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Quelques tentatives de corrélations.

Punition attachée à un ordre non exécuté, une défense transgressée (cette punition peut être naturelle ou sociale, morale, extérieure ou

FAUTES DISCIPLINAIRES

1.3.3. Quelques tentatives de corrélations.

a) Prévenus / Condamnés

Chacun de ces statuts impliquant des obligations particulières, la prise en compte des conséquences directes d’un incident disciplinaire sur la situation pénale des intéressés peut se résumer ainsi : un détenu en attente de jugement semble avoir quelque intérêt à adopter la posture du « collaborateur » (au sens qu’E. Goffman donne à ce mot), parfaitement « incorporé » au milieu pénitentiaire, de sorte à convaincre le tribunal qui le jugera de ses aptitudes « à donner et recevoir, avec l’état d’esprit requis, ce qui a été systématiquement décidé »158. De cette adaptation primaire, il peut espérer tirer le bénéfice d’une certaine mansuétude – découlant de l’impression qu’il donnera de sa capacité à redevenir « un membre normal » de la collectivité, capable de s’investir dans un projet de réinsertion – qui contribuera à alléger la peine qui sera prononcée. Un détenu condamné peut entrevoir d’autres avantages à opter pour l’adaptation primaire : un classement au service général, l’octroi de remises de peine supplémentaires, des permissions de sortir et un aménagement de peine dès que sa situation pénale le permettra…

D’un point de vue « raisonnable », prévenus et condamnés auraient donc tous intérêt à respecter au mieux les consignes réglementaires. Or, l’examen des relevés de fautes provoquant leurs convocations, à parts quasiment égales, devant la commission de discipline, révèle d’autres motivations qui, pour être inadmissibles aux yeux de l’administration pénitentiaire, n’en justifient pas moins à ceux des détenus le risque d’opter régulièrement pour « l’adaptation secondaire » (« cette disposition permettant à

l’individu d’utiliser des moyens défendus ou de parvenir à des fins illicites et de tourner

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ainsi les prétentions de l’organisation relatives à ce qu’il devrait faire ou recevoir et partant, à ce qu’il devrait être »159

). Année 2005 2006 2007 2008 2009 Prévenus 29 12 20 22 29 Condamnés 30 32 30 45 20 en délai d’appel 1 0 2 2 2 Total 60 44 52 69 51

Tableau 18 : répartition des condamnés et des prévenus dans les 276 procédures disciplinaires étudiées

112 prévenus (auxquels s’ajoutent sept détenus en délai d’appel, gardant dans cette période un statut identique) et 157 condamnés, constituent un panel dans lequel la différence de statut pénal n’apparaît pas comme un paramètre significatif. Ce que confirment les entretiens conduits au quartier disciplinaire :

« Bien sûr, on sait ce qu’on risque en faisant ce genre de truc… Disons que ça fait pas bon effet pour le juge… Sûr qu’il va m’en parler quand je vais être convoqué (n.d.r : pour l’instruction en cours). Mais on pense pas à ça quand on a l’occasion… On fait ce qu’on a à faire, en espérant juste de pas se faire prendre »160

« Dans cette histoire, ça se pourrait que je perde ma perm. (n.d.r : permission de sortir) et la semi que j’aurais pu avoir si je me serais présenté à l’employeur. Je trouve pas ça normal, mais c’est comme ça. Fallait que j’y pense avant »161

Un raccourci de ces deux témoignages permettrait de concentrer en un genre d’aphorisme banal l’attitude couramment adoptée par le détenu en situation de faire le choix entre le respect et la transgression du règlement : « On ne pense pas aux

conséquences de la faute avant de la commettre » !

159 Erving GOFFMAN, Asiles, déjà cité, page 245. 160

Entretien au Q.D. 11 janvier 2010.

