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« Il n’y a pas de substituts pour des auditeurs compétents, tenaces et motivés qui, sur le front, parcourent les usines et interviewent les travailleurs » Mamic (2004, 352).

Les audits doivent comporter un degré d’assurance suffisamment élevé (Arens & al. 2004). Les choix méthodologiques – sélection de l’échantillon, protocole d’entrevues, procédés analytiques – ont un impact majeur sur la valeur de la démonstration. Des audits bâclés ou superficiels ont

271 « Notre position au sujet des droits d’association et de négociation collective a toujours été neutre, c’est-à-dire ni pour ni contre les syndicats », indique Adidas (2003c, 24, t.l.).

272 « Nous ne pouvons pas forcer les fournisseurs ni les travailleurs à se syndiquer. Nous préférons créer une atmosphère positive qui favorise le dialogue entre les employés et les gestionnaires » (Puma 2008, 54, t.l.).

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un effet néfaste pour les travailleurs, car ils donnent une fausse impression que les conditions sont acceptables, alors qu’elles ne le sont pas (CCC 2005a).

Dans le domaine des droits du travail, les problématiques sont complexes et multidisciplinaires, ce qui oblige les auditeurs à posséder un grand bagage de connaissances, autant aux plans technique, économique, politique et juridique (Caron & al. 2006). Les auditeurs financiers, habitués à vérifier des chiffres, font parfois difficilement le saut dans l’univers de l’audit social. De leur côté, certaines ONG manquent de compétences techniques et de jugement professionnel (Painter-Morland 2006).

La valeur et la crédibilité d’un audit dépendent aussi du degré d’indépendance des auditeurs (Lee 1998). « Sans indépendance, la fonction d’attestation est dénuée de sens », rappellent Arens et al. (2004, 62). Les auditeurs doivent avoir une distance suffisante par rapport à l’entité vérifiée afin de pouvoir porter un jugement neutre et libre de tout parti pris. Ils doivent émettre une opinion intègre et fiable à laquelle les parties prenantes accorderont de la crédibilité.273 Ainsi, les audits sur les droits du travail exigent un haut niveau de professionnalisme.

4.1 Les audits sociaux sont-ils menés avec professionnalisme et offrent-ils une assurance élevée ?

Globalement, cette condition n’est pas satisfaite. Les compétences et les méthodes des auditeurs sociaux – qui ont fait l’objet de beaucoup de critiques au tournant des années 2000 – se sont améliorées dans les dernières années. Cependant, ces progrès se concentrent surtout dans les secteurs les plus surveillés par le marché et les plus touchés par les actions des militants, comme celui des souliers et des vêtements athlétiques. Dans des secteurs moins en vue et moins avancés au plan de la responsabilité sociale, les compétences et des méthodes d’audit ne semblent pas avoir autant progressé et la qualité des audits demeure inégale.

Nike, Adidas et Puma sont parmi les entreprises pionnières dans le domaine de l’audit social et celles ayant développé les modèles les plus complets (FLA 2009, CCC 2005a, OIT 2003). Elles ont « pavé la voie », selon les mots de FLA (2009).274 Au contraire, bien des entreprises

273 Arens et al. (2004, 62) écrivent : « Sans croire à l’indépendance absolue, la recherche de cette qualité doit tout de même constituer un objectif vers lequel on tend et qui peut être atteint dans une certaine mesure ».

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« anonymes » perpétuent des pratiques inefficaces (CCC 2005a). N’étant pas identifiées à une marque, elles ne sont pas la cible des médias et des militants, ce qui ne les motive pas à adopter les normes de responsabilité sociale. Les entreprises de plus petite taille ont aussi moins de ressources à consacrer aux audits.

