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L’art de tisser des liens chez les Māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa : analyse des relations entre les Māori et leurs ancêtres par l'intermédiaire des manteaux māori (kākahu) en qualité de trésors ancestraux (taonga)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Submitted on 23 Mar 2021

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L’art de tisser des liens chez les Māori de

Nouvelle-Zélande Aotearoa : analyse des relations entre

les Māori et leurs ancêtres par l’intermédiaire des

manteaux māori (kākahu) en qualité de trésors

ancestraux (taonga)

Lisa Decottignies-Renard

To cite this version:

Lisa Decottignies-Renard. L’art de tisser des liens chez les Māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa : analyse des relations entre les Māori et leurs ancêtres par l’intermédiaire des manteaux māori (kākahu) en qualité de trésors ancestraux (taonga). Sociologie. Université de Strasbourg, 2020. Français. �NNT : 2020STRAG013�. �tel-03177455�

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UNIVERSITÉ

DE STRASBOURG

ÉCOLE DOCTORALE 519

Sciences humaines et sociales - Perspectives européennes UMR 7367 Laboratoire Dynamiques Européennes

THÈSE

présentée par :

Lisa Decottignies-Renard

soutenue le : 29 septembre 2020

pour obtenir le grade de :

Docteur de l’université de Strasbourg

Discipline/ Spécialité

: Anthropologie sociale et culturelle

L’art de tisser des liens chez les Māori

de Nouvelle-Zélande Aotearoa

Analyse des relations entre les vivants et leurs ancêtres

par l’intermédiaire des manteaux māori (kākahu)

en qualité de trésors ancestraux (taonga)

THÈSE dirigée par :

[M. MONNERIE Denis] Professeur des universités, Université de Strasbourg

RAPPORTEURS :

[Mme CHAVE-DARTOEN Sophie] Maître de conférences, Université de Bordeaux

[Mme BONNEMÈRE Pascale] Directrice de recherche, CNRS, Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (CREDO) Université d’Aix-Marseille

AUTRES MEMBRES DU JURY :

[M. GALLIOT Sébastien] Chargé de recherche, CNRS, CREDO, Université Aix-Marseille [Mme ROUSTAN Mélanie] Maître de conférences, Muséum national d'histoire naturelle [M. TCHERKÉZOFF Serge] Directeur d'études, EHESS émérite

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Remerciements

REMERCIEMENTS

Entretenir des liens

« Tēnā koutou katoa, Salutations à toutes et à tous,

No Parani ahau, Je suis originaire de France,

No Champagne rohe, Ma région est la Champagne,

Ko Marne te awa, Ma rivière est la Marne,

Ko Der te roto, Le Der est mon lac,

Ko Renard te whānau, Le nom de ma famille est Renard,

Ko André Renard toku koro, Mon grand-père s’appelle André Renard,

Ko Madeleine Renard Couke toku kuia, Ma grand-mère s’appelle Madeleine Renard Couke, Ko Marie-Josée Renard toku māmā, Ma mère s’appelle Marie-Josée Renard,

Ko Andreas Klapko toku pāpā, Mon père s’appelle Andreas Klapko,

Ko Lisa Renard toku ingoa, Je m’appelle Lisa Renard,

Tēnā koutou, Salutations,

Tēnā koutou, Salutations,

Tēnā koutou katoa. Salutations à toutes et à tous. » (Lisa Renard, 2020, ma traduction.)

Kia ora koutou katoa!

Cette expression māori « kia ora » qui signifie à la fois bonjour et merci est ici adressée à celles et ceux qui liront ce manuscrit et à toutes les personnes māori et non māori sans lesquelles cette recherche ne saurait exister. Kia ora!

Je tiens à remercier en premier lieu toutes les familles māori qui m’ont accueillie sur le terrain et ont fait preuve de l’hospitalité māori (manaakitanga) qui transforme peu à peu l’étranger en proche. Parmi ces nombreuses familles, je pense en particulier à la famille Wirihana Lawless et à Christina Hurihia Wirihana et Matekino Lawless qui m’ont fait découvrir l’art du tissage (whatu) et me guident dans mes recherches depuis de longues années. La famille de Tamahou Temara qui m’a permis de découvrir la vaste étendue de l’espace sociocosmique māori et celle d’Awhina Tamarapa qui m'a fait découvrir le monde des musées d'un point de vue māori. Celle de Mark Kopua et celle de Derek Lardelli dans lesquelles l’expertise rituelle, thérapeutique et artistique est généreusement partagée par les femmes et les hommes. Les familles d’expertes-tisseuses et de gardiens de trésors ancestraux qui m’ont reçue par l’intermédiaire de Waana Davis, Meleta Benett, Jim et Cathy

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Remerciements

Schuster, Veranoa Hetet, John Turi, Pamela Lovis, Joe Harawira, Chisato Newton, Pip Devonshire, Patricia Te Arapo Wallace, Jill Fleming, Manaaki Pene, Rhonda Paku, Arapata Hakiwai, Shane Te Ruki, Puawai Cairns, Amber Aranui, Moana Parata, Tanja Schubert-Mcarthur, Bruce Simpson, Maia Jessop Nuku et tant d’autres. Pour toutes ces personnes et leurs familles, ma gratitude est immense et je souhaite que ce manuscrit en soit le juste reflet.

Cette thèse n’aurait pu s’achever sans l’aide, l’attention et le soutien de celui qui m’a donné envie de m’y engager en première instance, mon directeur de thèse : Denis Monnerie, que je remercie pour sa patience et sa compréhension. Je remercie également celles qui dans l’ombre ou la lumière nous ont accompagnés tous deux dans nos réflexions sur cette thèse : Agnès Clerc-Renaud, Wonu Fanny Veys (membre du jury invitée), Sophie Chave-Dartoen, Pascale Bonnemère, Luisa Arango-Cuervo, Clarisse Maigret, Laurence Oberlé, Françoise Cousin, Ingrid Hermann, Dominique Fasquel, Isabelle Berdah, Lina et Mellie Monnerie-Berdah.

Je pense aussi à tou·te·s mes autres collègues qui m’ont permis de près ou de loin de progresser dans ce cheminement doctoral. Je tiens à remercier le laboratoire Dynamiques européennes et ses équipes, la Faculté des Sciences sociales, l’Institut d’ethnologie de l’Université de Strasbourg, l'Institut für Ethnologie de l'Université de Münster en Allemagne, et les nombreux musées où j’ai travaillé ou fait des recherches à Strasbourg, Paris, Leiden, Stuttgart, Berlin, Middelburg, Amsterdam, Cologne, Lyon, Wellington, Rotorua, Auckland, etc.

Au-delà de la recherche, de nombreux proches m’ont aidée dans cet exercice difficile : Régis Gebel, Sarah Billaut, Jean-Philippe Renard et Julie Curé, Amélie Richter, Sandrine et Christian Richter, Justine Bahl, Ben Billard, Carole Behr, Roland Kosser, Sophia Mertens, Marc Speziek, Farideh Fekrsanati, Michael Glennon, Pamela Lovis, Petra et Jean-Georges Gross, Christelle Carrier, Antonio Martinez, Anne Regnault, Barbara Bay, Françoise Fassenot, Michèle Constantin, Jean-Pierre Heslouin, Pascal Deloche, Philippe Lissac, Dominique et Cathie Billaut, Janna Meyer, Lucie Bourlier, Bettina Kunkel, Max Kunkel, Lucie Vignon, Susanna et Thomas Maus, Cathy, Julian Klapko, Floriane Hardy, Elisabeth Schimells, Alexandre Tourscher, Adrien Fernique, Solenne Livolsi, Grégory Zeigin, Geremia Cometti, Anne-Kathrin Süss, Thomas Dörger, et beaucoup d’autres. Comme aurait dit mon grand-père maternel, « je n’oublie pas non plus les plus jeunes » : Lou, Marcus, Achille, Elias, Jonna, Camille, Soheil, Kyan, Léa et Lucie.

Ma famille a été d’un soutien inestimable. Aussi, parmi les vivants, je tiens à témoigner mon attachement et ma reconnaissance à : Andreas Klapko, mon père de « lait » comme disent les Māori — qui sait me relever à chaque fois qu’avancer semble impossible —, à Simon Decottignies-Renard, mon frère — dont l’attention, la relecture et les encouragements m’ont permis de progresser —, à Quentin Richter et Léonie Risjeterre — qui m’ont quotidiennement inspirée, fait

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Remerciements

respirer et transmis leur force et leur courage —, et enfin, à ma mère, Marie-Josée Renard. Elle m’a accompagnée à chaque étape, relue, corrigée maintes et maintes fois. Elle a accepté de réfléchir avec moi. Son expertise professionnelle, tant iconographique que rédactionnelle, m’a été essentielle pour faire de ce travail de recherche un manuscrit de thèse. Tel un manteau māori, elle m’a portée pour que je puisse me tenir droite et avec force.

