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Introduction de la deuxième partie de la thèse:

3.2 L’engagement : le militantisme politique de Bernard Dadié

Dadié est ici au cœur du combat politique ; il s’implique résolument dans l’activité politique. Mais nous notons ici que le père de Dadié ainsi que son oncle ont exercé une forte influence sur lui. Tandis qu’il travaillait au Sénégal, Dadié dut rentrer précipitamment en Côte d’Ivoire en 1946, sur l’appel de son père afin d’y continuer la lutte politique. Nicole Vinciléoni rapporte ici les propos du père de Dadié, Gabriel Dadié, en ces termes:

Tu te bats au Sénégal, c’est bien. Mais ici, il y a bien plus à faire pour recouvrer notre dignité et pour faire accepter aux colons le respect de nos droits les plus élémentaires. J’ai besoin de toi, ici

pour que nous nous battions ensemble178.

Par ailleurs, l’influence du père, Gabriel Dadié était tellement forteque le fils Bernard Dadié n’a pas du tout hésité à s’engager au sein du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). En effet, qu’il s’agisse d’un père ou d’une mère biologique ou de toute autre personne étant plus âgée que soi, conformément aux mœurs de l’Afrique traditionnelle, cette personne mérite le droit d’aînesse et de ce fait l’enfant ou le cadet lui doit absolument obéissance. Ainsi Frédéric Lemaire fait également remarquer cette forte influence du père de Dadié sur lui en ces termes:

177 Jäger, Christian: Gilles Deleuze- Eine Einführung. München 1997.

178Nicole Vinciléoni, Comprendre l’œuvre de Bernard Dadié, p. 53. Il s’agit du témoignage de Bernard

Dadié sur son père. Tant à Agboville (ville à l’Est de la Côte d’Ivoire) qu »’à Abidjan, toutes les réunions interdites se tenaient dans la concession de Gabriel Dadié (le père de Dadié).

Cercle Biaka Boda, LES DADIÉ, de GABRIEL à BERNARD. HISTOIRE D’UNE FIDÉLITÉ (3/4) , article publié en août 2017 sur

cerclevictorbiakaboda.blogspot.com/.../les-dadie-de-gabri...d-histoire_69.html ; il décrit l’enfance de Bernard Dadié et surtout son engagement politique èa côté de son père. Nous avons consulté ce sit en date du 05 octobre 2017.

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Il est incontournable que la personnalité de Gabriel a joué un rôle déterminant dans l’itinéraire intellectuel et politique de Bernard Dadié. Sur le plan personnel, l’écrivain avouait qu’il gardait de son père, l’image

d’un homme juste, généreux, mais dur avec lui-même et avec ceux qu’il aimait ou estimait179.

Dadié rentre à Abidjan à la demande de son père et se met au service du PDCI-RDA (Parti Démocratique

de Côte d’Ivoire) 180 en qualité de responsable de la presse au sein du comité directeur du parti. Il reste à ce

poste de 1947 à 1953. Toutefois, cette influence est partagée comme nous l’avions dit plus haut. En plus du père Gabriel, l’oncle de Dadié y a joué un rôle considérable. Ainsi l’oncle de Bernard Dadié a pu influencer l’engagement politique et la lutte de Dadié contre le colonialisme. Ici Dadié parle de Climbié qui est

l’incarnation de l’auteur lui-même dans son œuvre autobiographique Climbié. Il parle d’un fait réel qu’il a

vécu avec l’oncle :

Ce soir-là, Climbié dévorait un de ces livres, lorsque l’oncle Assouan Koffi l’appela. Le cœur lui battit. Qu’avait-il fait encore? En quelques secondes, il eut passé tous ses actes en revue. Non, il n’avait rien à se reprocher aujourd’hui. Aucune assiette cassée, le lit dressé. La table desservie, et bien nettoyée. Rassuré, il se présenta. L’oncle feuilletait lentement un livre illustré. Regarde ces photos, lui dit-il… Approche… Place-toi là, à ma droite afin de mieux voir. Et les pages tournaient une à une. Climbié, les regardait.

Tiens, un homme enchaîné, un Nègre entouré de policiers blancs181.

Nous notons que l’influence de son père ainsi que celle de son oncle ont conforté la position de Dadié dans son combat contre le colonialisme. Cet engagement lui a permis de passer rapidement de son statut de simple militant à la position de porte-parole de son parti. Avec cette position, il fait partie des décideurs politiques du parti, une position qui lui donne l’occasion de mieux s’exprimer tout en défendant les intérêts supérieurs du parti:

L’activité du militant n’est pas limitée à l’organisation de la presse, à la collecte des nouvelles et à la confection d’articles quoiqu’il y consacre la plus grande partie de son temps. Il intervient à plusieurs reprises, par des communications, au congrès de la section de Côte d’Ivoire tenu en octobre 1947 à

Abidjan et au deuxième congrès international tenu également à Abidjan du 2 au 6 janvier 1949.182

L’engagement politique de Dadié dans son pays comme réponse à l’invitation de son père a eu des retombées positives sur le jeune Dadié: il devient membre désormais du comité directeur du parti et par conséquent parle d’une voix plus écoutée et respectée ; son message ainsi que son combat contre l’injustice sociale a désormais plus d’impact, ce qui pourrait lui permettre d’avoir plus de responsabilité au sein du parti. Toutefois, cet engagement n’a pas eu que des retombées positives ; il en a eu de négatives. Dadié dut faire de la prison à cause de son engagement politique:

179 Frédéric Lemaire, Bernard Dadié : itinéraire d’un écrivain africain dans la première moitié du XXe

siècle, L’Harmattan, p. 31

180 Parti Démocratique de Côte d’Ivoire- Rassemblement Démocratique Africain. Ce parti a été créé en

1960 par Félix Houphouet Boigny pour l’émancipation du peuple noir.

