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superstructures et configurations localisées

1.3. Néolibéralisme et production de l’espace urbain : un champ de recherche en construction en construction

Les années 1980 sont souvent identifiées comme celles de la montée en puissance du néolibéralisme à l’échelle mondiale. Ses principes politiques se sont largement imposés suite à la crise d’accumulation du Capital dans les années 1970 et à la conversion des États-Unis de Ronald Reagan et du Royaume-Uni de Margaret Thatcher (Béal et Rousseau, 2014) à cette doctrine politique de dérégulation, de libéralisation économique et de stabilité monétaire qui a entraîné une réduction des capacités d’action des États et des pouvoirs publics. Si cette notion a pris une importance considérable dans le jeu politique contemporain, le terme de néolibéralisme étant souvent employé par les mouvements de gauche pour dénoncer les dérives du capitalisme contemporain, elle peine toutefois à s’imposer comme un concept incontournable pour la géographie et pour les sciences sociales françaises en général (Didier, 2016). La notion fait pourtant l’objet de nombreuses productions scientifiques, sous l’impulsion de géographes états-uniens à partir du début des années 2000, puis de certains politistes et géographes français depuis le début des années 2010, qui nous apparaissent très utiles pour éclairer les formes de production de l’espace urbain contemporain. Les lignes qui suivent ont pour vocation de résumer les différentes approches du néolibéralisme pour en comprendre les enjeux pour la production des espaces locaux.

Le néolibéralisme comme projet politique : un outil de compréhension incomplet

Le néolibéralisme est souvent considéré comme un système idéologique de régulation économique à l’échelle mondiale. Cette théorie, développée depuis les années 1950 avec la création de la société du Mont-Pèlerin, vise à la fois à combattre la montée des systèmes collectivistes et des systèmes de régulation interventionnistes du capitalisme de la seconde moitié du XXe siècle (Dardot et Laval, 2009). Elle consacre la libération des marchés et des actions économiques individuelles comme garante de la liberté et du bien-être des individus et critique les interventions publiques dans le domaine économique, les considérant comme arbitraires, inefficaces voire liberticides. Depuis les années 1980, cette théorie s’est progressivement imposée dans le monde entier comme un système de dérégulation des marchés du travail, une adoption des politiques de l’offre et de stabilité monétaire et budgétaire à l’échelle mondiale. Ces politiques économiques, visant à recréer les conditions d’accumulation

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du Capital, ont partout entraîné un accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine entre les classes capitalistes et les catégories populaires ainsi qu’une destruction des structures de régulation issues des périodes précédentes qui garantissaient l’accès à l’emploi, aux services publics et aux solidarités collectives (syndicats) dans les pays les plus développés (Peck et Tickell, 2002). Ce caractère inégalitaire a conduit de nombreux acteurs scientifiques et politiques à dénoncer la brutalité des méthodes néolibérales et à analyser le néolibéralisme comme un projet de classe à l’échelle mondiale destiné à « restaurer le pouvoir des élites

économiques » (Harvey, 2014a, p. 39).

Plusieurs géographes américains analysent deux moments dans la mise en place de ce projet néolibéral. Le moment de destruction ou « roll-back néolibéralism » et le moment de création ou « roll-out néolibéralism » (Brenner et Theodore, 2002 ; Peck et Tickell, 2002). À l’échelle globale, la phase de destruction est identifiée, à partir du milieu des années 1980, comme le moment de dérégulation des marchés (financiarisation, abaissement des barrières douanières, des marchés du travail, etc.) et de « réforme » rapide des institutions, des politiques redistributives, de protection sociale et des relations sociales qui caractérisaient le fordisme4. Cette phase visait surtout à détruire le système de régulation fordiste précédent, considéré par les élites économiques des années 1980 comme responsable de la crise d’accumulation du Capital. Dans un second temps, et face à l’instabilité économique créée par la phase de destruction, tantôt qualifiée de « loi de la jungle » (Peck et Tickell, 2002) ou de « stratégie du

choc » (Klein, 2008), la phase de création vise à installer de nouvelles politiques de régulation

censées accompagner l’accumulation néolibérale. Ces dernières sont basées, entre autres, sur une atomisation des conditions sociales et salariales, d’une relocalisation des échelles de décisions politiques et économiques à des niveaux infranationaux, (Béal et Rousseau, 2008), sur une financiarisation progressive de l’économie et sur une régulation concurrentielle des entreprises et des espaces locaux5. Ainsi, loin de consacrer la fin de l’action publique comme l’affirmait le projet idéologique initial, la phase de création a plutôt consisté dans la mise en oeuvre d’un programme de régulation institutionnelle et de formes d’interventionnisme proprement néolibérales dont la conséquence est de donner à l’action publique un rôle d’appui ou d’impulsion aux dynamiques de marché (Peck et Tickell, 2002) « tournées vers une

marchandisation progressive de toutes les sphères sociales » (Colombo et Porcu, 2014, p. 1).