119 … Où l’on reconnaît l’impulsivité des « hommes du geste », pour lesquels l’insulte ou le coup de poing sert d’argument, à défaut d’être en mesure de recourir aux subtilités langagières du code élaboré.162

b) Les réitérants

Investi à l’intérieur des murs du même rôle de dissuasion que la prison dans la cité, le quartier disciplinaire en a de toute évidence les mêmes faiblesses : la crainte de s’y confronter ne « parle » pas à tous avec la même efficacité ; il arrive même que l’expérience faite d’un séjour au mitard désamorce la représentation menaçante que certains pouvaient en avoir (l’étude des figures rhétoriques permettra de revenir sur ce

point). Ce paramètre se vérifie dans les chiffres suivants :

8 fois ……….. 8 détenus 7 fois ……….. 1 détenu 6 fois ……….. 1 détenu 5 fois ……….. 2 détenus 4 fois ……….. 5 détenus 3 fois ……….. 7 détenus 2 fois ……….……… 19 détenus 1 fois ……….……….…… 234 détenus

Tableau 18 : nombre de convocations devant la commission de discipline (période 2005 – 2009)

Au total, seuls 241 détenus se sont donc rendus fautifs des transgressions relevées par les 276 rapports d’incidents étudiés. Si pour la majorité d’entre eux, la simple menace d’un placement au quartier disciplinaire (sanction prononcée avec sursis) ou un seul séjour plus ou moins long, a suffi à les convaincre de « rentrer dans le rang », deux d’entre eux ont effectué 5 séjours successifs représentant respectivement 47 et 43 jours

120 de mitard (le premier sur une année, le second sur une période de 8 mois) ; un troisième a effectué 4 séjours sur la même période, représentant 32 jours d’isolement.

Cinq détenus ont accompli 3 séjours, dix autres sont passés 2 fois au « quartier ». Soit 18 récidivistes que l’expérience de l’isolement disciplinaire n’a pas conduits à se persuader des avantages de la « collaboration »

c) Un truc de jeunes

18/ 25 ans : 173 26/ 30ans : 56 31/35ans : 29 + de35ans : 18

Tableau 19 : Répartition par tranches d’âges des détenus punis (2005 -2009). Total : 276

Plus des 3/5 des détenus punis au cours des cinq années (62, 68%) ont moins de vingt- cinq ans. Certains – les plus jeunes de ce groupe – sont encore adolescents et si tous ont atteint l’âge légal de la majorité pénale, on reconnaît dans leurs discours cette immaturité qui les pousse à tester les limites d’une autorité que beaucoup expérimentent pour la 1ère fois, tant elle a pu manquer dans le milieu familial :

« Ma mère, elle sait tout ce que j’ai fait, niveau de la drogue. Tout. Elle est au courant de tout ce qui s’est passé… Mon beau-père, lui, trouvait pas ça normal, mais il se sentait pas en position de dire quelque chose. Si ce n’est au moins, tu peux faire ça ailleurs, pas faire venir les gens chez nous »163

Quand on a vendu du shit et de l’héroïne sur la table de la cuisine familiale, pourquoi ne pourrait-on pas en vendre en détention ? La figure paternelle apparaît particulièrement délégitimée aux yeux de nombreux détenus de cette tranche d’âge ; le reproche récurent adressé aux pères concerne bien souvent un manque d’intention, un défaut de protection consécutifs à un divorce précoce, un départ du domicile familial vécu comme un abandon :

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« Lui, il a vu qu’on vendait, qu’on commençait à avoir de l’argent, qu’on était bien. Il a commencé à revenir, à faire le gars « ouais je regrette, je regrette ». Il s’est dit qu’on allait lui faire une maison… »164

Dès lors, le rapport à l’adulte, personnifié par le surveillant (qui se trouve le plus souvent être un homme), est très rapidement marqué par la confrontation et une disposition à négocier ou contredire la moindre directive.

« C’est pas des méchants, dans l’ensemble. Mais c’est triste à dire : ils viennent apprendre ici ce qu’on ne leur pas appris avant »165

À écouter cet autre détenu, de retour en prison après dix ans passés depuis sa dernière incarcération et maintenant âgé de 38 ans (soit appartenant à la catégorie la moins représentée dans les données statistiques relevées), on peut légitimement postuler que l’âge est une donnée pertinente de compréhension du rapport que les détenus entretiennent avec le règlement :

« Moi, j’ai 8 mois à faire. Cette fois, j’ai bien l’intention de prendre tout ce qui est possible : les réductions de peine, les permissions de sortie… je vais pas me prendre la tête avec qui que ce soit ici »166

