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Interprétation des résultats en référence au cadre théorique

PARTIE 2 : LA DEMARCHE D’INVESTIGATION

4) Interprétation des résultats en référence au cadre théorique

Avant toute interprétation, nous nous devons de faire un rappel de notre cadre théorique. Nous avions défini les concepts suivants : les élèves et l’hétérogénéité ; les enseignants et la gestion de cette hétérogénéité, l’expérience professionnelle et enfin la représentation. Faisant le lien entre tous ces concepts clés, nous nous sommes légitimement interrogés sur le rapport entre l’expérience professionnelle des enseignants et la perception et la gestion de

l’hétérogénéité des élèves. En nous appuyant sur notre questionnaire, nos grilles d’analyse et les concepts définis dans notre cadre théorique, nous allons nous intéresser à la mise en lien de notre cadre théorique avec la définition de l’hétérogénéité, la possibilité de réussite pour tous, de l’appréhension de l’hétérogénéité, la gestion de l’hétérogénéité et de l’évolution dans les pratiques pédagogiques.

 La définition de l’hétérogénéité :

Nous avons expliqué qu’il existait un grand nombre de sources potentielles

d’hétérogénéité au sein d’un groupe d’élèves : « l’âge, le genre, le QI, le niveau scolaire global, les acquis dans une matière, l’origine sociale, l’origine ethnique, etc. » mais également « les intérêts des élèves, leurs projets, leurs stratégies d’études, leurs stratégie d’auto-régulation, etc. ». Toutes les définitions avancées par les enseignants s’appuient sur plusieurs hétérogénéités.

Les propos tenus par le PE8 révèlent l’existence « des hétérogénéités ». Ensuite selon les enseignants les sources possibles peuvent être liées aux apprentissages (PE1) ; aux niveaux ou à l’âge (PE2 et PE5) ; aux conditions d’accès au savoir (PE3 qui a également mentionné les apprentissages) ; au vécu des élèves (PE4). Ces sources potentielles citées par les

38 souligner les définitions énoncées par les PE7 et PE8. En effet, le PE7 fait une distinction entre l’hétérogénéité des élèves de maternelle et de l’élémentaire. Le PE8, quant à lui, constate une hétérogénéité scolaire et/ou relationnelle dont le point de départ serait familial et/ou culturel. Ces précisions semblent pertinentes.

 La possibilité de réussite pour tous :

Nous avons exposé les difficultés rencontrées par l’Education Nationale pour faire réussir tous les élèves : « réduire la part des jeunes qui échouent […] l’impact des inégalités sociales sur les parcours scolaires » (site de la Refondation de l’Ecole de la République). La référence au mauvais classement PISA de la France en 2012 et 2016 y est visible. Notre pays est

qualifié de « champion des inégalités scolaires » et cette remarque ne cadre pas avec « la réussite pour tous » invoquée par la récente réforme de l’Education Nationale. Du point de vue des enseignants, nous avons remarqué dans notre tableau très synthétique qu’à partir de quatorze années d’expérience professionnelle, les enseignants ont un avis positif sur la « réussite pour tous ». Par positif, nous entendons que ce beau projet est réalisable. Le PE1 pense qu’emmener un élève vers la réussite est réalisable mais que cela « prend plus de temps selon les difficultés ». Les PE2 et PE3 ont mesuré que la réussite est possible et qu’elle peut même passer par le biais de l’hétérogénéité (complémentarité des élèves) :

PE2 : « Donc du coup, si on part du principe que c’est intéressant d’accorder plus de temps à celui qui ne sait pas, tu as des billes en plus : tu as toi qui peux aller aider et celui sous la forme de tuteur […]. Je pense et j’ai mesuré que la réussite peut passer par ce biais. »

PE3 : « Pour moi dans une classe, l’idéal c’est qu’ils soient hétérogènes. Après effectivement, cela oblige à organiser des petites choses. Mais l’hétérogénéité n’est pas à priori une

difficulté […]. On pourrait considérer l’hétérogénéité comme une richesse car des élèves peuvent proposer leur point de repère que d’autres élèves n’auraient pas vu. »

Le PE4 n’accueille pas la « réussite pour tous » de manière négative mais explique sa vision de la réussite qui, selon lui, n’est pas la même que celle fixée par l’institution. La plus

important serait de former des citoyens et le « savoir être » des individus, surtout dans le contexte actuel :

39 PE4 : « En tout cas, moi, je n’ai pas les mêmes objectifs que l’institution […]. Gérer

l’hétérogénéité pour amener un maximum d’élèves vers la réussite oui, mais réussite, on parle de savoir ? De compétences ? Je pense qu’on a trop longtemps minimisé les « savoir être » pour moi ce qu’il y a de plus important à l’école, c’est de former des citoyens. »

Les PE5, PE6, PE7 et PE8 pensent qu’il s’agit d’un « objectif idéologique » à cause des facteurs extérieurs. Il est difficilement réalisable sur le terrain à cause des facteurs temps limité et contrainte des programmes. Les enseignants débutants et avec quelques années d’expérience sont plus focalisés sur les attentes institutionnelles qui selon eux sont un frein à la réussite pour tous sur le terrain. Tandis que les expérimentés place les enfants comme acteurs de leurs réussites et ont des attentes moins institutionnelles.