4 Voir Brenner et Théodore, 2002, pages 364 à 366 5 Ibid.

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Ces deux grands moments de destruction et de création, « dialectiquement liés mais

analytiquement distincts » (Brenner et Theodore, 2002, p. 362), seront d’une utilité importante

dans l’analyse que nous mènerons sur les processus de dévalorisation/revalorisation des anciens espaces industriels, car ces deux processus semblent agir en miroir, voire se confondre complètement.

Les théoriciens de cette approche analysent également les conséquences locales de ces deux phases. À l’échelle urbaine, la phase de destruction6 se caractérise notamment par l’application de règles d’austérité budgétaire par les gouvernements locaux, ainsi que par le démantèlement des anciens régimes de régulation locaux, des institutions bureaucratiques d’urbanisme et de gestion des services urbains, ainsi que des politiques de planification des états-centraux au profit d’une privatisation (ou d’une délégation de service public) des services et des réseaux urbains. Enfin, les quartiers ouvriers, vestiges du mode de régulation keynésien, sont progressivement détruits au profit d’un urbanisme spéculatif.

Les grands principes de régulation économique concurrentielle de la phase de création se traduisent à des échelles plus fines7 par la mise en place d’un environnement macro-local contraignant qui joue « un rôle décisif dans la construction des règles de la concurrence

interlocale en façonnant les paramètres mêmes de mesure de la compétitivité régionale, de la politique publique, de la performance des entreprises ou de la productivité sociale » (Peck et

Tickell, 2002, p. 40). À l’échelle urbaine, le néolibéralisme se traduit ainsi par une recomposition des régimes institutionnels au profit d’une gouvernance entrepreneuriale (Harvey, 1989). Les régimes locaux, agissent sur des ressources propres de plus en plus limitées et multiplient les partenariats public/privé censés servir des objectifs d’attractivité de l’espace urbain pour les capitaux économiques (entreprises, tourisme…). Les régimes urbains deviennent alors directement des acteurs de marché en compétition les uns avec les autres ce qui entraîne une plus forte standardisation des espaces et des politiques de production urbaine, c’est-à-dire des référentiels de revalorisation, notamment autour de grands modèles urbains qui circuleraient de manière relativement indifférenciée (Reigner et al, 2013). La production urbaine néolibérale serait alors avant tout à comprendre comme un outil au service d’une classe relativement désincarnée, composée « d’investisseurs nationaux et internationaux soucieux de

maximiser les profits escomptés » (Pollard et Halpern, 2013, p. 2). Les espaces ainsi produit

6 Ibid., pages 369 à 372 7 Ibid.

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deviennent alors tendanciellement élitistes, l’enjeu étant désormais d’afficher une image urbaine rassurante pour les investisseurs et engageante pour les consommateurs potentiels.

Ainsi, à cette échelle d’analyse, le néolibéralisme apparaît comme un système d’accumulation dans lequel la ville joue un double rôle. Premièrement, le mouvement d’urbanisation à l’échelle mondiale crée d’importantes opportunités d’investissement et de rente (immobilière notamment) donnant un nouveau débouché spéculatif au surproduit du Capital (Harvey, 2011). Deuxièmement, et comme le montre David Harvey dans son analyse pionnière de la néolibéralisation du New-York des années 1970/19808, cela permet d’imposer les principes de la concurrence et de l’économie de marché dans un secteur jusqu’ici largement dominé par les investissements publics, les instabilités politiques liées aux alternances municipales et par les monopoles de grandes firmes ancrées localement.

