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Les anciens quartiers industriels comme cadres exemplaires des processus de dévalorisation/revalorisation en question de dévalorisation/revalorisation en question

superstructures et configurations localisées

Chapitre 2. Les anciens quartiers industriels en reconversion comme espaces privilégiés de l’observation reconversion comme espaces privilégiés de l’observation

2.2. Les anciens quartiers industriels comme cadres exemplaires des processus de dévalorisation/revalorisation en question de dévalorisation/revalorisation en question

Le quartier est une échelle méthodologique qui permet donc d’avoir accès aux matériaux empiriques qui nous permettront d’analyser la production de l’espace dans ses trois dimensions. Toutefois, ce travail se donne aussi pour but de catégoriser l’évolution des modalités de production et de valorisation des espaces locaux, en lien avec le développement du mode de production néolibéral à l’échelle mondiale. Pour cela, nous devons être en mesure de comparer les modalités de production urbaine observées dans nos espaces d’étude avec les précédentes. Pour ce faire, nous souhaitons baser cette réflexion sur des espaces qui traduisent un processus de production, donc de valorisation intense afin de pouvoir identifier plus clairement les éléments qui relèvent de changements profonds dans les rapports de production, et ceux qui traduisent plutôt des subsistances des formes héritées de modes de production précédents. Ainsi, les anciens quartiers industriels qui connaissent aujourd’hui des processus de « régénération urbaine » (Rodriguez-Malta, 2001 ; Chasseriau, 2004 ; Badariotti, 2006) aux formes et aux intensités variables nous apparaissent être exemplaires de cette interface entre le nouveau et l’ancien, que cela soit dans leurs dimensions morphologiques, fonctionnelles ou sociales. Les processus historiques de transformation de ce type de quartier, comme illustrations des mutations du mode de production de la ville dans son ensemble, fait d’ailleurs l’objet d’une littérature scientifique fournie. Cet enjeu du processus de transition est au demeurant mis en avant par l’appellation déjà ancienne de « ville post-industrielle » ou « quartier post-industriel » (Smith, 1987 ; Hall, 1997 ; Bailoni, 2010 ; Rousseau, 2013 et 2014, etc.), largement présente dans la littérature scientifique depuis les années 1990. Il nous semble donc nécessaire de définir plus précisément ce qui se joue dans les anciens quartiers industriels contemporains afin de contextualiser davantage les objectifs de cette étude.

L’organisation de la ville industrielle autour de la production

Comme nous l’avons souligné précédemment, si chaque mode de production se caractérise par des rapports sociaux de production et une organisation spatiale spécifique, alors il existe ou il a existé une ville industrielle, c’est-à-dire une ville où la conception, les représentations et les appropriations sont largement conditionnées par les objectifs de production manufacturière de l’ère industrielle et des fonctions qui en découlent (importation de matière première, exportation, reproduction sociale de la force de travail, etc.). En Europe,

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la subordination progressive de la ville et de la structure sociale dans son ensemble (Castels et Godard, 1974) aux objectifs de production industrielle fait suite à la première puis à la seconde révolution industrielle de la première moitié du XIXème siècle. Marquées par l’évolution technique, notamment dans le domaine textile, des transports et la généralisation de l’utilisation de la vapeur, et la massification du travail manufacturier, les sociétés européennes s’urbanisent très fortement tout au long du XIXème et de la première moitié du XXème siècle. Les usines s’installent souvent en périphéries immédiates des centres anciens, voire sont à l’origines de création quasi ex nihilo de villes usines dont l’existence est indissociable du processus d’industrialisation (Del Biondo et Edelblutte, 2016). Dans les deux cas, les usines, extrêmement gourmandes en main d’œuvre, entraînent un exode rural important qui est au fondement d’un processus massif d’extension urbaine.