Je dédie ce manuscrit à André Renard et à Madeleine Renard-Couke. Ma recherche doctorale les a vus devenir des ancêtres proches et leur présence ancestrale y est perceptible. Je profite de cette occasion pour rappeler les noms de celles et ceux — qui avant et après eux sont devenus des ancêtres proches — tels qu’ils continuent d’être prononcés dans ma famille élargie : grand-mère Jojo, grand-père Georges, la grand-mère Marie, le grand-père Charles, les Louis, Renard & Maréchal, Adèle Wortz, Abel Séclier, Marie Elise Durand, tous les Marcel et même Marcelle, Titi, Maurice, Robert et Suzanne, toutes les Marie, les Berthe, les Gabbi, tous les Henri, les Albert les Marius ; de l’autre côté du Rhin Margot, Andrej Klapko, die Oma Elli Liesegang, Karl Liesegang.

Autant de liens — de l’un et de l’autre côté du Rhin — que j’espère redécouvrir pour appréhender l’art de tisser des liens en Europe et en Océanie.

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SOMMAIRE

MANUSCRIT

(premier volume)

Remerciements 3 Avertissement 9 Introduction 13 PREMIÈRE PARTIE

Les relations aux ancêtres dans le monde māori : contexte général 43

DEUXIÈME PARTIE

L'art de tisser des liens : rendre sensible la présence ancestrale 283

TROISIÈME PARTIE

Le déploiement des relations ancestrales : lier les différents éléments de l'espace sociocosmique 485 Conclusion générale 727 Bibliographie 741 Index 791

Table des matières 813

ANNEXES

(second volume)

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Avertissement

AVERTISSEMENT

De nombreux termes māori sont présents dans ce manuscrit. Pour en faciliter la lecture, j’ai choisi d’en proposer une traduction française, dès la première occurrence, en faisant figurer entre parenthèses le terme māori. Aussi, lorsque cela s’avère nécessaire, je signale si cette première traduction sera précisée par la suite. C’est notamment le cas de différents concepts clés du monde māori dont la complexité demande des apports conceptuels variés pour en proposer une interprétation la plus juste possible, je pense en particulier à : mana, tapu, noa, wairua, mauri, hau,

taonga, kākahu, etc.

Un glossaire sélectif māori-français est proposé au début des annexes afin d’être consulté en parallèle du manuscrit. Il regroupe essentiellement des termes en lien avec l’art du tissage au doigt et l’art relationnel māori. En complément des traductions apprises sur le terrain, j’ai utilisé différents dictionnaires et glossaires pour le composer, et plus particulièrement ceux proposés en fin d’ouvrages spécialisés sur l’art du tissage ou la société māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa (B. Biggs, 2012 [1966] ; N. Gagné, 2013 ; A. Hakiwai & H. Smith, 2008 ; S.H.M. Mead, 1984, 2003 ; C. McCarthy, 2007 ; C. Moorfiel, 2009 ; J. Paama-Pengelly, 2010 ; P. Ryan, 1974, 2009 ; H. Smith, 2011 ; A. Tamarapa, 2011 ; P. Tapsell, 2006 ; N. Te Awekotuku & L. Waimarie, 2007 ;

https://maoridictionary.co.nz).

En outre, j’ai fait le choix de traduire du māori vers le français et de l’anglais néo-zélandais vers le français presque exclusivement mon matériau de première main. Je l’ai complété par des témoignages de personnalités māori publiées sur des réseaux sociaux en ligne, sur des blogs ou dans des publications, qui ne sont pas toujours traduits. Dans ce manuscrit, les verbatims de mes échanges avec des interlocuteurs māori sont donc proposés en français et complétés par la version originale en māori ou en anglais néo-zélandais en notes de bas de page.

Les linguistes semblent aujourd’hui s’accorder sur le fait que l’anglais néo-zélandais n’est pas un pidgin, mais qu’il s’agit d’une forme dialectale de l’anglais enrichie de très nombreux termes empruntés à la langue māori (te reo). Aussi, dans une même phrase formée par la succession d’un sujet, d’un verbe et d’un complément, la plupart des noms et des verbes sont directement issus de la langue māori tandis que les articles, les pronoms, les adjectifs et les différents mots de liaison sont anglais (Bardsley, 2013 ; Calude, 2017 ; E. Gordon, 2008 ; J. Macalister, 2005).

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Avertissement

— TRANSCRIPTION DES TERMES MĀORI —

La langue māori (te reo) est une langue orale qui n’a commencé à être retranscrite à l’écrit qu’à l’arrivée des premiers Européens1. Aussi, de nombreuses variations existent dans la

transcription écrite des termes māori (Biggs 1998 [1969] ; Morrison, 2011, 2015). En effet, quand certains locuteurs soulignent les voyelles longues en les doublant (maaori), d’autres préfèrent utiliser le macron (c’est-à-dire un accent qui prend la forme d’une barre horizontale placée au-dessus d’une voyelle) pour signaler une longue quantité vocalique (māori). Dans certains cas, comme pour le mot manaakitanga qui signifie hospitalité, l’orthographe du terme implique que la voyelle soit doublée et non pas orthographie avec un macron.

Dans ce manuscrit, j’ai tenté d’utiliser au maximum les macrons, quand c’était possible, tout en conservant les usages originaux des auteurs dans les citations. Par conséquent, lorsque certains auteurs n’accentuent pas les voyelles, j’ai essayé de préserver leur choix. Toutefois, dans mon logiciel de traitement de texte, la plupart des macrons que j’utilise étant automatisés, il est possible que certaines citations contiennent des mots accentués automatiquement — tels que māori, kākahu,

etc. — qui ne l’étaient pas forcément à l’origine. Par conséquent, si d’autres termes māori qui

devraient être accentués ne le sont pas dans la citation, il conviendra de se reporter à la source originale pour vérifier l’accentuation privilégiée par les auteurs. Dans le cas contraire, lorsque tous les termes sont accentués dans une citation cela reflète le plus souvent le choix initial du ou des auteurs.

Le māori est une langue polynésienne qui appartient à la famille des langues austroné-siennes. En Nouvelle-Zélande Aotearoa, trois dialectes principaux sont parlés : le māori de l’est de l’île du Nord, celui de l’ouest de l’île du Nord et celui de l’île du Sud, les variations peuvent être plus ou moins importantes. Lorsque celles-ci se révèleront décisives dans l’analyse, je le préciserai. En māori, toutes les lettres se prononcent et l’alphabet est composé de quinze lettres qui se prononcent de la manière suivante :

Pour les voyelles :

a se prononce comme dans « chat » ou « plat »,

e se prononce é comme dans « blé » ou « crée », harakeke se prononce donc [Harakéké] i se prononce de la même manière qu’en français comme « lit »,

o se prononce o fermé comme dans « pose » ou « abricot », u se prononce ou [u] comme dans « tabou ».

Les voyelles peuvent être allongées sous la forme suivante : ā, ē, ī, ō, ū.

1 Voir S. Chave-Dartoen, 2000 pour l’exemple wallisien dont je me suis inspirée pour cette partie, ainsi que les ouvrages de Morrison, 2011 ; Nikkhou-O’Brien & Goussé, 2010.

(12)

Avertissement

Enfin, pour les consonnes :

k, m, n, p, t se prononcent comme en français,

h est aspiré, comme dans « hutte », kākahu se prononce donc [kaakaHou],

ng doit être nasalisé comme pour les mots anglais « parking » ou « singer », le g se prononce mois que le g, taonga peut donc se prononcer [Taon(g)a], mais dans certaines régions le g est plus appuyé,

r est légèrement roulé,

w se prononce comme dans « oui », wahine se prononce donc [ouaHiné], wh se prononce généralement comme f, whare se prononce alors [faré].

— VERBATIM & PONCTUATION —

Un point entre parenthèses (.) dans une citation signale une pause plus ou moins longue dans le discours de mes interlocuteurs. Trois points entre crochets […] indiquent une coupure soit parce que le sujet abordé est confidentiel, ou bien qu’il n’est pas en rapport direct avec le sujet discuté, voire que les termes sont inaudibles ou incompréhensibles.

— ÉCRITURE INCLUSIVE —

Afin de limiter le nombre de pages d’un manuscrit déjà important, j’ai fait le choix de ne pas utiliser l’écriture inclusive dans ce manuscrit. Toutefois, j’espère pouvoir l’employer à l’avenir dans certaines de mes publications.

— DEUX INDEX —

Enfin, deux index viennent compléter ce manuscrit : - un index des noms propres,

- un index lexical.

