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3.6 Les consensus et associations thématiques

3.6.4 Consensuel pour les trois musées

Certaines dimensions des expériences relevées sont communes aux trois musées étudiés. La matière est connotée avec force et sobriété et son potentiel symbolique est exploité de manière à servir la vocation muséale. Au KUB, le verre filtre la lumière et enrichie l’expérience perceptive des espaces intérieurs. Au KOL, la maçonnerie exprime la superposition des histoires. Au ALL, le zinc connecte les nouvelles constructions à l’ethos du musée. L’expérience de la lumière et des ombres s’affirme avec grande puissance au Musée d’art de Bregenz et est également un thème majeur à Kolumba. Dans les deux cas, la lumière est présentée comme présence physique, elle prend corps et devient élément constitutif de l’espace qui appelle l’imaginaire et l’interprétation. Au Musée de la mine de zinc, la noirceur qui caractérise les espaces intérieurs est aussi

significative et élevée par son contraste avec l’éclat de la nature environnante. La clarté naturelle est, dans les trois cas, le type d’apport lumineux privilégié. Tant au KUB, au KOL qu’au ALL, l’expérience perceptive est conditionnée et planifiée ; elle est mise au service de l’art ou de la fonction commémorative. « The viewer’s perceptions are conditioned and sensitized, so that the viewer is “forced” to go through the house with awakened senses. » (Achleitner, 1998, p. 54) Les vues sont cadrées avec précision, la matérialité et les palettes chromatiques sont condensées et lisibles. Les récits parlent d’expériences pluri-sensorielles ou d’environnement sensuel. Cependant, le caractère olfactif du vécu est complètement absent des commentaires, les

dimensions acoustiques et thermiques sont abordées de manière marginale (KUB). À chaque fois, les circulations ou espaces de déambulation (escaliers, passages, sentiers) deviennent partie prenante de l’expérience spatiale et sensible des trois musées. Selon les dires des auteurs, le temps s’exprime par la coexistence des ressentis référant à des temporalités mixtes. Les rythmes

cohabitent au sein de l’expérience : celui du visiteur (ralenti), les cycles naturels journaliers et saisonniers (conditions atmosphériques et ensoleillement) et ceux de l’histoire (passé, présent, futur). Le contexte naturel des sites de projet habite l’expérience, soit directement en s’offrant à la vue, soit plus subtilement par le biais d’ambiances lumineuses, atmosphériques ou sonores. Les témoignages font également consensus quant à l’expérience d’un ressenti contemplatif, ponctué

d’impressions vives ou profondes perçues au moyen de contrastes, d’effets surprenants ou puissants, ambigus, inhabituels, inoubliables, prégnants, touchants. « In certain specific cases, architecture and art use a common vocabulary, each intensifying the other. They are then united in an experience that the visitor will find unforgettable. » (Moldoveanu, 2000, p. 60)

À l’examen des trois schémas de mise en relation des générateurs d’expérience présentés plus haut, quelques constats s’imposent quant à la répartition des thèmes au sein de l’échelle de puissance des générateurs identifiés.

Tableau III. Tableau comparatif des thèmes générateurs d’expérience selon leur puissance

Puissance du générateur d’expérience

Musée d’art de Bregenz (KUB) Musée Kolumba (KOL) Musée de la mine de zinc

d’Allmannajuvet (ALL)

Grande puissance Ombres et lumière Mémoire et temps Site et contexte

Puissance modérée

Perceptions sensorielles et haptiques Imaginaire et potentiel interprétatif Émotions

Ombres et lumière

Faible puissance

Volumes et proportions

Imaginaire et potentiel interprétatif Perceptions sens. et haptiques Matières Émotions Couleur Site et contexte Peu/pas de puissance Fonctionnalité Couleur Couleur

Mémoire et temps Matières

Ombres et lumière

Thèmes de puissance similaire au sein de l’expérience des musées

Le Tableau III permet de mettre en lumière les générateurs les moins présents (faible puissance, peu/pas de puissance) au sein des récits d’expérience. Il révèle l’importance minime accordée à la lisibilité des fonctions et des impératifs constructifs ou programmatiques. Les

volumes et proportions apparaissent également comme un thème dont l’impact est secondaire, tout comme la couleur, classés de manière univoque à travers les trois cas comme générateur de faible

puissance. De manière surprenante en considération aux questions de recherche ayant motivé cette étude, la matière est, elle aussi, classée comme composante de faible puissance. En revanche, les thèmes qui apparaissent dans la rangée « grande puissance » (ombres et lumière, mémoire et temps, site et contexte) semblent étroitement liés à la vocation des lieux qu’ils caractérisent. De plus, la deuxième rangée du tableau, attribuée aux thèmes de puissance modérée, accueille des propositions affiliées à la réception du vécu par l’individu (perceptions sensorielles et haptiques, émotions). Bien que le positionnement du thème « Ombres et lumière » forme une diagonale qui traverse le tableau synthétique, son positionnement comme générateur d’expérience de faible puissance au ALL gagne à être questionné. Bien qu’ils occupent le bas du tableau, les phénomènes lumineux semblent être, dans ce cas, significatifs à travers leur quasi-absence. Dans ces

circonstances, l’hypothèse qui sert d’appui à la question de recherche, selon laquelle la matière est un générateur d’expérience spécialement puissant au sein d’un vécu significatif des espaces intérieurs, est à reconsidérer. Sans être fausse, cette assertion semble devoir être nuancée à la lumière des registres de la relation esthétique au sein desquels le rapport matière-individu prend son sens et s’articule.

4 Discussion

Après avoir codé et synthétisé les données des 13 documents consultés, leur interprétation est envisagée selon une logique déductive qui s’appuie sur les propositions théoriques issues des réflexions de Dewey, Schaeffer et Böhme. Ces dernières permettent d’établir un cadre auquel les données catégorisées sont confrontées dans l’espoir d’induire des discussions significatives quant aux questions de recherche formulées en première partie.

Au fur et à mesure que progresse la théorisation ancrée, la recension des écrits fournit les construits théoriques, les catégories et les propriétés qui servent à organiser les données et découvrir de nouveaux liens entre la théorie et le monde réel. (Poupart, 1997, p. 99)

Parallèlement, les représentations graphiques et classifications tabulaires générées à partir du traitement des données sont également mises à profit afin d’appuyer les axes de réflexions explorés. De ce fait, les constats inspirés par l’interprétation des cas étudiés sont présumés généralisables à d’autres cas dans le même contexte grâce à la saturation de leur contenu conceptuel. À l’aide de l’identification d’éléments fondamentaux (générateurs) de l’expérience esthétique en contexte d’aménagement d’intérieur, l’objectif en est la déduction de clés de compréhension les plus universelles possibles.