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Bibliographie et sitographie

4) Quatrième entretien

60 Les variables concernant l’identification de l’enseignant :

➢ sexe : Masculin ➢ âge : 49

➢ ancienneté dans le poste : 23

➢ lieu où est exercé la profession : Corneville-sur-Risle ➢lieu de formation initiale : (Ecole Normale, IUFM, ESPE)

QUESTIONS

 Selon vous, qu’est-ce que l’hétérogénéité du public scolaire ?

Je considère que tous les élèves sont différents. Donc chaque élève est un cas entre guillemet différent. Ca c’est le constat, après ça va être la gestion de l’hétérogénéité qui va poser problème. Moi j’ai un public hétérogène, ils sont tous différents. Peut-être qu’ils sont passés par les mêmes classes, il y en a qui sont à Corneville depuis des années mais ils sont tous différents, le bagage est différent, leur vécu est différent, leur progression. Ca c’est clair. Après ça va être, est-ce qu’il y a une norme ? Est-ce qu’on forme des élèves à une norme ? Enfin bref, ils sont tous différents.

 Selon vous, l’hétérogénéité des élèves est-elle compatible avec « la réussite pour tous » ?

Oui j’aimerais bien. Je ne crois pas que l’objectif ce soit de les amener tous vers la réussite, là c’est encore une belle formule. En gros, il faut en emmener le plus possible vers la réussite mais encore faudrait-il que l’on sache ce qu’on entend par réussite. Il faudrait que les

objectifs soient clairement définis là-dessus on n’est pas tous sur la même longueur d’onde. Je veux dire même que l’institution, je ne sais pas si elle est très claire. En tout cas, moi, je n’ai pas les mêmes objectifs que l’institution. Je pense que c’est clair à ce niveau là.

(Enquêteur : et ton objectif…) Gérer l’hétérogénéité pour amener le maximum d’élèves vers la réussite oui, mais réussite, on parle de savoir ? De compétence ? Je pense qu’on a trop longtemps minimisé les « savoir être », pour moi ce qu’il y a de plus important à l’école c’est de former des citoyens. J’ai des élèves qui peuvent avoir de très bons résultats scolaires, mais je ne peux pas savoir si ce seront de très bons citoyens. Former des citoyens c’est dans l’air du temps car on découvre que les gamins sont passés dans nos classes ils deviennent des terroristes ou ils crachent sur les profs etc. Donc tout à coup, on se dit qu’on a loupé quelque chose et puis on nous ressort de grandes formules. Ca c’est le discours d’un côté puis de l’autre, il faut faire du chiffre, il faut des résultats, c’est-à-dire qu’on nous demande de fonctionner comme une entreprise et former des citoyens ça ne se quantifie pas, sur quel critère ? La formation du citoyen, c’est avoir des bases pour s’intégrer dans la société et donner la possibilité aux gamins de faire des choix plus tard. Mais ces choix, il y a toujours une orientation économique et là c’est politique et moi je ne sers pas les intérêts du

gouvernement, si on me demande de faire de l’anglais et de l’informatique, moi je ne veux pas enseigner de l’anglais pour qu’ils soient plus performants sur le marché du travail ou faire de l’informatique parce que c’est un outil indispensable. C’est pas ça les

objectifs…Mais cela ne fait pas avancer le schmilblick sur l’hétérogénéité ? Donc on va y revenir.

 Comment appréhendiez-vous cette hétérogénéité en début de carrière ?

On peut se demander : c’est quoi un bon élève ? Techniquement c’est difficile donc on va faire des groupes, donc on va avoir les bons, les faibles puis ceux qui sont entre deux. Donc c’est un schéma assez simple, on essaye de travailler là-dessus et puis pourquoi pas de faire

