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L’avantage comparatif de la Chine dans le secteur des souliers athlétiques

La production manufacturière engendre des coûts que l’on peut distinguer en trois catégories : 1) les coûts directs de fabrication (main-d’œuvre, matériaux); 2) les coûts indirects (énergie, supervision, coordination, contrôle de la qualité); et 3) les coûts relatifs au pays (taxes, réglementation, valeur de la monnaie) (Harris 2003, CCC 2004).

Dans le secteur que nous étudions, la recherche d’un coût unitaire du travail favorable est le principal facteur qui motive les entreprises à délocaliser ou externaliser leur production (BCG 2004). Ce coût unitaire n’équivaut pas strictement aux salaires versés aux ouvriers; il tient compte de la productivité et des autres charges reliées à la main d’œuvre (formation, supervision, audit).67 Les entreprises doivent analyser tous les éléments qui forment le véritable coût de production à l’étranger, y compris l’expérience des travailleurs, l’état de la machinerie et l’organisation du travail, car ils influent sur la productivité (Berger 2006). Le capital d’expertise et d’expérience dans les domaines du textile et des souliers s’est déplacé vers l’Asie, où se trouvent maintenant des réseaux efficients, de la machinerie efficace et une grande flexibilité dans l’offre d’approvisionnement, en plus de salaires relativement bas (Puma 2008).68

67 Le coût unitaire du travail correspond à « la valeur de la main d’œuvre nécessaire pour produire une unité de produit ou de service » (Berger 2006, 153). Quant à la productivité, elle équivaut à « l’efficience avec laquelle les ressources de l’économie sont transformées dans la production de biens et de services. Elle mesure la quantité produite à partir des facteurs travail, capital et technologie » (Industrie Canada 2000). 68 Les pays qui attirent les entreprises – la Chine au premier rang – offrent plus que de la main-d'œuvre bon marché : elles fournissent des infrastructures de qualité (transport, énergie, technologie).

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Le facteur clé de l’avantage concurrentiel chinois provient d’une combinaison très compétitive : de faibles salaires jumelés à une bonne productivité (Navarro 2006). Entre 1995 et 2004, la productivité des usines chinoises a plus que quintuplé.69 Le coût du travail est demeuré bas, car cette hausse de la productivité a compensé pour la hausse des salaires. Les autres facteurs de la compétitivité chinoise incluent les subventions, les réseaux d’entreprises, la sous-évaluation du yuan, les normes environnementales peu contraignantes et les règles minimales d’hygiène et de sécurité (Navarro 2006). Le coût du travail horaire moyen en Chine était d’environ 5 $ US au milieu des années 2000, comparativement à un taux de plus de 25 $ US aux États-Unis ou en Europe occidentale (CNUCED 2005).70 À terme, cela permet à Nike, Adidas et Puma de réaliser des marges de profit brutes de plus de 45 % lors de la vente de leurs produits aux distributeurs.71 Prenons le cas d’un soulier Nike livré par un fournisseur chinois et vendu 90 $ dans un magasin. Le tableau suivant décompose les coûts approximatifs, de la fabrication jusqu’à la vente :

69 The Economist, 31/7/2010, « The Rising Power of the Chinese Worker ». La productivité augmente lorsqu’une plus grande quantité peut être produite avec les mêmes facteurs de production (ou moins) (Industrie Canada 2000).

70 Il ne s’agit pas du salaire horaire, mais bien du coût du travail horaire, lequel est calculé à l’aide d’un indice de productivité et en tenant compte de l’ensemble des charges salariales.

71 Selon les plus récents rapports annuels (2010 à 2012) des trois entreprises. Il s’agit du prix de vente des produits aux distributeurs (ex : Footlocker) moins le prix d’achat versé aux fournisseurs. Les frais de ventes et d’administration sont exclus de ce calcul. Notons que la marge brute élevée provient aussi de la politique de fixation de prix, un élément clé de la stratégie marketing. Les souliers Nike, Adidas, Puma sont vendus à un prix élevé qui reflète le « prestige » de ces marques.

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Tableau II. Reconstitution des coûts d’un soulier Nike « made in China » 72

ACTIVITÉS DE LA CHAINE DE VALEUR $ US par soulier (estimations) % / prix de vente du fournisseur à Nike % / prix de vente au consommateur Fabrication du soulier

Coût de la main-d'œuvre (sous-traitants) =

salaires, avantages sociaux, supervision 3,25 $ [10%-15%] [3%-4%]

Matériaux de fabrication 14,90 $ [60%-65%] [16%-17%]

Frais généraux de fabrication (sous-traitants) = énergie, contrôle de la qualité, audits, formation, réglementation, sécurité

4,25 $ [15%-20%] [4%-5%]

Profit des sous-traitants 1,10 $ [3%-5%] [1%-2%]

Prix de vente du fournisseur à Nike 23,50 $ 100 % [25%-30%] Marge de profit brute de Nike

Prix de vente de Nike au distributeur 48,50 $ MOINS : Coût d’achat du soulier au fournisseur 23,50 $

MOINS : Frais de transport 3 $

Profit brut de Nike

(ce qui correspond à 45 % de marge brute) 22 $

Vente du soulier au consommateur Prix de vente de Nike au distributeur 48,50 $ PLUS : Frais de distribution et de vente et profit

des distributeurs et détaillants 41,50 $

Prix de vente du soulier en magasin 90 $ [380-385%] 100 %

Selon notre reconstitution, le coût de la main-d'œuvre représente entre 10 % et 15 % du coût de fabrication des fournisseurs, mais ne représente qu’à peine 4 % du prix de vente en magasin. Ce faible ratio [coût du travail / prix de vente] contribue grandement à la marge de profit élevée de Nike.

Contrairement au coût des matériaux qui demeure relativement stable d’un endroit à l’autre, le coût du travail varie selon la localisation de la production. Si les mêmes souliers étaient fabriqués en Occident plutôt qu’en Asie, le coût de fabrication serait nécessairement plus élevé à cause du coût du travail plus dispendieux (salaires, avantages sociaux, coûts syndicaux, normes, réglementations). Pour réaliser un profit comparable,

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Nike devrait alors modifier son modèle d’affaires, soit en réduisant ses coûts de recherche et de marketing, soit en augmentant ses prix de vente. Or, c’est l’emphase sur l’innovation et l’image de marque qui fait le succès du modèle Nike. Si l’entreprise n’investit plus autant en marketing, ses ventes en souffriront. Le recours à la sous- traitance internationale est donc un facteur central du succès de Nike, Adidas et Puma.