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(14)

Introduction

INTRODUCTION

L'ART

2

DE TISSER DES LIENS CHEZ LES MĀORI

3

DE NOUVELLE-ZÉLANDE AOTEAROA

Analyse des relations entre les Māori et leurs ancêtres (tipuna)

par l'intermédiaire des manteaux māori (kākahu)

en qualité de trésors ancestraux (taonga)

« Ton titre méticuleux comprend l’importance des manteaux māori (kākahu) d’un point de vue

holistique et souligne comment ils sont imprégnés des concepts māori d’hospitalité (manākitanga),

de relation (whānaugatanga) et de tutelle

(kaitiakitanga). Porter un manteau māori c’est tout ceci, c’est ce qui lui donne vie et fait de lui un trésor ancestral (taonga) vivant. »4

(Christina Hurihia Wirihana, experte-tisseuse māori, commente ici le titre choisi pour cette thèse, le 16 juin 2020, correspondance personnelle, ma traduction.)5

— PRÉSENTATION GÉNÉRALE —

La Nouvelle-Zélande Aotearoa6

2 « Ensemble de moyens, de procédés conscients par lesquels l'homme tend à une certaine fin, cherche à atteindre un certain résultat. » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, www.cnrtl.fr, 2012.)

3 J’utilise le terme « māori » sous sa forme invariable pour pallier la francisation du terme qui implique une distinction de genre (féminin ou masculin) inexistante dans la langue māori. Sur le terrain, mes interlocuteurs māori n’utilisent jamais le pronom personnel « it » pour désigner un manteau māori (kākahu) et je n’ai pas constaté l’emploi du pronom « he ». En revanche, en de rares occasions, j’ai observé l’utilisation du pronom « she » pour faire référence en anglais néo-zélandais à des manteaux considérés comme des ancêtres (tipuna). L’anthropologue māori Paul Tapsell suit notamment cet usage pour le cas d’un manteau de fourrure de chien nommé Te Kahu Mamae ō Pareraututu, en souvenir de la veuve Pareraututu qui l’a confectionné (Tapsell, 1997, 2006, 2011).

4 « Your title intent, encompasses the significance of Kakahu from a holistic perspective, and how manaakitanga, whanaungatanga and kaitiakitanga are all imbrued. Wearing Kakahu are all of those, which bring the Kakahu to life, a living taonga. » (Christina Hurihia Wirihana, juin 2020.)

5 Annexe V.0. Matekino Lawless et Christina Hurihia Wirihana en train de préparer des feuilles d’harakeke pour en extraire de la fibre à Rotoiti.

6 Les informations qui m'ont permis de composer cette section proviennent de différents articles scientifiques (Anderson, 2002, 2009 ; Battiau-Queney, 1999 ; Brensturm, 1995 ; Campbell, 2013 ; Ferriere & Chanier, 1993 ; Mortimer et al., 2017 ; Park, 2000 ; Pawson & Brooking, 2013 ; Worthy, 2002, 2012), de manuels scolaires néo-zélandais (Dent & McEwan, 1981 ; Fleming, 1974a, 1974b.), du site gouvernemental des statistiques (stats.gov.nz), mais aussi de certains atlas de l'Océanie (Antheaume et Bonnemaison, 1988 ; Argounès et al., 2011 ; Crocombe, 1987) et d’encyclopédies généralistes (Worldmark Encyclopedia of The Nations, 2004 ; l'encyclopédie Te Ara, 2020). L'encyclopédie Te Ara est une encyclopédie en ligne créée en 2001 à l'initiative du gouvernement néo-zélandais bénéficiant de mises à jour régulières.

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Introduction

Au cœur de l'océan Pacifique, la Nouvelle-Zélande se situe au point le plus austral du triangle polynésien7, à l’est de l’Australie, au-delà de la mer de Tasman. Depuis Sidney, il faut

parcourir 2 227 km pour atteindre la capitale de l’archipel néo-zélandais : Wellington. Celle-ci est localisée à 2 255 km de Nouméa et 18 735 km de Strasbourg en France.

Dans l'espace océanien, en comparaison de la myriade d’atolls, de petits archipels, et même des plus grandes îles comme la Nouvelle-Calédonie ou encore Hawaï, le territoire néo-zélandais est l’un des plus importants avec l’Australie et la Nouvelle-Guinée. D’une superficie de 270 000 km2,

pour 15 134 km de côtes, près de 1 600 km séparent le nord du sud du pays. Deux îles principales le constituent : Te Ika a Maui8, au nord et Te Waka a Maui9 — aussi nommée Te Wai Pounamu10 — au

sud ; ainsi que 600 petites îles éparses. Les plus importantes sont l'île Stewart, les îles Chatham et l'île Auckland.

Le climat y est majoritairement tempéré de type océanique, les hivers sont doux et humides et les étés — de décembre à février — sont tièdes à chauds. Des spécificités climatiques importantes sont à noter pour les extrémités les plus septentrionales et méridionales de la Nouvelle-Zélande. En effet, l’extrême nord se distingue du reste du pays par un climat subtropical chaud en été, alors que le sud de l’île du Sud est marqué par un climat tempéré froid, avec des températures hivernales pouvant atteindre les -10°C sur les reliefs des Alpes du Sud où il neige en hiver.

Les conditions atmosphériques sont très variables. En effet, la pluviométrie annuelle du pays est assez haute (entre 600 mm et 1 600 mm) et les vents d’ouest peuvent être violents (à Wellington, des vents allant jusqu'à 140 km/h ont été enregistrés). Néanmoins, l’ensoleillement reste important (avec une moyenne 1 800 heures par an). Il n’est pas rare qu’en une seule journée, les Néo-Zélandais fassent l’expérience de quatre saisons en un même lieu. Dans le ciel, se dessinent ainsi fréquemment des masses nuageuses qui prennent la forme de larges cumulonimbus, voire de longs

cumulus mediocris qui viennent envelopper les reliefs montagneux et s’étendre au-dessus des

bandes côtières. Un phénomène que souligne le nom māori de la Nouvelle-Zélande : « Aotearoa » qui signifie littéralement « le Pays du long nuage blanc ».

Les données géologiques rattachent la Nouvelle-Zélande Aotearoa11 au continent sous-marin

7 Annexe A.1. La Nouvelle-Zélande dans le monde ; annexe A.2. Les flux de peuplement vers la Nouvelle-Zélande Aotearoa.

8 « Le poisson de Maui ». Maui est très connu dans toute la Polynésie pour ses épopées, dont il sera question à plusieurs reprises dans les prochains chapitres.

9 « La pirogue de Maui ».

10 Te Wai Pounamu, que l’on retrouve parfois sous la forme de Te Waipounamu, signifie l’eau (wai) de néphrite (pounamu). Pour plus d’informations voir : http://blog.teara.govt.nz/2013/04/05/north-and-south-te-ika-a-maui-and-te-waipounamu/ (consulté le 05/01/2019).

11 Dans cette thèse, lorsque je m'intéresserai à la vision emic (selon les acteurs sur le terrain) d'une problématique, je privilégierai l'utilisation du terme Nouvelle-Zélande Aotearoa pour faire référence au territoire des Māori en tant que population autochtone de Nouvelle-Zélande (tangata whenua). Et l’emploi de « nation néo-zélandaise » pour

(16)

Introduction

Zealandia12. Formé il y a 540 millions d'années sur la côte est du supercontinent Gondwana13, il

s'étend sur 3 500 000 km2, de la Nouvelle-Calédonie aux îles subarctiques. Durant des millions

d'années, les rivières transportèrent des sédiments jusqu'à la mer, tandis que des cendres furent déposées sur les fonds marins par l’activité volcanique. Ainsi formés, les sédiments et les cendres participèrent au durcissement des roches actuellement sous-jacentes à la Nouvelle-Zélande

Aotearoa. Situé à la jonction des plaques tectoniques indo-australienne et pacifique, le Pays du long

nuage blanc est confronté à une forte activité sismique et volcanique à l’origine de nombreux drames humains et sociaux ces dernières années. On pense en particulier à la région de Christchurch, sévèrement frappée par des tremblements de terre dévastateurs en 2010, en 2011 et en 201614. En

2019, lors de l’éruption volcanique de White Island vingt et une personnes trouvèrent la mort. Dans les récits ancestraux māori, les héros mythiques Maui et Kupe sont souvent convoqués pour expliquer l’émergence de la Nouvelle-Zélande. Maui est ainsi considéré par les Māori comme le premier découvreur d’ Aotearoa. Parmi ses plus célèbres faits d'armes, la pêche de l'île du nord de la Nouvelle-Zélande est une remarquable illustration de l'étendue de son pouvoir et des conséquences que les transgressions d’interdits (tapu) peuvent occasionner dans le monde māori. Dans la plupart des versions15, on raconte que désireux de partir en expédition vers le sud en

pirogue, Maui entraîna contre leur volonté ses quatre frères. Après des jours de navigation infructueuse en haute mer, contraint de résoudre le problème de l'eau et de la nourriture, Maui décida de pêcher. Il utilisa alors l’extraordinaire mâchoire de sa grand-mère comme hameçon. Enduisant l'outil de son propre sang, il pêcha un poisson monumental qui n’était autre que l'île du Nord de l'actuelle Nouvelle-Zélande Aotearoa que l'on nomme aujourd'hui encore : Te ika a Maui, littéralement le poisson de Maui. Craignant de transgresser certains tapu par cette pêche extraor-dinaire, Maui repartit seul vers Hawaiki, sa terre natale – la fameuse Polynésie tropicale des évoquer l’espace politique néo-zélandais qui se réclame d’une biculturalité affichée encourageant la cohabitation des populations de descendance māori, et européenne. Je ferai usage du terme Nouvelle-Zélande, pour une approche etic (du point de vue des chercheurs) (de Sardan, 1998).