PE5 : « On met tout en œuvre, effectivement c’est l’objectif, c’est le but recherché d’arriver au même niveau, mais il y a beaucoup de facteur extérieurs qui fait que c’est un peu

idéologique de penser qu’ils y arriveront tous. »

PE6 : « Disons que c’est difficile dans la pratique de faire réussir chaque enfant. »

PE7 : « Quand on démarre le métier, on est plein d’idéaux, on se dit : « je vais appliquer tout ce qu’on m’a dit, je vais faire réussir tous mes élèves […]. Avec l’expérience, on se rend compte que c’est compliqué […]. Donc pour répondre à la question : « est-ce compatible avec la réussite pour tous ? », pas à grande échelle. »

PE8 : « Mais la réussite pour tous c’est quelque chose qui est encore plus vaste. Nous, on peut contrôler ce qui se passe en classe. C’est-à-dire amener les élèves à des degrés d’acquisition identiques entre guillemets. Mais on peut pas aller au-delà. La réussite ça ne passe pas uniquement par l’école […].Peut-être le dispositif plus de maitres que de classes, ça peut favoriser dans certaines zones. C’est très nuancé parce que tu sais mon expérience ne me permettrait pas de dire plus de choses. »

 L’appréhension de l’hétérogénéité :

Après de nombreuses lectures du côté de la psychologie sociale, nous avions arrêté une définition de la représentation sociale. Nous avions expliqué qu’il s’agissait d’une

40 la mémoire à long terme afin d’être récupérée si cela s’avérait nécessaire notamment si nous avions besoin de comprendre, d’ « interpréter » des situations qui se présentaient dans « notre réalité » et qui se confrontaient à nous. Du point de vue des enseignants, nous avons remarqué dans notre tableau très synthétique qu’à partir de vingt-trois années d’expérience professionnelle, l’hétérogénéité d’une classe est perçue positivement.

Le PE1 parle d’un constat de départ « moins dérangeant aujourd’hui ». Le PE2 expose un « minimum avec la formation IUFM » et malgré une aisance actuelle, dit n’être « pas plus serein ». Le PE3 est passé d’une rigidité extrême à une acceptation mais se dit également « plus serein mais pas à l’aise ». Pour le PE4 qui a débuté avec une vision des anciens assez réductrice de l’hétérogénéité : « il y en a qui sont irrécupérables », le discours était d’aider dès le départ ceux qui étaient considérés comme « différents ». Le PE5 fait également

référence à l’IUFM mais explique que l’hétérogénéité était complexe et l’est toujours. Le PE6 a commencé paniqué et cela ne parait toujours pas évident pour lui. Le PE7 ne la percevait pas « du premier coup d’œil » mais pense avoir une œil plus exercé aujourd’hui. Le PE8 s’attendait bien à une hétérogénéité mais pas de cette ampleur.

L’hétérogénéité est connue des enseignants débutants (formation initiale, constat

personnel). Elle est perçue comme complexe, d’une ampleur démesurée (de gros écarts entre les élèves) voire pratiquement ignorée. Quelque soit les années d’ancienneté dans le poste, une évolution de la perception est visible entre le début de carrière et aujourd’hui. Les professeurs des écoles qui ont la plus longue expérience professionnelle se sentent plus sereins mais pas forcément plus à l’aise. Par contre, nous pouvons remarquer que les

expérimentés considèrent que l’hétérogénéité peut être une chance pour la réussite de tous les élèves.

 La gestion de l’hétérogénéité :

Comme expliqué dans notre cadre théorique, l’hétérogénéité n’est pas récente et au fil du temps des techniques de gestion de cette réalité de classe sont apparues : la pédagogie différenciée, l’apprentissage coopératif, l’individualisation des apprentissages, la pédagogie par le jeu, etc.

Durant nos entretiens, tous les enseignants interrogés ont répondu avoir mis en place en début de carrière une pédagogie différenciée, même si elle semblait peu importante pour certains.

