• Aucun résultat trouvé

Introduction de la troisième partie:

1.2.1 La décadence de l’Allemagne et le discours colonial dans Germania Mort à Berlin

Heiner Müller, dans «Germania Mort à Berlin» rappelle l’histoire de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale en 1918, laquelle guerre a laissé l’Allemagne dans une situation économique, sociale et politique désastreuse. Nous partirons de ces éléments qu’il met en évidence dans la pièce et nous établirons par la suite un lien étroit avec le discours sur la nécessité de reconquête de nouvelles colonies des Nazis. Nous commencerons par la situation économique désastreuse de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale dans la scène 1:

Un homme qui revient de la guerre avec les séquelles de cette guerre et qui retrouve sa famille sans nourriture, ni argent et dans un environnement social et économique extrêmement désastreux:

Mari : C’était la guerre. J’y ai laissé mon bras. (Les séquelles de la guerre).

Femme : Tu t’en es sorti. Tout est comme autrefois. Vous allez avoir du pain les enfants, papa est de retour.

Mari : A condition que le pain soit à nous, ainsi que le four340.

Ceci exprime une incertitude quant à l’existence de denrées alimentaires et même des moyens pour s’en procurer.La faim chez les enfants ; ceux-ci se rendent chez le boulanger dans l’espoir d’obtenir du pain gratuitement, compte tenu de la situation ; mais ils seront désillusionnés. Le boulanger exige les sous:

Le boulanger: plus grand que nature…Mon pain de tombe pas du ciel. Vous avez des sous? Pas de sous

pas de pain. Je n’y suis pour rien341.

À cette situation de pénurie de pain, s’ajoute la situation de sécurité et d’instabilité sociales. Comme conséquence de la pénurie de pain ainsi que de la situation économique et social, des voix se sont faites

340Heiner Müller, Germania Mort à Berlin, op. cit., p. 41.

174

entendre et notamment celles des leaders de partis politique et surtout celle des Nazis avec à leur tête Adolf Hitler à la fin de la Première Guerre mondiale. Redonner du pain aux Allemands et retrouver la bonne santé d’avant la guerre, telles furent les promesses faites par le parti du National-socialisme à la fin de la Première Guerre mondiale. Mais en plus de cette situation économique désastreuse, s’ajoute les retombées politiques du Traité de Versailles en 1919.

C’est justement lors de la signature du Traité de Versailles que les sanctions furent prises contre l’Allemagne et ses alliés et pis l’Allemagne fut privée de toutes ses colonies et fut contrainte à de lourdes réparations économiques. La reconquête des colonies (notamment le Cameroun, la Namibie, la Tanzanie, le Togo, le Rwanda) perdues fut une des raisons majeures qui ont poussé Hitler et son parti à prendre le pouvoir, non seulement pour «donner le pain aux Allemands» mais également pour reconquérir les territoires. Bien-évidemment, il existe un lien étroit entre avoir du pain, ce qui est l’expression d’une bonne santé économique et les colonies d’où le pays retire ses ressources économiques, notamment les matières premières pour sa croissance économique. Bien que l’Allemagne eût la possibilité de se reconstruire économiquement à la fin des années 1920, elle dut faire face aux réparations exigées par la France. Il lui était donc impossible par exemple d’exploiter les mines de charbons dans la région de la Ruhr parce qu’occupée par la France jusqu’en 1923. Les conséquences économiques du Traité de Versailles sur la vie économique, sociale, et politique furent très désastreuses. Et c’est cette situation désastreuse que Müller décrit dans les premières pages de

Germania Mort à Berlin. Comment Heiner Müller décrit cette situation économique désastreuse dans

Germania Tod in Berlin?

Dans cette pièce, nous remarquons la dégradation des mœurs caractérisée par la présence de nombreuses prostituées qui font du travail du sexe une source de gain; les chômeurs, les personnes alcooliques (ivrognes), la croissance de la classe sociale la plus défavorisée, les prolétaires: Dans la scène 2, trois prostituées

échangent avec un souteneur, puis entre elles342:

Souteneur : La rue pleine de clients. Pourquoi ne travaillez-vous pas? Putain 1 : Jour férié, cadeau de l’État, mon joli.

Souteneur : Tirer un coup, Ça se fait sous tous les régimes.