Le néolibéralisme, considéré uniquement comme un phénomène macro-économique et géographique, apparaît alors comme un projet politique avancé de reconfiguration du capital économique et financier transnational qui a pour effet de placer l’ensemble des systèmes institutionnels à différentes échelles (États, régions, régimes urbains) dans un grand « marché

des lieux » (Dollfus, 2000) où l’ensemble des acteurs sont contraints de jouer un jeu

concurrentiel qui se traduit par une homogénéisation normative et parfois coercitive des pratiques et des formes urbaines. Cet environnement agit comme une forme de « régulation par

la valeur » (Peck et Tickell, 2002, p. 40) renforcée par l’importance des images urbaines et

l’intensification de la mobilité des capitaux économiques entraînée par les formes contemporaines de la mondialisation capitaliste (Harvey, 2008).

Toutefois, si cette approche macro-géographique du néolibéralisme garde une forte valeur analytique pour comprendre les grandes tendances qui structurent les environnements institutionnels et économiques de la production urbaine contemporaine, notamment le processus de destruction économique et la dérégulation institutionnelle qui fait suite à la destruction des systèmes de régulations antérieurs (phase roll-back du néolibéralisme), elle ne permet pas de comprendre les processus concrets de fixation de la valeur dans les espaces locaux et expliquent souvent les différenciations spatiales par la seule nécessité structurelle du capitalisme de produire des espaces géographiques inégaux.

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Cette difficulté à saisir l’hétérogénéité des valeurs mobilisées par les acteurs locaux (Tiano, 2010) est souvent pointée par certains chercheurs comme une limite à la portée analytique du concept de néolibéralisme. En effet, le postulat d’une imposition uniforme d’un néolibéralisme structurel à la grande majorité des contextes locaux a tendance à mener à une homogénéisation a priori des régimes de justifications convoqués par les acteurs de la production urbaine. Les modèles urbains à la mode comme la ville créative ou la ville durable ne deviendraient alors que des traductions localisées des intérêts de la classe capitaliste mondiale, destinées à dissimuler le caractère fondamentalement mercantile de la production des espaces urbains contemporains au travers d’images publicitaires désirables pour des parties de la population éliminant au passage la généalogie de ces modèles et l’analyse des processus concrets de leurs implantations locales nécessairement incomplètes (Peyroux, 2012) et des rapports de force qui les sous-tendent. Ainsi, une telle approche conduit tendanciellement à postuler l’omniprésence du néolibéralisme sans être en mesure de le démontrer de manière toujours convaincante, facilitant les critiques de chercheurs qui ne voudraient y voir qu’un programme politique ordinaire (Brennetot, 2013) et non un concept opératoire.

L’analyse opérée par les tenants des approches macro-géographiques du néolibéralisme et, du caractère fondamentalement concurrentiel de la valorisation urbaine néolibérale, sous-entend pourtant une possibilité de distinction, donc une relative liberté d’action des régimes locaux. Mais en ne prenant pas en compte les rapports sociaux localisés, issus des formes institutionnelles économiques et culturelles hérités des systèmes de régulation antérieurs et la manière dont ils contestent, influent, transforment, voire renforcent l’environnement néolibéral (Theodore et Brenner, 2002), ces approches ne permettent pas de saisir les « spécificités des

trajectoires néolibérales localisées » (Morange et Quentin, 2017, p. 5). Une fois les règles du

jeu de la concurrence pour la valeur urbaine établies, ces dernières semblent aujourd’hui se caractériser, en Europe, par une autonomisation politique des acteurs locaux et une multiplication des régimes de valeur, apparemment fixés localement selon une logique de projet (Pinson, 2009) qui laisse la part belle aux négociations et aux coalitions locales au point d’apparaître parfois comme une forme de démocratisation de la production urbaine (Thomassian, 2009) alors que les tenants d’une analyse macro-géographique du néolibéralisme insistent le plus souvent sur son caractère anti démocratique comme conséquence de l’application des politiques néolibérales.

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Le « néolibéralisme réellement existant » : un concept opératoire pour la géographie urbaine ?