Dans le cas des anciennes villes préindustrielles qui concentraient déjà des fonctions commerciales ou politiques plus anciennes et qui retiendront notre attention dans cette étude, les centres-villes ne peuvent absorber l’afflux de population et de nouveaux quartiers péricentraux voient le jour à proximité des usines et des ateliers afin de rationaliser l’installation de la main d’œuvre (Ibid.). Dans bien des cas, l’espace d’implantation des usines et celui nécessaire à la reproduction des rapports de production est ainsi considéré comme une donnée de la production et est donc aménagé par les industriels eux-mêmes (Edelblutte, 2010). Cette production de l’espace par et pour l’industrie se traduit donc par l’architecture des usines en brique rouge, caractéristique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, mais aussi par les grands hangars en brique dans le cas des docks portuaires et des infrastructures de fret. De nombreuses entreprises aménagent aussi les infrastructures destinées à contrôler la vie quotidienne des salariés (logements, infrastructures sportives, maison de retraite, etc.) selon un modèle paternaliste largement connu (Ibid.). Ce poids des industriels dans la production de l’espace s’atténuera progressivement à partir des années 1950, la naissance de l’État providence en France et l’avènement du socialisme d’État en République Démocratique d’Allemagne. À partir de cette période, les pouvoirs municipaux et surtout les États jouent un rôle d’appui aux dynamiques industrielles en aménageant les infrastructures extérieures à l’accumulation (Castels et Godard, 1974), les routes, les ports et les services publics (écoles, administrations) nécessaires à la reproduction de la force de travail. En contrepartie de cet appui, les municipalités profitent de recettes fiscales importantes générées par la taxation des localisations

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industrielles et opèrent directement un contrôle de la population auparavant dévolu aux industriels14.

Ce fondement de l’organisation urbaine à partir du XIXème siècle marque l’émergence de paysages géographiques et sociaux spécifiques. En effet, les quartiers nouvellement industrialisés sont rapidement équipés en infrastructures de transport, maritime, fluvial (construction de canaux, de bassins portuaires, etc.) ou ferroviaires pour faciliter l’importation des matières premières et l’exportation des produits finis (Mangin, 2002). Ces infrastructures urbaines sont dimensionnées et ordonnées pour ces objectifs productifs, ce qui a pour effet un relatif enclavement des quartiers industriels péricentraux par rapport au reste de la ville. Cela renforce le caractère monofonctionnel de ce type d’espace. En plus de ces infrastructures, ces quartiers sont souvent structurés autour d’une ou plusieurs usines d’importance dont la localisation et l’organisation du travail sont au fondement de l’organisation géographique et des rythmes urbains. En effet, les processus d’appropriation des espaces de ces quartiers, cafés, infrastructures sportives ou culturelles sont largement déterminés par les temps « off » de la production (Grésillon, 2011) et les hiérarchisations sociales de classes, produits de la société industrielle, se retrouvent dans les réseaux de sociabilité qui fondent les quartiers. Le quartier industriel et les îlots de logements des travailleurs sont aussi représentés comme étant la continuité, dans la sphère privée, des sociabilités au sein de l'usine, une localité qui puise son fondement dans l’appartenance à des collectifs de travail, reflets de la condition sociales des individus (Frey, 1995). Ainsi, déterminée par la fonction productive, la conception de l’espace urbain devient le reflet des objectifs et de l’organisation sociale du capitalisme industriel15. C’est aussi le cas de l’espace approprié et représenté qui est « produit par et pour des rapports

sociaux de production » (Valognes, 2002).

Le milieu du XIXème siècle marque donc la naissance de l’espace social industriel, celui des cheminées d’usines, des voies ferrées et bien souvent, celui des docks et de la classe ouvrière. Malgré les nombreuses évolutions de la technique et donc de l’organisation du travail tout au long du XXème siècle, ce paysage urbain et social marque durablement les espaces urbains péricentraux jusqu’à la désindustrialisation débutée vers la fin des années 1970. De

14 En RDA, les entreprises sont directement propriété de l’État et sont l’une des premières instances du contrôle social, à travers des récompenses officielles pour les travailleurs productifs…

15 Notons tout de même qu’à l’est de l’Allemagne et dans les anciennes républiques socialistes et soviétiques, ces paysages se sont maintenus voire renforcé, conformément aux objectifs de productivité fixés par ces États entre 1918 et 1989.