Putain 2 : Avec moi, il faut se dépêcher. Au printemps j’aurai décroché… Putain 3 : Se marier avec un flic.

Putain 1 : Le blond me plaît.

175 Putain 3 : C’est le bouquet.

L’après Première Guerre mondiale est aussi une période caractérisée par de nombreuses séquelles causées par la mort de plusieurs soldats allemands. C’est pourquoi, il est de plus en plus question de veuves et

d’orphelins dans Germania Mort à Berlin:

Petit-bourgeois 2 : une bière pour les veuves et les orphelins.

La présence permanente de la boisson et des ivrognes à travers la pièce démontre l’état économique difficile qui entraîna à son tour la dégradation des mœurs. La prostitution devint un travail totalement légalisé par les autorités publiques. Il est de plus en plus question du sexe et ce de manière permanente. Ceci donne somme toute un tableau extrêmement sombre de la société allemande dont les mœurs se trouvaient en perpétuelle dégradation. Ceci est remarquable dans la scène «Hommage à Staline 2»

Jeune maçon (à une prostituée) : Tenez, que faites-vous ce soir Putain 2 : Il ne veut rien savoir. Ah, parlez-moi d’amour

Petit-bourgeois : Elle est encore vierge343.

Par ailleurs, il convient de mentionner que Müller ne se contente pas seulement de mentionner cette situation économique difficile, mais il fait une sorte de rappel, de souvenir et tisse un lien entre cette situation et l’importance du National-Socialisme à travers les personnages d’Hitler et de Goebbels dans cette pièce. De ce point de vue, le théâtre de Müller peut être considéré comme un théâtre historique. Müller, à travers l’évocation d’Hitler et de Goebbels en tant que pièces politiques maîtresse du National-Socialisme, met son lecteur en lien direct avec les causes majeures de la montée du socialisme en Allemagne. En effet, dans la scène,, Sainte Famille’’ Müller, rappelle ce rapprochement étroit et une intimité entre Hitler et Goebbels dans une sorte de parodie en les faisant passer pour des personnes saintes. En effet, ce parti doit sa montée en puissance en Allemagne à travers cette intimité:

Hitler : Joseph (Goebbels avec pied bot et des seins énormes, en état de grossesse avancée)

Goebbels: Mon Führer (Hitler tapote le ventre de Goebbels : que devient notre héritier. Il remue? Bravo. Tu bois ton essence? Il tire sur les tétons de Goebbels. La tétine est-elle bien dure comme il se doit chez une mère allemande? Bravo. Supériorité alimentaire, supériorité militaire)…

Goebbels : On n’a plus d’essence que pour trois jours344.

343 Heiner Müller, Germania Mort à Berlin, scène « Hommage à Staline 2», p. 67.

176

Quelle est enfin la pertinence d’une telle démonstration de la situation économique et de la montée du National-Socialisme en lien étroit avec notre thèse? La situation désastreuse de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, laquelle situation a été provoquée par le Traité de Versailles en 1919 a suscité un discours politique que nous pouvons considérer comme un non-dit de Müller dans sa pièce. Il s’agit du discours d’Adolf Hitler avec son parti le national-socialisme sur l’injustice, le dictat des puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale sur l’Allemagne en lui arrachant non seulement ses colonies, mais aussi des parties de son territoire telles que l’Alsace Lorraine et la région de Ruhr. Ce discours que nous pouvons qualifier de discours contre le colonialisme, l’occupation de l’Allemagne qui est un non-dit de la pièce de Müller est intitulé comme ceci:

L'état de l'Allemagne est la conséquence du traité de Versailles, ce diktat imposé aux Allemands par les vainqueurs de la première guerre mondiale. Ni le communisme, ni le grand capital ne peuvent sauver.

Les Allemands doivent se ressaisir, reprendre en main leur destin d'Allemand345.

Hilter renchérit son discours politique sur le traité de Versailles:

On aurait voulu se casser la tête contre le mur par désespoir devant un pareil peuple! Il ne voulait ni entendre, ni comprendre, que Versailles était une honte et un opprobre, ni même que ce diktat signifiait une spoliation inouïe de notre peuple. Le travail destructeur des marxistes et le poison de la propagande

ennemie avaient ces gens de toute raison. Et on n’avait même pas le droit de s’en plaindre346…

En effet, à travers ce discours de revanche prononcé par Hitler, les Allemands avaient vu en lui « un sauveur» venu pour essuyer tous les affronts subis par l’Allemagne. Ce qui a valu une véritable montée du National-Socialisme.