Sans remettre en cause les analyses du caractère idéologique et de la diffusion internationale des politiques néolibérales, plusieurs chercheurs américains puis français proposent d’analyser les effets du néolibéralisme sur les espaces locaux comme un processus inégalement avancé de « néolibéralisation » des formes institutionnelles de la production de l’espace (Peck et Tickell, 2002). Cette lecture présente l’avantage de ne pas appliquer, aux transformations des espaces locaux une grille de lecture trop homogénéisante qui nierait les spécificités locales. Le résultat de ces processus, comme producteur d’espaces sociaux concrets, c’est-à-dire de configurations localisées du mode de production néolibéral qui offre donc la possibilité d’opérer empiriquement une géographie du néolibéralisme est caractérisé par les géographes américains Neil Brenner et Nik Theodore de « Actually existing neoliberalism » (Brenner et Theodore, 2002). Dans leurs présentations du concept, les auteurs tentent de donner au libéralisme un contenu empirique pour la géographie en s’éloignant de la vision idéologique et macro-économique du néolibéralisme qui prévaut le plus souvent :

« In contrast to neoliberal ideology, in which market forces are assumed to operate according to immutable laws no matter where they are “unleashed,” we emphasize the contextual embeddedness of neoliberal restructuring projects insofar as they have been produced within national, regional, and local contexts defined by the legacies of inherited institutional frameworks, policy regimes, regulatory practices, and political struggles » (Ibid., 2002, p. 349).

Ces auteurs décrivent ainsi les moments structurels de destruction et de création comme de multiples processus de destruction/créatrice qui ne sont ni automatiques, ni complètement standardisés selon les espaces locaux, mais se heurtent à des résistances, à des compromis et à des adaptations par rapport aux systèmes hérités. C’est cette triple interaction entre processus de destruction, processus de création et les systèmes hérités qui fonde une géographie différenciée de ce qui est appelé ici « actually existing neoliberalism ». En effet, les analyses des processus globalisés, même les plus homogénéisants comme la mondialisation, ont montré que ces processus ne se substituaient pas aux régimes institutionnels locaux qu’ils les travaillaient et les reconfiguraient de l’intérieur. Comme ces autres processus, et loin de raisonnements parfois idéalistes, (au sens philosophique du terme) parce que hors-sols, pourtant contradictoires chez certains penseurs néomarxistes, le néolibéralisme est un processus « qui

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génère ses contradictions et ses contre-tendances et qui existe sous des formes historiquement et géographiquement déterminées » (Peck et Tickell, 2002, p. 36). Ainsi, cette approche nous

encourage à analyser le néolibéralisme comme une tendance qui vient déterminer plus ou moins fortement les systèmes de production de l’espace urbain dans leurs différentes dimensions. C’est-à-dire comme une rationalité ou une forme de « gouvernementalité » (Foucault, 2004) qui agence spécifiquement des comportements sociaux, des fonctionnements institutionnels ou des politiques publiques. Analytiquement, et à la suite de Michel Foucault, cette approche propose donc de considérer le néolibéralisme comme un ensemble de mécanismes imbriqués qui produisent un régime de contraintes impliquant la transformation progressive des institutions en acteurs de marchés, des politiques urbaines en politiques d’image, bref qui régulent la production de l’espace par une rationalité entrepreneuriale plus ou moins forte selon les lieux.

Une telle approche conduit donc à chercher et à analyser localement les systèmes de production urbaine pour en comprendre les formes d’adaptation et de contestation de la structure néolibérale, ainsi que d’analyser la manière dont elle influence, voire détermine, la production des espaces locaux. Et si de telles hybridations/contestations/impositions sont possibles, cela suppose d’identifier les acteurs, les groupes sociaux, les programmes urbains spécifiques, etc. qui participent à la circulation, à l’imposition, à l’hybridation ou à la contestation de la rationalité néolibérale et les effets de ces processus sur la conception, les représentations et les appropriations de l’espace. Dans la lignée de ces approches théoriques anglo-saxonnes de l’« actually existing neoliberalism », plusieurs études empiriques ont été menées par des géographes et des politistes français sur certains aspects de la production néolibérale des espaces locaux.

