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2. Nanotechnologies : réflexions éthiques

2.2 Thèmes éthiques associés aux nanotechnologies

2.2.6 Gouvernance

2.2.6.2 Quel type de dialogue pour les nanotechnologies?

La relation entre développeurs de nanotechnologies et public est envisagée de plusieurs manières d‘une publication à l‘autre. Tantôt on semble s‘intéresser seulement à la manière de « tempérer » l‘opinion publique pour éviter un « rejet irrationnel » des nanotechnologies,

tantôt on se demande comment bien « éduquer » le public pour que celui-ci puisse les juger correctement (Bawa et Johnson, 2009; Curall et al., 2006).

On se demande aussi comment bien communiquer les risques incertains des nanotechnologies au public pour renseigner celui-ci sans l‘effrayer (Berube, 2009). Toutefois, certains auteurs insistent sur le fait que le public ne se préoccupe pas seulement des risques et de la toxicité des nanotechnologies, mais aussi des autres questions éthiques que celles-ci soulèvent (CEST, 2011; Macnaghten et al., 2010; Priest et al., 2010; Ferrari, 2010; Jones, 2009). Aussi s‘intéresse-t-on à la manière d‘inclure le public dans le développement même des nanotechnologies, de manière à ce que ces autres questions éthiques soient discutées en amont et que le développement des nanotechnologies soit infléchi en conséquence. Ce qui leur permettrait de se développer harmonieusement, en accord avec les souhaits de la société et sans préoccuper inutilement celle-ci (Kyle et Dodds, 2009; Sylvester et al., 2009).

En fait, l‘engagement public est envisagé selon deux écoles de pensée. Une première école, qualifiée de « pave the way », envisage la communication comme un outil d‘éducation et de sensibilisation du public aux nanotechnologies. Une seconde école, qualifiée de « upstream management », s‘intéresse plutôt à l‘inclusion du public dans le développement des nanotechnologies (Sylvester et al., 2009). La première école s‘intéresse beaucoup à ce que le public pense des nanotechnologies alors que la seconde veut inclure celui-ci dans la prise de décision, peu importe le contenu de sa perception. Aucune de ces deux écoles de pensée, toutefois, ne prône un encadrement des nanotechnologies basé sur des perceptions erronées envers celles-ci : elles admettent toutes les deux que pour s‘impliquer dans le développement des nanotechnologies, une éducation préalable est nécessaire (Davies et al., 2010; Bawa et Johnson, 2009; Kyle et Dodds, 2009; Sylvester et al., 2009; Bowman et Hodge, 2007; Florczyk et Saha, 2007; Rogers-Hayden et Pidgeon, 2007). Selon Davies et al. (2010) et Sheetz et al. (2005), améliorer les connaissances du public en matière de nanotechnologies est d‘ailleurs le premier défi de l‘engagement public – le second défi étant d‘en faire une réflexion éthique alors que le domaine en est à ses débuts. Certes, une part d‘éducation est nécessaire : non seulement toute réflexion éthique

doit se baser sur une bonne description des technologies qui en font l‘objet (Sto et al., 2010), mais dans le cas des nanotechnologies, cette nécessité est d‘autant plus cruciale que, pour bien des gens, le premier contact avec les nanotechnologies se fait via la télévision et la science-fiction (Sheetz et al., 2005). Une éducation préalable permet de corriger les perceptions erronées envers les nanotechnologies et favorise la réflexion éthique : les gens bien informés au sujet des nanotechnologies se révèlent moins préoccupés par les informations erronées ou fantasques parfois véhiculées par la science-fiction médiatique (Bainbridge, 2002) ou littéraire (Cobb et Macoubrie, 2004).

Cependant, il existe une tension manifeste entre « éducation » et « persuasion », tension qui peut sans doute, aux yeux de certains, rendre suspecte toute initiative de dialogue entre les parties prenantes en matière de nanotechnologies (Horning Priest et Greenhalgh, 2011; Kyle et Dodds, 2009). En effet, si communiquer avec le public pour diffuser de l‘information sur les nanotechnologies est un prérequis essentiel pour toute discussion future, il y a un danger que ce qui semble une démarche de prise de décision devienne une simple entreprise de relation publique, donc de persuasion (Horning Priest et Greenhalgh, 2011; Kyle et Dodds, 2009; COMETS, 2006). La dérive est possible, mais sûrement pas inévitable. De plus, éduquer les gens au sujet des nanotechnologies ne les rend pas nécessairement favorables envers celles-ci (Besley, 2010). Commencer par éduquer le public n‘équivaut donc pas nécessairement à une campagne de relations publiques ayant pour but l‘acceptation pure et simple des nanotechnologies.

En dehors de la tension entre « éducation » et « persuasion » qui surgit au sujet de tout engagement du public dans un éventuel processus de gouvernance des nanotechnologies, plusieurs autres questions pratiques se posent. Comment engager le public et à quelles étapes du développement des nanotechnologies? Et quels acteurs impliquer? En effet, les industriels sont souvent considérés comme des protagonistes qui seraient à écarter du processus parce qu‘ils inspirent peu confiance, malgré les initiatives de responsabilité sociale mises en place par leurs entreprises (Mantovani et Porcari, 2010; Sylvester et al., 2009). La même méfiance s‘observe pour les gouvernements (Sylvester et al., 2009). La situation semble différente pour les chercheurs : ceux-ci sont incontournables dans tous

processus de dialogue, compte tenu de leur rôle central dans le développement des nanotechnologies (Ackland et al., 2010). Cependant, on leur reproche aussi leur attitude générale envers toute forme de communication avec le reste de la société (Corley et Scheufele, 2010). On leur recommande de revoir leurs interactions avec le public, d‘être plus transparents et d‘être mieux disposés envers les interactions entre le milieu de la recherche et les autres membres de la société (Dupuy, 2009; Felt et al. 2009; Currall, 2006). Enfin, le « public » lui-même se révèle être un acteur plus complexe et plus difficile à impliquer qu‘il n‘y paraît : en effet, dans la seule entité collective désignée par ce terme, on retrouve plusieurs catégories d‘individus qui ont des attitudes et des connaissances différentes envers la science (Horning Priest et Greenhalgh, 2011; Macnaghten et al., 2010; Wickson et al., 2010). Doit-on chercher à impliquer toutes ces catégories d‘individus dans le développement des nanotechnologies? Si non, quelles catégories privilégier?

Plusieurs expériences de consultation publique ont été menées à travers le monde, notamment en Europe, que ce soit pour les nanotechnologies ou d‘autres domaines technoscientifiques – par exemple des jurys citoyens où les nanotechnologies ont été évaluées par comparaison avec d‘autres technologies (Bostrom et Löfstedt, 2010; Boy et Martin, 2010; Jones, 2008; Bowman et Hodge, 2007). Si ces expériences de consultation ont permis de définir certaines lois dans certains pays, nous sommes actuellement encore loin de structures permanentes capables de procéder à une évaluation continuelle des nanotechnologies (Davies et al., 2010). L‘implication du public en amont du développement des nanotechnologies n‘est certes pas une panacée pour tous les problèmes éventuels soulevés par les nanotechnologies, mais elle reste meilleure que l‘inaction et serait un outil important pour toute réflexion éthique future sur les nanotechnologies (Bostrom et Löfstedt, 2010; Rogers-Hayden et Pidgeon, 2007).