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ANCÊTRES ET REPRÉSENTANTS

LES QUALITÉS ANCESTRALES —

Les composantes de la personne

En provenance des ancêtres éloignés et transmis au monde des vivants par l’intermédiaire des ancêtres proches, différentes qualités — que l'on peut aussi qualifier d’attributs — composent la personne māori et sont cruciales pour lui permettre d'agir de manière efficace sur les événements non ordinaires de son existence, mais aussi et surtout de celle des collectifs auxquels elle se rattache (famille élargie, clan, tribu). Dans un chapitre dédié au concept de « personne » , Mead invite à distinguer ces attributs selon deux catégories : 1/ « attributes of identity » ; 2/ « spiritual attributes » (Mead, 2003 : 35-63).

La première catégorie concerne les qualités sociales qui permettent d’identifier une personne et de l’ancrer dans une unité sociale rattachée à une localité. Mead répertorie cinq qualités principales dans ce domaine : 1/ la part humaine (ira tangata) ; 2/ la part qu’il qualifie de « divine » (ira atua) de tout un chacun — que je traduirai par « ancestrale » ; 3/ la généalogie (whakapapa) ; 4/ le fait de s’associer115 à un collectif et à une localité (tūrangawaewae) ; 5/ les talents personnels

(pūmanawa), notamment dans le domaine artisanal et artistique. Nous verrons dans cette thèse, que ces qualités « identificatoires » sont essentielles, non seulement pour comprendre l’importance des expertes-tisseuses au sein de la société māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa — et en conséquence les spécificités des manteaux māori qu’elles peuvent engendrer —, mais aussi dans la prise en compte des autres membres du collectif qui peuvent porter et faire circuler des manteaux māori, et de ceux qui n’y sont pas habilités.

La seconde catégorie présentée par Mead, qui est directement connectée à la part ancestrale (ira atua) précédemment citée, rassemble les attributs qu’il définit comme « spirituels » et qui selon 115 Mead utilise ici la formulation suivante : « The right to be associated with a locality » (Ibid. : 43).

moi relèvent plutôt de qualités ancestrales transmises de génération en génération :

« The second group includes attributes that are fundamental to the very

nature of human life and are linked to beliefs about the cosmos and the place of human beings within the belief system. […] The next group of attributes are those in which the spiritual element is dominant. Every Māori is born with these spiritual attributes, but not every Māori is aware of them. »

(Mead, 2003 : 41 ; 44.)

L’auteur liste six de ces attributs hérités par les vivants : 1/ tapu ; 2/ mana ; 3/ mauri ; 4/ wairua ; 5/ hau ; 6/ kaihau-waiū (45-60). Il s’agit là de concepts clés pour envisager l’espace sociocosmique māori. Aussi, nous en offrirons une première présentation et analyse dans ce chapitre, qui pourra être complétée ultérieurement afin d’en affiner l’étude. Sur la base de la littérature ethnographique que j'ai consultée et de mon matériau de terrain, je propose pour l’heure de traduire ces six termes comme suit : 1/ tapu : état réservé d’une entité ou d’un espace ; 2/ mana : faire preuve d’efficacité relationnelle ; 3/ mauri : force de vie ; 4/ wairua : présence ; 5/ hau : souffle de vie ; 6/ kaihau-waiū : droit du lait116.

Outre ces qualités ancestrales, d’autres éléments composent la personne chez les Māori, comme en témoigne ici Elsdon Best, l’un des premiers117 ethnographes néo-zélandais, en évoquant

le corps (tinana) en lien avec différentes qualités ancestrales :

« The Maori has ever recognized an immortal element in man, which he

styles the wairua. Indeed, he may be said to have held the theory of the tripartite nature of man—body, soul, and spirit being his tinana, mauri, and

wairua. […] The hau of a person, of land, of a forest, &c., is its vital essence

or power.» (Best, 1974 [1924] : 86-89.)