61 des groupes car l’objectif c’est la réussite pour tous voire pour la majorité d’entre eux, c’est ça qu’il faut se fixer comme objectif en début de carrière. Mais il y a des moments où tu cherches comment tu fais progresser les gamins si tu ne tiens pas compte de leurs difficultés. Il va falloir les surmonter pour qu’ils puissent rattraper donc il y a un moment soit tu

proposes du travail en groupe soit tu proposes des outils de travail adaptés à ces différences donc dés le début cela m’a paru le discours. Moi j’ai été baigné là-dedans. Quand je suis arrivé jeune enseignant confronté aux anciens, pour eux ça avait été dur d’entendre « il faut tenir compte de l’hétérogénéité ». C’était très simple : il y a les objectifs, il y a le

programme, il faut faire ça, il faut faire ça et il y a ceux qui suivent, ceux qui ont du mal mais qui s’accrochent et les autres qui sont largués et qui sont prés du radiateur au fond de la classe. Moi je me rappelle d’un inspecteur ici qui parlait des « plantes vertes ». C’était nous qui arrivions et demandions : « mais comment on fait pour la réussite pour tous, ils sont tellement différents ? » Et on nous disait : « bah non, il y en a qui sont irrécupérables ». Ca c’était le discours en réunion avec tout le monde, c’était les plantes vertes. D’ailleurs c’est marrant car cet inspecteur est à la retraite à l’heure actuelle et il s’occupe de jardinage. Donc, nous expérimentions car tu avais les conseillers pédagogiques qui disaient : « il faut faire ci, il faut faire ça », l’inspecteur qui te parlait des méthodes américaines et la réalité de la classe, et c’est toujours le cas, qui ne correspond pas forcément au schéma proposé par les

conseillers pédagogiques. Donc l’hétérogénéité, tu la gères différemment quand tu es à Corneville ou dans une autre école. Tu n’as pas les mêmes problématiques qui se posent à toi. Alors début de carrière, c’était rechercher, les discussions. Mon premier poste était dans un ghetto social à l’époque (Ecole Hélène BOUCHER à Pont-Audemer). C’était le quartier de l’Etang…C’était…ça l’est peut-être moins aujourd’hui. Une petite ville comme Pont- Audemer où il y avait des écarts d’une école à l’autre. Les écoles de centre ville et une école comme Hélène BOUCHER ça n’avait rien à voir. Gérer l’hétérogénéité, c’était déjà éviter l’explosion au sein de la classe, les priorités n’étaient pas les mêmes.

 Comment appréhendez-vous cette hétérogénéité maintenant ?

(l’enquêtrice : et maintenant ?). Ca a évolué sur toute cette période puisque j’ai passé beaucoup de temps à chercher quelles pouvaient être les recettes les plus efficaces, quels outils je pouvais utiliser et puis ce qui est utiliser par un collègue, est-ce que je peux récupérer ça. Qu’est-ce qu’il y a de bon à prendre, qu’est-ce que je peux échanger durant toute cette période. C’était l’époque où le numérique, on n’en parlait pas. C’était un outil qui pouvait être utilisé pour aider les élèves en difficulté. Je pense à la lecture par exemple parce que comment gérer l’hétérogénéité en lecture. Pour les gamins qui étaient en difficulté j’avais une, deux machines, puis après trois grosses machines. Donc c’était encore des disquettes magnétiques avec des vieux logiciels mais qui étaient intéressants, qui

proposaient, ça existe toujours, des exercices pour te permettre d’améliorer tes compétences en lecture : la vitesse de lecture, reconnaissance visuelle, etc. Pour quelques élèves ça c’est intéressant, de la pédagogie différenciée, je leur propose un support différent, pendant ce temps là, je fais autre chose avec les gamins comme de la lecture suivie mais je ne propose pas le même livre à ce groupe la. Voilà c’était des recherches, les outils en lecture et même en mathématiques. Les fichiers PEMF, c’est pédagogie FREINET, des fichiers

autocorrectifs, que je n’utilise plus car ça a vieilli mais sur le principe c’était très bien. Donc ça supposait l’autonomie, l’acquisition de l’autonomie. Globalement ça marchait mais ça demandait un investissement en énergie. Moi j’ai fonctionné comme ça pendant des années. Est-ce que je fonctionne différemment, oui. J’utilise d’autres outils. J’en ai abandonné, j’en ai essayé d’autres. Pour le moment, je ne suis pas convaincu de l’efficacité de ce que je fais, je suis toujours en phase de recherche. Ca dépend aussi du public et je ne sais pas si je suis objectif car en 23 ans les gamins ont évidemment changé. Donc leur vécu, tout a changé. Je

62 pense que si j’avais travaillé comme je le fais aujourd’hui il y a 23 ans, ça aurait été

extraordinaire pour les gamins, pour moi, mais qu’aujourd’hui ces méthodes sont toujours confrontées à la réalité du terrain. Avoir des gamins autonomes c’est important. Par exemple cette année, j’ai un groupe hétérogène mais pas forcément au niveau du savoir seulement, au niveau de la maturité aussi. Je ne fonctionne pas avec des groupes de niveau mais des

groupes d’affinités. J’ai des élèves qui sont en groupe vraiment autonome, qui sont très efficaces, qui prennent à cœur ce qu’elles font, car ce sont des filles et les autres, c’est

prétexte à amusement. Il y a donc des modes de fonctionnement que je ne peux pas mettre en place. Ce qui marche avec certaines classes, ne marche pas avec d’autres.

