• Aucun résultat trouvé

e) L’importation de pratiques déviantes

Cet aspect du problème a été étudié de longue date, d’abord aux Etats-Unis dès les années 30, puis plus récemment en Europe où plusieurs auteurs se sont intéressés aux rapports des détenus avec l’institution169

. Leurs travaux, axés sur l’étude de ce que l’on pourrait définir comme la (sous) culture carcérale, ne se limitent pas à un intérêt pour les différentes formes de transgressions internes, mais ils les englobent toutefois ; les

169 Dans Sociologie de la prison (déjà cité), Philippe COMBESSIE évoque notamment les travaux de

Donald CLEMMER qui, à partir de questionnaires, entretiens et récits de détenus, définit le concept de

prisonization, lequel nomme « un processus d’assimilation des valeurs qui se manifeste au travers des modes de vie propres à l’univers carcéral » (Sociologie de la prison, pages 70). Gresham SYKES présentera (1958) ces

modes de vie comme une véritable « sous-culture carcérale ». En 1961, Erving GOFFMAN affinera ces concepts dans Asiles, ouvrage dans lequel il définit ceux, toujours pertinents, « d’adaptations primaires » et « secondaires ».

A l’encontre de ces travaux, Thomas MATHIESEN , en 1965, puis Guy HOUCHON en 1969, s’attachent à démontrer, le premier un phénomène d’autocensure qui conduit le détenu à adhérer scrupuleusement aux codes de l’institution (cela par un manque de choix découlant de sa position de faiblesse), le second une adhésion de façade dans le seul but de bénéficier d’une libération anticipée (Guy HOUCHON parle à propos de ce comportement de « culture pseudo-normative»).

124 divergences de leurs conclusions – permettent de répartir ces recherches en deux écoles, dont les approches s’avèrent contradictoires … et complémentaires ?

– L’une, dite « structuro-fonctionnaliste » (Clemer, Sykes, Mathiesen) postule que le fonctionnement de la structure pénitentiaire génère une sous-culture qui lui est propre.

L’orientation générale de leurs recherches (…) faisait véritablement de la prison un objet autonome qu’il était envisageable d’étudier en lui-même 170

.

– Pour la seconde, dite « diffusionniste » (Irvin, Cressey), il ne saurait être question d’une culture sui generis : les pratiques carcérales s’expliquent « par la diffusion, en

détention, d’une culture acquise à l’extérieur, dans le milieu d’origine, dans le pays considéré, etc. »171

La recherche de corrélations possibles entre les motifs d’incarcération et les fautes sanctionnées en détention – voir tableau page suivante – ne permet guère de privilégier l’une plutôt que l’autre de ces thèses : si les fautes relevées se rapportent de façon significative au délit « originel » (ex : condamnation pour I.L.S / détention de stupéfiants en détention) chez les condamnés pour des faits d’I.L.S ou de violence, l’écart séparant les résultats obtenus pour l’ensemble des principales peines représentées ne semble pas suffisant pour en tirer des conclusions générales et définitives.

La forte prévalence de détention de stupéfiants, d’alcool ou de médicaments chez les condamnés pour I.L.S (22 cas), ainsi que de faits de violence (incluant les insultes et menaces, tant à l’encontre du personnel que des codétenus) parmi les détenus initialement condamnés pour des faits de violence (36 cas), pourrait accréditer la thèse diffusioniste.

170

Philippe COMBESSIE, Sociologie de la prison, déjà cité, page 75.

125 Motif de la sanction pénale

Motif de la

sanction ILS Violences Vols Délits routiers (dont refus d’obtempérer) Crimes sexuels Insulte/menace à l’égard du personnel 22 16 15 7 8 Violence sur le personnel 0 1 0 0 0 Violence sur codétenu 12 19 17 6 4 Dommages aux locaux 11 2 5 1 1 Tapage 15 6 9 0 3 Non respect du règlement / refus d’obtempérer 19 5 22 8 2 Détention de stupéfiants 18 9 13 6 1 Détention d’un portable 2 0 3 0 0 Détention d’alcool 2 2 2 1 1 Détention de médicaments 5 3 5 2 0

Vol d’un codétenu 0 0 1 0 0

Autres172 14 4 15 5 3

Tableau 21 : corrélation entre le motif de condamnation et le motif de sanction [2005-2009]

Ces deux formes de transgressions ont en commun dans plusieurs cas une composante médicale (l’addiction chez le toxicomane, la violence pathologique chez le psychopathe) qui peut être proposée comme explication partielle de la perpétuation, en détention, de pratiques qui ont valu leurs condamnations à leurs auteurs (la force créatrice du droit trouvant ici ses limites).

Mais tous les détenus concernés par ces pratiques ne sont pas toxicomanes (« accros ») ou psychopathes : dès lors, l’observation du nombre élevé de sanctions prononcées pour

172 Dont, pour les condamnés pour ILS : 2 correspondances irrégulières, 2 jets de pierres à l’extérieur, 1

trafic de merguez, 1 courrier d’insulte à magistrat, 1 détention d’un couteau et 1 de C.D gravés, 1 acte obscène, 1 état d’ébriété, 3 participations à un mouvement collectif et 1 usage du code téléphonique d’un codétenu. Pour les

condamnés pour violences : 1 négligence de la propreté de la cellule, 1 jet de pierres, 1 état d’ébriété, 1 refus de

se soumettre à une fouille. Pour vol : 1 négligence de propreté, 1 jet de pierres, 6 états d’ébriété, 1 refus de comparaitre devant la commission de discipline, 2 trafics de médicaments, 1 menace par courrier, 2 trafics au parloir (tabac, CD). Pour délits routiers : 1 trafic au parloir (CD), 2 détentions de lames de rasoir, 1 menace par courrier, 1 inciation à manquement. Pour crimes sexuels : 1 détention d’un aérosol, 1 trafic de médicaments, 1 détention de chaine.

126 ces mêmes faits à l’encontre d’une majorité de détenus pour d’autres causes vient relativiser l’affirmation diffusioniste… au bénéfice du postulat structuro- fonctionnaliste.

Cette remarque doit cependant être à son tour relativisée par la prise en compte de cette évidence : si la violence et la consommation de cannabis sont des formes de transgressions facilement « duplicables » en détention, les délits routiers ne sauraient être reproduits à l’intérieur de la prison. Dans une moindre mesure, il en va de même pour le vol, rendu difficile par le contexte pénitentiaire (double contrôle des surveillants et des codétenus qui complique le passage à l’acte, impossibilité de cacher son éventuel butin…). Ainsi, certaines formes de délinquance n’étant pas « importables » en détention, le trafic de stupéfiants et les actes de violence peuvent aussi être considérés comme des « choix par défaut », l’une ou l’autre des rares innovations possibles dans un milieu conçu pour prévenir toute importation de pratiques illégales.

« Moi, le shit, je peux m’en passer. Même dehors, je fume quoi ? Un ou deux pétos. Trois maxi, comme ça le soir avec les potes. C’est comme ça, pour passer le temps… Ici, c’est pareil : on prend le risque, c’est pour passer le temps »173

127