Aussi, nous constaterons dans la suite de cette thèse que nombreux sont les autres éléments constitutifs de la personne tels que le corps (tinana) et avec lui le sexe biologique (taihema taketake), mais aussi l’attribution du genre (ira weherua), du nom (tūingoa tangata), la considération (ihi), la prévenance118 (ea), etc. Ces éléments seront de première importance dans

116 Dans la suite de ce chapitre ainsi que dans le chapitre 3, nous étudierons le concept de kaihau-waiū, que je traduis pour le moment par « droit du lait ». Pour faciliter sa compréhension dès à présent, il s’agit d'un droit équivalent au droit du sang en contraste avec le droit du sol en termes d’héritage sur un territoire donné. Le terme « waiū » se traduit littéralement par « lait ». Dans le système de parenté māori, il renvoie aux différents principes de filiation, et spécifiquement à celui qui peut s’opérer selon le principe de whangai (adoption/accueil), précédemment évoqué dans l’allocution de Leonie Pihama lorsqu’elle présente sa famille et notamment ses enfants « adoptifs » (Bradley, 1997 ; Caroll, 1970 ; Else, 1991 ; Graham, 1948 ; Mead, 1997 ; Metge, 2014 [1995] ; Newman, 2013 ; Nikora & McRae, 2006 ; Pihama, 1998, 2001).

117 Né en Nouvelle-Zélande à Tawa Flat en 1856 de parents pākehā, d’origine européenne, Elsdon Best est incontestablement l’ethnographe, spécialiste de la société māori, le plus connu en France depuis la publication de L’Essai sur le don de Marcel Mauss (2007 [1924]).

118 Je remercie Marie-Josée Renard pour les échanges sur les notions de considération, de prévenance, de sollicitude, de respect, d’estime et de déférence qui m'ont permis d’affiner mon choix.

l’étude des relations qu’entretiennent les vivants avec leurs ancêtres, ainsi qu’avec les autres vivants et les ancêtres de ces derniers, par l'intermédiaire des manteaux māori en qualité de trésors ancestraux (Mead, 2003 : 118-119 ; 181-192). Mais pour l’heure, revenons aux trois qualités ancestrales primordiales qui sont les suivantes : mana, tapu et noa.

Être mana, tapu ou noa

Mana et tapu sont les deux qualités héritées des ancêtres qui sont le plus fréquemment

évoquées lorsqu’il est question de transmission de qualités ancestrales. Dans son étude sur les chefs suprêmes (ariki), Peter Buck-Hiroa présente ces deux concepts comme suit :

« The ariki chiefs, by reason of their exalted birth, were imbued with the two

inherited attributes of man and tapu. These attributes have a variety of meanings, depending upon wether they are applied to human beings or to inanimate objets. The mana of a chief carries the meaning of power and prestige. The first-born son inherited the power to rule and direct his tribe, but this mana lays dormant within him, so to speak, until it was given active expression on his father’s death or his retirement through age or some other disability. He also inherited the prestige of his position, and the greater the prestige acquired by the family and the tribe, the greater the mana that was inherited. Besides the inherited mana, a new ariki could acquire additional mana by the wise administration of his tribe at home and by successful conduct of military campaigns abroad. […] The mana of a chief was integrated with the strength of the tribe. It was not a mysterious, indefinable quality flowing from supernatural sources; it was basically the result of successive and successful human achievements. » (Buck Hiroa,

1958 [1949] : 345-346.)

La présentation qu’offre ici l’auteur de la notion de « mana » est très largement répandue dans la littérature scientifique portant sur la société māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa119. Aussi,

mana apparaît fréquemment comme un synonyme de « pouvoir », de « force », d’ « énergie » et

éventuellement de « statut » et de « prestige » (Best, 1974 [1924] : 93-102 ; Barlow, 1993 ; Mead, 2003 : 51-52 ; Rigo, 2004 : 82-83). Ici, Buck laisse même penser qu’il pourrait s’agir de pouvoirs au pluriel. Mana est l’une des notions les plus importantes et les plus délicates à définir et à traduire. En effet, l’approche « substantialiste », dans laquelle s’inscrit Buck, ne correspond pas 119 À propos de l’usage du concept de « mana » par Durkheim et Mauss voir plus particulièrement les travaux de l’anthropologue français Serge Tcherkézoff (1995, 1997 et 2016). Il y montre comment le concept de mana a été mobilisé par Durkheim puis Mauss et Hubert — et tant d’autres à leur suite — pour regrouper sous un même terme les conceptions durkeimienne de sacré, de société et de totalité (Tcherkézoff, 1997 : 196, 199). Nous y reviendrons dans le chapitre suivant relatif aux circulations des taonga en Nouvelle-Zélande.

véritablement à la manière dont mes interlocuteurs māori emploient ce terme sur le terrain aujourd’hui120. Aussi, en 1929, Raymond Firth121, anthropologue néo-zélandais, définissait-il

pourtant déjà mana de manière plus nuancée :

« The term mana may have a variety of meanings according to circumstance

but generally implies some extra efficiency or virtue with a supernormal tinge. » (Firth, 1959 [1929] : 391.)