 Comment gériez-vous l’hétérogénéité de vos élèves en début de carrière ?

Je n’utilise plus les fichiers autocorrectifs, alors que c’était des fichiers de niveau. Par contre cela fait quelques années, même si je pense que je vais changer, que ma classe travaille sur internet à partir d’un site de travail : « je révise.net ». C’est un site d’exercice en ligne sur lequel les activités proposées sont de différents niveaux : CM2, CM1, dans les activités français, mathématiques et même anglais. L’outil en lui-même demande à être amélioré, mais il a le mérite de coûter seulement 15 euros pour l’année. Il me permet de voir ce que font mes élèves, ils enregistrent leur travail.

 Comment gérez-vous l’hétérogénéité de vos élèves actuellement ?

Ce n’est pas exactement ce que je souhaiterais, l’idéal c’est que je puisse moi-même

paramétrer…Ca existe, mais c’est plus cher au niveau de l’abonnement et j’aimerais faire des programmations pour chaque élève en fonction de leur niveau. Ce n’est pas si onéreux, je pense que ça coûte une centaine d’euros à l’année et j’espère bien faire ça mais je pense que ça va être quand même assez pénible à mettre en place. Ca va demander du temps mais je pense que ça va être intéressant. (L’enquêtrice : « donc tu testes tes outils sur une longue durée »). Oui donc l’hétérogénéité à l’heure actuelle, ce n’est pas mon objectif premier. C’est plutôt la motivation, même si c’est aussi gérer l’hétérogénéité. Quand un gamin sait pourquoi il vient à l’école, c’est gagné. Je n’ai plus grand-chose à faire. Gérer l’hétérogénéité, c’est aider les gamins en difficulté mais c’est aussi ne pas oublier les gamins qui tournent bien. Ils ne doivent pas ronronner et ils vont vite comprendre : « attend, lui on lui en demande moins à faire ? Et moi, j’en ai plus à faire ? ». Il ne faut surtout pas qu’un gamin qui a un potentiel s’ennuie. Donc mon souci c’est le maintien de la motivation pour tous les élèves : en s’accrochant pour ceux en difficulté et en allant au-delà pour les autres. Gérer

l’hétérogénéité, c’est par exemple l’orthographe, la dictée : il y a des gamins qui savent à peine écrire leur nom en CM2. Donc je donne une dictée de niveau différent selon le niveau des élèves. En lecture, je fais le rallye lecture. Bon ça ne marche pas toujours. Je propose une trentaine d’ouvrage s, il faut lire et répondre à un questionnaire à choix multiples ou

classique. Dans ma collection de livres, j’en mets des costauds et j’en mets des plus faibles. Un livre plus gros, si le questionnaire est réussi, ça peut rapporter plus de points. J’ai des élèves dans leur contrat de travail, il faut qu’ils valident un certain nombre de livres donc ils vont la jouer tranquille, puis d’autres qui vont avoir envie de se dépasser. Donc les outils de travail sont différents mais c’est la motivation qui est mon cheval de bataille parce que c’est une des clés de la réussite.

 Considérez-vous que vos pratiques pédagogiques ont évolué avec l’expérience professionnelle ?

Il y a quand même des fondamentaux, des choses que je n’abandonne pas. Que je garde mais que j’essaye d’améliorer. Mais sinon, les recettes d’hier ne fonctionnent pas forcément aujourd’hui. Sinon évidemment, j’écrirais des bouquins peut-être. Mes pratiques ont évolué

63 mais toujours avec la même philosophie. J’ai laissé de côté des outils, peut-être que par

moment je les reprendrai en me disant : « c’était mieux ça, c’était pas mal. »A Hélène BOUCHER, j’étais dans l’éducation et à CORNEVILLE, je suis entré dans l’enseignement. Là, il y a toujours une dimension éducative évidemment, mais il y a les savoirs et pas seulement les savoirs être.