12 Annexe A.1. La Nouvelle-Zélande dans le monde ; annexe A.2. Les flux de peuplement vers la Nouvelle-Zélande Aotearoa.

13 Ce supercontinent rassemblait autrefois la plupart des terres de l'hémisphère Sud : l'Arctique, l'Amérique latine, l'Afrique, l’Asie insulaire, le Proche-Orient et l'Océanie. Pour les terres de l’hémispère Nord c’est l’appellation « Laurasia » qui est privilégiée.

14 Pour comprendre l’ampleur du séisme du 22 février 2011, de magnitude 6,3 — qui a causé la mort de 185 personnes à Christchurch —, il est nécessaire de prendre en compte le tremblement de terre du 4 septembre 2010 d’une magnitude de 7,1 sur l’échelle de Richter. Sans causer de perte humaine, celui-ci provoqua l’affaiblissement de nombreuses structures architecturales qui s’écroulèrent en masse en 2011. En effet, les très fortes secousses de ce séisme, dont l’épicentre à 5 km de profondeur n’était situé qu’à 10 km du centre-ville de Christchurch, détruisirent une très grande partie de la ville. De nombreux spécialistes ont montré que le séisme de 2011 était une réplique de celui de 2010 (Hamish, 2011). En novembre 2016, le tremblement de terre de magnitude 7,8 à Kaikoura, à 180 km au nord de Christchurch, est considéré comme le deuxième séisme le plus puissant jamais enregistré en Nouvelle-Zélande Aotearoa. Il provoqua la mort de deux personnes.

(17)

Introduction

historiens – pour ensuite ramener avec lui des experts spécialistes des interactions avec les ancêtres (tohunga atua) susceptibles de découper ce poisson selon les rites appropriés. Or, pendant son absence, ses frères impatients, décidèrent de manger le poisson avant son retour. Lorsqu’ils entreprirent la découpe du poisson, celui-ci se tordit de douleur. Ce qui eu pour effet la transformation irrémédiable de la surface d’Aotearoa, jusqu'alors lisse et plane comme le dos d'une raie, en un relief accidenté. Selon les versions, l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande n’est autre que la pirogue des frères de Maui16.

Dans d’autres versions, l'île du Sud est désignée par l’expression « te wai pounamu », autrement dit l'eau de Néphrite. C’est alors le récit du grand navigateur Kupe qui est mobilisé (Best, 1974 [1924] : 46-48 ; Buck Hiroa 1958 [1949] : 4-9, Walker, 1990 : 35-38). Bien longtemps après Maui, Kupe partit pêcher à proximité d'Hawaiki17, quand la pieuvre de son ennemi Muturangi l'en

empêcha. Il construisit alors une pirogue d'exception et embarqua avec son équipage, sa femme et ses cinq enfants à la poursuite de la pieuvre. Poursuite qui l'emmena jusqu'à Aotearoa, où il découvrit une terre riche de trésors naturels, dont la pierre de Néphrite (pounamu en langue māori) (Smith, 1910). À son retour sur Raiatea18, il partagea sa découverte avec les membres de sa

communauté et encouragea ainsi les mouvements migratoires polynésiens en direction d’Aotearoa. Ce territoire aux écosystèmes contrastés et fragiles présente des paysages multiples : montagnes, collines, fjords, glaciers, mangroves, golfes, plateaux, terres volcaniques, lacs, rivières, gorges, vallées, deltas, péninsules, franges côtières, bassins et dunes. Les faunes marine et aviaire sont diversifiées et abondantes. Pourtant, avant l'arrivée des premiers Māori, seul un mammifère était endémique : la chauve-souris (pekapeka en māori). L'isolement géographique, fruit du passé géologique du territoire, explique aisément cette situation (Anderson, 2009 ; Lebot, 2002 ; McNeill, 2001). Il permet également de comprendre la fragilité des espèces endémiques composant la faune, mais aussi la flore de la Nouvelle-Zélande qui payèrent un lourd tribut au fil des migrations humaines19 (King, 2003 ; Park, 2000 ; Stevens, 1985 ; Worthy & al., 2002).

Parmi les espèces endémiques aujourd’hui éteintes, on compte le célèbre mo a (Morell, 16 Annexe A.3. La Nouvelle-Zélande Aotearoa.

17 Hawaiki signifie « terre natale » en langue māori, te reo, (Walker, 1990 : 37). Pour les Māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa, le terme Hawaiki désigne leur terre natale polynésienne, sans qu’ils puissent exactement la situer géographiquement. C’est aussi le lieu vers lequel le wairua (la présence) des défunts voyage après leur mort. La plupart des historiens, des ethno-linguistes et des archéologues actuels situent cette région aux environs de Rorotonga aux îles Cook. Toutefois, les recherches perdurent et d’autres pistes restent envisagées concernant le lieu exact d’Hawaiki. En plus des îles Cook, les îles de la Société et les îles Marquises sont ainsi parfois mentionnées (Anderson, 2008 ; Anderson, Goodwin & Browning, 2014 ; Barbe, 2008 ; Davidson, 1984 ; Irwin, 1989, 1990, 1994, 1998, 2004, 2013 ; Irwin & al., 2017 ; King 2003 ; Kirch, 2010 ; Kirch et Green, 2001 ; Walter & al., 2017 ; Walter, Jacomb & Bowron-Muth, 2010).

18 L’île de Raiatea a longtemps été un centre religieux polynésien, rassemblant des fidèles en provenance de toute la Polynésie (Chesneaux, 1996).

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2014 ; Worthy & Scofiled, 2012). De la famille des Dinorinthiformes, cet oiseau de grande taille (2 mètres de hauteur en moyenne), incapable de voler, constitua une ressource alimentaire et matérielle20 privilégiée pour les premiers Māori. Sa chasse intensive et la transformation de

l’environnement relative à l’arrivée des humains causèrent son extinction (Worthy & Scofield, 2012). Parmi les espèces endémiques qui ont su résister – aux différentes vagues migratoires et aux colonisations massives d'espèces importées volontairement ou involontairement lors de celles-ci –, celles qui demeurent aujourd’hui les plus emblématiques pour la société māori sont : le kiwi (Apteryx australis) ; le pigeon de Nouvelle-Zélande (Hemiphaga novaeseelandiae), nommé kererū en māori ; la fougère arborescente argentée (Cyathea dealbata) désignée par le mot parareka ; le lin de Nouvelle-Zélande (Phormium tenax) aussi connu comme harakeke ; l’imposant conifère du nom d e kauri (Agathis australis) ; l’arbuste kiekie (Freycinetia banksii) (Best 1977 [1909] ; Buller, 1873 ; Crowe, 2012 ; Moon, 2011 ; West, 1961).

La société māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa

Les premières populations humaines qui se sont installées sur l’archipel néo-zélandais sont des Polynésiens d’origine austronésienne21 ayant voyagé en pirogue double à balancier, ou pirogue

cargo, depuis la Polynésie orientale (Irwin & al., 2017 ; Kirch, 2010 ; Walter & al., 2017). L'aire culturelle māori de Nouvelle-Zélande appartient à un ensemble plus vaste que l'on nomme le triangle polynésien, délimité par Hawaii au nord, Rapa Nui à l’est et la Nouvelle-Zélande au sud22.

La société māori de Nouvelle-Zélande partage de nombreux traits communs avec les autres sociétés du triangle polynésien. On constate ainsi une profonde unité linguistique dans la famille des langues austronésiennes parmi le groupe proto-océanien, et particulièrement pour le cas du sous-groupe polynésien. Des variations existent entre l’hawaïen, le reo en Nouvelle-Zélande ou le tahitien avec lequel la proximité linguistique est ici plus importante qu’ailleurs dans l'espace océanien. En outre, on observe le partage de nombreux traits culturels communs relatifs à la culture orale, au système d e parenté, aux croyances, aux rituels, aux techniques d’élevage et d’horticulture, ou encore aux créations d’embarcations composites comparables23… qui soutiennent la théorie d’un point

20 Sous la forme d’hameçons fabriqués à partir des os, d’ornements corporels en os ou en coquille d’œuf ou encore de vêtements en peau et en plumes (Morell, 2014).

