imagologiques depuis Carré, un auteur ne voit pas l’étranger, il le (re)crée selon sa propre sensibilité99.

Il s’avère par conséquent nécessaire de noter la différence qui existe entre la description de l’étranger par un auteur qui a vécu la réalité des faits et celui qui n’a fait que reproduire l’image de l’étranger selon les

96Bertrand Westphal, Pour une approche géocritique des textes. Publié le 30/09/2005. URL:

http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gcr.htm.

97Jean-Marc Moura, op. cit. pp. 38.

98 Idem. p. 40.

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témoignages d’un autre auteur. La description des éléments qui constituent cette image et la teneur de celle-ci diffèreront de celles qui ont été juste relatées. Celui qui a vécu le fait qu’il relate est moins exposé au danger d’une exposition de connaissance suffisante et artificielle. Il s’agit là d’une volonté de connaissance pure, objective, dépouillée de toute assertion subjective insistante. Nous ne saurions aborder aisément cette étude sans jeter de coup d’œil sur l’histoire de la littérature coloniale. En effet, la littérature coloniale s’avère toujours une théorie ambigüe et contradictoire:

Dans les trente premières années du XXe siècle, la théorisation et l’histoire des relations entre littérature et colonies ont connu une vogue certaine dans toute l’Europe, particulièrement en Allemagne (Hans Grimm), en Belgique, en Hollande, en Italie (dans le cadre de la propagande fasciste) et en France (…)

On peut parfois déceler trois acceptions du terme, qui se recoupent partiellement:

L’acception thématique : Hugh Ridley distingue par exemple la littérature coloniale, « l’ensemble considérable de fictions qui peignirent l’activité coloniale européenne pendant les années du « Nouvel impérialisme», environ de 1870 à 1914», et la littérature exotique, « reflétant un dilemme (en particulier pour la littérature française)»(…)

L’acception idéologique : la littérature coloniale, conçue comme une glorification de la colonisation, est assimilée au colonialisme (…)

L’acception sociologique : la littérature coloniale tout simplement celle des groupes sociaux de la colonie, celle du colonat. Les défenseurs des lettres coloniales dans les années vingt, en France, opposaient ainsi les voyageurs, ramenant quelques savoureux clichés en métropole, aux coloniaux écrivant sur ce qu’ils connaissent (…)100.

Le fait colonial n’a pas toujours été présenté avec beaucoup d’objectivité. S’il est vrai que la colonisation des peuples considérés comme des peuples inférieurs a duré des siècles et des siècles, force est de reconnaître aussi que la littérature coloniale a longtemps constitué un outil ayant servi à la promotion et à la propagande de celle-ci. Cette littérature coloniale se contentera de montrer uniquement les aspects positifs de ce système avec une image du colonisateur qui est loin de la réalité.

Qu’il s’agisse des auteurs ayant vécu le fait colonial ou de ceux qui se sont enquis des réalités coloniales de manière indirecte, toujours est-il que l’image du colonisateur et du colonisé est toujours erroné e dans le contexte de la littérature coloniale. Face à cette littérature, une autre littérature qui est celle des peuples colonisés va s’élever et les défenseurs de cette littérature anticoloniale s’évertueront à montrer une image plus ou moins objective du fait colonial. Pour ce faire, nous considérerons le témoignage de deux auteurs, l’un africain, ivoirien, ayant vécu le fait colonial et l’autre européen, allemand, s’étant inspiré des écrits sur le colonialisme : description objective ou subjective du fait colonial?

Or, en ce qui concerne la littérature européenne au service de la colonisation ou de la littérature coloniale

dont le but est de faire la promotion de l’asservissement colonial, Jean-Paul Sartre a, dans Orphée noir, simple

100 Jean-Marc Moura, op.cit. p. 109.

Voir aussi Les regards sur les littératures coloniales In

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introduction qui eut le retentissement mondial que l’on sait, décrit l’arrogance, vouée à sa perte par la vertu de la poésie antillaise et africaine, d’une Europe habituée à monologuer sur les autres cultures:

Qu’est-ce donc que vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires? Qu’elles allaient entonner vos louanges? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu’à la terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux? Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie, il était regard pur, la lumière de ces yeux tirait toute chose de l’ombre natale(…) Si nous voulons faire craquer cette finitude qui nous emprisonne, nous ne

pouvons plus compter sur les privilèges de notre race, de notre couleur, de nos techniques101

101 Jean-Marc Moura, op. cit., p.156.

Par ailleurs Kathleen Gyssels évoque dans son article «Sartre postcolonial ? Relire Orphée noir plus d'un demi-siècle» (p. 631-650) publié sur le site http:// etudesafricaines.revues.org/.../14952 le rôle primordial joué par Césaire et bien d’autres auteurs négroafricains du mouvement de la Négritude dans le combat contre la colonisation. Ous avons visité ce site en date du 05 octobre 2017.

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