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Punition attachée à un ordre non exécuté, une défense transgressée (cette punition peut être naturelle ou sociale, morale, extérieure ou

1.3. Qui va au mitard ?

« Tout passe, seuls les murs restent » (graffiti relevé sur le mur du mitard- octobre 2008)

1.3.1. Un recours toujours plus grand à l’outil disciplinaire

Ma recherche prend place dans une période de stabilité réglementaire : les premières données enregistrées (année 2005) sont produites près de dix ans après la mise en œuvre de la réforme de 1996 – soit en un temps où cette dernière donne son plein effet, les dernières (concernant l’année 2009) ne sont pas affectées par la promulgation de la loi pénitentiaire, votée en novembre de cette année-là. Nous nous intéressons donc à une production statistique élaborée dans un contexte dans lequel les seules variantes sont les changements de personnes (chef d’établissement, surveillants, JAP) participant, de par leurs fonctions, à la procédure disciplinaire.

2005 2006 2007 2008 2009

nombre de procédures initiées 62 29 29 46 56

nombre de détenus punis 61 26 26 42 46

jours de Q.D 308 184 221 326 528 Q.D avec sursis 242 181 175 181 346 avertissement 6 10 8 12 8 autres sanctions 3 1 5 11 9 relaxe 1 3 3 4 10

Tableau 16 : relevé des décisions rendues par la commission de discipline [2005 – 2009]

En 2005, 62 détenus ont été convoqués devant la commission de discipline : ce nombre est le plus important jamais enregistré à Vesoul (il le reste pour toute la période de la recherche) :

« Disons qu’on a dû reprendre les choses en mains. Lorsque je suis arrivé ici, le quartier [n.d.r : « disciplinaire »] n’avait reçu aucun puni dans l’année précédente. Chacun a ses méthodes, mais pour ce qui me concerne, en cas de

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problème, j’applique les dispositions prévues. C’est comme ça que dans ma première année, 9 détenus ont été placés en isolement disciplinaire, 34 l’an passé. Pour 2005, on n’a sans doute rien laissé passer. Si on arrive à 61, c’est qu’il y en a 61 qui méritaient de se faire prendre » 125.

L’allusion (en forme de critique voilée) de ce chef d’établissement à la pratique de son prédécesseur confirme ici l’importance du facteur humain précédemment évoqué dans l’application du règlement. Par ailleurs, le net recul du nombre de détenus punis en 2006 et 2007 peut être compris comme l’effet des premières interventions des avocats devant la commission de discipline. Rendues possibles dès avril 2000, celles-ci ont tardé à être effectives … paradoxalement du fait de la réticence du barreau local à assurer ce service (les avocats craignant de s’engager dans une tâche requérant une grande disponibilité, le plus souvent rémunérée par la seule aide juridictionnelle).

Cette situation locale ne revêt pas un caractère exceptionnel : dans son rapport 2005, l’Observatoire International des Prisons en donne l’explication suivante :

La présence de l’avocat au prétoire s’est imposée à l’administration pénitentiaire à la faveur de la loi du 12 avril 2000, dont le ministère de la Justice n’avait pas mesuré les implications concernant les personnes détenues. Bien qu’il soit désormais prévu que toute personne comparaissant en commission de discipline puisse se faire assister par un avocat de son choix ou désigné par le bâtonnier, aujourd’hui encore de nombreuses sollicitations restent sans suite. La plupart des avocats interrogés mettent en cause l’éloignement géographique de l’établissement et la faiblesse des rétributions assurées au titre de l’aide juridictionnelle, le montant alloué par dossier étant de 88 euros. De plus, certains barreaux ne sont pas en mesure, en raison de leur faible importance, d’organiser des permanences d’avocats telles qu’elles existent pour les garde-à-vue. Il en résulte des disparités importantes entre les régions 126.

En l’absence d’autres éléments de compréhension, la compétence juridique de ces professionnels du droit peut à elle seule expliquer la baisse des sanctions prononcées, dès lors que ceux-ci interviendront aux côtés des détenus ; leurs interventions se résumant le plus souvent dans cette période à souligner des erreurs de procédure suffiront, dans de nombreux cas, à annuler les poursuites engagées.

La remontée, à partir de 2008, du nombre de détenus punis tendrait à confirmer l’adaptation du personnel pénitentiaire à ces exigences procédurales nouvelles (« Il faut

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Entretien avec le chef d’établissement (CE2), avril 2008.

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que tout soit fait dans les règles. Cela nous demande d’être plus précis »). Les chiffres

rendraient en quelque sorte compte d’une compétition entre acteurs de la justice participant, au final, à l’avancée recherchée du droit en prison (même si celle-ci se traduit apparemment par une aggravation des sanctions prononcées). Compétition que l’on pourrait résumer ainsi : plus de procédures initiées, mais moins de détenus punis / moins de détenus punis, mais plus de jours de mitard effectués. Sur ce dernier point de l’équation, ce chef d’établissement apparaît à l’aise pour justifier l’accentuation de la sévérité de sa pratique :

« Depuis la réforme de 96, on a un barème qui permet une graduation possible des sanctions. On l’applique, peut-être chacun en fonction de la situation de son établissement. Si la personne concernée n’est pas d’accord, elle peut faire un recours et même appel si elle veut. Mais moi, j’ai fait mon métier ».127

Cette compétition ne ferait que commencer, à en croire le propos de ce formateur des personnels pénitentiaires :

« Jusqu’à présent les avocats, on les roule dans la farine. Mais quand ils vont comprendre l’intérêt qu’ils auraient à se spécialiser dans le domaine de la procédure disciplinaire – à 88 € l’intervention prise en charge par l’aide juridictionnelle – nous aurons du souci à nous faire ! »128

Par-delà la différence d’appréciation de l’intérêt financier de la chose entre avocats et fonctionnaires pénitentiaires, il apparaît que l’engagement de l’avocat dans la procédure disciplinaire soit effectivement considéré comme l’élément empêchant tout retour en arrière dans le maintien de l’ordre en milieu carcéral : si celui-ci reste prioritaire, il ne pourra plus être assuré à n’importe quel prix. Ce témoignage, avec d’autres, confirme que les personnels de surveillance en ont pris acte désormais.

127 Entretien avec le chef d’établissement (CE2), avril 2008

128 Eric FALAPEN, session de formation à la réglementation pénitentiaire, maison d’arrêt d’Epinal, 27

105 Direction régionale : DR DIJON Etablissement pénitentiaire : MA VESOUL COMPARUTION DEVANT LA COMMISSION DE DISCIPLINE DU 10 /09 / 2008 à 14 H 15 Exemplaire destiné au registre des sanctions disciplinaires Procédure 2008000059 NOM : L……….. PRENOM : J… N° ECROU : 62.. SITUATION JUDICIAIRE : CO Comparant

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