21 Les migrations austronésiennes en Océanie débutent il y a près de 4 000 ans au départ de Taïwan vers la Nouvelle-Guinée, l’archipel Bismarck et les îles Salomon. En transformant leur technologie maritime et horticole, elles sont parvenues à se répandre au fil des siècles dans toute « l’Océanie proche » et à franchir la ligne de l’Andésite pour peupler « l’Océanie lointaine » selon la terminologie de Kirch et Green (2001). Il est aujourd’hui admis que les Austronésiens atteignirent le triangle polynésien il y a près de 2 000 ans, en terminant leur route en Nouvelle-Zélande entre 1250 et 1400 après J.-C. (Irwin & al., 2017 ; Kirch, 2010 ; Walter & al., 2017).

22 Annexe A.2. Les flux de peuplement vers la Nouvelle-Zélande Aotearoa.

23 Ces embarcations auraient été utilisées sur des îles éloignées les unes des autres qui n'étaient plus en contact depuis longtemps (Irwin, 2013).

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d'origine commun (Belich, 2001 [1996] : 27-30 ; Feinberg et MacPherson, 2002 ; Frimigacci, 1997 ; Guiot, 2007, 2013 ; Irwin, 1994, 2004, 2013 ; Irwin & al., 2017 ; King, 2000, 2003 ; Kirch et Green, 1997 & 2010 ; Salmond, 2005).

La datation de leurs migrations originelles reste source de questionnements pour les archéologues, les historiens, les généticiens et les ethnolinguistes. En effet, alors que jusqu’à la fin des années 1970, il était de coutume d’envisager l’arrivée des Polynésiens en Nouvelle-Zélande

Aotearoa entre 800 et 1 200 ans après J.-C. Cette datation — principalement fondée sur l’analyse de

l’histoire orale māori et la datation au carbone 14 selon les techniques de l’époque— est désormais révolue. Différentes recherches archéologiques et ethnolinguistiques mobilisant des études ADN, linguistiques et climatologiques, ainsi qu’une datation au carbone 14 bénéficiant des dernières avancées technologiques, ont montré que la colonisation de la Nouvelle-Zélande par les premiers humains était le fruit de multiples vagues migratoires polynésiennes assez importantes. En effet, selon les dernières études, la colonisation du Pays du long nuage blanc fut délibérée sur la base de voyages d’exploration intentionnels. (Anderson, Goodwin & Browning, 2014 ; Irwin & al., 2014, 2017 ; Kirch, 2010). Ainsi, un demi-millier de Polynésiens — hommes et femmes — en provenance des îles Cook, des îles Australes, voire même de Fidji et de Tonga se seraient installés pour la première fois en Nouvelle-Zélande Aotearoa entre 1250 et 1400 après J.-C., avant que d’autres vagues migratoires polynésiennes leur succèdent (Anderson, Goodwin & Browning, 2014 ; Kirch, 2010 ; Walter & al., 2017 ; Walter, Jacomb & Bowron-Muth, 2010). Ces travaux offrent des pistes de recherche prometteuses. Toutefois, le croisement de ces données avec d’autres recherches reste nécessaire pour corroborer les hypothèses actuelles et permettre de mieux appréhender les vagues migratoires évoquées dans la tradition orale māori sous le terme de « waka » signifiant grandes pirogues.

Celles-ci constituent l’une des « figures » essentielles en contexte cérémoniel māori. En effet, sur l’espace de réunion clanique ou tribal (marae), il est de rigueur de scander sa généalogie (whakapapa) avant de prendre la parole. Cette scansion généalogique (pehapeha) est cruciale au moment des cérémonies d’accueil (pōwhiri) ou d’adieu (poroporoaki) puisqu’elle permet d’identifier la personne comme membre de différents collectifs : une pirogue (waka), une tribu (iwi)24, un clan (hapū) et une famille élargie (whānau). La pirogue est un ensemble régional

pan-tribal qui regroupe donc différentes tribus. Elles-mêmes sont constituées de sous-ensembles tribaux, les clans comprenant un vaste ensemble de familles élargies. Une famille élargie rassemble en moyenne une trentaine de personnes tandis qu’une pirogue regroupe potentiellement plusieurs dizaines de milliers de personnes. À chacune de ces pirogues est associé le nom du chef suprême 24 Annexe A.5 Tribus māori en Nouvelle-Zélande Aotearoa.

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Introduction

(ariki) qui fut à l’origine de la vague migratoire en direction de la Nouvelle-Zélande Aotearoa en tant que capitaine de pirogue25 (Belich, 2001 [1996] : 58-59 ; Firth, 1959 [1929] : 101 ; Irwin, 2004,

2013b ; Irwin & al., 2014, 2017 ; King, 2003 : 52 ; Smith, 1904 ; Walker, 1990 : 40-50). En contexte cérémoniel, lorsqu’un orateur déclame sa généalogie, il prononce le nom du fondateur historique de la pirogue à laquelle il se rattache, quelques instants seulement après celui des ancêtres primordiaux que sont la Terre mère (Papatūānuku), le Père ciel (Ranginui) et l’ancêtre tutélaire des forêts et de la création de la faune et de la flore — comprenant les humains (tangata) — (Tāne Mahuta)26. Ce faisant, les Māori s’associent généalogiquement à différentes entités

ancestrales de l’espace sociocosmique qui est le leur et dont l’étude constituera le cœur de cette thèse.

Les interactions avec les Européens

Quelques siècles après l’arrivée des Polynésiens, le Néerlandais Abel Tasman et son équipage furent les premiers Européens à tenter d’accoster au Pays du long nuage blanc le 13 décembre 1642, sans succès. En effet, en envoyant un petit équipage dans l’actuelle Golden Bay — que Tasman nomma à l’époque Mordenaer Baij — au nord de l’île du Sud, il fut témoin de l’hostilité des membres de la tribu Ngāti Tūmatakōkiri vis-à-vis de visiteurs étrangers non annoncés. Les Māori firent chavirer l’embarcation et répondirent aux tirs des marins néerlandais en tuant quatre membres de l’équipage. Tasman donna le nom de Staten Land au pays, que Joan Blaeu — cartographe pour la compagnie des Indes orientales — renomma Nieuw-Zeeland (Nova

Zeelandia en latin) d’après le nom d’une province néerlandaise. Il faudra attendre le mois d’octobre

1769 pour que le capitaine britannique James Cook et son équipage posent pied sur l’archipel néo-zélandais. Circumnaviguant autour du territoire jusqu’au mois de mars 1770, celui-ci parvint à le cartographier de manière très précise. Cook visita le pays à plusieurs reprises lors de ses voyages consécutifs en Océanie. En 1769, il estima la population māori à environ 100 000 personnes. Un chiffre que les dernières études archéologiques jugent assez plausible (Walter & al., 2017 : 361).

En décembre 1769, à quelques semaines d’intervalle du premier accostage de Cook en Nouvelle-Zélande, le capitaine Jean François Marie de Surville découvrit lui aussi les côtes néo-zélandaises dans des circonstances plus dramatiques que Cook. En effet, son équipage était gravement atteint du scorbut27, il souffrit de plusieurs avaries et ses rencontres avec les Māori furent

25 Annexe A.4 Les pirogues (waka) en Nouvelle-Zélande Aotearoa.

26 Ces données généalogiques ont longtemps posé problème aux historiens, qui, faute de preuves matérielles ont longtemps éprouvé des difficultés à dater et à localiser les lieux où les premiers Māori accostèrent en Nouvelle-Zélande (Irwin & al., 2017 ; Walter & al., 2017).

27 Ce qui n’était pas le cas de celui de Cook. En effet, pour pallier aux carences en vitamine C responsables du scorbut, son équipage et lui-même consommèrent de grandes quantités de citrons et de choucroute pendant toute la

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pour le moins violentes. Deux ans et demi plus tard, du mois de mai au mois de juillet 1772, l’explorateur Marc Joseph Marion du Fresnes séjourna dans la baie des îles où il noua des relations amicales et commerciales avec les Māori. Jusqu’à la moitié du XIXe siècle, de nombreux

explorateurs firent le voyage vers la Nouvelle-Zélande. Parmi eux, Louis Isidore Duperrey fut assisté de Jules Sébastien César Dumont d’Urville, à bord de La Coquille en 1824. Il devint lui-même capitaine de La Coquille — qu’il renomma L’Astrolabe — pour son voyage autour de la Nouvelle-Zélande en 1827 et celui qu’il accomplit entre 1837 et 1840 en direction de l’Antarctique. Après eux, de nombreux explorateurs atteignirent l’archipel néo-zélandais (Belich, 2001 [1996] ; King, 2003 ; Salmond, 1992, 2005 ; Sinclair, 1990 ; Wilson, 2005).