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même, au vu de l’emprise foncière importante des infrastructures industrielles, celles-ci marquent le paysage des anciens quartiers industriels contemporains bien après la disparition des structures productives. Ainsi, l’ère industrielle se caractérise par une configuration particulière de la production de l’espace. Ce dernier est en effet largement conçu sur un modèle fonctionnel d’optimisation de la production, de l’exportation et de la reproduction sociale en flux tendu. Ces enjeux de production se trouvent ainsi largement dans les représentations collectives et les appropriations de ces espaces sont également dictées par la production et sa rationalité, même en cas de processus conflictuel. Le mode de valorisation qui domine est donc celui d’une valorisation économique productive, souvent associée à la valorisation technique d’un procès de production, d’un savoir-faire professionnel ou de luttes collectives, marqueurs d’une culture ouvrière fortement ancrée dans ces quartiers jusqu’à la désindustrialisation et qui subsiste parfois à la fermeture des usines (Veschambre, 2008). L’ensemble de ces héritages, architecturaux, fonciers, culturels, etc. sont une dimension importante des mutations contemporaines des espaces urbains car ils peuvent agir à la fois comme support des stratégies de revalorisation contemporaines ou comme éléments de contestation de leur légitimité et, à ce titre, devront faire l’objet d’une attention particulière tout au long de ce travail.

La désindustrialisation au fondement d’un nouvel espace social : le quartier en déclin

À partir des années 1970, les villes européennes ont connu une grande phase de désindustrialisation causée par les mutations du système d’accumulation capitaliste à l’échelle mondiale. Celle-ci fait en effet suite à une phase de stagnation du processus d’accumulation fordiste qui a atteint son point culminant avec le choc pétrolier des années 1970 (Harvey, 2014a). La multiplication des investissements, notamment sociaux, garantie par le système de régulation fordiste, produisant à la fois une stabilité de l’emploi et un niveau de salaire élevé pour les travailleurs est alors jugée trop coûteuse et responsable de la baisse de rentabilité des usines des pays développés. Progressivement, les usines d’industrie lourde (métallurgie, machine outils) ou manufacturières (textile, etc.) disparaissent, victime des délocalisations, entraînant avec elles une bonne partie des activités indirectes (transport, commerces, petites industries) qui dépendaient de l’activité des usines. Les usines situées dans les quartiers péricentraux des espaces urbains sont particulièrement concernées par cette conjoncture. En effet, en plus des délocalisations qui visent à déplacer les structures de production vers des pays émergents où la main d’œuvre est meilleure marché, de nombreuses autres activités urbaines

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ne sont plus dimensionnées pour affronter la concurrence et les réorganisations économiques de la phase d’accumulation flexible (Mérènne-Schoumaker, 2002). Les entrepreneurs déplacent alors les usines à la périphérie des espaces urbains, entraînant une réorganisation profonde des tissus sociaux des quartiers péricentraux. C’est particulièrement le cas des activités portuaires péricentrales et fluviales qui sont sous-dimensionnées par rapport à l’intensification du trafic de marchandise et à l’augmentation de la taille des navires. Partout dans le monde, ces activités se déplacent vers les littoraux et vers de nouveaux bassins en eau profonde. Ces déplacements des ports entraînent le déclin des activités annexes (stockage, industrie de construction et de rénovation des bateaux, du matériel portuaire, etc.) (Chevalier, 2004).

La disparition progressive du tissu industriel des quartiers pourtant longtemps organisés autour de la production génère ainsi de nouveaux espaces sociaux qui sont la projection de l’évolution des structures de production capitaliste de la fin du XXème siècle. La fonction même de ces quartiers est progressivement effacée et leur nature en est donc progressivement transformée. En effet, ces espaces « ne constituent plus l'espace d'accueil et de reproduction de

la force de travail nécessaire au capital industriel » (Morin, 1988, p. 30) et perdent leur utilité

économique, donc sociale. Dans de nombreux quartiers et villes industriels, cette transformation prend la forme d’une crise importante de la production de l’espace au fondement des processus de revalorisation qui les modèlent aujourd’hui. En effet, « le passage d'un mode

de production à un autre présente le plus grand intérêt théorique, en tant qu'effet des contradictions dans les rapports sociaux de production, qui ne peuvent manquer de s'inscrire dans l'espace en le bouleversant. Chaque mode de production ayant, par hypothèse, son espace approprié, un nouvel espace se produit pendant la transition » (Lefebvre, 1974). Ainsi, ces

transformations structurelles génèrent de nouveaux paysages urbains marqués par la déprise industrielle et par le déplacement progressif des populations qui travaillaient dans les usines.

