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En réponse aux mouvements actuels mondialisés d’accélération et d’esthétisation, les disciplines de l’aménagement gagnent à s’attarder au caractère esthétique de l’expérience du lieu. Le terme « expérience », utilisé à outrance dans la foulée du capitalisme-artiste des dernières décennies (Lipovetsky et Serroy, 2013) et empreint d’une incontournable ambiguïté mérite d’être continuellement redéfini à la lumière des réalités contemporaines qui influencent et fondent la pertinence de l’aménagement d’intérieur. Sans cette conscience aiguë de la portée potentielle du vécu des espaces, le professionnel de l’aménagement semble devenir l’instrument de la

marchandisation de l’aménagement, pourvoyeur de sensations instantanées et interchangeables. En considération des réflexions émergentes au sein de la pratique des disciplines de l’aménagement, il semble impératif de s’attarder à la définition des modalités de l’expérience esthétique de

Odeurs

Théorie de la perception environnementale de Böhme

Théorie psycho-cognitive de la réception esthétique de Schaeffer Lumière Matières Environnement Perception Synesthésie Sensus communis Atmosphère Apprentissage par l’expérience (Dewey) Processus d’interprétation de l’expérience Émotions Attention Hédonisme Odeurs

l’environnement bâti. En éditorial de l’édition « Sfeer Bouwen / Building Atmosphere » du

Journal for Architecture, les architectes Havik, Teerds et Tielens déclarent : « […] after a period

in which ‘programme’, ‘data’ and ‘image’ reigned supreme, we are witnessing a renewed search for atmosphere in many contemporary architecture practices. » (Havik, Tielens et Teerds, 2013, p. 3) Dans quelles circonstances l’expérience d’un lieu devient-elle significative et riche pour

l’individu ? Les aménagements d’intérieurs s’offrent à lui à travers le déploiement d’un langage de design dans un contexte construit. Les matériaux, la lumière, les volumes s’adjoignent au sein d’une planification pour servir la vocation de l’espace aménagé. Au-delà des besoins d’ordre fonctionnels, les intérieurs peuvent exercer un pouvoir d’expression qui permette à l’individu d’accéder à une qualité d’expérience attentionnelle et émotionnelle de haut niveau (Schaeffer, 2015). Sous ce rapport, les réalisations « atmosphériques » de l’architecte suisse Peter Zumthor se présentent comme des cas prometteurs quant à l’étude du phénomène esthétique en aménagement d’intérieur. D’emblée, ce ressenti atmosphérique correspond-il à une expérience du lieu dite « esthétique » ?

L’objectif premier de cette étude est de mieux comprendre le rôle de la matière au sein d’un expérience significative de l’environnement construit. Zumthor est un architecte qui, à travers l’exploration de thèmes centraux tels que la « compatibilité matérielle », « la température du lieu », l’« intimité » ou l’« architecture comme environnement » (Havik et al., 2013, p. 5), semble en quelque sorte avoir opérationnalisé le concept d’atmosphère de Böhme au sein de sa pratique de l’architecture. Les matières constituent, selon lui, une des dimensions dominantes de sa démarche de conception. Au moyen de l’examen du vécu expérientiel de trois musées conçus par l’architecte Peter Zumthor, la présente étude s’emploie à trouver réponse aux interrogations suivantes :

Pourquoi les matières constituent-elles un générateur d’expérience particulièrement puissant au sein de l’expérience des espaces intérieurs ? Quelles sont les stratégies de production

d’atmosphère mises à profit au Musée d’art de Bregenz, au Musée Kolumba et au Musée de la mine de zinc d’Allmannajuvet ? Comment circonscrire les générateurs du vécu esthétique et leur interaction au sein d’un tel vécu ?

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Méthodologie de recherche

La rareté des réflexions consacrées au potentiel expérientiel de la matière, au sein du corpus théorique appliqué à l’aménagement d’intérieur, invite à poser le regard sur cette circonstance particulière. Puisque cette étude s’emploie à approfondir la compréhension d’un phénomène complexe et difficile à mesurer, soit l’expérience esthétique de l’aménagement d’intérieur, et plus spécialement le rôle de ce que l’on suppose être un de ses générateurs, la matière, la recherche qualitative semble permettre de relever un maximum d’indices menant à

l’exploration détaillée de cette occurrence. (Creswell, 2018)En préambule à un numéro de la

revue SpécifiCITéS intitulé « De la recherche qualitative à la recherche sensible », Brito et Pesce

présentent la recherche qualitative en soulignant une de ses dimensions fondatrices : « Elle est

caractérisée par une grande diversité, néanmoins certains éléments transversaux sont communs à l’ensemble des approches qualitatives. C’est notamment le cas de la sensibilité qui semble être au cœur de la démarche qualitative. » (2015, p. 2)

Tenant compte du caractère résolument subjectif de l’empreinte que peut laisser la matière au sein de l’expérience d’un lieu, cette étude est librement inspirée par l’approche de recherche phénoménologique. Issue d’un postulat philosophique fortement appuyé par les écrits du

philosophe allemand Husserl, dont les idées guident encore aujourd’hui les chercheurs adeptes de cette approche, la phénoménologie serait basée sur l’idée d’intentionnalité de la conscience : la conscience serait toujours intentionnelle, elle serait toujours « conscience de quelque chose ». (Kunzmann, 2010) et se positionnerait aussi en dehors de la traditionnelle dichotomie sujet-objet. Il est opportun de souligner que Böhme reprend la proposition husserlienne qui suggère l’abandon du cadre dichotomique objectif-subjectif comme piste de compréhension du concept

d’atmosphère, qu’il considère comme le chaînon manquant qui lierait production et réception esthétique. (Böhme, 2017) Il faut toutefois préciser que cette approche est ici mise à profit à travers l’intégration de la chercheuse comme participante et l’incorporation de son expérience directe comme outil de compréhension des concepts étudiés. (Creswell, 2014, p. 15) Le phénomène est donc positionné au cœur de l’enquête et intègre des voix participantes, incluant celle de la chercheuse, afin d’acquérir un maximum de connaissances in situ et a posteriori.