En Nouvelle-Zélande Aotearoa, ces expéditions, d’abord à visées scientifiques et commerciales, furent révélatrices de la compétition qui régnait dans les mers du Sud entre les empires britanniques et français. Avec ces grands voyages, les Européens accélérèrent l’entrée de l'Océanie dans le « Champ mondial des forces géopolitiques » (Chesneaux, 1998 : 35). Les premiers Européens que les populations océaniennes rencontrent sont des explorateurs, puis de plus en plus d’officiers de la marine et leurs équipages. Rapidement, des grands voyageurs, des commerçants aussi, des pêcheurs (baleiniers), des scientifiques parfois, et quelques déserteurs de la marine ou du bagne australien font leur arrivée en Nouvelle-Zélande, avant même celle des missionnaires. Ce sont en très grande majorité des hommes sans femmes (Diamond, 1993).

Aux prémices de ces interactions, les Māori maîtrisent encore leur espace politique et semblent parvenir à assimiler et à détourner à leur profit les nouveautés qu’apportent avec eux les Européens. En particulier, les apports technologiques tels que le métal qui remplace peu à peu les outils de pierre et permet de créer plus rapidement des artefacts28 sculptés (Thomas, 1991, 2012).

Les échanges se font dans la langue autochtone jusqu'à la mise en place de colonies de peuplement qui — surpassant peu à peu démographiquement le nombre des populations autochtones — finissent par prendre le contrôle et à déterminer les termes des échanges qui se font de plus en plus dans la langue du colonisateur.

Aussi, du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, les échanges sont occasionnels et limitées

aux zones côtières. Les Māori peuvent encore assurer leur autosuffisance et des clous sont échangés contre des patates douces, parfois des haches contre des porcs, des pendentifs en jade ou des manteaux māori. Les équipages européens se réapprovisionnent en eau et en nourriture, la pêche à la baleine se développe progressivement et les populations autochtones sont encouragées à y durée du premier voyage. Le succès de l’entreprise incita les autorités britanniques à imposer ce régime aux marins par la suite (Combis, 2018 ; Dufresnoy et Rousseau, 1954 ; Lejeune, 2017).

28 « En anthropologie, produit ayant subi une transformation, même minime, par l'homme, et qui se distingue ainsi d'un autre provoqué par un phénomène naturel. » (Larousse, 2014.)

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participer, en échange de couvertures, de miroirs, d'outils en métal, etc. S’en suit l'installation de communautés d'Européens sur les rivages côtiers au cours du XIXe siècle. Ces groupes, que les

historiens nomment les « écumeurs de grèves » (beach combers), sont composés de quelques marins, de déserteurs, voire de prisonniers qui se sont évadés du bagne australien. Toutefois, en Nouvelle-Zélande, à cette époque, les migrants qui sont les plus nombreux sont plutôt issus de l’élite de la classe ouvrière, voire de la petite bourgeoisie, notamment des commerçants et des aventuriers qui se marient parfois avec des femmes māori et qui souhaitent faire de ce nouveau monde un succédané de leur Angleterre idéale (Belich, 2001 [1996] ; Bouchard, 2008 [2001] ; Gagné, 2013). Les missionnaires anglicans arrivent quelques décennies plus tard et partagent ce souhait. Au fil du temps, différents types de relations naissent entre ces populations et les Māori. Généralement de faible ampleur, elles se font régulières et parfois amicales, mais elles peuvent aussi être particulièrement conflictuelles lorsque les malentendus culturels et les maladresses qui en découlent se transforment en offenses29 (Hooper, 2006 ; Keane, 2010 ; King, 2003 ; Salmond, 1992,

1997).

Très vite, l’équilibre s’inverse et la course aux mousquets s’amorce conduisant les tribus māori à exploiter massivement les ressources naturelles du lin de Nouvelle-Zélande (Phormium

tenax) pour façonner des cordages résistants et à se lancer dans la culture de blé pour faire de la

farine. Les guerres des mousquets s’engagent de 1807 à 1842 faisant des milliers de morts dans les différentes tribus māori. Parallèlement, les échanges commerciaux des Māori avec des équipages qui ne font que passer prennent des proportions plus importantes : notamment avec le commerce des produits de la pêche à la baleine ou à la tortue marine. Ce commerce dépend toutefois fortement de l'offre et de la demande parfois variables. Simultanément, la dépendance des Océaniens vis-à-vis des biens européens — surtout en matière d'outils en fer et d'armes à feu, de tissus, mais aussi et assez vite de tabac et d’alcool — se fait de plus en plus forte. À cette époque, la main-d’œuvre océanienne est encore suffisante, mais de nombreux débordements sont observables sous la forme de kidnapping de populations autochtones et de déplacements sur d’autres territoires à bord d’embarcations européennes (Barbe, 2008 ; Belich, 2001 [1996] ; Keane, 2010 ; Petrie, 2015b ; Rice, 1992 ; Salmond, 1997 ; Vayda, 1961).

En parallèle, les premiers missionnaires chrétiens arrivent en Nouvelle-Zélande en 1814. Leurs entreprises de conversion auprès des Māori remportent leurs premiers succès dans les années 1830. Les missionnaires protestants anglais de la Church Missionnary Society (CMS) dépêchés par 29 Comme ont pu le mettre en valeur certains débats particulièrement vifs et notamment ceux qui se sont élevés en

Nouvelle-Zélande Aotearoa à partir de 2017-2018 sur la manière de présenter, glorifier, ou au contraire dénoncer, le « premier contact » avec les Anglais – autrement dit l'arrivée de James Cook et de son équipage à Gisborne en 1769 – en vue des célébrations prévues par le Gouvernement néo-zélandais pour le 250e anniversaire (octobre 2019).

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Samuel Marsden sont les premiers à s’installer en Nouvelle-Zélande. Auxquels succédèrent d’autres missionnaires anglicans, dont le révérend Henry Williams, mais aussi des presbytériens et des méthodistes. Les protestants qui se lancent dans l'évangélisation des populations insulaires s'inscrivent dans la mouvance de groupes protestants marginaux, du type du « Great Revival », dans la lignée de John Wesley où les transes et les phénomènes spectaculaires sont utilisés pour mieux partager la bonne parole. Contrairement aux catholiques, ils n’ont à l’époque aucune expérience missionnaire dans des contrées lointaines, mais ils apprennent la langue locale et ils forment très vite de jeunes autochtones pour qu’ils deviennent eux-mêmes les missionnaires de demain. Les catholiques souhaitent eux aussi faire œuvre missionnaire en Océanie. Toutefois, la Révolution française freine leurs projets d’évangélisation dans le Pacifique, et ce, jusque dans les années 1830. En Nouvelle-Zélande, la Mission du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie s’installe et Mgr Jean-Baptise François Pompallier rencontre un franc succès auprès des Māori dès 1837 (Barbe, 2008 : 208-222 ; Belich : 156-170 ; King, 2003 : 129-171 ; Rice, 1992 : 146-163 ; Salmond, 1997).

En Nouvelle-Zélande Aotearoa, les catholiques sont considérés comme dissidents, puisque la règle coloniale qui s’impose dès 1840 avec la signature du traité de Waitangi est britannique. Progressivement, les Māori qui souhaitent s’opposer à la règle coloniale, ne se contentent plus d’affrontements militaires, ils mettent en place des mouvements de résistances religieuses non seulement en se convertissant au catholicisme, mais aussi en créant des mouvements prophétiques ou messianiques s’inspirant souvent de l’Ancien Testament et du judaïsme. Différents prophètes charismatiques sont à leur tête. Ainsi, Papahurihia proposa en 1833 un syncrétisme entre ces savoirs d’experts rituels māori (tohunga) et certains aspects du judaïsme au nord de l’archipel. Trente ans plus tard, Te Ua Haumēne (Haumēne) fonde la religion hauha — également connue sous le nom de

pai marie — inspirée du catholicisme mariste dans la région de Taranaki (à l’ouest de l’île du

Nord), en 1864. Quasi simultanément, Te Kooti instaure la religion ringatu en territoire Tuhoe au cœur des Urewera (au nord-est de l’île du Nord) en 1866. À la fin du XXesiècle, Rua Kenana se

désigne comme le successeur de Te Kooti et installe une communauté religieuse à Maungapohatu dans les Urewera. Il est arrêté et emprisonné par les autorités coloniales en 1916, comme de nombreux prophètes avant lui. Ces différents mouvements prophétiques ont la même ambition, résoudre les problèmes des Māori et recouvrir l'autorité passée, mais leurs modes opératoires diffèrent. Alors que certains s'opposent de manière frontale à la règle coloniale, d’autres s’allient au parti travailliste dans la première moitié du XXe siècle. Certains Māori en opposition avec le

pouvoir colonial se reconnaissent souvent comme le peuple élu de Dieu qui doit faire face aux oppresseurs. À l’instar du nouvel Israël de l’Ancien Testament confronté aux Égyptiens, les Māori sont confrontés aux pouvoirs coloniaux, qu’ils affrontent fréquemment aussi sur le terrain militaire.