On ne donc peut généraliser les progrès réalisés par Nike, Adidas et Puma à l’ensemble des secteurs et des entreprises, d’autant plus que la multiplication des codes de conduite a entrainé une véritable industrie de la certification (OCDE 2001, Jenkins 2001). L’éthique est devenue un marché lucratif (Pun & Sum 2005). Or, il semble que la concurrence entre les firmes ait amené certaines d’entre elles à privilégier le succès commercial, au détriment du professionnalisme et de l’indépendance (Diller 1999, O’Dwyer 2001). Des firmes de gestion-conseils et de vérification comptable ont voulu s’emparer de ce nouveau marché, mais sans avoir les compétences et l’expérience dans les domaines du droit du travail, de la santé et sécurité et des autres enjeux relatifs à la condition ouvrière.275 Il en est de même pour une multitude de consultants et d’ONG qui se sont improvisés « experts » en responsabilité sociale et en inspection d’usines (Waddock 2008).

4.2 Pourquoi les audits sociaux ne comportent pas un niveau de professionnalisme et d’assurance élevé ?

Un facteur majeur expliquant la variabilité dans la qualité des audits est le manque de professionnalisation (réglementation) du travail d’auditeur social, lequel représente un phénomène relativement récent. « Le discours articulé autour de la vérification sociale est encore peu développé, faute de balises solides pour encadrer le travail du vérificateur » (Caron & al. 2006, 93). À l’heure actuelle, le métier d’auditeur social (et son accès) n’est pas réglementé. Il n’existe pas de support institutionnel – par exemple un ordre professionnel international– chargé d’établir des normes et des méthodes en matière d’audit social. Les auditeurs n’ont pas à suivre une formation de base commune (d’où la multitude de profils que l’on retrouve), ou à respecter des normes de référence concernant la fréquence et le temps alloué aux audits, la préparation 274 Elles « en ont fait beaucoup plus que d’autres dans leur industrie » en termes d’audits, de sessions de formation, de programmes d’assistance aux travailleurs et de consultations avec les parties prenantes (FLA 2009, 10 t.l.). 275 Voir O’Rourke (2000), qui a accompagné des auditeurs de la firme comptable PricewaterhouseCoopers en Chine et en Corée du Sud. Le chercheur remet en question la formation, les méthodes et l’indépendance des auditeurs.

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requise, les thèmes à couvrir, le mode de publication des résultats, etc. Par conséquent, les droits du travail ne sont pas audités de manière uniforme.

Ce manque de professionnalisation se traduit aussi par l’insuffisance d’indicateurs précis et concrets permettant d’évaluer la performance des entreprises aux plans social et éthique (Mamic 2004). Contrairement aux normes comptables internationales (IFRS) qui s’implantent graduellement, il n’y a pas de normes formelles et universellement acceptées en matière de responsabilité sociale (Waddock 2003). « Les concepts de responsabilité sociale et de développement durable [sont] des concepts souples et malléables qui sont en cours de construction, façonnés par de multiples acteurs », rappellent Caron et Gendron (2007, 2). Les multiples firmes d’audit, organismes de certification et entreprises acheteuses « peuvent avoir des points de vue divergents sur ce qu’il faut considérer comme une pratique professionnelle raisonnable en matière d’audit » (OCDE 2001, 88). Ces acteurs ont leurs propres balises et ne se concertent nécessairement.276

276 Les auditeurs sont formés et certifiés directement par l’organisme pour lequel ils œuvrent (WRAP, SA, ISO, etc.). Les auditeurs internes sont parfois membres de l’Institut international des vérificateurs internes (IIA).

CONCLUSION

LE POTENTIEL ET LES LIMITES DES AUDITS SOCIAUX ET DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE

Deux décennies se sont écoulées depuis les premières vagues de révélations sur les « sweatshops », mais la gouvernance des chaines mondiales de production de façon éthique et responsable demeure l’une des principales problématiques de notre époque. Avec cette recherche, nous avons voulu évaluer le potentiel contributif des audits sociaux à l’avancement des droits des travailleurs des pays en développement. En guise de conclusion, nous revenons sur les résultats de notre étude, nous en indiquons les limites, nous discutons des perspectives d’avenir et nous recommandons quelques pistes d’améliorations.