Certaines études identifient les influences néolibérales de certains modèles urbanistiques comme les City Improvment District (Peyroux, 2012) ou certaines politiques publiques d’organisation de grands événements internationaux ou d’attraction touristique (Jacquot, 2007) et s’attachent à analyser les circulations de ces modèles et les manières dont ils se transfèrent et sont adaptés à d’autres contextes, souvent au grés d’intérêts politiques locaux pas directement mus par des principes néolibéraux , même si les argumentaires néolibéraux sur la croissance urbaine où le rôle moteur du secteur privé transparaissent souvent localement (Peyroux, opus cité). De même, plusieurs travaux ont analysé les évolutions des politiques publiques de rénovation urbaine dans des villes européennes, faisant le lien entre des contextes

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politiques locaux et nationaux et la diffusion du néolibéralisme à l’échelle mondiale (Béal et Rousseau, 2008 ; Béal, 2017). Ces auteurs analysent les évolutions des régimes urbains et des rapports de forces politiques locaux et montrent que les référentiels néolibéraux ont été très similaires dans leurs formes mais ont été inégalement intégrés et mis en œuvre par des régimes locaux tantôt contestataires (Béal et Rousseau, 2008), tantôt mal structurés ou insuffisamment soutenue par l’État et les entreprises privées (Ibid.). Dans l’ensemble de ces études, ces auteurs, principalement des politistes, montrent comment des référentiels et des objectifs néolibéraux comme la gentrification (Rousseau, 2014) ou le développement durable (Béal, 2017), des politiques de « branding » ou de marketing urbain (Sechi, 2018) deviennent des projets politiques locaux mobilisés au gré des circonstances électorales et des rapports politiques locaux. Ces auteurs soulignent l’incomplétude des processus de conversion néolibéral des régimes urbains, surtout en France où la pression structurelle est moins forte (Beal, 2017), voire le fait que cette rationalité néolibérale peut être mise ponctuellement de côté, en France et ailleurs, lorsque des intérêts politiques ou économiques locaux le justifient. Ces travaux de sciences politiques ou de géographie urbaine s’attachent aussi, bien souvent, à analyser les effets de ces politiques sur la composition sociale des espaces urbains, montrant des processus d’élévation des profils sociaux, plus marqués dans certains centres-villes, notamment ceux des grandes capitales (Smith, 1987 ; Clerval, 2013), et identifiant souvent l’évolution des agendas locaux de production urbaine au prisme des valeurs affirmées par ces « nouvelles classes moyennes » (Rousseau, 2015, Van Hamme et Van Criekingen, 2015). Ainsi, loin d’aboutir au constat d’une homogénéisation néolibérale des espaces locaux, dominés par une bourgeoisie financière désincarnée, ces travaux mettent en évidence des logiques de luttes locales qui se structurent autour de la rationalité néolibérale, dont les logiques sont analogues mais qui ont des effets différenciés selon les configurations historiques, politiques et économiques locales (Rousseau, 2014 et 2015).

Enfin, plusieurs travaux de géographie, portant bien souvent sur les villes du sud, analysent la manière dont les impositions néolibérales sont contestées localement ainsi que la dimension productrice de ces contestations, que celle-ci soit par la subsistance de pratiques quotidiennes héritées qui s’opposent partiellement aux objectifs de villes pacifiées et mercantiles néolibéraux (Morange et Quentin, 2017) ou des contestations plus radicales qui prennent la forme de mouvements sociaux débouchant sur des productions urbaines de rupture ou de contestation partielle (Uhel, 2013) des politiques néolibérales.

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Ainsi, l’approche du néolibéralisme comme processus, différencié et inégalement avancé qui transforme les espaces locaux selon une logique élitiste et mercantile tout en se recomposant au gré des contextes politiques et des systèmes de régulation hérités à différentes échelles, a le mérite de ne pas diluer la diversité des formes des espaces sociaux dans une superstructure homogénéisante. De même, en se proposant d’analyser les raisons et les mouvements de diffusion de cette rationalité, ainsi que les institutions qui y concourent, elle évite également les biais des approches trop localistes qui tendent parfois à autonomiser les espaces locaux des conditions structurelles de leur production.

Pour une géographie sociale du néolibéralisme

Nous avons vu que le néolibéralisme pouvait constituer une porte d’entrée théorique de l’analyse des transformations de la production urbaine contemporaine. Pour être analysé empiriquement, celui-ci doit cependant être considéré plus comme une métalogique (Peck et Tickell, 2002) qui influence les transformations locales que comme un projet idéologique monolithique appliqué tel quel à la diversité des contextes locaux. De ce fait, ce sont davantage les processus de pénétration de la logique néolibérale dans les formes et les principes des régimes de production locaux qui doivent être étudiés ici.

Cependant, malgré leur diversité, les travaux français sur le néolibéralisme et le processus de néolibéralisation, également portés par une profusion de travaux anglo-saxons sur