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Ce fut ainsi le cas lors des différentes guerres néo-zélandaises — entre 1845 et 1872 — qui résultent d’invasions britanniques en territoire māori (Binney, 1995, 2009, 2011 ; Elsmore, 1999[1989] ; Gagné, 2013 ; Keenan, 2012b, 2019 ; Walker, 1990).

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’emprise de la couronne britannique au Pays

du long nuage blanc ne cesse de croître. C’est aussi le cas des autres puissances coloniales présentes dans toute l’Océanie. Après l’instauration de nouvelles colonies et l’intensification du commerce avec la mise en place de plantations (coton, noix de coco, huile de palme, etc.) sur certains territoires, sans oublier le développement de l’industrie baleinière par de grandes industries, les populations autochtones voient leurs modes de vie se transformer irrémédiablement. Une migration de travail se développe pour assurer la main-d’œuvre des plantations et autres exploitations des ressources naturelles de cette région du monde. La pression extérieure sur la terre ne cesse de croître tandis que les besoins des Océaniens en armes, vêtements, tabac, alcool, nourriture en boîte, augmentent de jour en jour et que les savoirs traditionnels commencent progressivement à se perdre, laissant présager d’une dépendance future considérable (Barbe, 2008 ; Belich, 2001 [1996], 2001b ; Dousset & Nayral 2018 ; Diamond, 1993 ; Jolly, Tcherkézoff, Darell, 2009 ; Hooper, 2006 ; Sinclair, 1990 ; Strathern & Stewart, 2002 ; Wilson, 2005).

Colonialisme et néo-colonialisme

Le 6 février 1840, la Nouvelle-Zélande Aotearoa devient officiellement une colonie britannique avec la signature du traité de Waitangi30. Ce traité fait suite à l’installation croissante

d’immigrés en provenance d’Angleterre, depuis le début du XIXe siècle, qui aspirent à voir leurs

intérêts économiques et terriens être défendus par un état colonial. Pour y parvenir, la reine Victoria souhaite qu’une souveraineté partielle ou totale soit reconnue par les chefs māori à la couronne britannique. En 1839, le consul William Hobson est chargé de cette tâche avec l’aide de James Busby — représentant britannique chargé du maintien de l’ordre et des missionnaires depuis 1833 — et du révérend Henry Williams qui facilite les relations avec les Māori et propose une traduction du texte du traité en māori. Du mois de février au mois de septembre 1840, cinq cents chefs māori acceptent de signer le traité de Waitangi dans sa version māori tandis que les représentants de la couronne britannique eux, signent la version anglaise. Mais les deux versions diffèrent sur des notions clés, telles que la « souveraineté » et la « possession » des terres et des trésors ancestraux (taonga), et les conséquences de ces contradictions posent aujourd’hui encore problème aux Māori, mais aussi, autres Néo-Zélandais, à l’état et à la couronne. Notons dès à présent, avant d’y revenir dans le chapitre 2, que dans la version anglaise, la souveraineté pleine et entière fut cédée à la 30 Annexe VI.4 Les signatures des chefs māori.

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couronne britannique, tandis que dans la version māori seule la gouvernance (kawanatanga) fut attribuée et non la souveraineté (tino rangatiratanga) (Lumieux, 2016 ; Ministry for Culture and Heritage, 2017 ; Orange, 2004, 2012, 2013; Salmond, 2010a, 2010b ; Schulte-Tenckhoff, 2004 ; Seuffert, 2005 ; Sissons, 1995 ; Smits, 2019).

Après la signature du traité de Waitangi, les spoliations de terres māori se multiplient. En 1863, 16 000 km2 de terres sont ainsi confisqués au profit d’une population de colons d’origine

européenne en croissance constante. Dans les années suivantes, la règle coloniale se durcit à l’encontre des Māori, justifiant de nouvelles confiscations foncières31. En parallèle, de nombreux

colons acquièrent des terres pour quelques bouchées de pain. Après les guerres et les épidémies, la confiscation des terres māori frappe un peuple déjà très affaibli, qui, dépossédé de ses terres, doit dorénavant faire face à de nombreuses famines et épidémies. Des années 1850 à 1870, cette situation désastreuse a pour conséquence de faire chuter de plus de la moitié la population māori en Nouvelle-Zélande, qui passe de 86 000 personnes en 176932 à seulement 42 000 personnes en 1896

(Belich, 2001a : 178 ; Walker, 1990).

En témoignent les différents recensements effectués par le gouvernement colonial au cours du XIXesiècle. Ainsi, en 1840, la population māori s’élève à 70 000 personnes pour 1 300 colons

d’origine européenne (Belich, 2001 [1996] : 178). En 1858, les colons d’origine européenne représentent déjà 74 000 personnes et en 1874, ils sont près de 249 228. La même année, selon le recensement du Dominion de Nouvelle-Zélande33, la population māori ne représente déjà plus que

45 470 personnes sur un total de 299 514 personnes résidant en Nouvelle-Zélande, dont 4 816 Chinois. Quarante ans plus tard, en 1916, alors que les Néo-Zélandais d’origine européenne atteignent 1 million 93 024 personnes, 52 997 personnes sont encore recensées comme māori34. La

Nouvelle-Zélande est désormais largement habitée par des Néo-Zélandais descendants de colons d’origine européenne (Pākehā en langue māori). Ils héritent de la majorité des terres du pays que leurs aïeux avaient obtenues par achat ou confiscation aux populations māori et qu’ils avaient transformées dès la seconde moitié du XIXe siècle en exploitations agricoles florissantes, y

développant le maraîchage et l’élevage (Pearson, 1991, 2009 ; Poata Smith ,1991, 2004 ; L. Smith, 1999 ; Sullivan, 2001, 2010).

31 Annexe III.2. Guerres néo-zélandaises & confiscation de terres māori.

32 Chiffre certainement sous-estimé, mais qui semble plus proche de la réalité que le million de Māori que Dumont d’Urville avait suggéré à son époque, et se rapproche des 100 000 Māori qu’avait comptabilisé Cook lors de son premier voyage.

33 Accessible en suivant ce lien : https://www3.stats.govt.nz/historic_publications/1874-census/1874-results-census.html#idpreface_1_513 (consulté le 17/03/2019).

34 Dans cette première moitié du XXe siècle, la population māori n’augmentera que très progressivement, tout en étant

toujours plus minoritaire dans son pays d’origine. À cette époque, de nombreux intellectuels prévoyaient l’extinction de la population māori. Une extinction qui ne se produira pas.

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La décolonisation de la Nouvelle-Zélande Aotearoa s’engage en 1907 avec la transformation de la colonie en Dominion. Le pays bénéficie d’une indépendance politique interne, mais la politique étrangère continue d’être administrée par la couronne britannique. En 1931, le modèle de Westminster est mis en place et la nation néo-zélandaise devient indépendante. Il faut attendre 1947 pour que l’acte d’adoption du statut de Westminster soit ratifié et 1986 pour que le pays se dote de sa propre constitution. En 2020, en tant que monarchie constitutionnelle à démocratie parlementaire membre du Commonwealth, la Nouvelle-Zélande a pour monarque la reine d’Angleterre, Élisabeth II, représentée par la gouverneure générale Patricia Lee Reddy depuis le 28 septembre 2016. Les liens avec le Royaume-Uni restent aujourd’hui encore très forts et l’influence tant politique, économique que sociale, culturelle, religieuse et diplomatique de l’Angleterre en particulier est indéniable. Le chef d’État du pays est actuellement la Première ministre Jacinda Ardern qui détient les pouvoirs exécutifs. Cheffe du parti travailliste, son élection le 26 octobre 2017 fut rendue possible par une coalition avec le parti conservateur New Zealand First, dirigé par Winston Peters l’actuel vice-Premier ministre (conservateur) et les Verts. Élue pour trois années, Ardern est responsable devant un Parlement composé de 120 parlementaires élus proportionnellement (Barbe, 2008 ; Gagné, 2009, 2013 ; Miller 1997, 2010, 2015).