181 Frédéric Lemaire, Bernard Dadié, op. cit., p. 32.

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Le 09 Février 1949, soit trois jours après les incidents de Treichville, Bernard Dadié, délégué à la presse du PDCI-RDA est « mis sous mandat de dépôt » à Abidjan avec cinq compagnons qui sont Jean-Baptiste Mockey, Secrétaire administratif, Jacob Williams, Responsable à l’Éducation, Koré Séry, Trésorier du Comité de Coordination, Albert Paraiso, Secrétaire à la propagande et enfin Philippe Vieyra, Secrétaire à l’Organisation, sous-session d’Adjamé. Dans l’après-midi, les six hommes accompagnés d’un camarade arrêté la veille, Kamara Lamad, Secrétaire général de la section d’Adjamé, sont conduits à la prison de

Grand-Bassam, distante d’une cinquantaine de kilomètres d’Abidjan183.

L’engagement politique de Dadié ne se résume pas seulement à ses activités politiques au sein du PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire); Dadié est un vrai passionné de la cause africaine et au-delà. Il se veut un défenseur de la justice et de l’égalité entre les individus et les races. C’est en cela qu’il utilise son théâtre comme moyen de satire sociale. Il en est de même de tous les genres tels que la poésie, le roman et les contes. L’œuvre littéraire de Dadié exprime son engagement socio-politique et surtout un moyen de prise de conscience, tout comme Kotchy le signifie en ces termes:

Dadié procède à une remise en question des nouvelles institutions qui se révèlent extraverties, inadaptées aux besoins réels du peuple africain, mais correspondent aux intérêts des dominants Nègres-blancs, agent de l’impérialisme international. Son théâtre se présente alors comme une véritable satire politique. C’est un théâtre de conditions sociales… particulièrement critique, et qui appelle notre adhésion. Il assume une fonction : il devient un facteur de prise de conscience, une arme

de lutte, un moyen d’éducation. C’est un art engagé184.

En réalité, les intérêts de l’Afrique, la cause africaine passent avant toute autre chose chez l’écrivain. Aussi Dadié a-t-il pris ses distances vis-à-vis des partis qui bien qu’ayant leurs sources à l’étranger, prétendent défendre les intérêts de l’Afrique. Dadié est plus réaliste en ce qui concerne les valeurs culturelles africaines ainsi que la défense des valeurs africaines par les Africains eux-mêmes. En réalité, à une époque où le combat contre le colonialisme connaissait ses heures chaudes, des groupes politiques prétextant défendre la cause anticoloniale furent formés. Ces groupes politiques servaient de contrepoids aux vrais défenseurs de la cause nègre. C’est pourquoi, Dadié est plus prudent dans son combat et ne voudrait pas s’allier à n’importe quel groupe politique. Cette prudence est exprimée en ces termes:

Comme déjà avant 1940, Bernard Dadié n’adhère à aucun parti politique métropolitain et ne se définit par référence à aucun de ces partis français, pour lui étrangers, qui cherchent à diriger le jeu de la vie politique (re)naissante en Afrique. Il réserve son action, volontairement, pour les mouvements strictement africains dans le fond et dans la forme, mais cela sans intolérance

aucune185.

183 Vinciléoni Nicole, op.cit., p. 116.

184 Kotchy, la critique sociale dans l’oeuvre théâtrale de Bernard Dadié, p. 13.

Voir également l’œuvre de Bernard Dadié sur prologuenumerique.ca/.../telechargement/extrait.cfm

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Par ailleurs, le militantisme politique de Bernard Dadié est d’autant plus remarquable et ceci à travers le choix d’un genre littéraire qu’il estime lui garantir plus la liberté d’expression. Le théâtre n’était pas nécessairement un moyen pour distraire ni pour déconcentrer les militants du mouvement de la Négritude aux heures chaudes du combat contre le colonisateur. Au contraire. Ce genre littéraire, axé sur les mises en scène était un moyen efficace qui favorisait les caricatures, les imitations, le gestuel, une meilleure représentation du contexte socio-politique de l’époque ; ce nouveau choix en faveur d’une nouvelle orientation d’écriture théâtrale par Dadié fut soulignée Kotchy en ces termes:

Depuis 1966, Bernard Dadié s’est résolument tourné vers la création des œuvres dramatiques avec des orientations nouvelles. Il s’est effectivement engagé dans la voie du théâtre socio-politique. Il a rejoint ainsi Césaire et Kateb Yacine. Non, il répond plutôt aux préoccupations de l’Afrique contemporaine, aux

aspirations profondes de son peuple186.