Par ailleurs, Müller, à travers Germania Mort `Berlin, consacre une place importante de cette œuvre à l’occupation de la République démocratique Allemande. Cette occupation, il la présente sous la forme d’une colonisation. Il rappelle le modèle de développement russe imposé en RDA. Ce modèle en effet fut une catastrophe. L’on a assisté à la transposition politique, économique, culturelle, militaire de l’ex-URSS. Ce fut en effet sous Joseph Staline. Celui-ci régna sur l’URSS depuis la fin des années 1920 jusqu’à sa mort en 1953. Celui-ci installa un régime totalitaire en URSS qui eut également des effets sur l’Allemagne de l’Est. Tout comme les puissances occidentales, l’URSS a propagé dans sa zone d’occupation son idéologie et sa vision. Cette occupation russe n’a pas toujours été au goût des allemands. Il le fait remarquer à travers le personnage du Petit-Bourgeois 2:

345https://storify.com/rtbfinfo/comment-hitler-est-il-arrive-au-pouvoir.

346Adolf Hitler, Mon combat, traduit par J. Gaudefroy-Demombynes et A. Calmettes, Paris, Nouvelles.

Editions Latines, 1979 et 1934, p. 462.

177

Petit-Bourgeois 1 : Staline est mort. Petit-Bourgeois 2 : Il l’a mis le temps.

Cette domination voire cette «colonisation» russe en RDA, Müller la présente dans Germania à travers certains symboles tels que La Volga (le plus grand fleuve d’Europe qui prend sa source entre Moscou et Saint Pétersbourg), Stalingrad (la ville située au Sud de la Russie et qui s’appelle depuis 1961 Volgograd), le personnage de Staline, le Stakhanoviste ((en référence au mineur soviétique Stakhanov) dans la scène : Hommage à Staline 2)).

Enfin dans la scène Les Frères 1, Müller rappelle la conquête de l’Allemagne, autrefois la Germanie par l’empereur romain Julius César (né le 12 ou 13 juillet 100 av. J.-C. et mort le 15 mars 44 av. J.-C). Il fut général, homme politique. Celui-ci repoussa les frontières romaines jusqu’au Rhin (fleuve d’Europe Centrale qui traverse l’Allemagne) et à l’Océan Atlantique en conquérant également la Gaule. Arminius nous rappelle le chef de guerre de la tribu germanique des Chérusques, connu pour avoir anéanti trois légions romaines au cours de la bataille de Teutoburg (Schlacht im Teutoburger Wald). Flavus fut soldat sous le règne de Tibérius (Tibérius Néron, né 85 av. J.-C. et mort en 33 av. J.-C). Il fut général et homme politique romain.

Par ailleurs, Müller évoque le fleuve Weser qui nous rappelle la bataille sur la rive droite du fleuve Weser. Cette bataille est appelée bataille d’Idistaviso et elle est considérée comme la revanche romaine contre les Germains à la suite de la défaite subie par Varus en l’an 9 lors de la bataille de Teutoburg. Dans une sorte de parodie, Müller parvient à regrouper tous ces chefs de guerre romains et germains qui menèrent des guerres farouches pendant des décennies sous le titre de «Frères 1». Ce rapprochement est assez remarquable dans Germania Tod in Berlin. Somme toute, à travers cette pièce, Müller rappelle la lutte farouche menée par les Germains contre la conquête romaine. Il abrège une histoire longue de centaines de siècles en un très bref paragraphe:

Le Véser coulait entre les Romains et les Chérusques; sur sa rive, Arminius parut avec les autres chefs et demanda si César était arrivé. On lui répondit qu’il était là, il sollicita alors la permission de s’entretenir avec son frère. C’était Flavus, qui servait avec ce surnom dans notre armée et qui se signalait par sa fidélité347.

Du point du vue du rapprochement des différents chefs de guerre romains et germains, nous notons encore

une déconstruction de l’histoire par dans Germania Tod in Berlin.

178