De la même manière, en 1963, l’anthropologue québécois d’origine néerlandaise Éric Schwimmer122 écrivait à propos du lien entre mana, efficacité et efficience :

« The fisherman who catches fish has mana, because success in fishing is

essentially uncertain. The soldier who wins a victory, the witchdoctor who cures a patient are all in their own spheres, prevailing over a fateful hazard. » (Schwimmer, 1963 : 398).

En citant Friedrich Rudolf Lehmann auteur d’un ouvrage intitulé Mana (Lehmann, 1922), Schwimmer souligne que : « Un homme qui possède un mana important réussira là où de l’avis de tous il aurait dû échouer123 » (Schwimmer, 1963 : 398, ma traduction). Pour mes interlocuteurs sur

le terrain, être mana c’est développer une capacité d’agir, qui répond en effet le plus souvent à des circonstances et à des besoins qui sortent de l’ordinaire. Comme le montre ici Henare en faisant le lien entre mana et tapu :

« Mana is religious power, authority, and ancestral efficacy. […] Persons, places, or objects are tapu and are therefore in a sacred state or condition. Philosophically, tapu is linked to the notion of mana and is ‘‘ being with potentiality for power.’’ In its primary meaning tapu express the understanding that once a thing is, it has within itself a real potency, mana. Each being, material or non-material, from its first moment of existence, has this potentiality and its own power and authority.» (Henare, 2011 : 208 ;

207.)

D'après mes observations, j'ajouterai que cette aptitude (mana) découle quasi systémati- 120 Pourtant, nous verrons plus loin, qu’ils ont eux-mêmes tendance à parler de « the mana of… » et à traduire ce terme par « power », « strength » ou « prestige » en anglais, lorsqu’une traduction rapide leur est demandée. En réalité, au sein de la société māori, « mana » n’est jamais traduit. Les Māori l’utilisent en tant que tel dans l’anglais néo- zélandais qu’ils emploient au quotidien.

121Né en 1901 à Auckland en Nouvelle-Zélande, Firth est un des plus importants anthropologues de son époque. Il a surtout travaillé auprès des Māori et à Tikopia. Parmi ses innombrables publications, on compte Primitive economics of the New Zealand Māori (1959 [1929]) et We the Tikopia: A sociological study of kinship in primitive Polynesia (1936).

122Né en 1923 à Amsterdam aux Pays-Bas, l'anthropologue Éric Schwimmer a été éduqué en Nouvelle-Zélande. Il y a longtemps été employé au service des affaires māori [1950-1961] où il créa et édita le magazine de ce service officiel, Te Ao Hou. Il a par la suite été Professeur d'anthropologie à l’Université de Laval (Gagné et al., 2008). 123 « Lehmann accepts that a man with great mana will succeed where by human reckoning he ought to fail. »

quement d’un, voire de plusieurs réseaux relationnels efficaces. En conséquence, j’émets l’hypothèse que de nos jours, toute entité de l’espace sociocosmique māori peut potentiellement être considérée comme mana dès lors qu’elle a été en capacité de nouer des relations avec certains ancêtres. Toutefois, ce n’est pas le cas de toutes les entités. En effet, comme le faisait remarquer en 1954, Arthur Maurice Hocart124 dans son analyse du passage des rites totémiques aux rites

cosmiques, pour que certaines entités soient mana il faut que d’autres ne le soient pas :

« Le rituel n'aurait absolument aucun sens si toutes les choses avaient du pouvoir. Il est fondé sur la croyance que certaines choses ont du pouvoir, que d'autres n'en ont pas, et que ce pouvoir peut être transféré d'une chose à l'autre. Toutes les pierres n'ont pas de pouvoir, mais seulement celles qui l'ont acquis au cours d'un rituel. De même, tous les hommes n'en sont pas les dépositaires, mais seulement ceux qui l'ont reçu lors d'une consécration. » (Hocart, 2005 [1954] : 83.)