Ce propos vient illustrer l’idée selon laquelle l’âge et une certaine « maturité », s’ils n’inspirent pas forcément un respect contrit de la règle collective, peuvent au moins conduire à renoncer aux « petits profits » que Goffman prête aux adaptations secondaires167, pour s’assurer des bénéfices plus conséquents de l’adaptation primaire. Mais sans doute ce calcul, tout à fait rationnel en maison d’arrêt où la courte durée (relative) des peines permet de patienter et de transiger (de « serrer les dents ») perd-t-il son attrait dans les établissements pour peine, où les perspectives lointaines de libération peuvent au contraire justifier le choix inverse, à la recherche d’avantages plus immédiats.

d) Prédispositions pénales

Certaines causes d’incarcération (les « délits originels ») apparaissent trop régulièrement sur les fiches pénales des détenus convoqués devant la commission de

164 Entretien en détention. Mohamed, 22 ans. 12 janvier 2010. 165 Entretien avec le surveillant S1 en détention. 22 décembre 2009. 166

Entretien en détention. Jean-Louis, 38 ans. 2 août 2008.

122 discipline pour que l’on ne soit pas amené à se demander si elles ne constitueraient pas une « prédisposition » à la transgression du règlement intérieur.

Les infractions à la législation sur les stupéfiants (trafic et/ ou consommation), hormis en 2006, arrivent chaque année en tête du classement des convocations devant la commission de discipline. Au total, elles dépassent très nettement les autres délits, constituant à elles seules plus du tiers des motifs d’incarcération représentés. Faut-il reconnaître dans cette prévalence l’expression particulière de l’identité sociale déviante du toxicomane qui le conduirait, conformément au rôle qui lui est attribué dans un processus interactif d’étiquetage, à adopter une posture de défi et de rébellion face à ceux dont la fonction est d’appliquer des normes contrariant ses consommations illicites ? Cela au nom d’une culture spécifique (contre-culture ? sous-culture ?) qui ne prédispose en rien à accepter les rigueurs de la discipline pénitentiaire.

Année Motif d’incarc. 2005 2006 2007 2008 2009 Total I.L.S 19 12 28 27 18 104 Vol (escroquerie, recel…) 13 16 15 23 12 79 Violences (homicide, insultes, menaces…) 11 16 10 21 8 66 Délits routiers 12 3 2 6 2 25 Délit ou crime sexuel 6 1 2 5 7 21

Tableau 20 : motifs d’incarcération des détenus sanctionnés (2005-2009 : total : 295)168

Les vols et les violences qui constituent les deux autres groupes de crimes et délits très représentés parmi les détenus punis d’isolement disciplinaire, appartiennent eux aussi à « l’aristocratie » des prisons. Depuis toujours, dans la mythologie pénitentiaire, ils fournissent leur lot de caïds, de « durs à cuire », soucieux d’affirmer leur rang de

168 Le total général, supérieur au nombre de fiches (276) qui constituent le panel de cette partie de la

recherche, s’explique par le fait qu’un détenu peut avoir été condamné pour plusieurs motifs : par exemple, à la fois pour ILS et violences, ou à la fois pour délit de fuite et insultes à agents.

123 leaders au sein de la population pénale, que ce soit par la violence à l’encontre de leurs codétenus à chaque fois que les circonstances le commandent, ou par des actes d’insoumission assumés à l’égard des surveillants (refus d’obéissance, insultes, tapage…).

Les délits sous-représentés (délits routiers et délits ou crimes sexuels) rassemblent quant à eux des condamnés au profil très différent des précédents : le durcissement des sanctions pénales en matière de sécurité routière, déjà évoqué, amène en prison des individus qui, n’ayant le plus souvent pas d’autre expérience de l’incarcération, ni une représentation d’eux-mêmes de « déviants », optent généralement pour l’adaptation primaire et un respect scrupuleux des consignes les tenant à distance du quartier disciplinaire.

Les délinquants sexuels, quant à eux, sont bien trop occupés à se protéger de la vindicte de leurs codétenus pour prendre le risque de s’attirer celle du personnel de surveillance : les rares détenus apparaissant dans la liste des personnes convoquées devant la commission de discipline, souffrent de pathologies mentales qui expliquent à la fois leur crime et leur incapacité à prendre en compte le double inconvénient qu’ils ont à se « faire remarquer » en détention.