La fin du processus de valorisation industrielle s’allie souvent à l’absence de processus de valorisation immédiat laissant des quartiers, voire des villes, dans une situation de dévalorisation multifactorielle souvent qualifiée indifféremment de déclin (Rousseau, 2010 ; Florentin et Paddeu, 2013), de décroissance urbaine (Cauchi-Duval et al, 2015), voire de « rétrécissement urbain » (Bontje, 2004 ; Fol et Cunningham-Sabot, 2010) dans le champ académique contemporain. La disparition de la fonction industrielle instituée entraîne en effet une très forte baisse du nombre d’emploi ce qui est à l’origine d’un déclin démographique important dans les anciens espaces productifs. Les populations les plus jeunes, les actifs

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diplômés (cadres, professions intermédiaires et fraction haute des classes populaires), les plus dotés économiquement et socialement pour entreprendre une mobilité résidentielle ou professionnelle, quittent les villes industrielles (Miot, 2012). Inversement, les populations les plus âgées, modestes et précaires tendent à rester fixées dans des quartiers de plus en plus dégradés où les difficultés sociales sont de facto de plus en plus fortes. Les chercheurs insistent sur les formes et les causes multiples de ce phénomène de développement urbain (Fol et Cunningham-Sabot, 2010). Si celui-ci est avant tout lié à la désindustrialisation, il peut être renforcé dans le cadre d’une ancienne ville-usine monofonctionnelle, comme ce fut souvent le cas aux États-Unis (Ibid.), le déclin lié à la faillite des grandes entreprises étant souvent renforcé par des politiques de gestion austéritaires destinées à assainir les finances publiques au détriment des services urbains (Briche, 2016). De même, en ex-Allemagne de l’Est, il apparaît que la crise politique de la réunification a fortement amoindri la capacité des pouvoirs publics à intervenir sur le déclin des années 1990 (Florentin et al, 2009) ce qui a renforcé le phénomène après la désindustrialisation brutale de 1990-1992. En France, il semblerait que le phénomène ait été plus limité (Dormois et Fol, 2017), jusqu’à une période récente (Cauchi Duval et al, 2017) par un solde migratoire et naturel positif et par la subsistance de politiques sociales atténuant le phénomène de déclin (Ibid.).

Si une approche globale du phénomène de déclin urbain est utile pour saisir les enjeux de la revalorisation urbaine dans les villes touchées par la désindustrialisation, elle nous apparaît toutefois insuffisante pour saisir les logiques sélectives de ce déclin à échelle plus fine. En effet, en apposant le qualificatif de déclin à l’ensemble des aires urbaines concernées, ces approches ne posent qu’un contexte général pour qui souhaite approcher ces villes empiriquement. Elles tendent ainsi à unifier le processus de déclin sur l’ensemble de la ville tandis que certains quartiers sont plus touchés que d’autres (Jeannier, 2018) ou que certaines villes ne connaissent pas, à l’échelle urbaine, ce type de processus alors que certains quartiers en regroupent toutes les caractéristiques. Là encore, placer l’observation à l’échelle du quartier pour catégoriser ensuite ce qui relève d’enjeux plus larges permet de contourner ce problème de catégorisation des villes en déclin. Au-delà des facteurs démographiques et politiques, souvent mobilisés à l’échelle de l’aire urbaine, les grandes tendances liées aux déclin industriel et à la perte de population et d’activité dans les anciens quartiers industriels génèrent, là encore, des paysage morphologiques et sociaux ainsi que des représentations sociales spécifiques, facilement observables et catégorisables et qui seront l’une des bases de notre étude :