Depuis la signature du traité de Waitangi, les Māori ont dû lutter pour faire reconnaître leurs droits dans l’état colonial35. Une lutte qu’ils poursuivirent dans l’état néocolonial qui lui succéda et

qui perdure aujourd’hui. Dès les années 1850, les clauses māori du traité sont fréquemment transgressées par les colons qui s’accaparent les terres māori sans foi ni loi. Par conséquent, les conditions de vie des populations māori se détériorent rapidement et la famine, les épidémies et la pauvreté mettent à mal la survie de clans entiers. En 1859, la couronne refuse aux Māori le droit de vote et ne reconnaît que la version anglaise du traité de Waitangi, les privant ainsi de leur souveraineté. En 1867, dans le cadre du Native School Act, l’usage de la langue māori est interdit et les attitudes discriminatoires vis-à-vis des Māori se multiplient. Dans ces circonstances, un nombre croissant de Māori se regroupe pour organiser différents mouvements d’opposition ou de contestation tant politique, qu’économique, culturelle, religieux, voire militaire. Outres les guerres néo-zélandaises (1845-1872), les chefs māori se tournent vers leur assemblées tribales (iwi) et pan-tribales (waka) pour envisager les moyens qui peuvent s’offrir à eux pour tendre vers une plus grande autonomie. Ils se forment à la politique et au droit colonial et le mouvement du roi māori (Te Kingitanga) voit le jour dans les années 1850. Pōtatau Te Wherowhero, un chef suprême (ariki) 35 L’activisme māori, en tant que mouvement d’opposition aux pouvoirs coloniaux et néo-coloniaux, ne fera pas l’objet d’une étude détaillée dans cette thèse. Aussi, je tiens à signaler en particulier les ouvrages suivants : Belich, 2015 [1988] ; Gagné, 2013 ; Harmsworth & Awatere, 2013 ; Henare, 2001 ; van Meijl, 1999, 2006b, 2011 ; McKenzie, 1993 ; Pellini, 2015, 2017 ; Pitt, 1976 ; Salmond, 2010a, 2010b ; Schwimmer, 1968, 1990, 1992, 2003, 2004a ; Smith L., 1999 ; Sullivan, 1997, 2001 ; Waitangi Tribunal, 2011 ; Walker, 1990 ; Webster, 1998b.

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Introduction

de la région de Waikato, est choisi comme roi par différents clans. Nonobstant, certains clans refusent de lui prêter allégeance. Son fils Tāwhiao36 lui succède en 1860. Il ira plaider la cause des

Māori avec d’autres ariki à la cour de la reine d’Angleterre dans les années 1880. Depuis, de nombreux rois et une reine māori ont porté ce titre. Après la mort de la reine Te Arikinui Dame Te Atairangikaahu en 2006, son fils le roi Tūheitia Potatau Te Wherowhero VII37 fut intronisé.

En parallèle, d’autres mouvements activistes māori se développent et certains perdurent jusqu’à nos jours38. Parmi ceux qui mobilisent régulièrement la scène culturelle, artistique et

artisanale māori, je m’intéresserai dans cette thèse plus particulièrement aux mouvements dans lesquels l’art du tissage māori tient une place importante. En 1867, une première étape est franchie puisque les hommes Māori obtiennent le droit de vote suite à la ratification du Māori

Representation Act. Toutefois, on notera que la même année, la langue māori est interdite. En 1893,

les femmes néo-zélandaises, y compris les Māori, sont autorisées à voter et progressivement des sièges électoraux sont réservés aux élus māori. Attribués de manière proportionnelle, leur nombre s’élève en 2020 à sept. Depuis les années 1970 — durant lesquelles le mouvement de contestation māori prit de l’ampleur — la version māori du traité de Waitangi est enfin reconnue avec le Treaty

of Waitangi Act. S'en suit la mise en place du tribunal de Waitangi. Il est mandaté pour arbitrer les

plaintes des Māori contre la couronne britannique pour non-respect des clauses du traité et la vague d’indemnisation qui en découle, et les nouveaux modèles économiques tribaux māori qui existent aujourd’hui39. Au même moment, les Māori œuvrent pour sauvegarder leur langue en investissant

dans la formation d’instituteurs et d’institutrices qui fondent des écoles et contribuent à la renaissance culturelle māori. En 1987, la langue maori (t e reo) est reconnue comme la langue officielle du Pays du long nuage blanc avec l’anglais néo-zélandais.

Suite à l’exode rural qui marqua le XXe siècle et transforma de manière significative le

monde māori40, la grande majorité des habitants vivent désormais dans les zones urbaines de l’île du

Nord — en particulier à Auckland, la capitale économique du pays et à Wellington, sa capitale administrative — et dans la ville et la périphérie de Christchurch sur l’île du Sud. Lors du dernier recensement daté du 30 juin 2018, le service statistique du gouvernement néo-zélandais41 a

enregistré une population totale de 4 699 755 personnes. Sur ce total, 744 800 personnes se 36 Annexe XI.15a Les manteaux māori photographiés en 1889 ; annexe XI.15b. Les manteaux māori : portraits de

groupe.

37 Annexe II.5. Des manteaux transmis de génération en génération 2/2.

38 Sur ce sujet, voir plus particulièrement : Greenland, 1991 ; Poata-Smith, 1991, 2004 ; Sullivan, 1997, 2001, 2010 ; Walker, 1990 ; Webster, 1998b.

39 Gagné, 2013 ; van Meijl, 2011 ; Poata-Smith, 1991, 2004 ; Sullivan, 2001 ; Webster, 1998a.

40 À ce sujet voir : Duff, 1993 ; Easton, 2018 ; Gagné, 2013 ; George, 2010 ; Gibson, 1973 ; Haami, 2018 ; van Meijl, 1999, 2006b ; Schwimmer, 1968, 1990.

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Introduction

reconnaissant d’ascendance māori mixte42, 2 814 552 personnes se sont déclarées d’ascendance

majoritairement européenne43, 645 600 personnes sont d’ascendance asiatique, 245 083 ont été

recensées en tant qu’habitants d’ascendance océanienne (Samoa, Tonga, Fidji, etc.), et le reste de la population est d’ascendance mixte ou originaire d’autres régions du monde (Australie, Amérique du Nord, Moyen-Orient, Amérique du Sud, Afrique, etc.). Au 31 mars 2020, la population néo-zélandaise compte désormais à 5 002 100 personnes.

— PROBLÉMATIQUE ET SUJET DE RECHERCHE —

Cadre de la recherche et interlocuteurs

Dans cette thèse, j’envisage le monde māori à travers différentes entités44 qui entrent

fréquemment en contact : les ancêtres, les humains, les trésors ancestraux et plus particulièrement l e s manteaux māori. Pour y parvenir, le cadre d’analyse qui est le mien est assez spécifique puisqu’il s’agit du point de vue d’experts-rituels māori, de gardiens de trésors ancestraux et de représentants qui sont généralement connus, voire reconnus, par la sphère politique māori et néo-zélandaise. La plupart participent activement au mouvement de renaissance culturelle māori45,

parfois depuis plusieurs décennies. Aussi, leurs talents sont fréquemment mobilisés sur la scène internationale et nationale et c’est le plus souvent ainsi que nous nous sommes rencontrés. J’y reviendrai par la suite. Ces personnalités sont souvent envisagées comme les gardiennes de la tradition, de la coutume (tikanga) et les seules à pouvoir en expliciter les règles et les adapter aux circonstances.

Les experts-rituels (tohunga) sont aujourd’hui des personnes reconnues comme spécialistes, expertes, par les membres de leur communauté ; et ce, en ce qu’ils ou elles excellent dans une pratique artisanale, rituelle, ou thérapeutique. Ces trois domaines de compétence vont souvent de pair principalement pour le cas des experts-tatoueurs (tohunga ta moko), mais aussi pour d’autres experts de manière plus discrète. Comme c’est le cas des expertes-tisseuses (tohunga whatu).

Les gardiens de trésors ancestraux (kaitiaki) ont la responsabilité de veiller sur des trésors ancestraux (taonga). Les taonga sont des entités tangibles et intangibles. Il peut s’agir de certains manteaux, de bijoux, de pirogues, d’armes, de maisons, de narrations dansées, de l’art du tissage, ou 42 Il peut s’agir de personnes d’ascendance majoritairement māori, ou bien europeano-māori, pacifico-māori, etc. 43 Le terme māori pour désigner les néo-zélandais d’origine européenne est « pākehā ».

44 « Essence d’un être, d’une chose, ensemble exhaustif des propriétés qui les constituent. […] Réalité abstraite dont l’existence objective, fondée sur des rapports, est conçue par l’esprit. » Larousse 2018 - Dans cette thèse, j’utilise le terme « entité », plutôt qu’« être », « objet », « artefact » ou encore « trésor » pour souligner le caractère composite des trésors ancestraux et pour mettre en avant l’ensemble exhaustif des propriétés qui les constituent.

45 À ce sujet voir en particulier les travaux de : Allen, 2002 ; Gagné, 2013 ; Pearson, 1996 ; Pellini, 2015, 2017 ; Poata Smith ,1991 ; Schwimmer, 2004a ; Smith L., 1999 ; Sullivan, 2001, 2010 ; Webster, 1998b ; Williams M., 1997.

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