41 Aujourd’hui, le PE1 différencie (difficilement) en formant des groupes de niveaux et en adaptant en fonction des réussites des élèves. Une individualisation a été mise en place pour une élève avec « de grosses lacunes ». Le PE2 a une table dédiée à la différenciation dans sa classe. Il a créé une sorte de routine et les élèves savent ce qu’ils ont à faire : rejoindre la table, travailler en autonomie. Le tutorat est également utilisé. Par contre les pédagogies nouvelles qui ont été testées, ont été, pour la plupart d’entre elles, abandonnées. Le PE3 part de choses communes puis la différenciation se fait en amont à différents niveaux : sur le moment ou sur des temps réservés dans l’emploi du temps. Pour lui le tutorat est difficile à institutionnaliser. Le PE4 privilégie l’autonomie et la motivation qui seraient pour lui la réponse à avoir face à l’hétérogénéité. L’utilisation des nouvelles technologies est en quelque sorte une manière de différencier. Le PE5 est dans l’adaptation du travail en fonction du travail fourni par l’élève. Le PE6 cherche à trouver des temps particuliers pour chacun (et de les acter dans l’emploi du temps). Le PE7 s’appuie sur l’organisation des ateliers de la classe pour dégager du temps et l’offrir à ceux qui en ont besoin. Le PE7 est visiblement plus dans la pédagogie par le jeu. Le PE8 utilise sa connaissance des élèves pour construire sa

différenciation. Sa gestion est différente selon les matières, les disciplines. Tous les outils de la gestion de l’hétérogénéité de notre cadre théorique sont visibles dans notre analyse, mis à part les nouvelles technologies qui semblent être des outils judicieux au regard du nouveau socle commun de compétences, de connaissances et de culture.

Pour adapter au mieux la gestion de l’hétérogénéité de leur classe, une très longue phase de recherche a été nécessaire pour les enseignants les plus expérimentés. De leur aveu, le cheminement n’est pas encore terminé et pour tous les enseignants, la gestion de

l’hétérogénéité au début s’est révélée fatigante et inefficace, c’est pour cette raison que les façons de faire ont évolué avec le temps car la pratique s’est accompagnée d’une réflexion a posteriori.

 L’évolution des pratiques pédagogiques :

Concernant l’expérience professionnelle nous savons désormais qu’ « une personne expérimentée est celle qui peut se prévaloir de compétences liées à sa pratique d’une activité professionnelle ». Il s’agit de l’apprentissage par la pratique (learning by doing), nous pouvons même ajouter que cette pratique doit s’accompagner d’une réflexion a posteriori.

42 Nous nous sommes entretenus avec un débutant ayant achevé sa formation initiale et possédant déjà une partie des compétences nécessaires pour occuper son emploi. Il s’agit du PE8 avec une année d’expérience professionnelle.

Nous avons également sollicité trois individus avec une efficacité professionnelle dite « normale » pouvant améliorer leurs performances. Il s’agit des PE5, PE6 et PE8 qui ont respectivement sept, huit et six ans d’ancienneté.

Enfin, nous avons recueilli les propos de quatre enseignants avec une expertise certaine. Il s’agit des PE1, PE2, PE3 et PE4 qui ont respectivement quatorze, vingt-six, vingt-six et vingt-trois années de service à leur actif.

- Pour le PE1 (T14) : La référence au parcours professionnel est intéressante car elle est en lien avec l’apprentissage par la pratique et l’idée de « remise en question » et de

« réadaptation perpétuelle » correspond à l’idée que la pratique s’accompagne d’une réflexion a posteriori du travail accompli, même si le cheminement n’est pas perçu comme achevé par l’enseignant.

- Pour le PE2 (T26) : Nous avons vu que les compétences d’un enseignant : « s’acquièrent et s’approfondissent dès la formation initiale et se poursuivent tout au long de la carrière par l’expérience professionnelle et l’apport de la formation continue ». Le PE2 a évoqué ces trois points (l’IUFM, phase de recherche sur son mode de fonctionnement en classe, recherche par la formation et l’échange avec ses pairs).

-Pour le PE3 (T26) : L’apprentissage par la pratique dans un milieu spécifique (ZEP) a contribué à une évolution dans la façon d’enseigner, d’autant plus que l’hétérogénéité est prégnante dans cet environnement. L’importance de la recherche est soulignée : observation des collègues et reprise d’étude. L’évolution dans les pratiques professionnelles repose donc sur plusieurs dispositifs.

-Pour le PE4 (T23) : Rappelons qu’ « un débutant ayant achevé sa formation initiale

possède déjà une partie des compétences nécessaires pour occuper son emploi » le PE4 avait des fondamentaux lorsqu’il avait débuté. Nous avons également vu qu’ « un individu avec une efficacité professionnelle dite « normale » peut améliorer ses performances » et la recherche d’amélioration est visible chez cet enseignant. Nous avons le sentiment que le parcours de cet

43 enseignant n’est pas achevé, notamment à cause du fait que chaque année il doit gérer une classe avec des élèves différents.