J’ajouterai une troisième catégorie qui suggère une gradation entre certaines entités qui sont considérées par mes interlocuteurs comme étant plus mana que d’autres. Dans cette acception, ce qui est mana correspond aux éléments de l’espace sociocosmique dont l’être ou l’action attestent d’un investissement des ancêtres pour garantir leur efficacité, leur efficience. Dès lors, dans certaines circonstances, les humains, les lieux, les trésors ancestraux, les ancêtres proches ou éloignés et toute entité susceptible de participer aux événements clés du monde māori sont mana. Plus précisément, ils sont efficaces, efficients, dans l’établissement et l’entretien de relations, et particulièrement de relations avec des ancêtres eux-mêmes jugés efficaces pour assurer la prospérité du collectif, comme je le montrerai plus loin.

Dans le chapitre 3, nous verrons que c’est parce qu’une femme est mana qu’elle est considérée comme susceptible de tisser des liens forts avec d’autres membres de sa famille élargie ou de son clan, voire de sa tribu pour œuvrer à son épanouissement. Bien que toutes les entités puissent être mana, la performance de cette efficacité relationnelle est variable en fonction des entités, des contextes et des autres entités en présence125.

Pour le cas de Wallis en Polynésie occidentale, Sophie Chave-Dartoen propose une réflexion sur les différentes définitions du concept de « mana » qui fait écho aux nombreuses observations de terrain que j’ai pu faire à ce sujet en Nouvelle-Zélande Aotearoa :

« L’approche « substantialiste » est mobilisée dans la littérature océaniste pour examiner certains faits polynésiens. C’est le cas de nombreuses 124 Anthropologue franco-britannique né en 1883 à Bruxelles, Hocart est connu pour ses recherches aux Îles Salomon, à

Fidji, à Tonga, ainsi qu’à Wallis et à Samoa.

125 J’y reviendrai à plusieurs reprises dans cette thèse. Dans les chapitres 4 à 11, il sera notamment question des arbres et des oiseaux qui peuvent être mana parce qu’ils mettent en relations les humains avec Tāne Mahuta.

analyses « du » mana, souvent présenté comme un « pouvoir », un « fluide » existant en soi et transmis aux chefs par les déités. Il n’en va pas ainsi à Wallis où le terme mana désigne une efficacité d’un type particulier. […] Un autre aspect de cette relation privilégiée est de conférer aux actions du chef une efficacité exceptionnelle, désignée dans toute la région par le terme

mana et généralement décrite comme un pouvoir transmis par les ancêtres et

les déités. Le respect des distances et des interdits en préserve la source et la réalisation. À Wallis, le terme mana ne signifie pas un pouvoir, mais le caractère surprenant d’une action résultant d’une intervention divine ou ancestrale, de sorte que, tout comme pour les miracles, il n’est reconnu que dans la réalisation, momentanée et ponctuelle, de cette action extraordi- nairement efficace (Chave-Dartoen 2000 : 193-196 et 2013). Il s’agit donc d’un attribut qui ne définit pas les personnes, mais leurs actes, caractérisés comme la manifestation de relations bénéfiques avec l’au-delà qui confortent ou modifient l’ordre du monde des vivants. Les répercussions vont même encore plus loin, puisque le constat de cette manifestation permet d’évaluer la qualité des relations et de sélectionner, parmi les ancêtres et les déités, ceux dont le soutien est le plus efficace. Ainsi, les chefs polynésiens – parmi lesquels les anciens aristocrates – perpétuent la personne sociale des ancêtres et des déités dont ils détiennent les attributs (noms, statut, complétude des relations, etc.), l’autorité et, ponctuellement, la terrible efficacité. Ils les représentent en actualisant leur action et leur emprise, mais participent aussi pleinement de leur existence, les actions humaines pouvant être perçues comme prolongeant celles des ancêtres. Cette continuité de la personne et de l’autorité des ancêtres et des déités dans leur descendance conduit à la réévaluation, à travers les actes des vivants, de l’efficacité des puissances divines et de leur autorité. » (Chave- Dartoen, 2013 : 55 ; 74.)