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- La dédensification urbaine et la diminution de la surface appropriée. L’urbanisation industrielle se caractérisait par une densité importante de la construction dans des quartiers et une exploitation intensive de l’espace disponible. Les logements et les activités annexes étaient mêlées aux grandes usines et aux infrastructures dimensionnées pour la production. Avec la crise industrielle une grande partie de ces infrastructures a été rendue caduque, pas ou peu utilisée. Les abandons progressifs d’anciennes surfaces industrielles ou portuaires voire des infrastructures (routières, voies ferrées, quais) qui leurs étaient attachées entraînent la constitution de friches urbaines de différentes formes et de différentes tailles (bâties ou non bâties). Ces friches créent un paysage morcelé (Florentin et Paddeu, 2013) dans lequel la cohérence spatiale de la production est remplacée par des discontinuités morphologiques. À ce titre la friche est un marqueur morphologique exemplaire, parce que très visible localement, des mutations des systèmes de valeur (symbolique, économique, fonctionnelle) (Janin et Andres, 2008) qui régissent la conception, la représentation et l’appropriation de l’espace. En effet, comme trace des utilisations productives antérieures, elle marque la fin du processus spécifique de production de l’espace productif, tandis que son caractère inutilisé marque l’absence de conception et d’appropriation nouvelles, laissant ainsi des espaces temporairement ou durablement « inadaptés » (Andres, 2006) à l’évolution des rapports de production au sortir de la période industrielle. En ce sens, la friche est un indicateur local sensible « de changement, un indicateur du passage de l’ancien à l’actuel, du passé

au futur par un présent de crise » (Raffestin, 1997, in Janin et Andres, 2006, p. 63).

- La disparition des emplois ouvriers entraîne une diminution de la population. En effet, les ménages les plus solvables quittent les quartiers péricentraux pour se rapprocher des nouvelles zones d’activités péri-urbaines, désormais principales pourvoyeuses d’emplois (Morin, 1988). Ceci a pour effet de renforcer l’étalement urbain au détriment des quartiers anciens (Nuissl et Rink, 2003). Le départ des populations les plus solvables précède souvent celui- des professions libérales et des commerçants, qui voient leur clientèle disparaître (Morin, 1988). Ces exodes successifs génèrent un vieillissement et une paupérisation des populations restées sur place ainsi qu’une baisse du taux d’occupation des logements et un abaissement de la valeur foncière, du fait de l’absence d’usages.

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- La raréfaction des ressources économiques des collectivités locales et le manque d’attractivité rend l’intervention des pouvoirs publics trop coûteuse et spéculative sur des espaces où toute intervention de conception est rendue difficile par la pollution industrielle (Dumesnil et Ouiellet, 2002) et les investissements privés peu intéressants. Ceci a pour effet d’instaurer une ségrégation locale de plus en plus forte vis-à-vis des anciens quartiers industriels en déprise.

- L’état de délabrement du bâti, voire d’abandon, la multiplication des difficultés économiques et sociales, ainsi que la faiblesse de l’intervention publique génèrent tendanciellement des représentations sociales négatives de ces anciens quartiers industriels. Endogènement car les populations restées sur place se sentent souvent abandonnées et les sociabilités ouvrières héritées tendent à se diluer. Exogènement, ces quartiers sont progressivement considérés comme peu engageants, sales, voire dangereux.

Ainsi, le déclin lié à la désindustrialisation prend, à l’échelle du quartier, la forme d’un processus de dévalorisation multifactoriel qui articule les trois dimensions de la production de l’espace dans un cercle vicieux (figure 1)16. L’espace n’est plus conçu car il ne présente plus d’intérêts de valorisation économique ou fonctionnelle. Les représentations de l’espace tendent à devenir de plus en plus négatives. La culture ouvrière, basée sur la fierté de la maîtrise du procès de production, disparaît avec l’outil productif au profit de visions stigmatisantes des quartiers désindustrialisés, marquant ainsi une perte de la plus-value symbolique qui pouvait être autrefois attribuée à ces espaces. Enfin, les processus d’appropriation sont freinés par le manque de fonction sociale des quartiers dans le tissu urbain. Ils deviennent ainsi souvent des enclaves évitées par les populations extérieures ce qui renforce une logique d’enfermement géographiques des populations qui y résident encore.

Les espaces ainsi dévalorisés, en tant que dimension transitoire des logiques de valorisation de l’espace, feront l’objet d’un questionnement important tout au long de ce travail. Nous chercherons à en comprendre les enjeux fins dans les contextes étudiés et à en pointer les logiques d’acteurs, ainsi que les récits aux sources d’une construction sociale collective du

16 Ce schéma est une modélisation à l’échelle de l’ensemble d’un quartier. Il ne prend, par exemple, pas en compte les processus d’appropriation éventuel à échelles plus fines comme les occupations informelles et temporaires des