-Pour le PE5 (T7) : La référence au parcours professionnel est intéressante car elle est en lien avec l’apprentissage par la pratique et l’idée de la gestion de plusieurs niveaux dans la semaine et tous les ans implique que la pratique s’accompagne d’une réflexion a posteriori du travail accompli, même si le cheminement n’est pas perçu comme achevé par l’enseignant qui parle même d’une frustration pour ne pas pouvoir améliorer sa propre classe tous les ans.

L’atteinte d’une efficacité professionnelle dite « normale » est visible dans le discours tenu concernant la construction des apprentissages actuels : « des idées viennent, j’ose des choses nouvelles » etc. Le PE6 sent qu’il peut améliorer ses performances : «il y a des choses encore très critiquables à améliorer. »

-Pour le PE7 (T6) : Le PE7 peut bien se prévaloir de compétences liées à sa pratique d’une activité professionnelle (le parcours professionnel est présenté comme une formation

continue). Nous sommes bien dans le « learning by doing ». A l’instant de l’entretien, le PE7 est entre l’individu avec une efficacité professionnelle dite « normale » qui peut améliorer ses performances et l’acquisition ou la révélation de certaines compétences permettent à

l’individu d’accéder à un emploi non-accessible aux débutants (il parle d’une « correction d’une erreur de « débutant » »).

-Pour le PE8 (T1) : Le discours du PE8 sur l’évolution des pratiques est logiquement assez court. Il est à l’image de l’expérience professionnelle effective de cet enseignant. Il est encore un débutant ayant achevé sa formation initiale et qui possède déjà une partie des

compétences nécessaires pour occuper son emploi. Mais il n’est pas encore un individu avec une efficacité professionnelle dite « normale » qui peut améliorer ses performances. En effet, il s’attend à « des surprises » pour l’année scolaire suivante.

La perception d’une l’évolution dans les pratiques professionnelles est visible dans tous les propos et ce quelque soit le nombre d’années de pratique. Par contre, les évolutions semblent plus abouties chez les confirmés. De plus, nous pouvons préciser que les entretiens avec les -Pour le PE6 (T8) : En tant que débutant ayant achevé sa formation initiale, le PE6 possède certainement déjà une partie des compétences nécessaires pour occuper son emploi. Par contre, le manque d’assurance le poussait à utiliser des outils ayant fait leur preuve.

44 enseignants expérimentés ont été plus longs que ceux programmés avec les débutants et les enseignants avec quelques années d’expérience. Cette remarque semble logique car la durée des discours est proportionnelle aux nombres d’années d’expérience professionnelle.

Avant de vérifier nos hypothèses et pour conclure sur les concepts de notre cadre théorique. Nous pouvons confirmer les définitions de l’hétérogénéité existantes et nous pouvons même la compléter en ajoutant qu’il serait possible de faire une distinction entre l’hétérogénéité des élèves de maternelle et de l’élémentaire et qu’il existerait une

hétérogénéité scolaire et/ou relationnelle dont le point de départ serait familial et/ou culturel. Concernant la « réussite pour tous », les enseignants débutants et avec quelques années d’expérience sont plus focalisés sur les attentes institutionnelles qui selon eux sont un frein à la réussite pour tous sur le terrain. Tandis que les expérimentés place les enfants comme acteurs de leurs réussites et ont des attentes moins institutionnelles. Ce qui semble paradoxal puisque la réussite pour tous est un objectif de l’institution. Quelque soit les années

d’ancienneté dans le poste, une évolution de la perception est visible entre le début de carrière et aujourd’hui. Les professeurs des écoles qui ont la plus longue expérience professionnelle se sentent plus sereins mais pas forcément plus à l’aise. Nous pouvons également remarquer que les expérimentés considèrent que l’hétérogénéité peut être une chance pour la réussite de tous les élèves, ce qui est plutôt positif. Tous les outils servant à la gestion de l’hétérogénéité cités dans notre cadre théorique ont été ou sont utilisés par les enseignants interrogés. Nous

pouvons ajouter l’utilisation des nouvelles technologies à cette liste d’outils. Pour adapter au mieux la gestion de l’hétérogénéité de leur classe, une très longue phase de recherche a été nécessaire pour les enseignants les plus expérimentés et cette recherche n’est pas encore terminée. L’évolution des pratiques pédagogiques est visible chez tous les enseignants que nous avons sollicités. Les plus expérimentés peuvent se prévaloir d’une longue recherche pour trouver le fonctionnement le plus adapté et sont encore en perpétuelle (ré)adaptation de leurs pratiques et de leurs postures professionnelles.

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