En effet, les Māori traduisent souvent eux-mêmes en anglais mana par « prestige, authority,

control, power, influence, status, spiritual power, charisma »126. Dans de précédents travaux, j’avais

ainsi cru bon de suggérer qu’il ne s’agissait pas tant d’un mana singulier que de mana pluriels : ceux du clan, du chef, de l’expert-rituel, de la tisseuse, du tatoueur, de l'horticulteur, du pêcheur, du chasseur, de l’orateur, de l'accueilli, de l'accueillant, etc. (Decottignies-Renard, 2011 : 24-39, 243- 252). Pourtant dans l’usage quotidien que les Māori font de ce terme, il s’agit surtout d’être mana, de faire preuve de mana et non d’avoir du mana. C’est-à-dire, selon moi, d’être efficace dans les 126 https://maoridictionary.co.nz/search?idiom=&phrase=&proverb=&loan=&histLoanWords=&keywords=mana

relations, le plus souvent rituelles, que les uns et les autres entretiennent avec les différents éléments de l’espace sociocosmique, et particulièrement avec les ancêtres, plutôt que de posséder un pouvoir ou une force particulière.

Ceci est décisif pour les représentants127 māori tels que les chefs suprêmes (ariki) considérés

comme les intermédiaires privilégiés entre les vivants et les ancêtres éloignés pour assurer le bien- être du groupe. Ils sont jugés efficaces dans ce rôle, car leurs ancêtres leur ont transmis des qualités ancestrales susceptibles de les aider dans leur entreprise, et qu’ils ont œuvré à développer ces capacités tout au long de leur existence. Salmond évoque ce point en faisant référence aux écrits d’Edward Shortland, le secrétaire privé du gouverneur de Nouvelle-Zélande à partir de 1841 :

« Shortland also clearly states that « the word Ariki, however, means no

more than the heir male, or heir male of any family. » (Shortland, 1856 : 228), and he goes on to explain that such male or female children were venerated as living links between the ancestor-gods and their descendants, and as necessary mediators in all ritual exchanges between them (Shortland 1856 : 104). Because of the closeness of this link they were tapu in a way which increased in intensity throughout their lives. » (Salmond, 1991 : 347.)

Le concept de tapu mentionné par l’auteure pour souligner le caractère particulier des représentants entre en résonance avec le concept de mana puisqu’il désigne un état non ordinaire, réservé, restreint, voire interdit et dangereux, lié au caractère ancestral des entités et des lieux mana. Certaines entités, certains lieux, mais aussi des pratiques et des mots peuvent être considérés comme tapu (Philipps, 1954 : 175). Elles peuvent l’être de manière ponctuelle ou durable. Les interdictions et les règles s'y rattachant s'appliquent différemment d’une entité tapu vers les autres qui le seraient moins et vice versa (de Coppet, 1973b128). Buck en propose une définition qui

spécifie la qualité tapu des chefs suprêmes et son incidence sur leur existence :

« The tapu of a chief is difficult to define, but it is probably best regarded as

a form of personal sanctity. The ariki inherited it through his senior lineage (aho ariki), ans he inherited the tapu observances which his family had created in previous generations. His people treated him with a respect which sometimes amounted to awe and dread. The term for dread is wehi. »

(Buck Hiroa, 1958 [1949] : 346-347.)

En complément du caractère réservé (tapu), l’effroi (wehi)129 qu’une entité peut inspirer à

127 Au sens de : « Celui, ce qui représente quelque chose ou quelqu’un » et « Celui, ce qui rend présent par son existence, par sa propre présence » (https://www.cnrtl.fr/definition/représentant consulté le 12/01/2020).

128 Article encyclopédique sur la notion de « tabou » : https://www.universalis.fr/encyclopedie/tabou/ (consulté le 19/04/2020).

129 En fonction des circonstances, cet effroi peut conduire à différentes réactions : la tétanie, la fuite, mais aussi l’excitation, notamment lors d’un combat au cours duquel la crainte qu’inspire un opposant peut se transformer, du

une autre, comme le souligne Buck, fait, elle aussi, partie des qualités que je qualifie d’ancestrales parce qu'elles sont d'abord héritées des ancêtres avant d'être développées ou éventuellement amoindries, en cas d'échecs répétés130, du vivant d'une entité.

À ces qualités et en particulier à celle de tapu s'adjoint une autre qualité ancestrale qu’on